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Le rôle de la famille: perspectives pour des mécanismes personnels et collectifs de promotion de la santé des jeunes

The role of the family: outlook for personal and collective mechanisms for promoting the health of young people

DEBATEDORES DISCUSSANTS

Le rôle de la famille: perspectives pour des mécanismes personnels et collectifs de promotion de la santé des jeunes

The role of the family: outlook for personal and collective mechanisms for promoting the health of young people

Gilles Forget

Direction de santé publique de Montréal. gforget@santepub-mtl.qc.ca

S'il est une chose qui traverse les âges et les civilisations, c'est l'importance que toute société humaine se doit d'accorder aux enfants et aux jeunes. Si, au début, la préoccupation essentielle était d'abord celle de la reproduction de l'espèce stricto sensu, aujourd'hui, c'est la qualité de cette relève qui est objet de préoccupation et qui nous amène à tourner notre regard vers les jeunes et à les accompagner vers l'âge adulte. Cette préoccupation est d'autant plus importante pour la société québécoise que cette relève se raréfie. En 2001, les jeunes de 15-34 ans constituaient un peu plus du quart de la population alors que seulement quinze ans auparavant (1986) ils en constituaient le tiers. Dans trente ans, ils ne représenteront que le cinquième de la population québécoise1.

Ce défi posé à la santé publique comme à tous les acteurs sociaux nous amène à esquisser les conditions propices au développement des enfants et des jeunes, conditions qui, en plus de viser la pleine réalisation de leur potentiel individuel, devraient favoriser leur cheminement vers un statut de citoyen responsable et conscient de son environnement social, une fois devenus adultes.

Connaître les jeunes et leur développement

Le développement des jeunes résulte d'une interaction continue de facteurs propres à l'enfant et à son environnement. Longtemps nous avons concentré nos interventions auprès des jeunes d'âge préscolaire considérant que l'enfance était le moment où les éléments nécessaires à son développement futur se concrétisaient. L'intervention précoce est toujours une priorité québécoise de santé publique, mais les plus récentes recherches sur le développement des jeunes tendent à démontrer que ce développement se prolonge bien au-delà de 6 ans. C'est pourquoi il faut non seulement investir dès la petite enfance mais poursuivre cet investissement si nous voulons que les jeunes deviennent des adultes en santé.

Le développement des jeunes se construit de façon hiérarchique. Il incorpore ce qui précède et s'appuie sur ces fondations pour développer ce qui suit. C'est pourquoi les premières années de vie sont vues comme une période cruciale où les fondements de la capacité d'adaptation de l'enfant s'élaborent. Mais toutes déterminantes que soient ces fondations, le contexte du développement est aussi capital. Un attribut quelconque d'un enfant entraînera des conséquences différentes pour le développement selon les conditions contextuelles dans lesquelles il se produit. Des conditions similaires peuvent aussi mener à des développements différents compte tenu des spécificités des enfants. Il convient donc de s'appuyer sur ces étapes de transition pour mettre en place les conditions qui permettront aux jeunes de répondre aux multiples défis susceptibles de l'éloigner d'une trajectoire garante de son état de santé et de bien-être et de son insertion sociale.

Du développement à la participation sociale

La participation sociale implique un échange réciproque entre l'individu et la collectivité. Elle met en cause d'une part, la responsabilité collective de permettre à tous de participer à la vie de la cité et, d'autre part, la responsabilité individuelle d'agir en citoyen responsable. Elle peut prendre diverses formes publiques et se manifeste aussi dans les liens unissant les individus à leurs proches et à leurs familles. Le schéma suivant illustre la dynamique de la participation sociale.

La dimension exclusion - insertion réfère à l'éventail des occasions pour chacun d'agir et de s'impliquer dans la société. La dimension désaffiliation - affiliation évoque quant à elle l'engagement d'une personne envers sa communauté ainsi que la qualité des liens qu'elle tisse avec son milieu. Le passage d'un pôle du continuum à l'autre (par exemple, affiliation - désaffiliation) repose sur la présence ou la création d'espaces de participation sociale2.

Le degré de participation varie dans le temps. Du milieu familial où les possibilités de participation sociale sont par définition restreintes pour l'enfant, le jeune, au fil des années, accède à de nouveaux contextes de vie (école, amis, groupes de pairs, etc.) où le potentiel d'action grandit. Autant d'occasions d'y créer des liens et d'y exercer des rôles. Mais ici encore, les contextes sont importants. Selon l'endroit où ils habitent, selon le niveau de revenu et d'éducation de leurs parents, selon leurs expériences précoces, ou encore, selon leur origine culturelle, il y a des enfants et des jeunes qui, dès le départ, vivent de l'exclusion et de l'impuissance2.

Participation sociale des jeunes: pour la suite du monde

La question de la participation sociale des jeunes se pose sur le fond des rapports entre les générations qui sont, pour le meilleur ou pour le pire, au cœur de toute vie humaine. Les enfants et les jeunes arrivent dans un monde déjà constitué, dont ils ont à apprendre les usages et connaître les repères. Idéalement et pour l'essentiel, c'est la génération précédente qui les aide à acquérir les connaissances et les habiletés qui leur permettront progressivement d'être autonomes, c'est-à-dire de devenir à leur tour co-responsables du monde dans lequel ils vivront.

La philosophe Hannah Arendt3 a proposé, dans un essai célèbre sur la crise de l'éducation des réflexions qui sont toujours d'actualité sur l'équilibre mouvant, mais combien fondamental, entre continuité et transformation dans la dynamique intergénérationnelle. «Voici notre monde»– ainsi doit débuter, selon Arendt, le premier mouvement de toute éducation, voici le monde que nous, les adultes, avons fait à partir de celui que nous avons reçu et que vous aurez à refaçonner à votre tour. Les adultes ont donc à présenter ce qui est, tout en habilitant les enfants et les jeunes à imposer leur propre signature. «Refaire le monde» n'est pas un caprice, mais bien plutôt une nécessité fondamentale; nous façonnons le monde à notre image et la finitude est justement inscrite à la base de ce que nous sommes. Le monde ne saurait donc perdurer sans le travail incessant et radical du renouvellement, grâce à la succession des générations.

Comprendre les parents

On peut difficilement parler du développement de l'enfant sans tenir compte des parents, de la dynamique familiale et de son contexte social ambiant. Ce contexte en mouvement ne forme plus le tout homogène d'il y a quarante ans. Les changements sont perceptibles en premier lieu dans la pluralité des familles, un nombre toujours plus grand de jeunes Montréalais se retrouvant au sein de familles ayant connu le divorce. La démocratisation des rapports au sein de la famille caractérise aussi les familles actuelles. On pense ici au fait que les femmes et les enfants sont devenus des individus à part entière à la suite des revendications du mouvement féministe. Cette nouvelle valeur a un impact important sur les relations ente les hommes et les femmes, entre les adultes et les enfants. Le rôle de l'enfant a lui aussi changé. Si dans la société traditionnelle, le désir d'enfants était étroitement lié aux valeurs imposées par l'Église et aux exigences économiques, il s'agit maintenant d'une valeur davantage individuelle et symbolique. On fait un enfant pour soi, pour le présent et pour son sentiment de continuité. Le rapport parent-enfant est ainsi très individualisé. Les familles ont moins d'enfants et les exigences éducatives et les aspirations reportées sur chacun – même sur l'unique enfant – sont plus grandes. Les interactions entre les enfants ont surtout lieu à l'extérieur de la famille, sous la supervision d'autres adultes que les parents. Les hommes, les pères de famille, sont en pleine crise d'identité et ils se retrouvent sans modèle pour redéfinir leur place au sein de la famille dans un contexte plus démocratique où leur rôle doit dépasser celui de pourvoyeur et de détenteur de l'autorité.

Ces changements dans la dynamique sociale et familiale vont aussi de pair avec une modification profonde des valeurs sociales et une contradiction entre ces dernières et le vécu de plusieurs familles. Ainsi les valeurs d'entraide, de coopération, de discipline, de valorisation du travail, en particulier du travail manuel, ont été remplacées en grande partie par celle de l'argent, de la survalorisation de l'individu et de sa performance (scolaire pour les jeunes, professionnelle pour les parents). À la survalorisation de l'argent et de la consommation s'oppose l'appauvrissement d'une grande partie de la population, appauvrissement non seulement matériel, mais qui va souvent de pair avec un appauvrissement émotif, culturel et spirituel.

Toutefois, la prudence est de mise face à une tendance à ne voir que les problèmes d'une situation complexe et en mouvance. Les enfants, en général, s'adaptent graduellement aux nouveaux types de famille. De nouveaux modèles de rapports hommes - femmes et parents - enfants émergent et les pères sont de plus en plus nombreux à prendre leur place auprès des enfants. Le désir de fonder une famille semble aussi toujours présent chez les jeunes. Les contradictions et les débats sont inévitables compte tenu de la profondeur des changements en cours.

Des services en mutation

Les changements sociaux et l'importance accordée à la promotion de la santé des jeunes soulèvent trois défis, agir sur les déterminants, accompagner les parents notamment les pères, et travailler en lien avec les autres acteurs sociaux des communauté. Par la mise en commun de ces trois aspects, nous croyons possible de créer des espaces de participation sociale favorisant l'affiliation et l'inclusion des familles et des jeunes.

L'action sur les déterminants et sur les conditions de vie des enfants et des adolescents nécessite que des intervenants qui ont été formés à développer une expertise dans l'action individuelle auprès des enfants et des jeunes intègrent dorénavant une approche globale du développement, de la santé et du bien-être de l'enfant. Cette transformation des pratiques les amènent à tenir compte dans leurs interventions des conditions qui marquent les individus qu'ils rencontrent et accroître le temps qu'il passe à des actions qui influencent l'environnement des jeunes. Les intervenants intégreront ainsi aux stratégies d'accompagnement individuel et de renforcement du potentiel qu'ils utilisent, des stratégies d'influence et d'actions sur l'environnement physique et social.

L'action auprès des parents est essentielle. Non seulement sont-ils les premiers responsables du devenir des enfants, mais ils vivent aussi des changements importants susceptibles de les mettre eux-mêmes en situation de grande vulnérabilité. S'il est un changement majeur auquel sont confrontés les intervenants dans leur action individuelle et collective c'est l'approche auprès des pères. Au Québec, depuis les dernières décennies, l'organisation des services aux familles a ciblé la mère et l'enfant. Ce choix s'expliquait par la composition traditionnelle des familles, les mères étant nombreuses à rester à la maison pour s'occuper des enfants au moment où les pères travaillaient de longues heures à l'extérieur du foyer, de même que par les connaissances sur le développement de l'enfant qui misait exclusivement sur l'attachement mère–enfant pour assurer les conditions premières du développement de l'enfant. Ces deux pôles ne représentent plus la situation actuelle, plus de 70% des mères étant au travail et les nouvelles connaissances reconnaissant l'apport essentiel du père pour la santé et le bien-être des enfants. Ce changement de situation doit se répercuter dans la pratique des intervenants, ceux-ci devant accorder une importance égale au soutien des deux parents, d'autant plus si ces derniers ne vivent plus ensemble.

L'influence des conditions de vie et des environnements pose finalement un dernier défi aux intervenants, celui de travailler de concert avec les intervenants des autres secteurs de notre société susceptibles de contribuer à l'amélioration des conditions et de la qualité de vie des familles, des enfants et des adolescents. Si nous voulons qu'ils deviennent des adultes en santé qui participent à la vitalité sociale, il nous faut convenir que les actions sur les déterminants et les milieux de vie deviennent un enjeu mobilisateur pour tous les acteurs sociaux. Ainsi, nous pourrons atteindre la situation évoquée dans un rapport4 québécois du début des années 90 et faire de notre société, un Québec fou de ses enfants.

Références

1. Données tirées du site de la Direction de santé publique de Montréal, www.santepub-mtl.qc.ca

2. Laurendeau MC, Desrosiers G. Enfance, jeunesse et participation sociale. La participation comme stratégie de renouvellement du développement social. Québec: Conseil de la santé et du Bien-être; 1997.

3. Arendt H. The crisis in education. In: Arendt H. Between past and future, eight exercises in political thought. New York: The Viking Press; 1954. p.173-196.

4. Ministère de la santé et des services sociaux. Un Québec fou de ses enfants, Rapport du comité de travail sur la situation des jeunes. Québec: Ministère de la santé et des services sociaux; 1992.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    07 Aug 2007
  • Date of issue
    Oct 2007
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