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Les mauvais traitements psychologiques envers les enfants: controverses et défis actuels pour la recherche et la pratique

Psychological mistreatment of children: current controversies and challenges for research and practice

DEBATEDORES DISCUSSANTS

Les mauvais traitements psychologiques envers les enfants: controverses et défis actuels pour la recherche et la pratique

Psychological mistreatment of children: current controversies and challenges for research and practice

Claire Malo

Institut de recherche pour le développement social des jeunes, École de service social de l'Université de Montréal et GRAVE-ARDEC. claire.malo@cjm-iu.qc.ca

Malgré plusieurs années de recherche et de discussions théoriques autour du concept de mauvais traitements psychologiques envers les enfants, le phénomène demeure méconnu dans plusieurs pays. Au Québec, ce n'est qu´en juin 2006 que la Loi québécoise de la protection de la jeunesse confère à cette forme de maltraitance une place à part entière parmi les motifs recevables de signalement. Pourtant, les études d'incidence et d'impacts nous alertent depuis déjà plusieurs années sur l'importance du problème. Ainsi en 1999, 44% des enfants québécois auraient subi au moins trois épisodes de violence verbale et symbolique dans leur famille durant l'année écoulée1; en 2004, ce pourcentage aurait augmenté jusqu'à atteindre 55%2. Les mauvais traitements psychologiques sont également très présents dans les familles déjà signalées ou déjà prises en charge par les services de protection québécois3. Les estimés disponibles quant à l'ampleur du phénomène sont d'autant plus alarmants qu'aucun n'a tenu compte de l'ensemble des formes possibles de mauvais traitements psychologiques envers les enfants.

D'autre part, plusieurs études ont tenté d'évaluer les conséquences propres aux mauvais traitements psychologiques, chez les enfants, les adolescents et jusqu'à l'âge adulte4. Chez les enfants et les adolescents, on parle alors de rejet social, d'attachement insécure, de troubles de comportements intériorisés ou extériorisés, d'agressions, de délinquance, de problèmes interpersonnels, de perception négative de soi et des autres, de pessimisme face à l'avenir, etc. Des contrecoups se feraient également ressentir pendant l'âge adulte. Ainsi, les adultes qui ont été psychologiquement maltraités pendant leur enfance ou leur adolescence sont plus nombreux que les autres à souffrir de problèmes d'anxiété, de troubles interpersonnels, de problèmes sexuels, d'impuissance acquise, de dépression, de faible estime de soi, de certains problèmes psychiatriques (boulimie, dissociation, personnalité limite, syndrome de Briquet), d'alcoolisme, de criminalité, d'isolement social et de re-victimisation5. Parce que les mauvais traitements psychologiques accompagnent souvent les autres formes de maltraitance, certains évoquent même l'idée qu'ils pourraient bien expliquer en partie les impacts négatifs qu'on leur attribue6. C'est probablement parce qu'ils se présentent de façon " répétée inlassablement comme une guerre d'usure" et qu'ils "s'attaquent aux fondements même de la personne"7.

De telles études ont donc placé les mauvais traitements psychologiques envers les enfants au cœur même des préoccupations des chercheurs et des praticiens qui œuvrent auprès des familles en difficulté. Malgré tout, de grands défis attendent encore ceux et celles qui militent pour la pleine reconnaissance de cette problématique. Voici donc quelques-uns de ces défis.

Mettre fin aux controverses terminologiques et conceptuelles

De nombreux termes sont tour à tour utilisés pour nommer les mauvais traitements psychologiques, même s'ils ne sont pas tous synonymes (abus émotionnel ou psychologique, violence verbale, abus verbal, négligence affective, non disponibilité psychologique, rejet affectif, etc.). Ce manque d'uniformité complique évidemment les comparaisons de résultats de recherche. À l'instar de Hart et Brassard8, nous prônons l'utilisation de l'expression "mauvais traitements psychologiques" qui nous semble mieux capter les différentes facettes du phénomène.

Mais au-delà des questions terminologiques, la nature même des mauvais traitements psychologiques ne fait pas encore l'unanimité chez les chercheurs et les praticiens. Pour plusieurs, leur nature maltraitante se reconnaît d'abord par les conséquences qu'elle entraîne chez l'enfant,9,10,11,12. Pour eux, il y a mauvais traitement psychologique uniquement si des conséquences particulières sont observées chez l'enfant. Mais les mauvais traitements psychologiques n'entraînant pas nécessairement des effets apparents à court terme, d'autres auteurs préfèrent mettre l'accent sur la nature des actes eux-mêmes pour juger de leur caractère maltraitant13,14,15. Cette position comporte aussi ses désavantages, puisqu'elle risque de nous amener à qualifier de maltraitante toute conduite parentale marginale, même anodine pour l'enfant. Le compromis proposé en 1991 par McGee et Wolfe 16 nous parait plus approprié. Ils suggèrent de considérer la nature des actes parentaux mais également leurs conséquences, non pas réelles mais potentielles. Suivant cette perspective, une conduite parentale serait psychologiquement maltraitante quand elle est de nature non physique et qu'elle est susceptible d'entraîner des conséquences négatives pour le fonctionnement psychologique de l'enfant.

Bien sûr, un même acte parental pourrait être adéquat ou maltraitant selon le niveau de développement de l'enfant17. En effet, chaque stade de développement de l'enfant requiert des habiletés spécifiques de la part du parent. En outre, les comportements parentaux n'ont pas le même impact émotionnel selon l'âge de l'enfant, non plus que selon son sexe18. Néanmoins, on considère que certains comportements plus extrêmes sont probablement maltraitants, quel que soit le niveau de développement de l'enfant qui en est la cible15. La fréquence de l'acte parental, de même que sa chronicité dans le temps, pourraient également être importants à considérer pour juger du caractère psychologiquement maltraitant d'une conduite parentale, l'impact négatif résultant alors d'un effet cumulé18,19. Mais on peut encore une fois concevoir que certains actes soient à ce point violents, qu'une seule occurrence suffit à créer un traumatisme important.

Outre la définition et la conceptualisation de la nature même des mauvais traitements psychologiques, il faut aussi s'entendre une fois pour toute sur la non nécessité d'une intention parentale malveillante dans la considération de cette forme de maltraitance envers les enfants. Une telle positive cadre bien avec une perspective légaliste du problème, courante notamment lorsque l'on parle de violence psychologique au sein des relations conjugales. Il faut alors non seulement faire la preuve d'effets négatifs déjà présents, mais prouver de plus l'intention préalable et négative du parent agresseur. Or, il devient de plus en plus évident que la maltraitance psychologique parent/enfant découle plutôt, dans bien des cas, d'une connaissance inappropriée des besoins de l'enfant ou des comportements attendus des parents. Elle peut résulter de biais parentaux dans la façon de percevoir et d'interpréter les comportements négatifs de l'enfant. Dans certains cas, elle pourrait même découler d'une intention parentale éducative.

Étudier les mauvais traitements psychologiques dans leur contexte

On s'entend assez bien à l'idée que les standards sociaux déterminent en grande partie ce qui est maltraitant ou non, quel que soit le type de mauvais traitements auxquels l'on réfère20,17,21. Ainsi, certains actes jugés abusifs dans le Québec d'aujourd'hui, pourraient être jugés différemment dans un autre contexte socio-temporel. Mais d'autres paramètres contextuels doivent être considérés dans l'évaluation des mauvais traitements psychologiques. Ainsi, un même acte parental peut s'avérer approprié ou maltraitant selon les besoins et caractéristiques propres au stade de développement de l'enfant17,18. Par contre, certains actes extrêmes sont probablement maltraitants quel que soit le stade de développement de l'enfant. De plus, la fréquence des épisodes de maltraitance, leur chronicité dans le temps, la présence parallèle de comportements chaleureux dans la famille, l'inéquité des comportements parentaux envers les divers enfants d'une même fratrie, etc., sont tous des facteurs contextuels importants. Au-delà des études d'incidence et d'impact, l'un des principaux défis de la recherche actuelle sur le phénomène est de mieux connaître le rôle de tels facteurs contextuels et de vérifier comment ces facteurs interagissent ensemble pour expliquer l'émergence, le maintien ou la sévérité des mauvais traitements psychologiques envers les enfants.

Développer des outils pour la recherche et le dépistage

Un autre défi de l'heure en ce qui concerne les mauvais traitements psychologiques reste celui de développer des outils de mesures valides, susceptibles de tenir compte des différentes formes que peuvent prendre les mauvais traitements psychologiques envers les enfants. Jusqu'ici, les instruments de mesures largement utilisés en recherche sont loin d'être exhaustifs. Par exemple, le Revised Child Conflict Tactic Scale22 parmi les plus fréquemment utilisés au Québec comme en Amérique du Nord, ne couvre que la violence verbale et la violence symbolique. Plusieurs autres instruments de mesure ne couvrent que la négligence affective (voir recension de Stowman et Donohue23). Toutefois, des efforts ont été récemment consentis pour élaborer et valider un questionnaire de mesure plus exhaustif24, s'adressant cependant directement aux jeunes âgés de 10 à 17 ans.

Peu d'outils existent également pour soutenir le dépistage de cette forme de maltraitance par les intervenants concernés. Au Québec, nous avons fait les premiers pas en ce sens avec le développement du Guide de soutien à l'évaluation du risque de mauvais traitements psychologiques envers les enfants25 et de la formation connexe. Jusqu'ici, cet outil semble pertinent et efficace pour aider les intervenants sociaux à identifier, parmi les familles dont ils ont la charge, celles présentant une dynamique familiale ou une dynamique interactive parent/enfant propice à l'émergence des mauvais traitements psychologiques26. L'outil a déjà fait l'objet d'une validation écologique auprès d'intervenants de divers services d'aide à la famille et nous prévoyons bientôt en vérifier la validité concurrente.

Développer des interventions ciblées

Enfin, un dernier défi mais non le moindre et de développer des interventions ciblées pour prévenir les mauvais traitements psychologiques des parents envers leurs enfants. On peut penser ici notamment des programmes visant à augmenter les compétences parentales et les habiletés de résolution des conflits, mais également la capacité à reconnaître les signes de cette forme de maltraitance dans la relation du parent avec son enfant. Il nous faut également penser à développer des interventions spécifiques pour aider les familles déjà aux prises avec cette forme de maltraitance. Selon le type de maltraitance, les actions à prendre peuvent différer. Ainsi, un enfant victime du favoritisme parental envers sa fratrie, peut nécessiter un soutien pour maintenir ou renforcer son estime de soi. Un enfant victime de menaces graves et persistantes peut avoir besoin d'aide pour recadrer le sentiment de culpabilité qu'il ressent souvent. Le parent lui-même vit très souvent de l'impuissance dans sa relation avec son enfant, mais également avec son entourage en général. Bref, il convient de développer des interventions qui ciblent directement cette problématique, en tenant compte encore une fois du contexte spécifique dans lequel elle survient.

Références

1. Clément ME, Bouchard C, Jetté M, Lafferière S. La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. Québec: Institut de la Statistique du Québec; 2000.

2. Clément ME, Chamberland C, Côté L, Dubeau D, Beauvais B. La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 2004. Québec: Institut de la statistique du Québec; 2005.

3. Chamberland C, Laporte L, Lavergne C, Malo C, Tourigny M, Mayer M, Wright J. La victimisation sévère des enfants au Québec: l'incidence des mauvais traitements psychologiques et ses facteurs associés. Communication. Xième symposium international de victimologie. Montréal; août 2000.

4. Gagné MH. Bilan conceptuel et empirique des connaissances sur la violence psychologique faite aux enfants. Les Cahiers d'analyse du GRAVE 1995 ; 2(1).

5. Gagné MH. Envisager, définir et comprendre la violence psychologique faite aux enfants em milieu familial [thèse de doctorat]. Montréal: Département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal; 1999.

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7. Tousignant M, Savoie GJ, Bastien MF, Hamel S. Histoire d'une violence psychologique: Le cas des jeunes suicidaires. Reflets 1993, 4(1): 4-13.

8. Hart SN, Brassard MR. A major threat to children's mental health: Psychological Maltreatment. American Psychologist 1987; 42(2): 160-165.

9. Aber JL, Zigler E. Developmental considerations in the definition of child maltreatment. In: Cicchetti D, Rizley R. Theory and Research on the Causes and Consequences of Child Abuse and Neglect. New York: Cambridge University Press; 1981.

10. O'Hagan KP. Emotional and psychological abuse: Problems of definition. Child Abuse & Neglect 1995; 19(4):449-461.

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17. Garbarino J, Guttman E, Seeley JW. The Psychologically Battered Child. San Francisco: Jossey Bass; 1986.

18. Claussen AH, Crittenden PM. Physical and psychological maltreatment: Relations among types of maltreatment. Child Abuse & Neglect 1991; 15:5-18.

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24. Gagné MH, Lavoie F, Fortin A. Élaboration de l'Inventaire des Conduites Parentales Psychologiquement Violentes (ICPPV). Revue canadienne des sciences du comportement 2003; 35:283-316.

25. Malo C, Gagné MH. Guide de soutien à l'évaluation du risque de mauvais traitements psychologiques envers les enfants. Montréal: Institut de recherche pour le développement social des jeunes; 2002.

26. Malo C, Gagné MH. Guide de soutien à l'évaluation du risque de mauvais traitements psychologiques envers les enfants. Utilisation réelle par les intervenants formés. Montréal: Institut de recherche pour le développement social des jeunes; 2006.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    07 Aug 2007
  • Date of issue
    Oct 2007
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