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Le choix d‘une orientation professionnelle: une occasion de travail psychique à point nommé pour l‘adolescent

A escolha de uma orientação vocacional: uma oportunidade de trabalho psíquico para o adolescente

The choice of professional guidance: a timely opportunity for adolescents to begin psychological work

La elección de una orientación profesional: una oportunidad de trabajo psíquico para el adolescente

Die Entscheidung, sich einer Berufsberatung zu unterziehen: eine Gelegenheit psychischer Arbeit für Jugendliche

职业导向选择 : 针对青春期少年开展心理工作的适宜时机

Abstracts

Si le choix d’orientation professionnelle renvoie à des attentes sociales fortes, qu’en est-il de ses enjeux pour la construction de la subjectivité? A l’adolescence, il est particulièrement difficile de se déterminer car l’équilibre instauré dans l’enfance est déstabilisé. La question de l’orientation peut néanmoins être l’occasion d’engager un travail psychique en résonance avec le cheminement de l’adolescence soumis à la nécessité de soutenir la fonction de nomination.

Choix d’orientation; lien social; adolescence; fonction de nomination


Se a escolha de orientação vocacional remete a expectativas sociais fortes, o que acontece com seu impacto na construção da subjetividade? Na adolescência, é particularmente difícil ser determinado porque o equilíbrio estabelecido na infância é desestabilizado. A questão da orientação profissional pode, entretanto, fornecer a oportunidade de começar um trabalho psíquico em ressonância com o progresso da adolescência submetido à necessidade de apoiar a função de nomeação.

Escolha de orientação; laço social; adolescência; função de nomeação


If the choice of professional guidance refers to strong social expectations, what about its impact on the construction of subjectivity? Adolescents find it particularly hard to be determined, because the balance established during childhood is altered. Nevertheless, the issue of professional guidance can provide the opportunity to begin psychological work in tune with the progression of adolescence which has been submitted to the need to support the nomination function.

Guidance choice; social bond; adolescence; nomination function


Si la elección de la orientación profesional nos remite a fuertes expectativas sociales, ¿qué sucede con su impacto en la construcción de la subjetividad? En la adolescencia, es particularmente difícil ser determinado porque el equilibrio establecido en la infancia se encuentra desestabilizado. El tema de la orientación profesional puede, sin embargo, proporcionar una oportunidad para el trabajo psíquico en paralelo con el progreso de la adolescencia sometido a la necesidad de sostener la función de nominación.

Elección de orientación; vínculo social; adolescencia; función de nominación


Dass die Entscheidung, sich einer Berufsberatung zu unterziehen sich stark an soziale Erwartungen anlehnt ist unbestreitbar. Wie aber beeinflusst sie den Aufbau der Subjektivität? Im Jugendalter ist es besonders schwer, entschlossen zu sein, da das in der Kindheit begründete Gleichgewicht nicht länger besteht. Andererseits kann das Problem der Berufswahl eine Gelegenheit darstellen, psychische Arbeit einzuleiten, die die Entwicklung der Adoleszenz begleitet und die der Notwendigkeit unterworfen ist, die Funktion der Nennung zu unterstützen.

Wahl der Berufsberatung; soziale Verbindung; Adoleszenz; Funktion der Nennung


如果职业导向选择反映出强烈的社会期待,那么这对主观性建设又有何重要意义呢?由于童年时期建立的平衡已被打破,因此在青春期做出自我定义尤其困难。解决职业导向问题的过程,无疑是个开展心理工作的良好时机,与度过必须支持命名功能的青春期产生共鸣。

导向选择; 社会关联; 青春期; 命名功能。


Introduction

A l’adolescence, la question du choix d’orientation professionnelle est quasiment incontournable. Si cette étape est communément partagée, elle ne va pas de soi pour autant. La clinique rend compte des difficultés à laquelle elle confronte de nombreux adolescents. La fréquence du profond désarroi face au choix d’orientation professionnelle dans des circonstances très diversifiées ne peut laisser penser que les difficultés liées à l’orientation relèvent de situations particulières, voire pathologiques. Les remaniements de l’adolescence, remettant en jeu la position sociale et subjective, laissent souvent le sentiment d’être perdu devant le choix à émettre.

Dès les premières études sur le choix d’orientation professionnelle, la perspective éducative est très prégnante (Parsons, 1909Parsons, F. (1909). Choosing a vocation. Boston: Houghton Mifflin.). Les recherches de Léon en psychopédagogie de l’orientation professionnelle (1957), de Super en psychologie développementale (1957, 1963) et de Guilford en psychologie cognitive (1967) conduisent à “l’éducation à l’orientation”. Avec ces modèles, il s’agit d’intégrer des informations sur les formations ou sur les métiers, mais également d’apprendre à se connaître, et de développer des compétences pour s’orienter. Progressivement, de multiples dimensions dévoilées par la psychologie de l’orientation,1 sont prises en compte, comme les déterminismes sociaux, les stéréotypes, l’inégalité sexuelle, l’image de soi, ou encore le sentiment d’efficacité personnelle. L’éducation et l’information deviennent les outils requis pour se défaire de l’aliénation aux normes sociales en permettant aux élèves d’en prendre conscience. L’idée est de donner aux adolescents la possibilité de devenir acteurs, ou mieux encore, maîtres de leurs destins.

L’intérêt de l’approche clinique est moins d’interroger la genèse du choix d’orientation que ses enjeux pour la subjectivité, à savoir, l’intégration de la demande sociale du choix d’orientation dans le traitement du désir au moment de l’adolescence.2

Force est de constater que les motivations ne sont pas souvent explicites. De nombreux choix ne se font pas à l’appui de réflexions, mais spontanément. Parmi ces choix, se trouvent même quelquefois les plus importants de la vie. L’appréhension du choix par la psychanalyse se démarque d’une visée éducative dans la mesure où elle intègre la part des motivations inconscientes, et considère que nous pouvons véritablement choisir une voie qui soit à l’encontre de nos motivations conscientes. Des choix émis peuvent ainsi venir répondre à des demandes réelles ou supposées d’un parent, et manifester un désir inconscient (Baudouin, 2007Baudouin, N. (2007). Le sens de l’orientation. Paris: L’Harmattan.).

L’adolescence: un moment de choix

En référence aux travaux de Rassial (1996)Rassial, J-J. (1996). Le passage adolescent, de la famille au lien social. Toulouse: Erès., nous considérons l’adolescence comme un moment singulier où s’expérimentent puis se décident des orientations essentielles de la vie, comme l’affirmation de la position sexuée, le choix de nouvelles identifications, ou encore, celui d’une position sociale. Les choix de l’adolescent se font davantage en son nom propre, même s’ils s’émettent à l’appui de son entourage ou en fonction d’une certaine influence sociale et familiale. Le choix d’orientation ne s’ajoute pas aux autres choix, mais plutôt s’y intrique. Il est décisif en raison de son engagement social et intime. S’il peut être reconsidéré une fois adulte, il engage une direction, et marque une décision qui affirme l’inscription du désir dans le social.

Le concept lacanien de Nom-du-père permet de mieux cerner les enjeux du choix d’orientation pour l’adolescent. Devant l’interdit œdipien posé par le père, et face à l’énigme du désir de la mère, l’enfant désigne le père comme celui qui est supposé capable de combler la mère. En soumettant le désir à la loi de l’interdit œdipien, cette métaphore paternelle, constitue une véritable opération psychique dans la mesure où elle amorce les substitutions métaphoriques à venir. C’est l’entrée dans la symbolisation. Cette métaphore paternelle permet la distinction des places, la différence des générations, et introduit dans une lignée familiale: l’enfant ne peut pas prendre la place attribuée au père. Ce processus accorde de ce fait une place singulière identifiée, séparée de la mère. Lors de ses derniers enseignements, Lacan considère que le père ne se limite pas à être nommé par l’enfant comme celui qui détient le pouvoir de combler la mère, comme le concept de la métaphore paternelle en rendait compte. Il a une fonction de nomination dans la mesure où il nomme la place de l’enfant et fournit des attributs pour qualifier sa position.3 Ces attributs sont remis en question à l’adolescence. Les transformations corporelles provoquent une modification de l’image corporelle, mais aussi, des répercussions en chaîne liées à l’accès à la génitalité. Le père réel4 apparaît fragilisé, car la différence entre les générations est amenuisée par le rapprochement du corps de l’adolescent de celui des adultes, mais aussi parce que le père plus ou moins vieillissant apparaît vulnérable (Rassial, 1996Rassial, J-J. (1996). Le passage adolescent, de la famille au lien social. Toulouse: Erès.). Pendant l’enfance, les signifiants maîtres attribués soumettent à l’aliénation à l’Autre, mais donne accès à une place singulière. A l’adolescence, la fonction de nomination n’étant plus opérationnelle, elle ne permet plus d’être reconnu pour soi, faisant vivre un effacement du nom propre où le signifiant est suspendu (Gori, 1997Gori, R. (1997). L’adolescence. In Marty, F. L’illégitime violence: la violence et son dépassement à l’adolescence (pp. 64-76).Toulouse: Érès.). Face à la fragilité de la fonction paternelle et à la nécessité de nouvelles nominations, le choix professionnel correspond à une opportunité de Nom-du-Père. Le père n’apparaît alors plus comme le seul agent de l’opération de nomination, mais d’autres figures peuvent tenir la fonction, comme le social.

Nicolas: un adolescent à la recherche du soutien de la fonction de nomination

Nicolas sollicite un entretien alors que ses recherches d’informations l’ont conduit à la

conclusion qu’aucun métier, ni aucune formation, ne correspond à ce qu’il désire. Il espère trouver une solution alors que, compte-tenu de son redoublement, ses résultats scolaires laissent présager une réorientation vers la voie professionnelle. Son image du monde du travail est très négative, ce qui renforce sa difficulté à construire un projet professionnel. Néanmoins, il questionne sa place à venir dans la sphère sociale, et remet en cause sa place au sein de sa famille. Il se plaint du non-respect de son intimité par ses deux rivaux, son père qui se moque de lui, et son frère, qui a tous les attributs d’un frère envahissant, brillant au collège mais également, plus proche de son père.

Les adultes sont présentés à partir de leurs défaillances, le laissant livré à lui-même. Ses parents, sont décrits dans leurs fragilités, notamment à travers des comportements de panique de sa mère, et l’incapacité de son père d’avoir pu obtenir un travail qui puisse le satisfaire. Ils ne permettent plus de servir de support identificatoire, particulièrement pour ce qui concerne la dimension professionnelle. La disqualification de son père lui renvoie une image de lui-même comme anéanti, le réduisant énonce-t-il à une version “copiée-collée” d’un père dévalorisé: ils s’habillent de la même façon, prennent les mêmes initiatives, et ont la même démarche.

Dans un premier temps, les signifiants maîtres attribués par son père l’amènent à envisager des métiers à partir de qualités qu’il lui a souvent attribuées. La reconnaissance de “ses mains en or”, le fait envisager par exemple le métier de kinésithérapeute. S’il s’inquiète de l’inadéquation entre ce projet et ses résultats scolaires, c’est surtout la remise en question de cette place assignée qui le conduira à envisager d’autres pistes. Identifiant son parcours à celui de son père, il en vient à retracer l’orientation de celui-ci. Tout comme lui, son père avait de mauvaises notes, et un frère qui réussissait mieux à l’école. Il préférait également s’amuser. En revanche, son grand-père paternel n’ayant pas d’autorité selon lui, son père pouvait faire ce qu’il souhaitait, et ne s’en privait pas. Son père imaginaire apparaît comme celui qui avait la possibilité de profiter de tous les plaisirs dans le passé, mais désormais, il apparaît déchu, incapable de l’aider. Son père, explique-t-il, devait fonder une entreprise de paysagisme avec son frère, mais la mort de celui-ci alors que Nicolas était sur le point de naître, a brutalement mis fin au projet. Cet oncle regretté, vient alors jouer une fonction essentielle dans l’élaboration de son histoire passée qui le conduira finalement à émettre son choix d’orientation. Parler de cet oncle mort vient lui servir d’appui pour soutenir la fonction paternelle. Ce n’est donc pas le père réel de Nicolas qui lui permet de soutenir la fonction de nomination, mais un ascendant mort qui vient représenter la fonction symbolique du père. Interroger son histoire, telle qu’elle est constituée dans son imaginaire lui fournit ainsi des re-pères.

Père, oncle, mais aussi grand-père ont ainsi été interpelés à travers les choix professionnels de leurs vies respectives et au regard de leurs rapports au plaisir et à l’autorité. Nicolas fait le tour de diverses professions en référence à eux. Il décrit sa perception du travail en la démarquant de celle de ses parents, car il n’aspire pas à mener la même vie qu’eux. La disqualification des parents qui avait amené Nicolas à explorer d’autres Noms-du-Père le conduit finalement au soutien du social, par l’émission d’un projet dans l’informatique, et à resituer sa place dans la constellation familiale, se distanciant des projets de ses parents à son égard.

La question du choix d’orientation fait écho à d’autres questions que Nicolas avait besoin de traiter avant de pouvoir émettre un choix. Elle renvoie au travail psychique nécessité par l’adolescence.

Le choix d‘orientation envisagé comme un sinthome

Un pas de plus dans l’explication lacanienne est tout particulièrement intéressant pour comprendre l’enjeu du choix d’orientation professionnelle pour la subjectivité. En nommant, le nom-du-père donne des indications, mais il renvoie inévitablement à l’indicible sur soi puisqu’il manque toujours une part qui pourrait rendre compte de la réalité de son être. Dans le séminaire Le sinthome (1975-1976/2005) Lacan met en évidence le rôle essentiel de la fonction de nomination pour la subjectivité dans la mesure où elle intègre l’idéal du moi, la métaphorisation, et à la rencontre de l’irreprésentable, d’un impossible à dire de soi. En d’autres termes, Lacan considère qu’elle permet de rattacher l’imaginaire, le réel et symbolique,5 avec des conséquences considérables pour la subjectivité, puisque le nouage entre ces trois instances oriente vers la névrose ou vers la psychose.

Le symptôme n’est plus envisagé par Lacan seulement comme la manifestation d’un désir inconscient, un retour du refoulé. A l’appui de l’analyse du métier d’écrivain de James Joyce, il met en évidence que le symptôme peut lui-même assurer la fonction de nomination en rattachant l’imaginaire, le réel et le symbolique. L’activité d’écriture singulière de l’écrivain irlandais représentait une “exploration du langage pour son compte” (Joyce, 1944/1982Joyce, J. (1982). Stephen le héros. Paris: Gallimard, La pléiade. (Original publié en 1944)., p. 341). Ayant rencontré la reconnaissance du public, elle lui a permis de valoriser son nom, tout en ne cessant d’interroger la limite du sens des mots, l’indicible.6 Ce symptôme de Joyce, l’écriture, a pu venir suppléer au nom-du-père alors que son père réel n’avait pas été en mesure de soutenir cette fonction. Lacan accompagne cette appréhension du symptôme d’une nouvelle écriture: le sinthome.

La notion de sinthome de Lacan, reprise par Rassial pour envisager le choix d’une orientation professionnelle (1996) permet de considérer non seulement le désir associé au choix émis, mais également le traitement du réel, c’est-à-dire, ce qui ne parvient pas à être symbolisé.

Une deuxième vignette clinique va nous permettre de rendre compte du travail psychique engagé lors d’un temps de constitution d’un sinthome, c’est-à-dire du nouage du réel, de l’imaginaire et du symbolique.

Ikram, ou l’arrimage du symbolique à l’imaginaire

Une jeune fille se prénommant Ikram, explique son projet professionnel d’un ton très affirmé: elle veut devenir technicienne de laboratoire médical. Après avoir passé de longues heures à faire des recherches sur internet et à interroger plusieurs adultes, elle pense enfin connaître le chemin qu’elle devrait emprunter pour réaliser son projet. Maintenant qu’elle a repéré l’orientation qui lui paraît idéale, selon elle, entrer en première science et technologie de laboratoire, elle se trouve confrontée à des difficultés scolaires qui risquent d’empêcher la réalisation de son projet.

Venue spontanément en entretien, sa demande initiale se résume à une demande d’écoute. Elle insiste pour affirmer qu’elle sait ce qu’elle veut faire, et comment y parvenir. Elle refuse d’envisager d’autres pistes malgré les difficultés scolaires qui pourraient remettre en question l’orientation envisagée. Sa plainte concernant sa difficulté à réaliser le seul projet qu’elle n’ait jamais réussi à construire, constitue son entrée en relation. Elle éprouve le besoin de prendre un temps pour déployer son vécu face à un idéal inatteignable.

Son projet professionnel prend appui sur des séries télévisées. Comme les héros des films auxquels elle s’identifie, elle souhaite pouvoir, selon ses propres termes, “savoir qui ça peut être?” en procédant à des analyses médicales sur des corps. L’enquête policière fait écho à sa quête personnelle comme un apprenti historien, selon les termes d’Aulagnier (1986/2001)Aulagnier, P. (2001). Un interprète en quête de sens. Paris: Payot & Rivages. (Original publié en 1986).. Ikram laisse s’entremêler les questions de “qui ça peut être?” et de “qui suis-je?” selon si elle parle directement d’elle ou qu’elle le fasse à travers les personnages des séries télévisées. Elle met en évidence son goût pour les sciences de laboratoire, la chimie, et les mathématiques, comme une justification du bien-fondé de son projet. De même, elle instaure des liens entre son projet et son histoire familiale, en soulignant que jusqu’à présent, comme toute sa famille, elle a obtenu le passage en classes supérieures grâce aux mathématiques. Toute tentative de notre part de proposition de développement, d’introduction d’un décalage ou d’une position questionnant son projet est rapidement écartée.

Face à ses difficultés scolaires, aucune solution ne lui paraît envisageable. Rien, et surtout personne ne peut l’aider, ce qui laisse entrevoir son sentiment de solitude face à cet Autre incapable de lui fournir de réponse satisfaisante.

La première étape qui se présente, avant toute possibilité de construction d’un choix d’orientation, paraît être la déconstruction de l’équilibre instauré jusqu’alors, laissant la place à un moment de déstabilisation. Le nouage des trois instances, l’imaginaire, le réel et le symbolique, doit avoir été défait. La famille doit paraître dans son insuffisance à soutenir la fonction de l’Autre afin que l’adolescent soit en mesure de chercher une solution du côté de l’Autre social. Pour désirer s’orienter dans le social, il faut se tourner vers les autres, se séparer de ce qui était familier, être incité à trouver une solution face à une insatisfaction ou à un certain malaise. L’adolescence est en soi déstabilisante par les modifications physiologiques qu’elle contient et les conséquences psychiques qu’elle entraîne. Elle est propice à la recherche de solutions extérieures à l’environnent familier comme le choix d’une place sociale. Néanmoins, l’institution demande de faire des choix d’orientation à des moments définis. Certains peuvent se saisir de cette occasion à ce moment là, alors que d’autres ne sont pas prêts.

Ikram se présente à nouveau en entretien après un avis réservé par son conseil de classe pour son choix d’orientation. Le deuxième entretien commence comme le premier, c’est-à-dire par une plainte concernant son impuissance à réaliser son projet: “les notes ne suivent pas!”. Le projet reste attaché à la dimension imaginaire, et ne parvient pas à s’arrimer au social. Ses paroles ne cessant pas d’insister sur l’importance de ce projet à ses yeux, marquent la fonction psychique qu’il contient. Les projets construits autour de figures identificatoires issues de séries télévisées ou de héros modernes de réussite sociale, loin de leurs légèretés apparentes permettent de rendre plus consistant l’imaginaire fragilisé. L’idée qu’Ikram se fait du métier paraît assez éloignée du travail quotidien d’un technicien de laboratoire médical, néanmoins, s’attacher à lui faire prendre conscience de cet écart en lui fournissant des informations la détournerait de sa quête. Traversant l’adolescence, la déstabilisation des figures parentales d’Ikram fragilise aussi son imaginaire. C’est pour cette raison qu’elle cherche ce qui pourrait le soutenir.

Cette jeune fille pourra construire un projet qui lui offre une solution pour satisfaire ses désirs en se reliant aux autres, non pas en se confrontant à la réalité, mais au contraire, en pouvant déployer son imaginaire. Ikram doit pouvoir prendre le temps de rendre son imaginaire plus consistant afin de parvenir à le relier au symbolique. Ainsi, redonne-t-elle une place aux événements de la vie adolescente dans son histoire telle qu’elle est vécue, pour enfin parler d’une activité qui lui permette de renvoyer une image d’elle-même et d’interroger par ailleurs le langage. Elle formalise un vocabulaire à partir d’une activité qui situe son désir dans le présent: la danse qu’elle pratique. Cette insistance de son dire sur le corps lui permet de donner du corps au projet. Sans faire directement référence au miroir qui tapisse la salle de danse, elle énonce: “la danse nous reflète”. Elle utilise cette activité pour signifier ce qu’elle ressent. Tout comme Joyce utilisait les mots pour questionner leurs sens ou leurs non-sens (Aubert, 1992Aubert, J. (1992). Préface. In J. Joyce. Portrait de l’artiste en jeune homme (pp. 7-27). Paris: Gallimard. (Original publié en 1916).), Ikram interroge l’aliénation à la langue et commence à construire un petit dictionnaire de la danse qui lui sert à interroger les signifiants, liant l’imaginaire à du symbolique: “j’aime le dance hall, c’est une danse qui exprime la féminité, c’est plus sexy que le reggaeton. La danse exprime les sentiments: si on est triste, on peut danser le non modéré, si on est en forme, c’est le reggaeton, si on est énervé, la street dance… ”. Par association, et gardant le fil de sa préoccupation concernant son orientation, elle enchaîne en établissant des liens entre les métiers et des traits de personnalité: “si on est associable, il faut faire un autre métier que celui d’infirmière, ou d’aide-soignante, si on est timide, il ne faut pas travailler dans une banque…”. Cette association lui permet de dire qui elle est, et l’amène à poursuivre à la première personne: “j’aime parler aux personnes, j’aime aider et défendre. Je n’ai pas peur de parler… Je ne veux pas un métier mou”. Cette utilisation d’une langue, qui n’est pas déconstruite comme celle de Joyce, interroge pour autant la valeur des signifiants, et l’amène à associer au métier d’aide-soignante, un métier qui selon sa construction correspond à “un métier reggaeton”.

Parler du corps, l’a rendu vivant. Ikram s’interroge sur “les analyse faites sur le corps” du métier de technicienne d’analyses de laboratoire mises en perspectives avec le film Body of proof, pour en conclure qu’elle ne veut pas se retrouver devant des cadavres. Sa recherche se tourne vers les vivants, et ses préoccupations expérimentales d’adolescentes sont délaissées au profit d’une recherche de solution du côté du métier d’aide-soignante. Ikram connaît le bac professionnel qui lui permettrait d’augmenter ses chances de réussir au concours d’aide-soignante.

Le premier projet présenté n’avait pas vocation à se lier aux autres mais à se forger une image d’elle. L’adolescent cherche ce qui peut soutenir l’imaginaire à la fois pour se réapproprier l’image du corps que le réel de la puberté a atteint et pour reconsidérer l’Autre perçu dans sa fragilité. Le lien aux autres auquel l’aboutissement du choix d’orientation tend, ne peut s’établir sans une image de soi unifiée. La construction d’un sinthome venant renforcer et unifier son identité, propice à l’adolescence, peut se mettre en place à partir de ce soutien imaginaire. Le projet d’aide-soignante constitue pour elle une issue, en renforçant le lien social. Il lui permet de franchir une étape et apaiser pour un temps son désarroi face à sa division et à l’incomplétude de l’Autre. A travers lui, elle trouve ce qui peut la représenter. L’incarnation de l’Autre passe des parents au social.

Retrouver des repères internes

Comme dans les cas d’Ikram et de Nicolas, les rencontres avec des adolescents rendent compte de la nécessité de questionner différentes dimensions à l’occasion de la constitution d’un choix d’orientation, avant d’en arriver à proprement parler au choix: la vacuité de l’Autre, l’image de soi, l’aliénation au symbolique ou encore, la fonction paternelle. La question du choix d’orientation peut impulser un travail psychique propice à la construction adolescente, mais elle suscite de l’angoisse devant le trouble de la question du désir qui se pose avec elle. La fréquence de l’angoisse provoquée par le choix d’orientation professionnelle incite à penser que si la question de l’orientation est posée trop tôt, ce n’est que l’inconsistance du désir qui apparaît.

De la question de l’emploi À celle du lien social

Selon Freud, si les activités professionnelles sont sublimatoires, elles se présentent comme une opportunité de se lier au social tout en parvenant à satisfaire ses pulsions (1930/1995). Le travail soumet à la fois un problème et propose une solution puisque, s’il implique une limitation de la satisfaction, il offre la possibilité de trouver une satisfaction substitutive. Néanmoins, la pleine satisfaction et le travail sont inconciliables. Il y a une aliénation, qui n’est pas conjoncturelle, mais structurelle. La complexité provient du fait que le lien social ne peut pas être envisagé sans désir, bien que pour autant, le désir ne peut pas assurer le lien sans la persistance d’une part d’insatisfaction.

Si Clot (1999/2011)Clot, Y. (2011). La fonction psychologique du travail. Paris: Presses Universitaires de France. (Original publié en 1999). rend compte d’une inévitable mise à l’écart des préoccupations personnelles au travail et Dejours (2009)Dejours, C. (2009). Travail vivant, tome 2: travail et émancipation. Paris: Payot & Rivages. insiste sur la confrontation à la réalité qu’il implique, les notions de métier et de profession contiennent en elles un certain éloignement de nous-mêmes quand il s’agit de travailler, d’incarner un métier ou une profession. Cette perspective accorde une dimension symbolique au travail dans la mesure où il est emblématique de l’aliénation au signifiant, et ainsi, permet de penser que le traitement du choix d’orientation peut être déterminant. Il apparaît par conséquent essentiel, au-delà de l’emploi qu’il est susceptible de fournir (Méloni, 2014Méloni, D. (2014). Les déterminants psychiques des choix d’orientation professionnelle. Thèse de doctorat, Aix-Marseille-Université.).

Cette considération parait s’inscrire en faux face à la valeur du travail accordée par notre société et conduit à se défaire de l’idéalisation du travail qui laisserait penser qu’une “bonne orientation” et un contexte professionnel adapté permettrait d’atteindre une pleine satisfaction. Le choix d’orientation envisagé comme la construction d’un sinthome ne correspond pas à une retrouvaille du désir inconscient, mais à la trouvaille d’une solution pour affirmer sa singularité dans un lien aux autres. Selon la forme de nouage entre les trois instances, le réel, le symbolique et l’imaginaire, selon la validation ou l’invalidation de la fonction paternelle, c’est le choix de la névrose ou celui de la psychose.

L’enjeu du choix d’orientation professionnelle est déterminant, non pas uniquement du point de vue de l’insertion économique mais aussi en raison de l’établissement du lien avec les autres qu’il favorise par le travail de subjectivation qu’il permet de traiter.

Conclusion

L’adolescence et la sortie de l’adolescence correspondent à des moments où le choix tient une place centrale, mais où il est particulièrement difficile de se déterminer. Choisir implique à la fois des dispositions internes et introduit un travail d’élaboration psychique.

Dans le cadre de l’orientation professionnelle, le choix tel qu’il est émis est secondaire par rapport à sa mise en forme elle-même, c’est-à-dire selon la façon dont le réel et l’aliénation à l’Autre sont pris en compte pour renouveler et spécifier sa position subjective. Face aux demandes, l’apport de solutions trop directes qui envisageraient le choix comme l’adéquation entre le souhait, ou même, un désir inconscient, et une activité professionnelle, à supposer qu’il pourrait correspondre aux adolescents, fait encourir le risque d’assigner à une place sociale. L’information apportée sur les formations et sur les métiers se révèle insuffisante à elle seule si elle ne prend pas en compte le désir dans sa complexité, notamment au regard de son inaccessibilité. En témoigne, la persistance du sentiment de manquer d’informations face à la quantité considérable d’informations fournies, notamment par les salons, les rencontres avec des enseignants et des professionnels, la mise à disposition de brochures ou encore le foisonnement d’informations sur internet.

D’une certaine façon, le choix vient justifier ses mobiles. Il incite à rechercher une articulation entre le passé, le présent et l’avenir afin d’en assurer la continuité. La mise en lien d’un désir repéré par l’histoire présente et passée, peut alors s’envisager dans un avenir. Une fois émis, le choix vient entériner une auto-fondation de son nom et renforcer l’autonomie. Le choix d’une orientation professionnelle constitue de ce fait une occasion de travail psychique à point nommé pour l’adolescent.

La visée de l’entretien dans le cadre du choix d’orientation professionnelle, souvent unique, est alors de mettre sur la voie pour que les adolescents soient en mesure de faire acte de décision sur la façon de prendre en compte leurs désirs. La prise de conscience de ce qui se joue sur la scène inconsciente peut de surcroît favoriser un détachement des prédéterminations sociales ou familiales, en soutenant la subjectivité. De nombreux professionnels sont désormais concernés par la question du choix d’orientation, mais compte-tenu de ses enjeux pour la subjectivité, la singularité de la position du psychologue pour accompagner le travail psychique qu’il sous-tend trouve toute sa légitimité.

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  • Super, D. et. al. (1963). Career Development: self-concept theory New York: College Entrance Examination Board.
  • 1
    Pour une synthèse des concepts de la psychologie de l’orientation, se référer aux ouvrages de Guichard et Huteau (2001, 2005).
  • 2
    Le choix d’orientation est associé à des valeurs importantes pour notre société contemporaine ce qui renforce singulièrement le poids de la demande sociale à son égard.
  • 3
    Lacan introduit cette distinction à partir de 1973 dans son séminaire L’étourdit.
  • 4
    Dans la terminologie lacanienne, le père symbolique renvoie à une fonction, en référence à la délimitation de l’interdit œdipien. Il ne doit pas être confondu pas avec le père existant dans la réalité. Le père réel, celui qui intervient dans la réalité, soutient néanmoins le père symbolique, dans la mesure où il peut l’incarner. Le père imaginaire, quant à lui, est de nature fantasmatique. Il paraît à la fois tout puissant, mais représente la figure qui comble le désir de la mère, au point d’en priver l’enfant. Ce pouvoir lui vaut d’être craint et de représenter aux yeux de l’enfant l’image idéale, celle qui lui sert de support à l’identification.
  • 5
    Selon la trilogie lacanienne, le réel correspond à ce qui résiste à la symbolisation, à l’irreprésentable. Le symbolique est du champ du signifiant et du langage. L’imaginaire renvoie à l’image, image que le sujet à de lui-même, ou encore à la façon dont nous nous représentons la réalité. Il se construit avec le stade du miroir.
  • 6
    Avec son écriture, Joyce établit une véritable recherche sur la langue anglaise en explorant ses possibilités. Il tend à extraire l’énigme de la langue anglaise par de nombreux procédés : parodie, pastiche, recours au symbolisme, néologisme, emploi de mots valises, allusion, citation, associations d’idées, utilisation de plusieurs langues, de jeux de mots ou encore, rassemblements de citations, de slogans publicitaires ou d’extraits de journaux… Le sens de ses textes est en soi véritablement forclos. Il écrit ainsi à propos du personnage qui le représente: “en toute chose, il cherchait à percer jusqu’au cœur, le siège de la signification” (1944/1982, p. 345).
  • Financiamento/Funding: A autora declara não ter sido financiado ou apoiado / The author has no support or funding to report.
Editores do artigo/Editors: Profa. Dra. Ana Maria Rudge e Profa. Dra. Sonia Leite

Publication Dates

  • Publication in this collection
    Oct-Dec 2016

History

  • Received
    11 Apr 2016
  • Accepted
    15 July 2016
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