Acessibilidade / Reportar erro

Patrimoine et developpement local: l'appropriation collective du patrimoine comme forme d'integration sociale

Herencia y desarrollo local: la apropiación colectiva de la herencia para la integración social

Heritage and local development: the collective appropriation of heritage for social integration

Patrimônio e desenvolvimento local: a apropriação coletiva do patrimônio para a integração social

Abstracts

Les actions de requalification urbaine et de patrimonialisation offre à la ville de Melun (Seine-et-Marne) l'opportunité de mesurer l'attachement des habitants à leur ville, son histoire, son site et son paysage. Dans cette perspective, les opérations de protection et de valorisation du patrimoine s'inscrivent dans une politique locale de développement et constituent un moyen pour signifier les valeurs identitaires de la ville. Or, l'hétérogénéité sociale et culturelle des habitants donne à voir une histoire en formation où se rencontrent les références plurielles du temps passé et les contingences du présent. Au travers de cette réalité urbaine dynamique aux territoires différenciés, comment envisager des ajustements sociaux et urbains capables d'engendrer des modes de communication par delà les clivages?

Territoire; patrimoine; développement local


Las acciónes de recalificación urbana y patrimonialisation ofrecen à la ciudad de Melun (Seine-et-Marne) la oportunidad de medir el cariño de los habitantes por su ciudad, su historia, su sítio y su paisaje. En esta perspectiva, las operaciones de protección y de valorización de la herencia se inscriben en una política local de desarrollo y constituyen un medio para significar los valores identitários de la ciudad. Bueno, la heterogeneidad social y cultural de los habitantes da a ver una historia en formación donde se reencontran las referéncias plurales del tiempo passado y las contingéncias del presente. ¿Por medio de esta realidad urbana dinámica a los territórios diferenciados, cómo encarar los arreglos sociales y urbanos capaces de generar los modos de comunicación más adelante de las separaciones?

Território; herencia; desarrollo local


By analysing a concrete example this paper strives to show how cultural heritage preservation and development campaigns can help bring into play local development policies mainly aimed at enhancing the town's image as well as improving social cohesion through better integration of its diverse social components. If the town's inhabitants do indeed come from socially and culturally diverse backgrounds, and thereby participating in the creation of new urban identities, one may wonder to what extent do measures aimed at enhancing cultural heritage through local initiatives improve social cohesion? Can a collective appropriation of urban heritage be achieved in a culturally diverse context?

Territory; heritage; local development


As ações de requalificação urbana e de patrimonialização oferecem à cidade de Melun (Seine-et-Marne) a oportunidade de medir o elo afetivo dos habitantes à sua cidade, sua história, seu sitio e sua paisagem. Nessa perspectiva, as operações de proteção e de valorização do patrimônio inscrevem-se numa política local de desenvolvimento e constituem um meio para designar os valores de identificação própria à cidade. Entretanto, a heterogeneidade social e cultural dos habitantes mostram uma historia em formação onde se encontram as multi-referências do tempo passado e as contingências do presente. Por esta realidade urbana dinâmica nos territórios diferenciados, como imaginar ajustes sociais e urbanos capazes de engendrarem modos de comunicação para além das rupturas?

Território; patrimônio; desenvolvimento local


ARTIGOS

Patrimoine et developpement local: l'appropriation collective du patrimoine comme forme d'integration sociale

Heritage and local development: the collective appropriation of heritage for social integration

Patrimônio e desenvolvimento local: a apropriação coletiva do patrimônio para a integração social

Herencia y desarrollo local: la apropiación colectiva de la herencia para la integración social

Nassima Dris

Maître de conférences Département de Sociologie - Université de Rouen. Rue Lavoisier 76821- Mont Saint-Aignan (França). (nassima.dris@univ-rouen.fr)

RÉSUMÉ

Les actions de requalification urbaine et de patrimonialisation offre à la ville de Melun (Seine-et-Marne) l'opportunité de mesurer l'attachement des habitants à leur ville, son histoire, son site et son paysage. Dans cette perspective, les opérations de protection et de valorisation du patrimoine s'inscrivent dans une politique locale de développement et constituent un moyen pour signifier les valeurs identitaires de la ville. Or, l'hétérogénéité sociale et culturelle des habitants donne à voir une histoire en formation où se rencontrent les références plurielles du temps passé et les contingences du présent. Au travers de cette réalité urbaine dynamique aux territoires différenciés, comment envisager des ajustements sociaux et urbains capables d'engendrer des modes de communication par delà les clivages?

Mots-clé: Territoire; patrimoine; développement local.

ABSTRACT

By analysing a concrete example this paper strives to show how cultural heritage preservation and development campaigns can help bring into play local development policies mainly aimed at enhancing the town's image as well as improving social cohesion through better integration of its diverse social components. If the town's inhabitants do indeed come from socially and culturally diverse backgrounds, and thereby participating in the creation of new urban identities, one may wonder to what extent do measures aimed at enhancing cultural heritage through local initiatives improve social cohesion? Can a collective appropriation of urban heritage be achieved in a culturally diverse context?

Key words: Territory; heritage; local development.

RESUMO

As ações de requalificação urbana e de patrimonialização oferecem à cidade de Melun (Seine-et-Marne) a oportunidade de medir o elo afetivo dos habitantes à sua cidade, sua história, seu sitio e sua paisagem. Nessa perspectiva, as operações de proteção e de valorização do patrimônio inscrevem-se numa política local de desenvolvimento e constituem um meio para designar os valores de identificação própria à cidade. Entretanto, a heterogeneidade social e cultural dos habitantes mostram uma historia em formação onde se encontram as multi-referências do tempo passado e as contingências do presente. Por esta realidade urbana dinâmica nos territórios diferenciados, como imaginar ajustes sociais e urbanos capazes de engendrarem modos de comunicação para além das rupturas?

Palavras-chave: Território; patrimônio; desenvolvimento local.

RESUMEN

Las acciónes de recalificación urbana y patrimonialisation ofrecen à la ciudad de Melun (Seine-et-Marne) la oportunidad de medir el cariño de los habitantes por su ciudad, su historia, su sítio y su paisaje. En esta perspectiva, las operaciones de protección y de valorización de la herencia se inscriben en una política local de desarrollo y constituyen un medio para significar los valores identitários de la ciudad. Bueno, la heterogeneidad social y cultural de los habitantes da a ver una historia en formación donde se reencontran las referéncias plurales del tiempo passado y las contingéncias del presente. ¿Por medio de esta realidad urbana dinámica a los territórios diferenciados, cómo encarar los arreglos sociales y urbanos capaces de generar los modos de comunicación más adelante de las separaciones?

Palabras clave: Território; herencia; desarrollo local.

Introduction

L'Inventaire Général des Monuments et des Richesses Artistiques de la France offre à la Ville de Melun l'opportunité d'entreprendre une étude ayant pour objectif la mise en évidence de la « culture des gens » dans leur vécu quotidien. L'originalité de la démarche réside dans l'idée d'associer à cet inventaire un questionnement lié à la nature des liens que les gens entretiennent avec le patrimoine qu'il soit matériel ou immatériel. Sur le terrain, des opérations de requalification urbaine sont engagées à travers le projet « Atout-Cœur » (1999-2003). Elles confirment la volonté municipale de redorer le blason de la ville à partir de l'île Saint Étienne. Nous savons depuis la loi Malraux que la notion de protection des patrimoines s'accompagne de l'idée de développement en intégrant des dimensions sociales et économiques. La procédure « Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager » (ZPPAUP) mise en œuvre sur l'île Saint-Étienne constitue un progrès dans ce domaine, elle inscrit le projet dans une perspective qui se veut plus proche de la demande locale et l'insère dans l'ensemble territorial. Il s'agit dès lors de décrypter non seulement les rapports à l'histoire ancienne mais aussi donner à voir l'histoire en formation, celle du centre-ville et des entités territoriales stigmatisées (« quartiers nord », « quartier sud »). Aujourd'hui, la question de la ville dépasse largement les interrogations sur la gestion des tensions urbaines pour s'attacher aux ajustements capables d'engendrer des modes de communication entre les parties et permettre aux individus et aux groupes de reconstruire leur histoire et s'insérer socialement et politiquement. Les questions d'identité et de territorialité liées aux notions d'appartenances, de pouvoirs et de représentations deviennent dès lors essentielles. Ces catégories permettent d'envisager des interrogations sur des « arts de faire » et des manières de vivre en ville, mais aussi de mettre en lumière « l'entremêlements de civilisations » (R. Bastide) et la durabilité de l'urbain. La ville est considérée ainsi comme un lieu privilégié d'échanges, d'interactions et de participation citoyenne.

I Changer la ville ou l'utopie renouvelee

1 Les marges urbaines

Comment faire pour que la patrimonialisation ne devienne un instrument d'exclusion et de ségrégation? C'est autour de cette question que se déploient les nouveaux enjeux d'une politique patrimoniale de la ville contemporaine. De ce fait, la contextualisation est nécessaire, elle donne du sens au patrimoine et à l'histoire qui le sous-tend. La volonté constructiviste du passé exprime de toute évidence une crise de filiation1 1 P. Nora, « Patrimoine et mémoire » in Actes des colloques de la Direction du patrimoine : « Patrimoine et société contemporaine », ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Octobre 1987, pp.12-14. et une quête identitaire. Melun est à la fois une ville ancrée dans une histoire ancienne liée à l'histoire de France avec la référence à la royauté et intègre au fil du temps des populations diverses : des immigrés européens (italiens, portugais, etc.), des rapatriées d'Algérie (pieds-noirs et harkis) et aujourd'hui, des immigrés d'origine maghrébine, africaine, turques, et autres. En somme, une ville plurielle avec des traditions aux langages multiples. Qu'en est-il aujourd'hui de cette diversité sinon des figures d'une cohabitation improbable?

L'intégration urbaine demeure une question d'importance pour comprendre le changement qui s'opère dans la ville. Dans une approche du vécu urbain où la dimension de l'hétérogénéité (multiplicité des communautés, des groupes et des engagements sociaux...) est essentielle, Hannerz attribue au citadin des caractéristiques de cosmopolitisme et de tolérance. Dans cette perspective, le citadin est un individu débarrassé des règles de vie imposées par la communauté, et évolue dans la fluidité de la vie urbaine2 2 U. Hannerz, Explorer la ville. Éléments pour une anthropologie urbaine, Paris, Minuit, p.332. . Toutefois, dans cette « ville à l'œuvre » se forment des niches, des enclaves qui donnent à la ville l'aspect d'une mosaïque urbaine constituée d'univers sociaux juxtaposés. Certains y observent une sorte de difficulté d'être citoyen ou tout simplement citadin liée à la légitimité de la présence dans la ville. A cela s'ajoutent de nouvelles pratiques urbaines plus conformes à la cité refuge où le groupe supplantant toute forme de pouvoir contrôlerait la vie quotidienne dans ses moindres détails.

Dans cette logique, on s'empare de l'espace pour réduire la distinction entre centre et périphérie et faire d'une portion de ville, un centre. A cela s'ajoute l'interférence du religieux et du politique qui oriente les comportements et les usages en imposant à la ville de nouvelles formes d'existence. Ces antagonismes de la réalité urbaine mettent en scène des fragmentations, des fissures et des incohérences de la société dans son ensemble. C'est ainsi que « La ville transhumante, ou métaphorique, s'insinue dans le texte clair de la ville planifiée et lisible » (M. DE CERTEAU, 1990) et certains comportements issus de la tradition s'enracinent dans le social en dépit des changements sociaux (R. HOGGART, 1979).

L'urbanisme s'inscrit indéniablement dans un processus global de société avec pour fondement la recherche, la négociation et la remise en question d'autant que la vie urbaine laisse remonter à la surface ce que le projet urbain en a exclu. La ville réelle, celle qui surprend toujours par son évolution, nécessite à tout moment une relecture de l'espace pour rendre intelligible les représentations. La ville n'est pas exclusivement un processus d'urbanisation, elle est aussi un lieu où s'invente l'urbanité. La mise en relation des formes sociales et spatiales, autrement dit, la corrélation espace/société préfigure des images de la société en perpétuelle recomposition. C'est en ce sens que la ville est à la fois ferme et révisible (LEDRUT, 1968) et la relation de réciprocité entre les individus et leur environnement indique, me semble-t-il, les fondements même de la société.

Il est généralement admis aujourd'hui que l'idée selon laquelle le changement du cadre bâti suffirait, à lui seul, à induire le changement social, relève de l'utopie la plus évidente3 3 Voir à ce sujet un ouvrage bien connu de A. Kopp, Changer la vie, changer la ville. Paris : 10/18, 1975. . Écartant toute forme de complexité, la planification urbaine est incapable de comprendre le bazar et de voir à quel point le désordre est une ressource dans la ville, écrit R. Sennett4 4 R. Sennett, « La conscience de l'œil », in L'espace du public, Actes du colloque d'Arc et Senan, 8-9-10 novembre 1990, Paris : Recherches/Plan Urbain, 1991, p.32-35. . Il s'agit du bon usage du désordre étant entendu que celui-ci est chargé de sens. Les nombreux problèmes des quartiers périphériques constituent le plus souvent la partie aveugle de l'action urbaine.

2 Morcellement des territoires

Les sociétés urbaines aujourd'hui sont le reflet de l'accroissement des différences sociales et culturelles et la montée de l'indifférence. Les enjeux de l'urbanisme résident dans la volonté de réduire la ségrégation et l'enclavement par une conception faible des « frontières » en facilitant les formes d'appropriation et les mouvements dans l'espace. La temporalité joue un rôle essentiel dans ce processus. Le temps passé et le temps présent doivent être suggéré au travers de l'espace urbain non par une juxtaposition d'éléments mais par une intégration cohérente de l'ancien et du nouveau. La rue se distingue, dès lors, du domaine des communautés et des catégories. Autrement dit, le rapport entre ces deux aspects d'une même réalité (espace/société) donnerait à l'urbain son effet global.

Melun apparaît comme une ville à échelle humaine à qui les habitants reconnaissent de nombreuses qualités. Pour la majorité des personnes interrogées, Melun est une ville commode qui offre les services essentiels en particulier aux personnes du 3ème âge. Pourtant, à des moments distincts de son histoire, la ville de Melun a été recomposée par des mutations tant sociales que spatiales qui aboutissent aujourd'hui à une ville fragmentée. Même les quartiers d'habitat social sont d'inégale valeur. On y observe notamment des fonctionnements différenciés :

– « Les Mézereaux » est un quartier relativement excentré, mal desservi et mal équipé. Il accueille une population fragilisée dont une forte proportion est d'origine étrangère. La vie socioculturelle y est peu développée sinon inexistante.

– « Schuman » accueille quasi exclusivement des familles d'origine maghrébine sur deux à trois générations. Malgré sa situation géographique particulièrement enclavée, il est mal desservi par les transports publics et ne dispose d'aucun commerce de proximité.

– « Montaigu » abrite une population mixte (jeunes ménages et familles « anciennes » toutes origines confondues) avec une vie socioculturelle quelque peu dynamique.

– « Plateau Corbeil » est un secteur résidentiel calme avec une forte proportion de retraités.

– « L'Almont » est l'un des secteurs les plus attractifs des « quartiers nord ». Tourné vers le centre-ville, il est bien équipé et bénéficie d'une image positive. La fracture la plus visible réside dans la mise à distance des quartiers par rapport au centreville5 5 D'autres auteurs avaient souligné cette fracture : « Comme dans les autres villes de France, le centre-ville et les quartiers résidentiels, coquettement entretenus, ont commencé à se barricader », Cf. C. Bachmann et N. Le Guennec, Autopsie d'une émeute. Histoire exemplaire du soulèvement d'un quartier, Paris, Albin Michel, 1997, p.34. .

Les « quartiers » sont désignés par la seule position géographique (centre, nord, sud). Ce n'est certainement pas une spécificité de la ville de Melun mais un exemple parmi d'autres d'une réalité morcelée où les gens sont captifs du lieu dans lequel ils vivent sans lien réel avec le reste de la ville. Quand les Melunais parlent de leur ville, ils distinguent surtout deux entités territoriales, les « quartiers nord » et le reste de la ville. Les habitants du centre ignorent les « quartiers nord » et préfèrent ne pas se prononcer à ce propos. Le refus de s'exprimer sur une réalité sociale considérée comme embarrassante indique une mise à distance des « classes dangereuses » tant dans les discours que dans les comportements. Par opposition, les habitants des quartiers périphériques s'identifient d'abord à un territoire restreint et au mieux à l'ensemble du quartier. Ce morcellement des espaces identitaires se construit comme une antithèse à la ville inaccessible. Pourtant, les distances entre les parties sont faibles mais les « frontières » sont symboliquement infranchissables. La singularité du quartier Schuman ne peut être passer sous silence. Les habitants de ce quartier sont maintenus dans une situation d'enclavement exceptionnel. Les enfants des primo arrivants habitent toujours le quartier, s'y sont mariés et y ont eu à leur tour des enfants. La situation géographique et la question du transport public ne permettent pas aux habitants de sortir de cette enclave dans laquelle se déroule la quasi totalité de leurs activités. Les liens avec l'extérieur sont extrêmement réduits dans cette sorte de « village » où le regroupement communautaire est vécu comme une relégation. Par ailleurs, la destruction de certains immeubles bien que vétustes, insalubres et invivables (« Balzac » en 1996), a été ressentie comme la disparition d'une forme sociale où se sont cristallisées des identités particulières. Les familles qui y résidaient depuis 30 ans n'ont pas pu fait le deuil de leur dispersion par les effets du relogement malgré les actions d'encadrement menées par l'office HLM et la CAF. Pourtant ces quartiers sont plutôt bien équipés (Centre social Jean XXIII, Maison Picot, Maison de l'enfance, Maison de quartier...) et de nombreuses actions sociales et culturelles y sont menées. Dès lors, les interrogations portent sur la nature des actions et des liens nécessaires à l'implication des habitants autour de ces actions.

II Dimensions du patrimoine dans une societe plurielle

1 Patrimoine, mémoire et lien social

Les travaux fondateurs de Maurice Halbwachs ont montré la pertinence de la notion de mémoire dans l'analyse des phénomènes sociaux. Qu'elle soit collective ou individuelle, la mémoire repose sur un rapport au sol et aux cadres matériels qui constituent pour les sociétés « un abri et un appui sur lequel poser leurs traditions »6 6 M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris, PUF, 1950, p.166. . Il se trouve que l'histoire urbaine de façon générale est une histoire mouvementée, fragmentée et poreuse. En mettant l'accent sur la diversité de territoires et l'aspect mosaïque de la ville, on est amené à « gérer la mémoire d'une pluralité de territoires urbains » et par là même, à « croiser des lieux différents et des liens différents »7 7 I. Joseph, « le musée, le territoire, la valeur », in H-P. Jeudy (dir.), Patrimoine en folie, Paris, Édition de la Maison des Science de l'Homme, 1990, pp. 259-267. . Autrement dit, les formes de représentation de l'espace correspondent aux différents groupes qui s'y inscrivent. Plus il y a de groupes, plus les formes de représentations sont diversifiées et indiquent par, là même, des mémoires différenciées. Toutefois, il convient de souligner que l'ambivalence des formes sociales et culturelles peut constituer une des explications possibles à l'origine du malaise qui affecte la société urbaine aujourd'hui. Il serait hasardeux néanmoins de se fier à un quelconque déterminisme et de préjuger de l'homogénéité des pratiques et leur cohérence culturelle. Si l'urbanité résulte du travail de la société sur elle-même, il ne peut y avoir, dans la quotidienneté des habitants, deux villes opposées : la « ville à soi » et la « ville de l'autre ». En réalité, une seule ville subsiste dans l'étendue de sa diversité spatiale, sociale et culturelle. « Lorsqu'un groupe est inséré dans une partie de l'espace, il la transforme à son image mais en même temps il se plie et s'adapte à des choses matérielles qui lui résistent »8 8 M. Halbwachs, La mémoire collective, op. cit., p.132. écrit Halbwachs. En effet, l'occupation des logements en cité HLM a montré non seulement les capacités des habitants à résister mais aussi et surtout leurs compétences dans le processus d'adaptation à un nouveau cadre de la vie urbaine.

La question qui semble à même d'instruire ce rapport à la mémoire sous toutes ses formes, porterait plutôt sur la nature du croisement, du chevauchement et de la superposition de modèles car la vulnérabilité des représentations s'applique aussi à la mémoire. Si le pays d'origine apparaît souvent comme le seul lieu de mémoire, une mémoire autorisée liée à un temps et un espace idéalisés, il constitue à ce titre un refuge identitaire face à l'incohérence du quotidien. Force est de constater que la mémoire immigrée partie intégrante de la mémoire urbaine correspond surtout à une histoire de l'exil liée au travail, au logement et aux relations avec ceux qui partagent la même expérience.

Connaître le sens que donnent les gens au patrimoine urbain (monuments, châteaux, cathédrales, fontaines, etc.) est un objet séduisant dans ce type de démarche pour plusieurs raisons : il permet d'abord de rendre lisible le sens symbolique de l'histoire, ensuite de mettre en évidence les présupposés qui sous-tendent certaines réalisations urbaines et enfin, de donner du sens à la monumentalité, celle de la mémoire collective et de la quotidienneté. La monumentalité historique est défini comme le résultat d'une double nécessité : symboliser la collectivité et symboliser le passé9 9 M. Guillaume, La politique du patrimoine, Paris : Galilée, 1980, p. 184. . Le monument est, en ce sens, ce qui interpelle la mémoire en s'appuyant sur des personnes, des événements, des sacrifices, des rites ou des croyances. Au travers des images symboliques qu'il évoque, le monument gère des représentations autour desquelles le groupe social s'organise. C'est pourquoi, il contribue à maintenir et à préserver l'identité d'une communauté, ethnique ou religieuse, nationale, tribale ou même familiale10 10 F. Choay, L'allégorie du patrimoine, Paris : Seuil, 1992, p. 15. . A Melun, les monuments les plus significatifs pour les habitants se rattachent d'abord à la religion avec les deux principales églises (Notre-Dame et Saint-Aspais) et le Prieuré Saint-Sauveur, ensuite à la culture avec la statue de Jacques Amyot et enfin, à l'héritage de la royauté avec le château de Vaux-le-Vicomte à 5 km de Melun.

Le monument puise dans son contexte ses propres marques pour « s'affirmer comme exception »11 11 M. Segaud, « Monumentalité et réception », in Séminaire de Recherche : « Construction publique et image de marque de la ville », Nîmes, 30 et 31 octobre 1986, Architecture et Construction, pp. 67-77. . Il est difficile dès lors de séparer le monument du contexte de sa production parce qu'ils se supportent l'un l'autre et qu'ils n'existent pas l'un sans l'autre. La monumentalité est une production inféodée à un lieu, à un environnement et/ou à une histoire. Pourtant, ce lien étroit avec le contexte peut être également fabriqué et donc figurer une histoire sans authenticité comme l'affirme François Loyer12 12 F. Loyer, Paris XIXe siècle. L'immeuble et la rue, Paris : Hazan, 1987. pour qui la construction du patrimoine témoigne aussi d'un fabrication artificielle de l'histoire en construisant des preuves qui n'existent pas. Le témoignage du monument n'est plus qu'un « historicisme » qui conforte le projet comme porteur de valeurs futures. C'est à la fois dans le contexte et dans les logiques de production du monument qu'il convient de chercher les formes de représentations sociales d'autant que l'idée selon laquelle la ville doit être signifiée par un ensemble urbain monumental, est sous-jacente dans la plupart des discours de politique urbaine.

2 Théâtralisation de la ville

La transformation d'un lieu urbain en patrimoine est inséparable de la notion de centralité13 13 Comme le souligne G. Althabe dans une contribution à un ouvrage collectif intitulée « Production des patrimoines urbains », cf. H-P. Jeudy (dir.), Patrimoine en folie, op. cit., 1990, pp. 269-273. . Autrement dit, la transformation des centres-villes en lieux du patrimoine suppose, en même temps que la production du lieu, une articulation entre la mise en scène d'un passé dans la ville et la production d'une identité urbaine liée à la centralité. L'identification du centre-ville (localisation, qualification, délimitation) par les habitants d'une ville est étroitement liée à leurs caractéristiques sociales et culturelles. Cette rencontre du social et du spatial prend donc des formes propres à chaque société et reflète autant de modes d'existence du citadin. L'articulation du centre-ville avec d'autres catégories d'espace sous-tend précisément la notion de centralité signifiant l'intégration du lieu dans un système de valeurs. Le centre-ville est un lieu privilégié pour l'identification des appartenances sociales et culturelles de la ville.

Aujourd'hui, la question de la centralité est à l'ordre du jour dans les villes françaises où les nombreux problèmes des banlieues soulignent l'importance de la notion d'accessibilité à l'espace public dans les problématiques urbaines. De l'échec social et urbanistique des banlieues se dégage une sorte de demande sociale de centralité. Les conflits provoqués par l'isolement social et culturel des plus démunis et l'émiettement des villes remettent le centre-ville au coeur des préoccupations urbanistiques14 14 La recentralisation concerne aussi les villes américaines, voir à ce sujet : Cynthia Ghorra-Gobin, Los Angeles. Le mythe américain inachevé, CNRS-Edition, 1997. .

Si nous transposons cette idée au cas de Melun, il apparaît nettement que compte tenu de la complexité des problèmes sociaux afférents, la valorisation du centre-ville passe par une reconsidération du patrimoine urbain dans sa globalité et de l'histoire en général. Le projet "Atout coeur" prévoit de doter la ville d'un "centre fort, dynamique et attractif" par un redéploiement du centre existant vers l'île Saint-Étienne qui offre des opportunités foncières exceptionnelles. L'île Saint-Étienne est présentée dans ce programme comme « berceau de la ville et témoin d'un passé prestigieux » (patrimoine fluvial, forteresse royale des Capétiens et collégiale Notre-Dame) et comme « creuset du devenir de la ville » (présence de l'université). C'est en ce sens que le patrimoine objectivé présente un enjeu pour les pouvoirs publics. Ce qui est primordial dans cette valorisation du patrimoine, c'est la restauration de la mémoire et la construction de l'identité urbaine autour de ce patrimoine. Restaurer la mémoire, c'est aussi créer une centralité autour des valeurs dans lesquelles on se reconnaît.

Toutefois, l'ordre spatial organisé autour de l'hégémonie du centre-ville comme lieu de convergence d'éléments valorisants du social, traduit une conception hiérarchisée de la ville où la périphérie n'a qu'un rôle relatif. Dès lors, des centralités nouvelles émergent en d'autres lieux et sous d'autres formes. C'est ainsi que les quartiers se distinguent à la fois comme espace de contestation pour un droit de regard et de parole dans la cité, mais aussi comme espace de cristallisation et de confirmation des valeurs identitaires. Ainsi apparaît la nécessité de comprendre la crise de représentation de l'espace public comme espace de rencontres et de multiplicité des perspectives (I. JOSEPH, 1995). Il est reconnu aujourd'hui que les gens « possèdent et utilisent un « haut niveau de connaissance » dans la production de leurs actions quotidiennes, et la plus grande part de ce savoir est pratique et théorique » (A. GIDDENS, 1987). Autrement dit, les sociétés produisent un savoir sur elles-mêmes auquel les individus participent par une construction réflexive organisée en fonction des risques, des circonstances et des options contingentes. La prise en compte des usages sociaux liés aux compétences des habitants dans l'exercice réel du "droit à la ville" contribue à concevoir des modes d'intervention affranchis de l'imposition de modèles.

Les pratiques urbaines actuelles structurent la ville de Melun en territoires spécifiques mais confirment en certains lieux, les espaces ouverts. La majorité des personnes interrogées indique, par ordre d'importance, les espaces majeurs de la ville : le centre-ville, la gare SNCF et la gare routière des « Trois Horloges ». Il s'agit de trois types d'espaces traduisant les principales trajectoires urbaines et une localisation de centres dans des territoires différenciés. Quant aux activités dans le centre-ville, elles sont de l'ordre des activités classiques d'un centre-ville en général. Nous avons recensé dans l'ordre : le commerce et le marché, les services tertiaires (banque, poste, mairie, etc.), les activités culturelles (bibliothèque, espace Saint-Jean, cinéma, musée), la promenade, le passage, les restaurants et la fréquentation des églises pour les personnes âgées. En revanche, tous les avis convergent pour signaler les incohérences de la circulation automobile, du stationnement et du transport public comme principaux problèmes de la ville depuis plusieurs années déjà. La place Saint-Jean, l'Hôtel de Ville, l'espace culturel Saint-Jean et le marché, constituent le carré synergique de la ville. L'histoire urbaine y localise le centre névralgique depuis fort longtemps. Néanmoins, les Melunais regrettent la disparition d'une place véritable qui figure dans les cartes postales anciennes car la voiture s'en est emparée pour en faire un parking de plus... Pourtant, la place Saint-Jean et son prolongement sur le marché, demeure le principal lieu de rencontre et de brassage. Elle est incontestablement un repère dans la ville pour l'ensemble des Melunais.

3 « Ville royale » ou mosaïque urbaine

La restauration de la mémoire à Melun se fait autour de la notion de « ville royale ». Or, la ville qui fut royale jusqu'au XVIe siècle n'a pu sauver ou reconstruire le château de Blanche de Castille, d'autant qu'il constitue la première référence à l'histoire royale de Melun laquelle est essentielle à la restauration de la mémoire urbaine de l'avis de certains acteurs de la ville. En l'absence du château qui aurait témoigné de cette réalité, « Melun ville royale » apparaît comme un mythe autour duquel se construit une légitimité historique. Comme l'affirme M. De Certeau, le mythe signifie « le non-lieu de l'événement ou un événement qui n'a pas lieu »15 15 M. De Certeau, L'invention du quotidien, 1990, Paris, Gallimard, p.220. . Dans ce cas, le mythe serait-il lié à une mémoire collective qui puise ses repères dans une sorte de rivalité inconsciente avec des villes proches et prestigieuses (Paris et Fontainebleau) qui réduisent la visibilité de Melun ou mieux, lui font de l'ombre ?

La définition de la ville à partir d'un château sans matérialité renferme me semble-t-il, des antagonismes profonds. S'il est vrai que la mémoire urbaine revêt des formes de cristallisation diverses, il n'en demeure pas moins que dans ce cas précis la matérialité est nécessaire. La mémoire urbaine peut effectivement prendre forme en des lieux précis, repérables et lisibles (cathédrales, châteaux, monuments, etc.), elle est aussi, en certains lieux, sporadique, ténue et fluide. C'est là le privilège de la mémoire, autrement dit un cadre où peuvent se concrétiser plusieurs niveaux de représentation. Même pour les Melunais de longue date, « Melun ville royale » n'est qu'un simple slogan dont ils ne saisissent pas vraiment le sens. Les avis convergent pour signifier l'intérêt pour une ville de valoriser son patrimoine et sa mémoire en insistant sur la dimension contemporaine de la réalité urbaine qui ne peut être masquée par un quelconque prestige. La mémoire peut se construire également en rapport avec des conditions de vie et une histoire spécifiques. Il en est ainsi pour la mémoire immigrée en particulier.

Construite autour de l'exil et le plus souvent enfouie, elle n'en constitue pas moins un espace dans lequel une catégorie de la population y inscrit sa propre histoire. Relativement récente et dispersée spatialement, la mémoire immigrée est une figure éloquente de la mémoire collective.

Pour faire face à une dynamique touristique dans la région (village de peintres de Barbizon, forêt de Fontainebleau, châteaux de Vaux-le-Vicomte et de Blandy-lès-Tours, collégiale de Champeaux, etc.), Melun se devait de mettre en place des activités qui rendent compte de la richesse de son patrimoine et de son histoire. Sous l'emblème « Melun ville d'histoire », un parcours historique est inauguré le 19 mai 2001 pour guider une visite des richesses patrimoniales de la ville. Ce chemin piétonnier est composé de 27 étapes marquées par des plaques en lave émaillée apposées sur les façades des édifices les plus prestigieux de la ville (église Saint-Aspais, collégiale Notre-Dame, clocher Saint-Barthélémy, lavoir Saint-Liesne...) ou insérées dans des pupitres (place Saint-Jean, Musée de la Vicomté, Hôtel de Ville, prieuré Saint-Sauveur...). Ce programme a pour ambition non seulement de faire découvrir aux Melunais la richesse de leur patrimoine mais aussi les impliquer dans une réappropriation d'une histoire souvent oubliée. Cette initiative s'inscrit en réalité dans un programme municipal plus large visant à redonner au coeur historique de la ville, une vocation culturelle, touristique et universitaire. Pourtant, cette opération, qui donne à voir la ville sous son aspect le plus valorisant, ne trouve pas un écho sans faille auprès des habitants et semble même, pour certains, sans pertinence véritable. Ces appréciations tièdes sont nuancées par d'autres qui trouvent dans cette démarche, un moyen non négligeable pour offrir aux habitants l'occasion de se souvenir d'un passé somme toute considérable. Certains reprochent précisément à ce parcours, une délimitation peu étendue tenant à l'écart les quartiers les plus récents. Nous sommes loin de l'idée selon laquelle il y aurait un rejet de l'histoire commune par certaines catégories sociales. A l'inverse, il s'agit d'une démarche pour valoriser les quartiers par leur inscription dans l'histoire de la ville. En effet, le parcours historique peut contribuer à rassembler les différentes parties de la ville mais cela nécessite non seulement un temps long mais aussi une volonté affirmée des pouvoirs publics.

III Les cadres du desenclavement ?

1 Vulnérabilité des discours

Le discours sur la culture, l'histoire et le patrimoine, s'il connaît quelque retentissement au centre-ville, n'arrive nullement dans les quartiers où les préoccupations sont très localisées et relèvent des conditions de vie au quotidien. De façon générale, il apparaît que ces positions sont liées aux différences de génération et aux préoccupations de la vie quotidienne qui n'accordent que peu d'attention aux valeurs patrimoniales. Des observations du terrain se dégage une fracture entre le centre-ville et les « quartiers nord » due pour l'essentiel à l'histoire de la ville et à sa forme spatiale. Malgré la visibilité de cette fragmentation, des actions sociales et culturelles sont menées pour un rééquilibrage des chances. Mais ces initiatives sont considérées comme insuffisantes et même teintées d'une forme d'assistanat imposé qui n'accorde aux habitants des quartiers aucune possibilité d'affranchissement par rapport à une réalité aliénante. De façon générale, les personnes interrogées parlent plus d'animation que véritablement de culture. Si le programme culturel proposé au centre-ville n'attire qu'une partie infime de la population, c'est parce qu'il est, selon certains, très peu sensible aux aspirations des habitants. Pourtant, certaines manifestations ont su fédérer autour de leur objet un grand nombre de Melunais, à savoir l'exposition sur le thème de la calligraphie et l'exposition de photos sur la vie des quartiers. Si les attentes vis-à-vis du programme culturel sont nombreuses, elles rendent compte du malaise des habitants face à une situation qui les maintient aux marges de la ville. Il est vrai aussi que leurs préoccupations sont surtout de l'ordre du quotidien et se construisent dans des postures contradictoires.

Les habitants des « quartiers » sont partagés entre le sentiment d'appartenance à la ville et des attitudes de rejet de tout lien qui n'intègre pas leurs préoccupations immédiates. Le manque de considération pour ce qu'ils considèrent comme émanant des valeurs du groupe est vécue comme une atteinte à leur existence même. De cette situation se dégage une sorte de méfiance à l'égard des autorités et le refus du regard des autres. Les actions culturelles initiées par les services concernés sont perçues avant tout comme une forme de négation de la culture vécue. Il ne s'agit pas réellement d'une évaluation qualitative de l'action culturelle mais bien plus le résultat d'un ressentiment lié à l'enclavement social et parfois physique de certaines catégories sociales. Le sentiment de négation et de dévalorisation largement répandu dans les « quartiers » exprime en réalité une forte demande de reconnaissance. Ces couches de populations considérées comme parfaitement adaptées à la société modernes, [sont] victimes malgré elles de la conjoncture économique et l'emploi (S. PAUGAM, 1996). Or, le sentiment d'appartenance à une ville, son histoire, sa culture n'a de sens que lorsque les liens de proximité sont significatifs et que les individus ont véritablement une existence sociale. Les programmes culturels ne permettent pas toujours d'échapper à un sentiment de relégation sociale et de dépréciation. Il est en effet essentiel d'ouvrir le champ à des formes d'expression liées au vécu qui s'avèrent être le plus souvent le signe d'une souffrance plus que d'une quelconque provocation. C'est pourquoi la valorisation des idées émanant du terrain aussi modestes qu'elles puissent être, peut rétablir la confiance et parvenir à un niveau d'actions efficaces dans le sens où ces dernières se doivent d'être particulièrement adaptées au contexte dans lequel elles se manifestent.

Les formes spontanées de la culture, expressions de situations et de positions sociales spécifiques sont soumises parfois à une tentative de canalisation par les services culturels. Or, ces formes spécifiques donnent de la visibilité à une réalité sociale le plus souvent occultée. La question est de savoir comment donner à ces formes culturelles toutes les qualités de la convenance ? Des tentatives sont lancées régulièrement mais les difficultés résident dans l'imposition de règles préétablies qui empêchent l'émergence du particulier et de l'original. En définitive, des questions autour de ce qui peut fédérer les habitants de Melun sont soulevées sans que les choses ne soient clairement définies. Les thèmes abordés sont pour la plupart importés. Rien n'émane véritablement des spécificités du terrain. Si nous prenons la fête du quartier, par exemple, nous constatons qu'elle n'offre nullement l'éventualité de la rencontre. Elle est même contestée et boudée. Si la fête de quartier n'est pas le résultat d'une implication véritable des habitants, elle ne peut remplir son rôle et ressemble plus à un plaquage d'activités sans cohérence d'ensemble.

2 Des dynamiques d'ouverture circonstanciées

L'idée selon laquelle la culture est réservée exclusivement à l'élite persiste encore dans certains milieux sociaux. Ce sentiment de « défaut de familiarité » vis-à-vis des institutions culturelles concerne l'ensemble du territoire national : « A la campagne ou en ville, au nord comme au sud, plus de 60% de nos concitoyens négligent toute fréquentation culturelle »16 16 Voir l'enquête menée par Télérama nº 2752, 9 octobre 2002. .

La culture serait-elle liée à l'habitus et donc aux capitaux dont dispose l'individu comme l'a affirmé Pierre Bourdieu? Les différences sociales marquent ostensiblement le sentiment d'étrangeté vis-à-vis de la culture considérée comme un privilège pour les nantis. Selon les résultats du département des études et de la prospective du ministère de la Culture, les exclus de la culture ne sont pas tous des Français modestes, ou géographiquement éloignés des musées et lieux de spectacle. Ils appartiennent aussi aux « nouvelles élites » urbaines qui méprisent la culture classique. La question serait alors de savoir comment la « culture institutionnelle » pourrait se rapprocher des gens et créer les conditions du désenclavement.

Selon Guy Saez, la démocratisation culturelle est un mythe, une simple croyance et une utopie à laquelle il faut absolument tenir pour ne pas renoncer aux promesses de la démocratie17 17 G. Saez, Le patrimoine saisi par les associations, ed. La Documentation française, 2002. . Si certaines catégories sociales considèrent qu'elles sont éloignées de la culture, la première démarche ne consiste-t-elle pas à faire en sorte que l'accessibilité permette le rapprochement des différences d'autant que les habitants revendiquent une participation à la production culturelle selon une sensibilité qui leur est propre. L'idée dominante consiste à dire que l'espace Saint-Jean peut et doit jouer un rôle de médiation pour favoriser la rencontre entre Melunais de différentes origines sociales et culturelles et la valorisation des potentialités locales. L'absence de diversité peut-être interprétée comme une forme de discrimination.

Dans un contexte multiculturel où la diversité est vécue comme l'avenir des sociétés modernes, les différences constituent une richesse si des dynamiques d'ouvertures sont mises en oeuvre de part et d'autre. Dans le cas contraire, elles peuvent être un prétexte pour l'enfermement sur soi et le repli communautaire. Les actions entreprises dans le sens de l'intégration par la culture se doivent d'être adaptées au contexte dans lequel elles se manifestent afin de répondre efficacement à des situations circonstanciées. C'est ainsi que les projets du musée s'inscrivent progressivement dans la volonté de présenter de façon cohérente l'histoire et le patrimoine de la ville mais aussi de travailler pour un public de proximité. Toutefois, le besoin d'espace est primordiale et constitue une urgence pour le personnel du musée. Il convient de dire qu'en définitive, l'impact des actions du musée (diversification des activités et des publics, gratuité...) sont en l'état actuel des choses imperceptibles bien que l'objectif recherché est créer un espace d'intégration et de lien social. Il en est de même pour l'université inter-âges qui tente de réduire l'isolement social et culturel en offrant le cadre d'un rapprochement possible. En se positionnant à l'interface du service social et du service culturel, les ambitions de l'université inter-âges sont de promouvoir l'histoire locale, de rapprocher des populations diverses en créant du lien social.

Conclusion

La démarche originale de la municipalité de Melun a été de s'interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour le désenclavement social et culturel de certaines catégories sociales au travers de la valorisation du patrimoine urbain. Il s'agit donc d'une dimension du développement local qui prend comme appui la mise en valeur de l'identité melunaise et le renforcement du sentiment d'appartenance à la ville afin de consolider la cohésion sociale. Le développement local s'inscrit dès lors dans une perspective interactive qui met à contribution les populations dans des opérations de réhabilitation et de valorisation du patrimoine. Le projet urbain devient ainsi un instrument pour la restauration de la mémoire autour d'un système de valeurs lié à l'identité urbaine. Or, la fragmentation spatiale de la ville signifie le morcellement du système de références. Le risque étant la confirmation du cloisonnement des différences, d'une part et la mise en œuvre d'une culture à deux vitesses, plus « savante » pour les habitants du centre-ville et plus « spécifique » pour ceux des quartiers, d'autre part. Ce procédé ségrégatif aboutit inéluctablement à la marginalisation progressive des initiatives émanant du terrain et à la relégation de la culture locale.

Notes

Bibliographie

CADUCE, 1998.

Recebido em 28/9/2005; revisado e aprovado em 15/12/2005; aceito em 30/7/2006.

  • BACHMANN C., LE GUENNEC N., 1997, Autopsie d'une émeute. Histoire exemplaire d'un soulèvement d'un quartier, Paris, Albin Michel.
  • BAILLY J.C., 1992, La ville à l'oeuvre, Paris, Éditions Jacques Bertoin.
  • BEGHAIN P., 1998, Le patrimoine : culture et lien social, Paris, Presses de sciences po.
  • BOURDIN A., 1984, Le patrimoine réinventé, Paris, PUF.
  • BRIDOUX F., 1957, Melun ville royale, Syndicat d'initiative de Melun.
  • CHOAY F., 1992, L'allégorie du patrimoine, Paris, Seuil.
  • DE CERTEAU M., 1974, La culture au pluriel, Paris, Union Générale d'Éditions.
  • GHORRA-GOBIN C., 1997, Los Angeles. Le mythe américain inachevé, Paris, CNRS-Edition.
  • GREFFE X., 2000, Ť Le patrimoine comme ressource pour la ville ť. In : Les Annales de la Recherche Urbaine, n. 86, pp. 29-38.
  • GUILLAUME M., 1980, La politique du patrimoine, Paris, Galilée.
  • HALBWACHS M., 1950, La mémoire collective, Paris, P.U.F.
  • HANNERZ U., 1983, Explorer la ville. Éléments pour une anthropologie urbaine, Paris, Minuit.
  • HOGGART R., 1970, La culture du pauvre, Paris, Minuit.
  • IAURIF, Atout-Coeur. Projet urbain de Melun, 1999-2003, Rapport pour le contrat
  • JEUDY H.P., 1990, Patrimoine en folie, Paris, M.S.H.
  • LENIAUD J.F., 1994, L'utopie du patrimoine, Paris, Les Éditions scientifiques.
  • MÉTRAL J., 1997, Les aléas du lien social, Constructions identitaires et culturelles dans la ville, Paris, ministère de la Culture et de la Communication.
  • LAURENT A., 1996, Melun et sa région. Pays de Seine-et-Marne, Presses du Village.
  • NORA P., 1987, Ť Patrimoine et mémoire ť. In : Actes du colloque, Ť Patrimoine et société contemporaine ť, ministère de la Culture et de la Communication, pp. 12-14.
  • RONCAYOLO M., 1990, La ville et ses territoires, Paris, Gallimard.
  • SEGAUD M., 1986, Ť Monumentalité et réception ť In : Collectif, Construction publique et image de marque de la ville, Architecture et Construction, pp. 67-77.
  • SENNETT R., 2000, La conscience de l'oeil, urbanisme et société, Paris, Édition de la Passion.
  • TOPALOV C. (dir.), 2002, Les divisions de la ville, Paris, UNESCO/MSH.
  • 1
    P. Nora, « Patrimoine et mémoire » in
    Actes des colloques de la Direction du patrimoine : « Patrimoine et société contemporaine », ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Octobre 1987, pp.12-14.
  • 2
    U. Hannerz,
    Explorer la ville. Éléments pour une anthropologie urbaine, Paris, Minuit, p.332.
  • 3
    Voir à ce sujet un ouvrage bien connu de A. Kopp,
    Changer la vie, changer la ville. Paris : 10/18, 1975.
  • 4
    R. Sennett, « La conscience de l'œil », in
    L'espace du public, Actes du colloque d'Arc et Senan, 8-9-10 novembre 1990, Paris : Recherches/Plan Urbain, 1991, p.32-35.
  • 5
    D'autres auteurs avaient souligné cette fracture :
    « Comme dans les autres villes de France, le centre-ville et les quartiers résidentiels, coquettement entretenus, ont commencé à se barricader », Cf. C. Bachmann et N. Le Guennec,
    Autopsie d'une émeute. Histoire exemplaire du soulèvement d'un quartier, Paris, Albin Michel, 1997, p.34.
  • 6
    M. Halbwachs,
    La mémoire collective, Paris, PUF, 1950, p.166.
  • 7
    I. Joseph, « le musée, le territoire, la valeur », in H-P. Jeudy (dir.),
    Patrimoine en folie, Paris, Édition de la Maison des Science de l'Homme, 1990, pp. 259-267.
  • 8
    M. Halbwachs,
    La mémoire collective, op. cit., p.132.
  • 9
    M. Guillaume,
    La politique du patrimoine, Paris : Galilée, 1980, p. 184.
  • 10
    F. Choay,
    L'allégorie du patrimoine, Paris : Seuil, 1992, p. 15.
  • 11
    M. Segaud, « Monumentalité et réception », in
    Séminaire de Recherche : « Construction publique et image de marque de la ville », Nîmes, 30 et 31 octobre 1986, Architecture et Construction, pp. 67-77.
  • 12
    F. Loyer,
    Paris XIXe siècle. L'immeuble et la rue, Paris : Hazan, 1987.
  • 13
    Comme le souligne G. Althabe dans une contribution à un ouvrage collectif intitulée « Production des patrimoines urbains », cf. H-P. Jeudy (dir.),
    Patrimoine en folie, op. cit., 1990, pp. 269-273.
  • 14
    La recentralisation concerne aussi les villes américaines, voir à ce sujet : Cynthia Ghorra-Gobin,
    Los Angeles. Le mythe américain inachevé, CNRS-Edition, 1997.
  • 15
    M. De Certeau,
    L'invention du quotidien, 1990, Paris, Gallimard, p.220.
  • 16
    Voir l'enquête menée par Télérama nº 2752, 9 octobre 2002.
  • 17
    G. Saez, Le patrimoine saisi par les associations, ed. La Documentation française, 2002.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      26 Oct 2007
    • Date of issue
      Sept 2006

    History

    • Accepted
      30 July 2006
    • Reviewed
      15 Dec 2005
    • Received
      28 Sept 2005
    Universidade Católica Dom Bosco Av. Tamandaré, 6000 - Jd. Seminário, 79117-900 Campo Grande- MS - Brasil, Tel./Fax: (55 67) 3312-3373/3377 - Campo Grande - MS - Brazil
    E-mail: suzantoniazzo@ucdb.br