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L'Américanisme français au début du XXème siècle: projets politiques, muséologie et terrains brésiliens

Abstracts

Il s'agit évaluer l'importance des travaux américanistes et celle des chercheurs français dans la constitution d'un réseau international de recherche au début du XXème.s. Nous essaierons de comprendre comment se forme ce champ disciplinaire spécialisé, centré sur les populations indigènes dans leurs singularités culturelles et sociales. L'évaluation des fondements méthodologiques à l'origine des collections muséales peut être réalisée à la lumière des conditions dans lesquelles émergent les recherches empiriques: la collecte et l'étude de la culture matérielle ont été priorisées pour être les témoins de la diversité des sociétés humaines. Pour cela, de jeunes collaborateurs chargés de collecter des objets pour le Musée de l'Homme ont été engagés; ils devaient aussi compenser l'absence de connaissances sur les « cultures indigènes de l'Amérique ». Les deux missions Lévi-Strauss (1935 et 1938) intègrent ce projet d'inventaire de la culture matérielle et marquent le début d'une nouvelle phase de l'Américanisme intéressé par l´étude des structures sociales. Nous irons mesurer l'importance de ce changement de direction pour les recherches américanistes en Amazonie et pour la consolidation d'un réseau international de recherche qui se constitue avant la Deuxième guerre mondiale. Une telle étude documentaire qui questionne l'objet ethnographique 'muséologisé' s'avère importante car elle permet de relire l'histoire de la discipline, vu l'importance du contexte historique, des enjeux politiques, de la place des travaux américanistes au Brésil et en France. Il est encore possible de définir les limites d'une anthropologie qui s'autonomise, se repense et prend position face aux états coloniaux et aux services de protection aux indiens.

Americanisme; Anthropologie française; Muséologie


Propomos avaliar a importância dos estudos americanistas e o papel dos pesquisadores franceses na constituição de uma rede de pesquisa internacional no início do séc. XX. Tentaremos entender como se formou este campo disciplinar especializado, centrado nas populações indígenas nas suas singularidades culturais e sociais. A análise dos fundamentos metodológicos na origem das coleções museais pode ser realizada à luz das condições nos quais apareceram as pesquisas empíricas: a coleta e o estudo da cultura material foram privilegiados por serem testemunhos da diversidade das sociedades humanas. Para isto, foram contratados jovens colaboradores encarregados de coletar objetos para o Musée de l'Homme e suprir a ausência de conhecimento sobre as "culturas indígenas da America". As duas missões "Lévi-Strauss" (1935 e 1938) integram este projeto de inventário da cultura material e marcam o início de uma nova fase do Americanismo voltado agora para o estudo das estruturas sociais. Iremos avaliar a importância dessa mudança de foco para as pesquisas americanistas na Amazônia e a consolidação de uma rede de pesquisa internacional antes da Segunda Guerra Mundial. Um estudo documental desta natureza que questiona o objeto etnográfico museologizado se torna importante para reler a história da disciplina, sabendo da importância do contexto histórico, dos embates políticos e do lugar dos trabalhos americanistas no Brasil e na França. É ainda possível definir os limites de uma antropologia que se autonomisa, se repensa e toma posição frente aos estados coloniais e aos serviços de proteção aos índios.

Americanismo; Antropologia francesa; Museologia


This article aims to evaluate the importance of Americanist studies and the place of French researchers in the constitution of an international research network in the early 20th century. We try to understand how this disciplinary field emerged centered on the native American people, especially their cultural and social specificities. An analysis of the methodological underpinnings of the first collections reveals that special attention was given to the collection and the study of material culture since it bore witness to the diversity of human societies. Young collaborators were hired to be in charge of and to analyze the collection of objects for the Musée de l'Homme in order to fill the lacuna of knowledge of the "native Americans cultures". Lévi-Strauss' two missions (1935 and 1938) to make the inventory of the material culture that were part of this project inaugurated a new phase of Americanist studies, focussed on the study of social structure. We evaluate the importance of this change for Americanist research in the Amazon and the consolidation of an international research network that came into being prior to the Second World War. Such a documental review, which questions the 'museologized' ethnographic object, is important because it allows us to reread the history of the discipline, in the light of the importance of the historical contexts, political debates and the place of Americanist studies in Brazil and in France. It is also possible to define the limits of an anthropology which becomes autonomous and takes a critical position in relation to colonial states and welfare services provided to native Americans.

Americanism; French Anthropology; Museology


L'Américanisme français au début du XXème siècle: projets politiques, muséologie et terrains brésiliens1 1 Cet article est le résultat d'une réflexion sur l'Américanisme français, menée dans le cadre d'un stage post-doctoral financé par la CAPES qui a été réalisé au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (LAHIC), entre 2009 et 2010, sous la direction de Daniel Fabre. Cette recherche bibliographique et d'archives s'appuie sur une vaste littérature existante sur le sujet. En particulier, j'ai consulté avec profit la brillante biographie de Paul Rivet élaborée par Christine Laurière (2008) qui m'a guidée dans les méandres de l'histoire de la Société des Américanistes, qu'elle en soit vivement remerciée. J'ai dépouillé le Journal de la Société des Américanistes, en particulier les articles portant sur le Brésil qui ont été publiés entre 1928 (moment où Paul Rivet est élu à la chaire d'anthropologie au Muséum) et 1945. J'ai consulté les fonds de la bibliothèque du Muséum National d'Histoire Naturelle où sont déposés les documents administratifs du Musée de l'Homme (MH) et enfin, à la Bibliothèque nationale (BN), le fonds « Lévi-Strauss » qui, à l'époque était en cours de classement. Je remercie chaleureusement Jacques Galinier, mon maître, pour les suggestions apportées à ce texte.

Julie A. Cavignac

PPGAS - UFRN

RESUMÉ

Il s'agit évaluer l'importance des travaux américanistes et celle des chercheurs français dans la constitution d'un réseau international de recherche au début du XXème.s. Nous essaierons de comprendre comment se forme ce champ disciplinaire spécialisé, centré sur les populations indigènes dans leurs singularités culturelles et sociales. L'évaluation des fondements méthodologiques à l'origine des collections muséales peut être réalisée à la lumière des conditions dans lesquelles émergent les recherches empiriques: la collecte et l'étude de la culture matérielle ont été priorisées pour être les témoins de la diversité des sociétés humaines. Pour cela, de jeunes collaborateurs chargés de collecter des objets pour le Musée de l'Homme ont été engagés; ils devaient aussi compenser l'absence de connaissances sur les « cultures indigènes de l'Amérique ». Les deux missions Lévi-Strauss (1935 et 1938) intègrent ce projet d'inventaire de la culture matérielle et marquent le début d'une nouvelle phase de l'Américanisme intéressé par l´étude des structures sociales. Nous irons mesurer l'importance de ce changement de direction pour les recherches américanistes en Amazonie et pour la consolidation d'un réseau international de recherche qui se constitue avant la Deuxième guerre mondiale. Une telle étude documentaire qui questionne l'objet ethnographique 'muséologisé' s'avère importante car elle permet de relire l'histoire de la discipline, vu l'importance du contexte historique, des enjeux politiques, de la place des travaux américanistes au Brésil et en France. Il est encore possible de définir les limites d'une anthropologie qui s'autonomise, se repense et prend position face aux états coloniaux et aux services de protection aux indiens.

Mots-clés: Americanisme; Anthropologie française; Muséologie

RESUMO

Propomos avaliar a importância dos estudos americanistas e o papel dos pesquisadores franceses na constituição de uma rede de pesquisa internacional no início do séc. XX. Tentaremos entender como se formou este campo disciplinar especializado, centrado nas populações indígenas nas suas singularidades culturais e sociais. A análise dos fundamentos metodológicos na origem das coleções museais pode ser realizada à luz das condições nos quais apareceram as pesquisas empíricas: a coleta e o estudo da cultura material foram privilegiados por serem testemunhos da diversidade das sociedades humanas. Para isto, foram contratados jovens colaboradores encarregados de coletar objetos para o Musée de l'Homme e suprir a ausência de conhecimento sobre as "culturas indígenas da America". As duas missões "Lévi-Strauss" (1935 e 1938) integram este projeto de inventário da cultura material e marcam o início de uma nova fase do Americanismo voltado agora para o estudo das estruturas sociais. Iremos avaliar a importância dessa mudança de foco para as pesquisas americanistas na Amazônia e a consolidação de uma rede de pesquisa internacional antes da Segunda Guerra Mundial. Um estudo documental desta natureza que questiona o objeto etnográfico museologizado se torna importante para reler a história da disciplina, sabendo da importância do contexto histórico, dos embates políticos e do lugar dos trabalhos americanistas no Brasil e na França. É ainda possível definir os limites de uma antropologia que se autonomisa, se repensa e toma posição frente aos estados coloniais e aos serviços de proteção aos índios.

Palavras-chave: Americanismo; Antropologia francesa; Museologia

ABSTRACT

This article aims to evaluate the importance of Americanist studies and the place of French researchers in the constitution of an international research network in the early 20th century. We try to understand how this disciplinary field emerged centered on the native American people, especially their cultural and social specificities. An analysis of the methodological underpinnings of the first collections reveals that special attention was given to the collection and the study of material culture since it bore witness to the diversity of human societies. Young collaborators were hired to be in charge of and to analyze the collection of objects for the Musée de l'Homme in order to fill the lacuna of knowledge of the "native Americans cultures". Lévi-Strauss' two missions (1935 and 1938) to make the inventory of the material culture that were part of this project inaugurated a new phase of Americanist studies, focussed on the study of social structure. We evaluate the importance of this change for Americanist research in the Amazon and the consolidation of an international research network that came into being prior to the Second World War. Such a documental review, which questions the 'museologized' ethnographic object, is important because it allows us to reread the history of the discipline, in the light of the importance of the historical contexts, political debates and the place of Americanist studies in Brazil and in France. It is also possible to define the limits of an anthropology which becomes autonomous and takes a critical position in relation to colonial states and welfare services provided to native Americans.

Keywords: Americanism; French Anthropology; Museology.

« La France, la famille, les amis, Paris ! Mais les joies du retour sont de courte durée. Quand on a vécu la vie sauvage, la vie civilisée désenchante. Il faut se remettre à compter, calculer, s'inquiéter du lendemain, de l'avenir. Il faisait si bon se laisser vivre là-bas, dans les maisons indiennes des prairies, indifférent, délivré. Chasser, pêcher, sans besoins, sans chefs, dans la liberté absolue, dans l'égalité véritable, indépendant, calmé, dans le vaste désert, sous le sourire du ciel équatorial, oubliant, oublié ! (...) Mais, n'est pas sage qui veut. Il y a les fatalités du tempérament. La vie est morne et sans couleur, surtout la vie normale. Il faut de l'action, l'action pour l'action, l'action intense et hors de mesure. Mais on ne peut s'abstraire à soi même. Donc, tout pèse. C'est pourquoi on appelle à son aide la fièvre, la sainte fièvre, qui fait vivre plus fort et plus vite. Dans ces conditions, à moins d'une spéciale de Boudha, d'ellébore ou de paralysie, il n'y a pas moyen de mettre en pratique la philosophie de Candide ».

Henri A. Coudreau, 1886, Voyage au Rio Branco, aux Montagnes de la Lune, au haut Trombetta (mai 1884-avril 1885), Rouen: Imprimerie de l'Espérance Cagniard, pp. 134-135.

L'histoire de l'ethnologie française revisitée hors des frontières nationales se limite souvent à l'évocation des courants théoriques, laissant peu de place aux figures moins connues de l'académie, aux actions entreprises par les pères fondateurs de la discipline, à l'histoire des institutions créées entre les deux guerres et au contexte politique troublé de l'époque. Pourtant, les musées et les instituts de recherche qui ont formé les premiers ethnographes professionnels ont joué un rôle capital dans l'émergence d'une anthropologie qui laissait une place de choix aux objets et à leur collecte puisqu'elle s'est tout d'abord tournée vers l'étude des techniques et de la vie matérielle des peuples étudiés - l'archéologie était alors associée aux collectes ethnographiques et à l'étude des langues. Organisé en fonction d'un projet colonial et conçu à partir par de présupposés naturalistes, le musée était un complément obligatoire de la recherche académique et devait être la vitrine des peuples administrés par l'État républicain, présentant, sur un mode éducatif, la vie des populations à éduquer et à assimiler à un ensemble national, la France des colonies (L'Estoile 2007).

Au début du XXe. siècle, on assiste à la naissance d'un projet scientifique qui était accompagné d'une réelle préoccupation de la description circonstanciée de la réalité sociale, une grande partie des travaux académiques produits par les chercheurs de l'époque traitant des techniques et de la culture matérielle des sociétés « primitives » ou de la France rurale et de son folkore. Partant d'un présupposé évolutionniste qui aborde l'histoire de l'humanité par les degrés de technicité et les productions matérielles des sociétés humaines, les études étaient liées à la constitution de collections ethnographiques et à l'organisation de missions scientifiques commandées à des collaborateurs éventuels, à des jeunes chercheurs et à des ethnographes dilettantes formés par « l'École française ». Cette préoccupation est particulièrement visible dans les premières études américanistes qui s'engagent dans une quête des restes de sociétés de « hautes cultures », notamment la métallurgie et la céramique, dont la dispersion devrait aider à élucider l'énigme de l'histoire de l'Amérique. L'examen des fondements méthodologiques qui ont été à l'origine des collections muséales, encore visibles par tous dans les musées parisiens qui visaient l'exploitation systématique des productions culturelles des sociétés humaines, doit maintenant être réalisé à la lumière des conditions dans lesquelles émergent un vaste matériel empirique, domaine jusque là peu exploré par les historiens de la discipline. Il s'agit donc ici d'évaluer l'importance des travaux américanistes et, notamment, celle des chercheurs français dans la constitution d'une problématique anthropologique autour de l'objet et d'un réseau de solidarité scientifique international. Nous essaierons, par la même occasion, de comprendre comment s'est constitué un champ disciplinaire spécialisé, jusque là centré sur les populations indigènes et leurs singularités culturelles et sociales. Une telle étude documentaire s'avère importante pour redécouvrir l'histoire de la discipline, au vu de l'importance du contexte historique, des enjeux politiques de l'époque, des travaux américanistes réalisés au Brésil et sachant la place de choix réservée à l'objet ethnographique 'muséologisé' dans la formation de la discipline, importance qui a été quelque peu oubliée dans les rétrospectives classiques (Jamin 1985). Nous verrons encore comment l'anthropologie française qui, à l'époque s'autonomise des études raciales, se repense et s'engage, devançant même parfois les mouvements d'émancipation politique des peuples colonisés; lorsqu'elle se tourne vers l'Amérique, la discipline s'affranchit des intérêts coloniaux traditionnels, porte un regard davantage critique sur la situation des populations natives, posture qui annonce de nouvelles perspectives théoriques revendiquant un regard humaniste sur le monde.

L'exception de l'Américanisme français

Le Dr. Paul Rivet, qui s'était rendu en Équateur comme membre d'une mission géodésique en 1901, se passionna pour l'ethnographie et après six années de séjour, rapporta en France les éléments de son Ethnographie ancienne de l'Équateur. Il consacra le reste de sa vie à l'ethnographie et à la linguistique sud-américaines, ainsi qu'à la création et à la direction du musée de l'Homme (Poirier 1968: 113)

En France, comme dans les autres pays européens, les premières missions ethnographiques officielles sont réalisées de préférence dans les colonies.2 2 On peut considérer la Mission Dakar Djibouti (1931) comme étant le modèle des expéditions ethnographiques qui sera suivi par les chercheurs français pendant la période qui précède la seconde guerre mondiale et qui est marquée par une rénovation des cadres et de l'esprit de la recherche (Meyran 2002; Laurière 2008). C'est ce qui explique que le continent africain et, dans une moindre mesure, l'Océanie occupent le devant de la scène jusqu'à l'apogée du structuralisme qui va donner ses lettres de noblesse aux études américanistes.

Le Brésil des indiens

Toutefois, l'ensemble des travaux cités aux paragraphes précédents se ramènent à quelques données linguistiques - limitées généralement à de médiocres vocabulaires - et à une description de la culture matérielle, soigneusement entreprise dans Rondonia. Nulle part, il est question de la vie familiale et de l'organisation sociale. (Lévi-Strauss 1948: 2)

Voyageurs, médecins, missionnaires et linguistes rapportent, dès le XIXe. siècle, des informations sur les groupes indigènes, écrivent des relations de voyage, élaborent des cartes. Nous nous limiterons à citer ceux qui ont laissé des descriptions de voyage ou des notes sur les langues et grammaires, comme Francis de Castelnau (1843-1847), Paul Margoy (1848-1860), Jules Crevaux (1877-1882), Henri Coudreau (1884-1899) et sa femme Octavie (1889-1906), Lucien Adam, en 1896, ou encore le spiritain Tastevin qui deviendra un membre actif de la Société des américanistes fondée en 1895 et fera une courte carrière académique à son retour en France. Quelques pionniers de l'ethnographie dilettante figurent parmi les américanistes, Hamy, Nordenskiöld et Créqui-Montfort peuvent être considérés comme les fondateurs de cet effort descriptif. Mais ces recherches sont marquées par l'empirisme, l'absence de méthode et souffrent d'une situation financière précaire des sociétés savantes car les chercheurs doivent compter sur les donations des bienfaiteurs ou sur leurs propres ressources pour financer leurs expéditions (Laurière 2009; Castro 1992).

Dès 1824, la Société de Géographie finance des travaux sur le continent Américain, devançant les ethnographes: au Texas, en Floride, au Brésil puis, en 1856, au Pérou, au Paraguay, au Mexique et en Amérique Centrale (Riviale 1995). Le premier article publié sur le Brésil dans le Journal de la Société des Américanistes date de 1905 et il s'agit d'archéologie.3 3 Il s'agit de l'article écrit par de E. Thamy (1905): «Deux pierres d'éclair (pedras de corisco), de l'État de Minas-Geraës, Brésil», Journal de la Société des Américanistes, 2, 1: 323 - 325. P. Rivet commence ses activités au Journal de la Société des Américanistes en 1907. Pour avoir une idée de l'ensemble de ses activités, on pourra consulter avec profit la chronologie disponible dans le dossier de presse de l'ouvrage de Christine Laurière (2008): http://www.mnhn.fr/museum/front/medias/dossPresse/14837_HD_rivet.pdf. Nous ferons désormais référence au Journal et à la Société des Américanistes comme le Journal et la Société. Ceux qui revendiquent une démarche scientifique font référence aux théories en vogue (Gobinisme et Darwinisme social), rassemblent des informations ayant trait à l'ethnographie qui est alors définie comme l'étude des mœurs, des us et croyances d'un peuple. La linguistique, l'archéologie, l'anthropologie et la paléontologie doivent encore aider à répondre à « la grande question de l'origine de l'homme américain et de sa civilisation » et à celle de la « formation des diverses races humaines »; leurs articles sont systématiquement lus par les spécialistes comme Erland Nordenskiöld et Paul Rivet à partir des années 1920 (Bossert et Villar 2007; Poirier 1968: 116-119; Rivet 1924; Vignaud 1919: 2-4).

On s'aperçoit donc que la réflexion américaniste des années 1920 à 1930 se concentre sur les questions de linguistique et d'archéologie: pour le Brésil, Constant Tastevin, Theodor Koch-Grünberg, « l'explorateur philologue de l'Amazone », Curt Nimuenadju et Cestmir Loukotka publient régulièrement dans le Journal de Paul Rivet, faisant l'inventaire des langues et des cultures indigènes d'Amazonie (Vignaud 1919: 9). De fait, les premières recherches ethnographiques menées au Brésil qui reçoivent un financement de l'État français sont toutes localisées en Amazonie et datent du début du XXe. siècle, notamment avec les voyages du Père Tastevin. Celui-ci rapportera des objets pour le Musée du Trocadéro - il reste au séminaire de Tefé entre 1906 et 1926 - et, à son retour à Paris, il occupe la chaire d'ethnologie à l'Institut Catholique de Paris. Connu pour ses travaux sur les langues des populations amazoniennes et sa fructueuse collaboration avec P. Rivet, il reçoit des aides du Ministère de l'Instruction Publique (Cunha 2009; PetitJean 2001: 74-75; Faulhaber 1997, 2005; Faulhaber e Monserrat 2008).5 5 Dans une lettre de H. Lévy-Bruhl, dâtée du 09/03/1921 à P. Rivet, il est fait mention de fonds annuels alloués à Tastevin pour ses recherches (MHN, 2AP1D).

Paul Rivet ira révolutionner l'anthropologie américaniste de l'intérieur, notamment après la première guerre mondiale, car il rénove la Société en associant les actions de recherche menées par le musée de l'Homme qui compte sur une équipe de volontaires et se sert de ses appuis politiques pour solliciter des financements publics et privés (Jamin 1989a; Laurière 2008: 413). Jusqu'à la création de l'Institut d'ethnologie, en 1925, et l'arrivée de Paul Rivet à la direction du Musée du Trocadéro, en 1928, les connaissances des populations amérindiennes et la constitution des collections muséographiques sont encore dues aux explorateurs et aux missionnaires qui sont membres, et souvent bienfaiteurs, de la Société des Américanistes (Dias 1991; Hamy 1890; Taylor 1984). L'exposition « Les arts anciens de l'Amérique » organisée par Alfred Métraux et Georges Henri Rivière en 1928 au Musée des Arts décoratifs, situé alors au Palais du Louvre, connaît un vif succès auprès du grand public et annonce le projet de création d'un musée moderne:

Une de ses plus belles réussites fut sans doute le Musée de l'Homme; pour remplacer la poussiéreuse et incommode galerie qui avait nom Musée du Trocadéro, il finit par obtenir la construction d'un immeuble spacieux, digne de son objet et de notre capitale. Il en fit un centre d'enseignement de l'anthropologie, en donnant à ce mot le sens large qu'il désirait lui voir reconnu. C'est ainsi qu'à la chaire d'anthropologie du Muséum fut rattachée la direction du Musée, tandis que les collections du Muséum se rapportant à l'étude de l'homme recevaient une place à côté des pièces d'archéologie et d'ethnographie du Musée (Harcourt 1958: 10).

C'est une véritable équipe formée par Paul Rivet et Georges-Henri Rivière, soudée autour des mêmes idéaux et des mêmes tendances politiques qui met en place un vaste programme de recherche et de diffusion des informations scientifiques; étudiants et jeunes chercheurs, bénévoles pour la plupart d'entre eux, aident à organiser les collections du Musée du Trocadéro et sont envoyés en mission à l'étranger, tout se professionnalisant sur le tas. De fait, les années de l'entre-deux-guerres iront révolutionner l'anthropologie en France: le Brésil apparaît alors comme l'un des endroits où il est urgent de réaliser des recherches de terrain, de faire des fouilles et de collecter des objets pour constituer les collections ethnographiques jusqu'alors inexistantes.

Néanmoins, le nouveau projet scientifique qui se dessine comme étant celui de l'étude des peuples amérindiens et de leur histoire suit encore de près la direction des travaux portant sur les populations indigènes des pays sous domination coloniale et se propose de percer le mystère de leur origine. Le nouveau musée se présente alors comme une espèce de caution scientifique à la souveraineté de la Nation toute puissante (L'Estoile 2007). Cet argument est visiblement avancé pour capter des crédits de recherche même s'il correspond à l'esprit du temps et semble disparaître peu à peu à partir du Front Populaire, moment favorable pour le développement de l'ethnologie et des musées qui correspond aux départs des premiers ethnographes sur le terrain et à une prise de position critique vis-à-vis des autorités nationales en ce qui concerne les populations natives (Grossi et alli. 2006).

Idéalisme scientifique et ethnographie

Il serait intéressant qu'une étude ethnographique sérieuse des Canoeiros fût faite le plus vite possible (...) une enquête sur eux fournirait sans doute les éléments d'un beau livre comme celui que E. Nordenskiöld a écrit sur la civilisation des Ciriguano (Rivet 1924: 175).

C'est un projet ambitieux qui se met en place, utopique et au début marginal, dont les résultats ont été sous-estimés dans l'histoire de la discipline; le groupe de chercheurs ayant souffert des conséquences de la première guerre mondiale. Dans les années 1930, la « bande Rivet » s'organise et profite de la montée au pouvoir de Léon Blum pour matérialiser un projet d'avant-garde où l'on perçoit le souffle de la révolution bolchevique. C'est dans cet esprit que sont envoyés sur le terrain des jeunes chercheurs sans expérience, dans le but de collecter des informations d'ordre linguistique ou ethnographique et de faire des fouilles.

Néanmoins, ceux-ci reçoivent avant de partir, une formation en suivant les cours de M. Mauss, ou, à défaut, les conseils de leurs professeurs: Métraux, le premier, formé à la prestigieuse École des Chartes, part en 1928 en Argentine, en Bolivie et, dès son retour en France, en 1934, est envoyé sur l'île de Pâques; le couple Lévi-Strauss, jeunes agrégés, partent au Brésil en 1934, Dina ayant suivit les cours de Mauss. Après la création de l'École française de Mexico, plusieurs chercheurs obtiennent bourses et financements: Robert Ricard part le premier, en 1929, puis François Weymuller, suivit de Soustelle et de son épouse qui restent au Mexique entre 1932 et 1934, et de Guy Stresser-Péan qui peut faire du terrain jusqu'à la veille de la guerre dans l'est du pays (1936-1938). De fait, pendant ces années qui précèdent le nouveau conflit mondial et même pendant les années d'exil, il existe une intense collaboration entre les chercheurs européens et américains « spécialistes de l'Amérique » grâce aux revues et aux instituts de recherche qui sont le principal vecteur de la production scientifique.

Le Père Tastevin, qui se situe à mi-chemin entre le vieil Américanisme et la recherche académique, collabore étroitement avec P. Rivet dans ses recherches sur les langues amérindiennes des les premières années du vingtième siècle; celui-ci participe comme médecin militaire à la mission géodésique en Équateur (1901-1906), est régulièrement invité à faire des conférences en Amérique latine entre 1927 et 1939, fait des recherches ethnographiques et archéologiques en Colombie (1941-1943) et au Mexique (1943-1944), pendant son exil (Laurière 2008). De fait, pendant toute cette période, il existe une intense collaboration entre les chercheurs européens et américains « spécialistes de l'Amérique » grâce aux revues qui sont le principal vecteur de la production scientifique, en particulier, le Journal dirigé par Rivet qui rend compte des actualités scientifiques et ne cesse pas d'être publié, même sous l'Occupation.8 8 Une lettre de Boas à Rivet datée du 23/08/1919 informe que le professeur installé aux États-Unis aide à la publication du Journal en trouvant des financements, mais il n'y a pas de détails sur les donateurs. On peut cependant penser qu'il s'agit de la Fondation Rockefeller sachant la proximité de Boas avec les représentants de la fondation philanthropique (photocopies, fonds Rivet, MH, 2AP1C et D).

Il semble en effet important d'insister sur le fait que, sur les terrains américains, les chercheurs français ne pouvaient pas compter sur la présence de l'appareil d'État et la collaboration des autres partenaires de la mission colonisatrice (agents coloniaux, fonctionnaires, missionnaires, etc.) et qu'ils souffraient d'un certain ostracisme (Faulhaber 1997). Néanmoins, qu'elles soient culturelles, éducatives ou militaires, les missions françaises ou les œuvres de coopération portent encore la marque d'un projet impérialiste qui doit s'adapter aux contextes locaux et aux administrations tatillonnes (Grupioni 1998). En fait, il apparaît clairement que les jeunes intellectuels se sentaient chargés d'une mission civilisatrice ou, tout au moins, qu'ils étaient porteurs d'un idéal progressiste. Cet esprit utopique se doublait, au niveau politique, d'un projet d'institutionnalisation de l'Américanisme; c'est ce qui explique les missions universitaires et les implantations, en divers pays d'Amérique Latine, des instituts de recherche et l'absence de programmes de recherches français après la seconde guerre mondiale en dehors de l'Amazonie.9 9 En cela, une grande partie de l'œuvre de Roger Bastide est exemplaire: pendant la plupart de son séjour au Brésil (1938-1954), avec la « fin des missions » à la déclaration de la guerre, il n'était pas intégré à un échange académique à proprement parler.

Un secteur du gouvernement, le Service des Œuvres Françaises à l'Étranger fondé en 1920, était chargé des relations de coopération éducatives et scientifiques. Il dépendait du Ministère des Affaires Étrangères, tout comme la mission universitaire qui a amené C. Lévi-Strauss et R. Bastide au Brésil (Lefebvre 1990). Lors de l'accès au pouvoir des socialistes, l'«humanisme rationaliste » détermine l'action des ministères: dès 1936, Léon Blum développe des actions éducatives, culturelles et de loisir « populaires ». On peut citer le premier congrès international de folklore, l'exposition universelle et l'ouverture du Musée de l'Homme, en juin 1938 qui a été un évènement mondain mais qui est devancé par une inauguration « ouvrière du Musée de l'Homme » où sont invités les « camarades de la pierre », la section mécanique du Trocadéro les familles des plâtriers et artisans de tout poil qui ont travaillé au chantier (Velay-Vallantin 1997).10 10 Voir le dossier « Manifestations organisées par le Musée d'ethnographie / Musée de l'homme »: MH, 2AM1 C1 à 2AM1 C9. Ces mises en spectacle de la culture « des autres » prennent modèle sur l'Exposition Coloniale de 1931 qui jouit de la vogue de l'exotisme et a surtout servi à montrer la puissance de la France par rapport aux autres nations « primitives » (Laurière 2008: 403-410; L'Estoile 2007). Cependant, il est indéniable qu'une recherche esthétique et qu'un esprit de démocratisation du savoir sont à la base de ces entreprises qui, à l'époque, apparaissent comme étant d'avant-garde.

La vie en Société

Enfin M. d'Harcourt, accompagné au piano par Mme d'Harcourt, interprète avec un grand sens artistique une série de chants indiens de l'Equateur, du Pérou et de la Bolivie harmonisés avec beaucoup de talent par l'accompagnatrice. Cette audition originale, très goûtée et très applaudie par l'auditoire, termine cette belle séance, au cours de laquelle ont été nommés à l'unanimité membres titulaires: Mme. Marie Fernandez de Tinoco et Maxwell (...) (Actes de la Société 1920: 217).

Pour comprendre l'anthropologie française du début du XXe. siècle, il semble nécessaire de rappeler l'engagement intellectuel des auteurs afin de saisir l'importance des tensions existantes à l'intérieur du champ disciplinaire et la teneur du combat contre le racisme; combat qui était à mener en priorité à l'intérieur des institutions scientifiques des différents pays d'Europe et d'Amérique.

Les travaux américanistes sont souvent critiqués pour leurs aspects passéistes associés à une idéologie régnante, cautionnant la domination des populations asservies par l'État français et un manque cruel de références théoriques (Riviale 1995: 215, 225; Descola & Taylor 1993: 17). Néanmoins, selon nous, ces critiques doivent être relativisées, car elles effacent l'effort réalisé pour la mise en place de projets institutionnels ambitieux dès les premières décennies du XXème siècle; idées généreuses et révolutionnaires pour l'époque mais qui n'ont pas pu être toutes concrétisées par la force des évènements historiques.11 11 Pour l'importance du travail ethnographique lors de l'émergence de la discipline en France, il est important de citer l'œuvre de M. Leenhardt. Cf.: Cavignac 2006 in: Grossi et alli., 25-81. Il s'agit d'abord d'un projet français, les ethnologues bénéficiant d'un climat politique favorable sous le Front populaire, mais rapidement, et avec la mise en place d'instituts de recherche et de revues spécialisées, les relations scientifiques s'internationalisent.

Les premiers américanistes qui adoptent une perspective anthropologique non racialiste sont néanmoins encore orientés par des préoccupations de reconstitution de l'histoire des sociétés primitives grâce à l'analyse comparée entre les découvertes archéologiques et les artefacts. Ils adoptent une perspective culturaliste qui privilégie l'objet comme témoin de la vie sociale et culturelle, accompagnant les enseignements du théoricien de l'École Française, Marcel Mauss (1967) et celles du précurseur du travail ethnographique aux États-Unis , Franz Boas. Ces idées ont inspiré les recherches ethnographiques portant sur les populations indigènes du continent américain qui seront été réalisées ultérieurement. Nous nous apercevons, en effet, que, dès les premières années du XXe. siècle, « l'École française d'ethnologie » reçoit des influences directes de l'Amérique du Nord. Dès 1908, nous trouvons régulièrement des comptes-rendus d'ouvrages de F. Boas dans le Journal écrits par des membres de la société, ce qui prouve l'existence de liens entre les institutions et l'importance des travaux américains pour la formation des chercheurs français et des professeurs qui sont invités aux États-Unis et qui participent de congrès spécialisés, comme celui des américanistes. Rivet entretient une correspondance soutenue avec F. Boas pendant plus de vingt ans et il existe des liens personnels entre les chercheurs qui partagent des intérêts et des points de vue communs - à l'exception des résultats de l'analyse de la linguistique amérindienne et de la sauvegarde des langues natives. Nous trouvons une lettre datée de 1919, écrite par Boas et adressée à Rivet où le savant exprime ses sentiments négatifs et prémonitoires sur la situation politique en Europe et à propos des soubassements de l'anthropologie physique. Même à distance, ce dialogue est intense et semble amener Rivet à se placer sur la scène française et à s'engager à corps perdu dans le combat du racisme: il revendique une « solidarité savante » et se définit comme le défenseur d'un internationalisme scientifique qui, malgré les évènements récents, inclut les chercheurs allemands (Laurière 2008: 487-518). Le dialogue va s'accentuer tout au long de ces années troublées mais, dès les années 1920, F. Boas porte un regard éclairé sur la situation politique en Europe et les périls de l'anthropologie (physique):

From this point of view nothing has saddened me more than the circular sent out by our anthropological colleagues, principally of the École d'Anthropologie, a statement dictated by uncontrolled emotion not by calm deliberation.

It is impossible to speak of this matters without speaking of the general political situation, and of what, I think, should be our aspirations as scientist. For more than thirty-five years, I have abhorred nationalism in the sense in which it has dominated the world for more than a century, -- a nationalism thas is merely a transformation of the old dynastic struggle for Power. There is no European nation that has been free of this desire. All the policies of European States, as - alas - of the United States center in this one Idea. It is a form of social thought in which all nations have participated, and all to the same extent, that has brought the world to a state of moral and economic bankruptcy. Unless we all turn to new and broader ideals we shall not save the world from further horrors. 12 12 Correspondance de Rivet à Boas (photocopies, fonds Rivet, MH, 2AP1C). On trouve plus de cent lettres échangées entre les deux hommes, 22 lettres entre 1919-1926; six d'entre-elles datent de 1919 dans lesquelles F. Boas répond à l'invitation faite par Rivet à publier dans le Journal de la Société des Américanistes et où il est fait mention d'échanges entre les revues françaises et américaines mais aussi de subventions reçues par le biais de Boas pour rendre possible la publication du Journal après l'arrêt d'aides gouvernementales (Laurière 2008: 513-518).

Ces paroles prophétiques montrent la clairvoyance de Boas en relation à la situation économique et politique internationale. Rivet qui est entré à la SFIO en 1919, semble sensible aux arguments de Boas. Vingt ans plus tard, après l'éviction de Rivet du Musée de l'Homme, le clan des « anthropologues » refait surface et restera aux commandes de la recherche jusqu'à la Libération:

L'étude de l'anthropologie, qui mène infailliblement à l'identification précise et à la dénonciation de la race juive, a fait depuis des années l'objet d'une véritable conspiration du silence (...) Un des hommes qui furent chargés par le clan judéo-maçonnique d'escamoter l'étude des races humaines et de travestir le racisme en une doctrine de violences et de brimades fut le trop célèbre politicien-cumulard professeur Paul Rivet qui vient d'être chassé du Muséum par le maréchal Pétain. Mais il reste, au Musée de l'Homme du Trocadéro et ailleurs, quelques sous-étouffeurs qui continuent sournoisement l'œuvre du Rivet... déboulonné. (...) Nous avons besoin de raciologues pour jeter les bases d'une défense du sang français. Nous n'irions tout de même pas les chercher parmi les pires enjuivés !13 13 Journal Cri du Peuple (12/12/1940) "Coups de balai. Va-t-on remplacer Paul Rivet para un sous-Rivet?" (Coupures de presse 1940, MHN: 2AM1B3). Pour une analyse du contexte de la recherche ethnologique sous l'Occupation, voir l'article de Daniel Fabre (1997).

Rapidement après l'exil de Rivet en Amérique, le réseau de résistance du Musée de l'Homme sera démantelé avec l'arrestation, la déportation ou même l'exécution de plusieurs membres de l'équipe, Mauss sera mis à la retraite et la plupart des américanistes français devront quitter le pays. Mais, rapidement, les activités de la Société reprennent: à Paris, et malgré l'absence de son secrétaire général, les membres se réunissent régulièrement, rendent compte de leurs travaux et le Journal est publié pendant toute l'Occupation.14 14 Voir les « Actes de la Société » et « Mélanges et nouvelles Américanistes », Journal de la Société des Américanistes, tome 31 à 35, 1939-1945. Après 1940, le réseau français est davantage actif à l'extérieur des frontières nationales et le réseau de solidarité fonctionne; la résistance hors de l'Hexagone s'organise et est directement liée au Général de Gaulle par le biais de Jacques Soustelle et d'autres résistants, notamment Laugier qui est en poste au Canada. M. Trebitsch (1995) et Petitjean (2001: 4) montrent l'importance d'Henri Laugier qui, à la veille de la déclaration de la guerre était directeur Service de la recherche scientifique et chef du cabinet du Ministre de l'Instruction publique (Lévi-Strauss 2008: 243). Résistant, il deviendra, après la guerre, secrétaire-général adjoint de l'ONU. On apprend, en examinant la correspondance que C. Lévi-Strauss a entretenue durant toute la guerre avec Rivet que les liens entre les précurseurs du renouveau de l'Américanisme ont été maintenus malgré les évènements: pendant toute cette période, Laugier servait d'agent de liaison entre les différents chercheurs exilés en Amérique et leur rendait service, collaborant activement au réseau d'intellectuels qui participent au projet d'expansion de la New School dans les différents pays d'Amérique latine.15 15 Voir le dossier MHN 9 a 03/03/1943.

Rivet en Colombie, Métraux et Lévi-Strauss aux Etats-Unis sont à l'œuvre, ils aident à la création d'instituts d'enseignement et de recherche: en 1941, l'élève propose à son professeur de le faire venir aux États-Unis et l'invite à participer à l'École Française des Hautes Études en Amérique qui a comme objectif mettre en relation les chercheurs, en créant des filiales dans toutes les Amériques.17 17 Rivet organisera un banquet en l'honneur de Boas, en 1937, à Paris, et fera un court séjour aux USA en 1942, invité à un déjeuner intime à Columbia University, occasion où Boas sera foudroyé par une crise cardiaque (Laurière 2008: 515-518). Déjeuner auquel Lévi-Strauss participa également. Plus tard, c'est Alfred Métraux et Robert Lowie qui invitent Lévi-Strauss aux États-Unis, grâce au financement de la Fondation Rockfeller qui fonctionne entre 1941 et 1947 (Cohen-Solal 1999: 14). Rivet accepte tout de suite, envoie son curriculum en s'excusant qu'il soit manuscrit:

(...) nous avons voulu, en groupant tous les français des deux Amériques, créer les conditions les plus favorables pour le maintien de l'influence française; et en même temps créer un organisme d'information et d'action qui puisse contribuer au développement des liens entre les Etats Unis et l'Amérique du Sud, ce que la situation politique actuelle fait apparaître comme particulièrement nécessaire. Les Américains du Nord sont animés des meilleures intentions vis-à-vis de l'Amérique Latine; mais leur inintelligence totale des problèmes qui se posent, leurs maladresses ininterrompues, sont alarmantes. Les français distribués à travers le Western Hemisphere peuvent être leurs conseillers naturels. Cela est si vrai que, pour les questions brésiliennes, je suis sans interruption obligé de répondre à des consultations des bureaux de Washington. Si le centre parvient à coordonner nos informations et notre action, je crois qu'il peut jouer ce rôle de tout premier plan dans la guerre actuelle.18 18 Lettre de Claude Lévi-Strauss à Paul Rivet, New York, 21/10/1941 (fonds Rivet, MH, 2AP1D) et sa réponse: lettre manuscrite de Paul Rivet à Claude Lévi-Strauss, Bogotá, 25/10/1941; en 1943, à son tour, Rivet insistera pour que Lévi-Strauss aille vivre au Mexique (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).

Lambitieux projet du Latin American Center souffre néanmoins de l'absence de crédits et, d'après son directeur, ses objectifs politiques ne semblent pas avoir été atteints: il sert de point de chute pour les chercheurs de passage à New York et des cours spécialisés y sont dispensés. Sous l'impulsion de Rivet, quelques instituts français sont créés, avant ou pendant la guerre, en Amérique du Sud, mais seul le Comité de la France Libre n'arrive pas à réunir les financements suffisants pour pouvoir fonctionner et doit compter sur d'autres sources de financement, probablement la fondation Rockefeller qui finançait les activités de recherches et les publications produites par ces instituts en Amérique Latine (Laurière 2008: 577-602). Comme le résultat des longues années de coopération entre la France et le Brésil, Paul Rivet et Paulo Duarte (secrétaire général) inaugurent à Paris l'Institut français des hautes études brésiliennes le 28 juillet 1945, comptant sur la présence de l'ambassadeur du Brésil, d'Henri Laugier, alors directeur Général du service des relations culturelles et du Professeur Georges Dumas responsable du départ de C. Lévi-Strauss pour le Brésil dix ans auparavant (PetitJean 2001).19 19 MH, 2AM1 C4c. Paulo Duarte est aussi le co-fondateur du Département de Culture de São Paulo avec Mário de Andrade (Lévi-Strauss 2008: 1682).

Inspirée par un humanisme rationaliste, la lutte pacifiste contre le racisme engagée par Boas et Rivet sera remplacée, dans les années d'après-guerre, par un mouvement généralisé de critique du monde occidental, des processus coloniaux et, par là, une mise en doute de la légitimité de l'anthropologie. Parallèlement, et devant la crise dans laquelle se trouvaient les sciences humaines en France à l'époque, les échanges scientifiques bilatéraux existants traditionnellement par le canal des instituts français à l'étranger, seront remplacés des politiques éducatives et culturelles internationales visant la promotion de la paix (Unesco). Pour ce qui est du Brésil, en particulier, le modèle de la « mission française » est dépassé et les recherches ayant comme objet les populations indiennes et afro-brésiliennes compteront dorénavant sur l'appui des structures institutionnelles locales et le financement des fondations américaines pour la recherche. Cependant, tout au moins pour la mise en place de ces actions, les disciples de Rivet, Métraux et Lévi-Strauss, apparaissent en première ligne, car ils sont au cœur des réseaux américanistes et de la recherche internationale, proposant un nouveau modèle pour l'ethnologie où l'analyse interprétative des faits s'appuie sur un travail de terrain minutieux (PetitJean 2001; Trebitsch 1995).20 20 Les deux chercheurs participent de la collection « La question raciale devant la science moderne » du département des sciences sociales de l'Unesco en 1952, résultat qui, pour Lévi-Strauss, sera publié sous le titre de « Race et histoire » (Lévi-Strauss 2008: XLVIII; Maio 1997; Métraux 1978: 314). Pour une discussion approfondie de la question raciale dans le Brésil du début du XXe. s., voir Schwarcz 1993. La période qui suit la deuxième guerre mondiale est marquée par l'institutionalisation de la recherche, tant en France comme au Brésil; là encore, la figure de Paul Rivet son projet de de retrouver l'origine des peuples américains continue à orienter les discussions scientifiques: « Les 'Deuxièmes rencontres intellectuelles' de São Paulo qui ont eu lieu cette année du 21 au 26 août, ont été organisées conjointement par l'UNESCO et l'IВЕС (Instituto Brasileiro de Educação Ciencia e Cultura) grâce à une initiative du grand ami du Musée de l'Homme et de la Société des Américanistes qu'est le professeur Pablo Duarte. Le thème offert en discussion était: 'L'origine de l'homme américain'. Ce choix constituait un hommage au Dr Paul Rivet, vice-président des rencontres de 1954, dont le portrait dominait l'auditoire. Dans la séance inaugurale, Pablo Duarte a évoqué le souvenir de celui qui fut pour lui le plus cher des amis, et a décrit son apport à la solution du problème du mystère des origines de l'homme américain."

La phase d'internationalisation de la recherche ethnologique correspond à l'éclatement de la Seconde guerre mondiale et au projet du Handbook. Cette série éditoriale propose un inventaire exaustif des populations, des langues et des cultures américaines. Pour comprendre les enjeux de cette entreprise d'envergure, il semble important de revenir sur les conditions de la recherche américaniste et de mesurer la participation de « l'École française » aux études brésiliennes dans les années 1930.

Exils américains

Lévi-Strauss arrive. On jurerait un juif descendu d'une peinture égyptienne: même nez et barbe taillée à la sémite. Je le trouve froid, compassé, très universitaire français. (...) Lévi-Strauss est dégoûté du Brésil. Vargas est un dictateur sans principes qui simplement tient à durer. Sa dictature est essentiellement policière. Il s'appuie successivement sur tous les partis pour les détruire lorsqu'ils sont trop influents. C'est ce qui est arrivé aux integralistas, l'année dernière. La répression a été brutale, plus violente même que celle contre les communistes. Les régions frontières sont occupées par les militaires qui y font régner un régime arbitraire et exercent une surveillance tracassière. C'est ainsi qu'il semble difficile de voyager dans la région de Corumbá. (...) Lévi-Strauss ne voit aucun espoir pour l'Amérique du Sud. Il est presque enclin à voir dans ce ratage une sorte de malédiction cosmique. Il est décidé à quitter le Brésil, où tout travail semble impossible (Métraux 1978: 42-43).21 21 Impressions d'Alfred Métraux après la rencontre avec Claude Lévi-Strauss à Santos, en 1939.

L'Américanisme tel qu'il se présentait à Paris dès les années 1920-1930, avait changé de visage par rapport à l'esprit qui l'animait quelques années auparavant: le militantisme scientifique de Paul Rivet l'inscrivait déjà dans une perspective contemporaine, mettant en avant les recherches empiriques (Laurière 2008). Or les missions ethnographiques organisées en Amérique latine, loin d'être le fait d'explorateurs isolés comme on le croit souvent, reçoivent un appui institutionnel important et suivent un même objectif: remplir le musée du Trocadéro, plus tard rebaptisé Musée de l'Homme. Plusieurs figures importantes de l'ethnologie française de l'époque participent au mouvement d'institutionnalisation de la discipline, même en dehors des frontières nationales; les deux guerres obligeant à une reconfiguration de la scène scientifique française.

Alfred Métraux, ami de Rivet et, plus tard, de Lévi-Strauss, embrasse la cause américaniste dès la fin des années 1920. Il est le premier à travailler les textes de la France Antartique et d'autres chroniques anciennes, grâce à sa formation de paléographe et d'historien - ses travaux d'ethno-histoire Tupinambá sont devenus classiques -, et c'est un des précurseurs des études ethnographiques en Amérique.22 22 Deux ouvrages d'Alfred Métraux sortent la même année (1928): « La religion des Tupinamba et ses rapports avec celle des autres tribus Tupi-Guarani » (Librairie Ernest Leroux, Paris) et « La civilisation matérielle des tribus Tupi-Guarani » (Paul Geuthner, Paris). Agent actif d'une réflexion résolument internationaliste, il mettra en pratique ses idées, puisque la grande partie de sa carrière sera menée hors des frontières de l'hexagone: il part en 1928 en Argentine où il dirige le musée de Salta, et l'Institut d'ethnologie à Tucuman, entreprend des fouilles arquéologiques sur l'île de Pâques, fait de l'ethnographie en Bolivie, au Pérou, au Brésil et en Haïti. C'est encore la cheville ouvrière du Handbook of South American Indians pendant la Seconde guerre mondiale, œuvre qui fera date et qui a vu le jour grâce à la participation active des spécialistes que Métraux invite (Lévi-Strauss, Nimuendaju, Baldus, Wagley). Continuant sa carrière académique internationale, il participe après la guerre à plusieurs projets lancés par l'UNESCO: celui, avorté, de l'Institut international de l'Hylea amazonienne au Brésil et le projet pilote d'éducation de base dans la vallée de Marbial à Haïti. En 1950, il est chargé d'étudier les problèmes raciaux au département des sciences sociales de l'UNESCO, à Paris. C'est encore lui qui met en place la mission de la Columbia University au début des années 1950. Participent de cette expérience Thales de Azevedo, Charles Wagley, Marvin Harris, W. H. Hutchinson, Ben Zimmerman et Pierre Verger, comme photographe en 1951 qui est un ami intime de l'infatigable chercheur (Métraux 1978).

Enfin, Métraux apparaît comme le modèle de l'ethnologue contemporain, à la fois homme d'institution et militant, fervent défenseur de la cause anti-raciste et des peuples autochtones, laissant derrière lui une production académique époustouflante (Laurière 2005; Rivière et alli. 1964). Chartiste et précurseur des travaux ethnographiques en Amérique, il représente la nouvelle génération de chercheurs français qui, de plus en plus, se spécialise et acquiert une formation supérieure. Il fait d'abord de l'ethnographie de sauvetage, s'invente comme archéologue, fait des mesures anthropométriques et commande des échantillons sanguins pour, plus tard, produire des travaux spécialisés:

Nos excursions nous ont permis de découvrir quelques grottes nouvelles, avec de belles sculptures et une série impressionnante de pétroglyphes à relever. Nos collections sont belles et importantes, elles représentent le matériel le plus riche trouvé dans l'île depuis le temps où l'art pascuan est mort (...). Je suis satisfait des résultats de mes enquêtes ethnographiques. Je m'emploie à former le corpus des contes, légendes et mythes de l'île que je transcris en vieux pascuan, langue toute prête à s'éteindre. J'ai même le sentiment d'être venu sur les lieux «in extremis». Ma peine n'est pas inutile, car j'ai la conviction de sauver la vieille mythologie polynésienne de l'île. J'ai fait des découvertes importantes en ce qui concerne le potlach. Difficile de vous donner une idée de ce sauvetage ethnographique. Nous venons trop tard.23 23 Lettre de A. Métraux à P. Rivet, 11/09/1934 (MH, fonds Rivet, 2AP1D).

La lecture des carnets de Métraux (1978) et ses correspondances montre qu'il existe des liens d'amitié durables entre les membres de l'équipe du Musée, et, malgré les évènements, ceux-ci restent en contact: solidarité intellectuelle et affective qui marquera le destin des chercheurs de l'époque et qui explique certaines trajectoires individuelles.

Grâce à l'examen du contexte historique des productions scientifiques datant du début du XXème siècle, en particulier celles des membres de la Société des américanistes, nous nous apercevons que l'ethnologie française était engagée d'un point de vue idéologique, résolument à gauche, mais aussi, préoccupée par le sort des populations natives; en France, l'usage du terme « ethnologie », jeune science se voulant avant tout empirique, a été choisi et maintenu jusqu'à nos jours afin de se démarquer de l'anthropologie physique qui est restée influente jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale et même après (Fabre 1997). Nous en avons pour preuve la réaction vive de Rivet lorsque Lévi-Strauss lui propose de participer à la création d'une institution d'enseignement d'anthropologie ayant comme spécialité l'Amérique:

Mon cher ami,

J'accepte bien volontiers de faire partie de l'École Française des Hautes Études en Amérique, aux conditions que vous m'indiquez. Mais pourquoi diable pensez-vous que le mot "Anthropologie" sera moins compris en Amérique que que le mot "Ethnologie", alors que la plus grande institution scientifique américaine, qui s'occupe de notre terrain a pris, dès 1879, la lettre de Bureau of Ethnology? Est-ce que les Américains du Nord ne comprennent pas encore le but et le champ d'action de ce glorieux organisme? Tout cela ne me semble guère clair. J'insiste donc pour que la désignation "Ethnologie" soit conservée.24 24 Lettre manuscrite de Paul Rivet à Claude Lévi-Strauss, Bogotá, 25/10/1941 (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150). Peu après, Rivet viendra faire des conférences à New York mais ne réussira pas à rester aux USA (Laurière 2008: 518).

Le vieux professeur insiste en effet pour conserver le projet et la terminologie chère à « l'École française » car il s'agit d'un enjeu politique qui est d'une actualité brûlante. En dehors de l'importance du scientisme militant dans ce contexte troublé de la première moitié du XXe.s., il semble nécessaire de rapeller la dimension matérielle dans les études ethnologiques de l'époque.

Le musée, un espace éducatif et un laboratoire scientifique

Les principales activités académiques et les expositions ethnographiques réalisées dans la France de l'entre-deux-guerres sont associées à l'Institut d'Ethnologie de Paris et à la constitution des collections ethnographiques, effort des membres de la Société qui participeront au réseau du Musée de l'Homme. Les idées et le contexte politique tout comme la dynamique scientifique de l'époque apparaissent comme centraux pour analyser l'objet muséal. Cela nous permet, en outre, de jeter un regard différent sur le passé de la discipline: la littérature déjà produite sur le sujet nous aide à évaluer l'importance des travaux 'américanistes' et celle des chercheurs français dans la constitution d'un réseau de recherche international. Nous avons ainsi pu réaliser quelques prospections dans les archives qui nous permettent de compléter le tableau et de comprendre les transformations que l'anthropologie américaniste a connu dans les années 1920-40, phase d'institutionnalisation de la discipline, qui passe d'une perspective empiriste « à la Rivet » à un envol théorique avec l'arrivée de Lévi-Strauss sur la scène structurale (Jamin 1989a: 291).

La première moitié du XXe. siècle est une période où l'ethnologie se constitue comme une discipline autonome et se donne une vitrine: le musée ethnographique ouvre les frontières de la connaissance des sociétés exotiques ou de la France rurale, propose d'éduquer les masses avides de savoir, montre les résultats de la recherche et l'importance de la « mission civilisatrice » de la France, mais sert aussi à justifier les demandes de fonds pour financer les activités scientifiques (Fabre 1997). Les grandes expositions et le musée moderne qui nait en 1936 sont projetés comme des lieux de loisir, tant éducatif que mondain; on peut ainsi, se dépayser en visitant le Trocadéro rénové ou, plus tard, le Musée de l'Homme conçu par Georges Henri Rivière, puisqu'en le visitant, on fait « le tour du monde en deux heures » ! 25 25 Voir les affiches et les prospectus du Musée de l'Homme: MH, 2AM1 C1 à 2AM1 C9. Cette effervescence culturelle et artistique s'explique par l'engouement des élites pour l'exotisme, recherche esthétique qui consiste à valoriser l'art primitif et la recherche des origines. Ainsi, le défi est de concilier les activités scientifiques et le loisir dans un même lieu, le musée d'ethnographie qui doit être un musée à la fois vivant et instructif.

Les salles du Musée de l'homme, organisées selon les aires culturelles étudiées par les ethnographes, proposent une « mise en ordre » du monde et sa mise sous vitrines. En vérité, elles sont le témoin de l'utopie d'universalisme encyclopédique des savants français qui rejoint en partie la proposition de Boas qui était de faire l'inventaire systématique des aspects socioculturels des groupements humains tout en faisant ressortir leurs particularités. Ainsi, dès la création de l'Institut d'Ethnologie en 1925, un nouveau projet muséal voit le jour et les recherches de terrain (anthropologie physique, linguistique, archéologie et ethnographie) ont comme but objectif de fournir des pièces au nouveau musée « qui sort de terre ». La conception du musée moderne correspond à l'idéologie progressiste de l'équipe Mauss/Lévy-Bruhl/Rivet: comme leur maître, ils allient engagement intellectuel contre le racisme, combattent les idées de l'anthropologie physique tout en voulant populariser la science. La muséographie idéalisée et conçue par Georges-Henri Rivière dans les années 1930 correspond donc a un projet esthétique et politique ambitieux, voire utopique, et en même temps marginal, car s'opposant à un courant conservateur très puissant qui reprendra sa place d'une façon durable au moment de l'Occupation, brisant l'élan de rénovation de la discipline. C'est pour cela que les activités de ces années noires sont restées relativement peu connues pendant une longue période et que l'anthropologie française a mis du temps avant d'écrire son histoire (Copans 1999; Fabre 1997; Jamin 1988: xvi).

Ainsi, les collections muséales qui sont en train d'être constituées par les « missions scientifiques » et le projet d'inventaire des sociétés humaines vont de pair: avant d'être des ethnographes, les chercheurs sont des collecteurs d'objets destinés à remplir les musées. L'analyse du projet méthodologique qui sous tend la constitution de collections ethnographiques est rendue possible par la description du corpus collecté et par l'analyse de l'importance de ces objets pour la compréhension des sociétés indigènes qui étaient jusqu'alors méconnues du grand public et de la science. C'est en cela que les missions Lévi-Strauss de 1936 et de 1938 sont importantes car les collectes s'accompagnent d'annotations qui sont le résultat d'observations ethnographiques qui seront reportées sur les fiches catalographiques du musée. De plus, le recueil des artefacts s'accompagne d'une réflexion théorique faite sur les populations étudiées: les photographies et les objets recueillis sont intégrés à l'analyse de la parenté, de la religion, des formes d'habitat, éclairent des techniques, etc.

Les missions reçoivent la collaboration de plusieurs spécialistes: le travail d'équipe suppose une direction méthodologique et l'existence d'un projet théorique qui, pour la période, hésite entre les problématiques évolutionnistes et culturelles. L'objet rituel collecté est recouvert d'une nouvelle intentionnalité lors de son entrée au musée où il devient pièce de collection, cesse d'avoir une fonction rituelle, se métamorphose en objet ethnographique - i. e. scientifique - et se transforme en un témoin de la culture et de l'histoire de la population étudiée. Ainsi, associée à une démarche scientifique, la notion d'objet ethnographique qui nait dans les années 1930 est le "fruit d'une sélection parmi les témoins culturels potentiels" et doit obligatoirement s'accompagner d'un travail d'observation, d'analyse, de classement des informations et objets recueillis qui forment une collection (Grognet 2005).

En fait, notre propos n'est pas de faire une lecture critique des productions intellectuelles de l'époque ni, moins encore, de nous hasarder dans le domaine de l'histoire des idées mais il s'agit plutôt de comprendre le projet intellectuel et politique sous-jacent à l'investissement français: l'envoi d'ethnographes et/ou de collecteurs d'objets ethnographiques à l'étranger n'est pas anodin. Pour cela, il est important de comprendre les contextes institutionnels et politiques dans lesquels s'inscrivent ces expériences (Stocking 1982). L'analyse de documents personnels - la correspondance de Claude Lévi-Strauss déposée à la Bibliothèque Nationale, et en particulier les lettres échangées avec les autres chercheurs américanistes (Paul Rivet, Alfred Métraux, Robert Lowie) et les collaborations brésiliennes (Mário de Andrade et Kurt Nimuendaju) -, la réflexion portant sur les contextes ethnographiques des collections déposées au Musée de l'Homme, les travaux scientifiques, tout au moins ceux qui portent sur les populations indigènes au Brésil, permet de compléter notre compréhension du champ de recherche de l'Américanisme. De fait, nous avons pu suivre les traces d'un projet scientifique naissant qui a été maintes fois critiqué pour être essentiellement théorique et ne pas s'intéresser au terrain, ce qui constitue, à notre avis, un contre-sens car l'anthropologie française nait justement à l'époque où sont réalisées les premières recherches de terrain et se construit en dialogue avec les monographies produites.28 28 En ce qui concerne particulièrement Claude Lévi-Strauss, nous n'avons trouvé que quelques références soulignant la qualité de son travail ethnographique (Souza et Fausto 2004; Saez 2008: 10-11). Il nous a paru nécessaire de démonter cette image qui ne prend pas en compte l'importance donnée à la culture matérielle et à l'enquête de terrain dans le projet intellectuel de ceux qui participeront à l'aventure du Musée de l'Homme; cette vision froide de l'histoire de la discipline tend à gommer les tensions internes au champ intellectuel de l'époque et ne prend pas en compte le contexte historique particulièrement troublé dans lequel est pensée la jeune science (Jamim 1989a). Pour ce qui est de l'équipe du « Troca », il existe bel et bien une préoccupation pour la description circonstanciée de la réalité sociale puisque l'intérêt se porte sur les productions matérielles des sociétés humaines: une grande partie des travaux académiques était constitué de monographies descriptives et avait comme thème les techniques et les objets; études qui étaient liés à la constitution de collections ethnographiques et de voyages commandés à des collaborateurs éventuels et à des ethnographes dilettantes. Car, à l'origine, et tout au moins pour les années trente, avant d'être des lieux d'exposition des formes de vie des société exotiques, les musées ethnographiques étaient pensés comme des centres de recherche (Laurière 2008). La muséographie reflète donc d'abord les préoccupations théoriques, méthodologiques et idéologiques de l'époque.

L'émergence d'un vaste matériel empirique présent dans les collections muséales révèle les fondements méthodologiques en vue de l'exploitation systématique de la culture matérielle et du projet initial qui est à la base des recherches américanistes: Paul Rivet et ses acolytes cherchent désespérément l'origine de l'homme américain à travers l'étude des traits physiques, des témoins archéologiques, des langues et des artefacts qui témoigneraient de l'arrivée et de la distribution des groupes sur le continent. Les outils méthodologiques utilisés par les chercheurs et les projets institutionnels naissants, notamment ceux qui sont mis en place à São Paulo et à Paris dans les années trente, nous guident pour lire l'histoire de la discipline et vérifier sa consolidation institutionnelle au niveau international. Au Brésil, la période entre les deux guerres apparaît comme féconde puisque l'on observe une production scientifique conséquente et une activité autour des grandes expositions et des musées: L. Lévy-Bruhl et M. Mauss sont davantage théoriciens et professeurs, P. Rivet, homme d'institutions est chargé des relations politiques et de trouver des financements, G. Henri Rivière, agitateur culturel et promoteur d'évènements artistiques. En fait, seul A. Métraux, connu pour être un homme de terrain, a un profil académique. Tous ces acteurs enthousiastes du renouveau de la discipline partagent les mêmes idées et un engagement politique volontairement à gauche: pour les « loisirs » des masses, pour la création d'un musée moderne, contre l'anthropologie physique, contre le racisme (Fabre 1997; Laurière 2008).

Pour comprendre l'esprit qui animait les américanistes français de la première heure, il faut se tourner vers l'histoire des institutions, des programmes et des agents de la recherche du début du XXème siècle. L'ouverture du Musée de l'Homme, en 1938, nous donne à voir une représentation de la discipline qui, de plus en plus, se veut tournée vers la réalité concrète des cultures humaines: le musée est un laboratoire d'ethnographie, un lieu d'enseignement et d'entrainement aux techniques d'enquête mais aussi une sorte de bibliothèque vivante car il propose un inventaire des cultures dans leur diversité, les objets étant considérés comme des témoins culturels (Jamin 1985: 60-65). L'expographie accompagne de près l'avancement des connaissances sur les sociétés étudiées par les ethnographes et produit un discours savant sur les cultures exotiques qui sont rangées selon leur distribution géographique sur une « aire culturelle » et analysées à partir de leur matérialité: morphologie sociale, technologie, économie, phénomènes juridiques, moraux et religieux (Mauss 1967). Ainsi, le modèle qui sous-tend toute démarche scientifique de l'époque est celui de la collection, version matérialisée et amplifiée de la monographie scientifique qui s'appuie sur l'observation et la classification des faits sociaux: l'enquête de terrain n'est pas limitée à une seule ethnie mais est associée à une collecte extensive d'objets réalisée lors des grandes expéditions ethnographiques. Celles-ci commencent à être organisées dans les années 1930, comme la mission Dakar-Djibouti dirigée par Marcel Griaule (Grognet 2005; Jamin 1985; L'Estoile 2007). C'est ce modèle qui sera appliqué au Brésil, lorsque seront pensées les deux missions « françaises » dirigées par C. Lévi-Strauss.

Américanistes français au Brésil29 29 Pour une description des activités et des articles de Dina et Claude Lévi-Strauss entre 1934 et 1938, voir les travaux de Fernanda Peixoto (1998) et le projet de recherche dirigé par Mariza Corrêa (UNICAMP) sur l'histoire de l'anthropologie au Brésil entre 1930-1960.

J'ai le profond regret d'être dans l'impossibilité - avec ou sans subvention - de me rendre au Brésil au mois de juin 1920. Il y a, en effet, tant de questions à élucider, qui touchent à l'histoire et aux populations de ce pays, que tout ethnologue doit être désireux de pouvoir les étudier sur place. Je ne connais pas encore le programme de la prochaine session, mais j'ai l'assurance qu'il sera du plus haut intérêt; je m'en rapporte à la sagacité de nos amis brésiliens, qui méritent de sincères félicitations pour n'avoir pas hésité, dans les circonstances actuelles, à préparer le XXe. Congrès international des Américanistes. Je forme des vœux pour qu'un brillant succès vienne couronner leurs efforts et, obéissant à une pensée un peu égoïste d'amour-propre national, pour que la France tienne son rang habituel dans ce Congrès (Verneau 1919: 672).

Au moment de la mission universitaire en vue de la création de l'Université de São Paulo (USP), en 1934, après une crise politique au Brésil, des difficultés économiques et financières, les relations avec la France reprennent. De fait, ce pays occupe une place de premier rang dans les relations scientifiques au Brésil: en plus de la venue de professeurs à l'USP, il y a une augmentation du nombre des lycées français, des bibliothèques se créent, des ordres religieux s'installent et des projets de coopération économique se mettent en place (PetitJean 2001). Il faut rappeler que la politique extérieure de la France des années 1920 s'accompagne d'un projet diplomatique, militaire et éducatif où les professeurs étaient susceptibles d'être appelé à jouer un rôle en cas de guerre.30 30 Pour une analyse détaillée du sujet, voir la thèse de Hugo Rogelio Suppo: « La politique culturelle française au Brésil entre les années 1920-1950 », thèse d'histoire, Paris III, 1998. Ces informations extra-scientifiques nous donnent donc l'occasion de faire une réflexion sur les enjeux politiques et culturels de la France, en particulier, pour ce qui est de sa politique extérieure dans la première moitié du XXe. siècle.

Les collaborations scientifiques

(...) la situation n'a jamais été aussi mauvaise qu'elle le paraissait, vue de loin. Ainsi, l'opposition du Service de Protection n'était causée par aucune hostilité, mais simplement par le fait que, privé depuis vingt-six ans de toute information sur la Serra do Norte, ce Service n'entendait assumer aucune responsabilité dans notre entreprise. Ces difficultés ont été ingénieusement éliminées par nos amis de la Municipalité, qui, suivant une suggestion que je leur avais donnée, ont organisé l'expédition comme une entreprise purement brésilienne, mais dont ils me confiaient la direction. Nous nous trouvons ainsi dispensés de toutes les formalités auxquelles sont astreintes les missions étrangères. La ville de São Paulo est même allée jusqu'à engager par contrat le délégué des autorités fédérales, qui se trouve ainsi placé sous ma direction. Monsieur L. de Castro Faria, élève et ami d'Héloisa Torres, est d'ailleurs un garçon charmant et sympathique qui s'est montré jusqu'à présent un excellent collaborateur."31 31 Lettre de Lévi-Strauss écrite de São Paulo, 30/04/1938, adressée à Rivet (tapée à la machine) et à laquelle Jacques Soustelle répond le 09/05/1938: « Le Dr Rivet vous remercie pour votre lettre, qu'il m a communiquée. Tous deux, et tous nos amis ici, nous nous réjouissons de savoir que le Service de Protection n'a pas fait de difficultés et que la ville de São Paulo vous aide. » (MH, 2AM1M1d).

Il faut rappeler tout d'abord que le contexte des « missions françaises » au Brésil correspond aux premiers moments de la formulation d'une politique indigéniste qui est le fruit d'un projet national élaboré dans un Brésil en pleine modernisation (Grupioni 1998, 2005). Ce sont les « chercheurs d'indiens », sertanistas ou missionnaires qui sont sur le terrain et font les premières ethnographies de contact. Le contexte historique plus général est déterminant pour comprendre la singularité de l'ethnologie faite au Brésil puisque celle-ci commence par l'étude des populations indigènes où domine une préoccupation salvationniste (Faulhaber 2005). C'est aussi l'époque de l'organisation des premières recherches académiques au Musée National et à São Paulo, institutions qui inaugurent les recherches académiques en anthropologie; les deux « expéditions Lévi-Strauss » de 1936 et 1938 sont à replacer dans ce contexte (Peixoto 1998).

De la même façon, il existe des relations - pas toujours harmonieuses - entre les institutions scientifiques étrangères et leurs représentants installés au Brésil: H. Baldus et K. Nimuenadju arrivés comme free lance, précèdent les français, s'intègrent facilement aux établissements comme le Museu Nacional de Rio ou le Museu Paulista, ce qui ne les empêchent pas d'entretenir des relations étroites et non désintéressées avec les musées européens ou les universités américaines (Métraux 1978). Si Baldus suit une carrière académique, Nimuenadju, lui, rassemble des objets appartenant aux populations indiennes qu'il visite et les vend aux musées Allemands (Leipzig, Dresde et Hambourg) ou Suédois (Göteborg). Les missions sont organisées dans un premier temps sous le patronage du baron Erland Nordenskiöld avec lequel Rivet et Métraux entretiennent aussi d'étroites relations, ce qui aurait dû faciliter les coopérations. Cependant, apparemment, les chercheurs ne voient pas d'un bon œil l'arrivée d'un concurrent sur le terrain (Grupioni 1998). Voici ce qu'écrit K. Nimuenadju à propos de Lévi-Strauss quelques jours après la sortie de l'article de 1936 sur les Bororo:

J'ai vu, d'abord, un article dans l'Estado [de São Paulo], "Avec les sauvages civilisés", qui m'a beaucoup interessé par son positionnement à propos de la question indigène. Après, vient sa "Contribution à l'étude de l'organisation sociale des Bororo", au JSA, où, en peu de pages, expose un matériel précieux et que j'ai reçu comme s'il avait été commandé. Que peut-on attendre de lui de plus dans le futur? 32 32 Traduction de l'auteure. Kurt Nimuendaju, lettre à Herbert Baldus (11/11/1936). « Eu vi dele, primeiramente, um artigo no Estado [de São Paulo], "Com os selvagens civilizados", que me interessou muito pelo seu posicionamento na questão indígena. Depois vem sua " Contribution à l'étude de l'organisation sociale des Bororo", no JSA, onde ele, em poucas páginas, traz material muito valioso, e que chegou para mim como se houvesse sido encomendado. O que se pode esperar dele a mais no futuro? », Kurt Nimuendaju, lettre à Herbert Baldus (11/11/ 1936), cité in: Souza et Fausto 2004: 87.

On perçoit, au milieu des expressions admiratives, une crainte d'être concurrencé par un jeune chercheur fraîchement arrivé.33 33 Il est vrai que le chercheur allemand qui allait seul sur le terrain avait des drôles de « méthodes scientifiques » cautionnées par la directrice du Musée d'alors, Heloisa Alberto Torres. Lors de son passage à Rio en juin 1947, A. Métraux (1978: 206) consulte « le Nimuenadju »: « Les détails qui forment son journal sont toujours les mêmes: dâte et heure de départ et d'arrivée, seins touchés et tétons pressés. Il note s'il a senti le battement du coeur des petites filles qu'il a "liebkosé". Parfois il introduit un doigt dans leur vagin ou saisit une cuisse. Il a soin de mentionner leur réaction; la plupart du temps il ne trouve qu'indifférence ou complicité. Donha Heloisa est très choquée lorsque que je lui dis ne pas croire au caractère scientifique de ces "expériences" ». Initialement, C. Lévi-Strauss avait le projet d'engager Nimuenadju pour participer à la mission de 1938, mais l'ethnographe allemand récuse l'invitation de ce brillant collègue remarqué par Lowie (Lévi-Strauss 2008: XLV). En effet, Claude Lévi-Strauss s'est fait connaître par son article sur les Bororo publié en 1936 dans le Journal: c'est Métraux, qui ne le connaît pas encore personnellement, qui envoie le texte à Lowie.

Même s'ils jouissent d'un statut privilégié et s'ils sont protégés par des accords de coopération, les français chargés de missions au Brésil souffrent du nationalisme ambiant de l'ère Vargas; ils doivent composer avec l'administration du pays, se plier à la législation concernant les études des populations indiennes et s'assurer de la bienveillance des autorités locales pour pouvoir réaliser leurs recherches dans un contexte politique troublé et dans un monde académique traversé par d'importantes tensions (Grupioni 1998). En effet, dans les années trente, on trouve différents groupes d'intellectuels à São Paulo qui se disputent le champ de la recherche anthropologique: ceux du Museu Paulista, les chercheurs qui participent de la Sociedade de Etnografia e Folclore (SEF), les professeurs et les étudiants de la Faculdade de Filosofia, Ciências e Letras de l'Université de São Paulo et de l'Escola Livre de Sociologia e Política de São Paulo. A l'intérieur même du groupe des « missionnaires », il existe des tensions qui se révèleront être des discordances politiques (Lévi-Strauss 2008: 1740).

Visiblement, le couple Lévi-Strauss s'est davantage senti à l'aise aux côtés de Mário de Andrade qui les a accueilli à bras ouverts, offrant un emploi à Dina Lévi-Strauss et donnant carte blanche aux jeunes ethnographes pour organiser les activités de recherche, les cours, les causeries et les publications de la nouvelle Société créée à São Paulo, « centre de recherche collective (qui) repose sur la base de la coopération intellectuelle, théorique et pratique d'un grand nombre de chercheurs », s'inspirant des modèles européens et, en premier, de l'Institut d'ethnologie de l'université de Paris « dont elle [SEF] suit attentivement les travaux et les résultats » (Lévi-Strauss 1937: 429). Ils avaient des intérêts communs, partageaient les mêmes idées sur l'importance du recueil simultané des informations ethnographiques (populations indigènes) et folkloriques: il fallait faire au plus vite de la recherche de terrain avant la disparition totale des populations mal connues, établir une méthode de collecte des faits sociaux et les systématiser (Valentini 2010: 46). A cela s'ajoutait peut-être pour les français, une volonté de retrouver l'esprit de groupe qui animait la recherche au Musée de l'Homme et une collaboration intellectuelle inspirée par une même sensibilité artistique, des opinions politiques proches et un même goût pour la littérature. Faisant jouer ses appuis politiques et malgré les possibles divergences entre les chercheurs, l'écrivain moderniste intervient à plusieurs reprises pour éliminer les entraves bureaucratiques rencontrées lors de l'organisation des deux expéditions Lévi-Strauss et ce jusqu'à son départ du Département de Culture de São Paulo en 1938 (Grupioni 1998; Valentini 2010: 15-22).34 34 Mário de Andrade, écrivain moderniste, auteur de Macunaïma (1928) et de O turista aprendiz (1943) qui rapportent des informations sur les populations qu'ils rencontrent.

Les jeunes « explorateurs » peuvent compter, en cas de coup dur, sur le soutien financier de P. Rivet qui a ses entrées dans les ministères; c'est ce qu'ils font, au moins en 1938, afin de pouvoir rapatrier les objets collectés. Ils reçoivent encore l'aide de chercheurs engagés dans les activités de coopération, le développement des amitiés franco-brésiliennes et les accords scientifiques chapeautés par Georges Dumas (Petitjean 2001; Peixoto 1998; Trebitsch 1995). En outre, les acteurs de la recherche américaniste « à la française » appartiennent à une même famille politique: ils sont fidèles à une idéologie progressiste puisqu'ils se placent dans la mouvance du socialisme hérité du Front Populaire et, même si cela ne transparait pas directement dans leurs écrits qui se veulent neutres et scientifiques, on perçoit, dans le choix de leurs programmes d'investigation et dans leur posture académique, qu'ils sont nettement opposés au courant conservateur de la discipline et au racialisme ambiant. C'est en cela qu'ils sont les premiers à questionner le projet colonialiste d'une France toute puissante (Jamin 1989b).36 36 La première critique à l'égard des actions menées par le gouvernement français dans ses colonies et des méthodes de recherche utilisées est celle de Michel Leiris dans l' Afrique fantôme (Motta, In: Grossi et alli. 2006: 261-282). En un sens, les engagements politiques de Rivet, du jeune Lévi-Strauss et, dans une moindre mesure, de Métraux, amènent ces chercheurs à prendre position d'une façon critique et différenciée pour ce qui est de la situation coloniale; néanmoins, après la génération de Mauss et de Rivet, et surtout après la guerre, ces engagements sont moins marqués et les chercheurs français hésitent à s'aventurer sur la scène politique, caractéristique qui semble être la marque de la discipline de la seconde moité du XXe.siècle et peut-être la raison principale de sa faiblesse à l'heure actuelle (Laurière 2008). Pendant les années d'exil, Lévi-Strauss reste attaché à Rivet: la correspondance entretenue entre les deux hommes pendant plus de dix ans montre qu'il existait un profond respect doublé de sentiments amicaux partagés et, que jusqu'à la fin des années quarante, Rivet était le directeur de thèse de Lévi-Strauss. Pour preuve, celui-ci relit les épreuves du livre Les origines de l'homme américain qui sortira en 1943, moment où « l'étudiant » finit la rédaction de ce qui deviendra plus tard Les structures élémentaires de la parenté:

Depuis votre départ j'ai commencé, sous le coup d'une inspiration subite, un livre sur la prohibition de l'inceste que j'ai écrit tout d'une traite et suis en train, maintenant, de terminer. C'est un travail très technique parce qu'il se fonde sur l'analyse de systèmes de parenté; je crains donc que son édition soit un peu difficile. Je crois cependant qu'il apporte sur un problème classique des vues assez nouvelles et qu'il les pose dans des termes nouveaux.37 37 Lettre de Lévi-Strauss à Rivet, 10/02/1943 (MH, 2AP1D). Voir les autres lettres du fonds Rivet (MH, 2AP1D) et du fonds Lévi-Strauss (BN, NAF 28150). La première lettre de Lévi-Strauss à Rivet date de quelques jours avant son départ pour le Brésil (22/12/1934) et la dernière, écrite des États-Unis, un peu avant son retour définitif en France (09/03/1947). La thèse est finie depuis janvier et « l'étudiant » en poste à l'Ambassade de France envoie l'introduction et le sommaire des Structures élémentaires de la parenté à Rivet.

Pour l'Américanisme des années 1920-1930, le Brésil demeure une Terra Incognita et il faut investir dans la recherche de terrain, puisque les populations primitives tendent à disparaître, l'urgence ethnographique est dans l'air du temps (Mauss 1913; Laurière 2008). Le jeune professeur agrégé de philosophie et sa femme tombent à pic. Ils recevront l'appui inconditionnel des grands noms de l'ethnologie française de l'époque qu'ils iront visiter avant d'embarquer pour le premier voyage (Lévi-Strauss 2008: 243). Une fois au Brésil, le professeur de sociologie de l'USP entretiendra une correspondance régulière avec ses maîtres, mais aussi, à chacun de ses retours en France, il ira à l'Institut d'Ethnologie pour « rendre des comptes » et participer à des activités scientifiques: exposition de 1936, mise en catalogue et installation de la collection, rendez-vous de travail, réunions de la Société et causerie radiophonique ! (Lévi-Strauss 2008: XLV) 38 38 Voir le dossier « mission Lévi-Strauss » (MH, 2AM1M1d) et les correspondance avec Rivet, Mauss, Lévy-Bruhl et, plus tard, Soustelle consultables à la bibliothèque du MNHN.

Le « cas Lévi-Strauss »

Pourtant, c'eût été de la bien mauvaise ethnographie que de résister à ce manège, ou même de le considérer comme une preuve de décadence ou de mercantilisme. Car sous une forme transposée, réapparaissaient ainsi des traits spécifiques de la société indigène: indépendance et autorité des femmes de haute naissance; ostentation devant l'étranger, et revendication de l'hommage du commun. La tenue pouvait être fantaisiste et improvisée: la conduite qui l'inspirait conservait toute sa signification; il m'appartenait de la rétablir dans le contexte des institutions traditionnelles. (Lévi-Strauss 2008: 165-166)

L'importance des « missions Lévi-Strauss » dans le Brésil central apparaît nettement lorsque l'on consulte les correspondances que le jeune ethnographe entretient avec ses partenaires du Musée de l'Homme et, surtout, lorsque l'on s'intéresse aux « Mélanges et nouvelles américanistes » du Journal qui, pour les années 1935-1936, sont particulièrement fournies: on note l'appui inconditionnel des collègues qui suivent de près l'avancement des travaux au Brésil et ceux-ci semblent s'intégrer au projet français qui était de compléter les collections ethnographiques et les connaissances sur les populations indiennes de l'Amérique. Selon Marcel Mauss, le jeune Lévi-Strauss « prépare un grand travail théorique sur les effets du contact des civilisations européennes et américaines dans l'Amérique du Sud, depuis l'origine jusqu'à nos jours »:

Tout votre programme que vous m'exposiez dans votre lettre de novembre 36 était parfaitement juste, et si vous pouvez le reprendre, a, naturellement toute mon approbation.

Prenez garde à chercher trop du côté des Andes, et inversement, vous avez raison d'y chercher. Car tout ce que je sais de l'archéologie préhistorique du Brésil, surtout du cours inférieur de l'Amazone, me prouve l'existence d'une grande civilisation (illisible). L'art des terres cuites, extrêmement développé, est plus parent de l'Amérique Centrale que de l'Amérique Péruvienne.39 39 Lettre de Marcel Mauss à Lévi-Strauss, 20/01/1936 (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).

Ainsi, les jeunes agrégés semblent chercher les preuves empiriques qui devraient permettre de corroborer les thèses de leurs prédécesseurs. De fait, au niveau théorique, l'hypothèse « culturaliste » de l'École Française reste d'actualité - nous avons noté à plusieurs reprises cette tendance dans les correspondances de Mauss et Lévi-Strauss au long de ces années: la culture matérielle devant témoigner de la vie des sociétés (« morale » et « religion ») et aider à répondre à la question de « l'origine de l'Homme américain » (Mauss 1967: 12; Rivet 1920). Selon cette hypothèse, il y aurait un fonds culturel unique pour toutes les sociétés d'Amérique du Sud et l'influence culturelle des Andes, culture supérieure aux autres, se ferait sentir dans tout le sud du continent. Cette idée d'un continuum culturel américain sera largement reprise dans les travaux ultérieurs de Lévi-Strauss mais, dans les premières décennies du XXe. siècle, la question se pose en ces termes:

Afin de résoudre les grands problèmes qui touchent à l'origine de l'Homme américain, au peuplement du Nouveau Monde et à ses relations avec l'Ancien, aux relations ou la pluralité d'origine des races américaines et à leur parenté ethnique, en un mot, aux questions qui embrassent le passé et le présent du nouveau continent, le concours de tous est nécessaire. Dans notre société, chacun de nous sa tâche à remplir et je puis dire que chacun de mes collègues s'efforce de la remplir avec conscience (Rivet, In: Actes de la Société 1920: 210-211).

Inspirés par l'hypothèse diffusionniste et les idées de leurs maîtres sur l'origine de l'Homme américain, les Lévi-Strauss partent sur le terrain à la recherche d'une réponse sur les mouvements de population et tentent de briser « le grand silence atlantique ». On comprend donc pourquoi il y a tant de références à l'étude des langues et à l'archéologie dans Tristes tropiques, méthode idéale pour retrouver l'origine et l'histoire du peuplement du continent américain grâce à l'étude de la distribution des objets, des techniques et des motifs décoratifs (Lévi-Strauss 2008: 149; 246-254; 1682).40 40 C'est aussi la mission que Rivet avait confié à Métraux lors de l'expédition à l'île de Pâques qui devait trouver une explication sur l'origine de l'écriture pascuane (Laurière 2008: 437-480).

Nous retiendrons deux travaux du jeune Lévi-Strauss pour montrer que celui-ci accompagne les consignes de « l'École française » et qu'il est un ethnographe compétent: il s'agit de l'article de 1936 sur les Bororo et la thèse complémentaire soutenue en 1948 sur les Nambikwara (Lévi-Strauss 1936, 1948).

Une « sociologie du Mato Grosso »

(...) sur mille, quinze cents, deux mille kilomètres parfois de profondeur, les terres inaccessibles aux blancs, et que les indigènes conservent comme un pauvre et vaste patrimoine. Ces immenses régions sont en effet leur domaine exclusif, jusqu'à ce que, vers le nord, apparaissent avec les premières traces de civilisation, les chercheurs de caoutchouc du bassin du Madeira, ou de l'Amazone. (...) Il s'agissait à la fois d'étudier des populations primitives qui comptent parmi les plus mal connues du globe, et d'essayer de comprendre, par une sorte de « coupe ethnologique» réalisée du sud vers le nord, les relations qui ont pu exister par toute une chaine de tribus intermédiaires et ignorées, entre les groupements indiens bien connus du bassin de l'Amazone et ceux de l'ouest et du sud: Bolivie, Paraguay, Brésil méridional (...) Ainsi des peuples dont l'existence matérielle pourrait apparaître comme plus proche de la vie animale que de la condition humaine, se révèlent à l'investigateur attentif - et c'est là, en somme, l'objet essentiel de nos travaux - singulièrement proches de nous par le goût, par l'intelligence ou le cœur. 41 41 « Brésil inconnu » par Claude Lévi-Strauss, radio-conférence du 03 juillet 1939 (MH, 2AM1C9e n. 122, 3 juillet 1939 - dossier Lévi-Strauss). L'émission a été diffusée quatre mois après le retour de Lévi-Strauss en France et deux mois avant la déclaration de guerre.

Malgré la « honte » et le « dégout » que lui inspire l'exercice, Lévi-Strauss (2008: 3) racontera ses voyages en multiples occasions tout au long de sa longue carrière, mettant en avant les difficultés rencontrées et confortant l'image d'un intellectuel qui dédaigne le terrain. De plus, dans ces nombreuses publications, documentaires et reportages journalistiques qui se proposent de faire revivre l'aventure brésilienne, les expéditions du jeune ethnographe tendent à être présentées comme étant le fruit d'une aventure personnelle, où les conditions de financement, les détails et les membres des expéditions sont passés sous silence:

M. Lévi-Strauss est agrégé de philosophie, et a même enseigné pendant deux ans après l'agrégation dans des lycées de province. Mais, aussitôt que l'occasion lui en a été donnée, il a gagné le Brésil et mis à profit ce séjour pour aller visiter dans des conditions difficiles et même risquées des populations de l'intérieur. Appartenant à une génération très voisine de la sienne, je peux dire comme cette initiative était alors originale: il fallait à un universitaire de vingt-six ans la plus ferme vocation pour passer sans transition des quatre années d'études philosophiques à un travail sur le terrain que n'avait pratiqué, à ma connaissance, aucun des grands auteurs de l'école française (Merleau Ponty 2008: 54).

En fait, dans les deux cas, il s'agit de voyages comptant sur une équipe de spécialistes; en 1936, chez les Caduveo et les Bororo, celle-ci est réduite à trois membres (le couple Lévi-Strauss et René Silz, ingénieur et cartographe). Le voyage dure un peu plus de quatre mois, ils rapportent en France 930 pièces, 328 restent au Brésil. La deuxième expédition est bien plus longue, elle dure sept mois en tout, est plus fructueuse (1505 pièces dont 760 restent au Brésil) et compte davantage de membres: Jehan Albert Vellard, médecin et naturaliste, Luis de Castro Faria, « inspecteur » zélé du Service de Protection aux Indiens et étudiant au Museu Nacional (Lévi-Strauss 2008: 1676-1686).42 42 Lorsque l'on consulte les catalogues disponibles au Musée du Quai Branly, il y a quelques différences: on trouve 1457 objets répertoriés dans les collections, 639 Bororo et Caduveo (1936) et 795 objets Nambikwara (1939). ( http://www.quaibranly.fr/ - collection Lévi-Strauss). On trouve de rares documents pour cette expédition, les notes et les carnets ont été détruits sous l'Occupation (Lévi-Strauss 2008: 1587) Une fois sur le terrain, les ethnographes appliquent les méthodologies en prise avec leur temps, encore attachées à la collecte d'objet, aux techniques, aux mesures anthropométriques ou aux prises de sang - c'est ce qui explique la présence du médecin, le Pr. Vellard dans l'expédition de 1938. Cependant, ils utilisent les technologies audiovisuelles les plus modernes et quatre films sont rapportés: deux sur le village de Nalike, un sur la vie dans un village Bororo et sur les cérémonies funéraires des indiens Bororos. Les observations sont accompagnées de notes, de dessins et de photographies.43 43 Carnet de C. Lévi-Strauss (1938) mis en ligne sur le site de la BNF: www.bnf.fr.

Une fois de retour, il faut encore classer le matériel, dresser un catalogue et faire les fiches: pour les deux expéditions, nous trouvons 1.457 fiches répertoriées au Musée du Quai Branly qui sont accompagnées d'une reproduction photographique des objets et 223 photographies. 44 44 Disponible sur le site du Musée du Quai Branly http://www.quaibranly.fr (collection Lévi-Strauss). Quelques objets sont plus facilement visibles sur la page http://www.quaibranly.fr/fr/collections/promenades-a-la-carte/claude-levi-strauss-objets-de-la-collection.html. Les photos publiées en 1936 dans le Journal ont été inclues postérieurement au catalogue du musée de l'Homme. 45 45 Nous avons trouvé les photographies de la "Mission Dina et Claude Lévi-Strauss au Brésil et Paraguay, novembre 1935-mars 1936" (Bororo e Caduveo). Les objets catalogués comprennent aussi l'autre mission de 1938 et présentent une grande diversité d'objets Nambikwara, Tupi-kawahiw, Kaingan, Kaingangue et Bororo qui semblent dominer en numéro. Les photographies sont intégrées à la collection muséale sous forme de fiches cartonnées (22,5 x 29,3 cm), contenant des pastilles de couleur dans la partie supérieure-gauche, contenant une indication du lieu et une légende sur le côté opposé indiquant la catégorisation thématique et une classification (types vestimentaires, techniques corporelles, ornements e accessoires, coiffures, etc. -, acquisition, habitation - construction, -, religion - rites e moments funéraires, magie et sorcellerie, etc. -, vie sociale - danse, -, techniques, etc.). L'organisation interne des fiches permet l'inclusion d'un grand numéro d'informations de différents types et une possible comparaison. 46 46 Sur plusieurs fiches, les commentaires font directement référence à Tristes tropiques ou incluent une citation du livre, ce qui laisse penser qu'un partie au moins des fiches ont été établies après la publication de ce livre, en 1955. Toutefois, vu la richesse des détails contenus dans les fiches il est possible que Lévi-Strauss en personne ait supervisé directement l'organisation des fiches ou les ait élaborées (Lévi-Strauss 2008). Les fiches sur les Bororo semblent être les plus complètes et reçoivent un plus grand nombre de descriptions détaillées. Cette mise en fiches porte la marque d'un travail de terrain minutieux et d'une rigueur méthodologique mise à l'œuvre lors de la collecte des objets. C'est encore l'aboutissement de la mission ethnographique et la fiche devient une source potentielle de recherche ultérieure. Ainsi, on voit bien qu'à l'époque, la collection d'objets est partie prenante de l'enquête de terrain.

De fait, les cours donnés à la Sociedade de Etnografia e Folclore par Dina Lévi-Strauss et le premier volume d'Instructions pratiques pour les recherches d'anthropologie physique et culturelle publiées en 1936, prouve que le programme de Mauss est appliqué à la lettre (Lévi-Strauss D. 1936). La publication est divisée en deux parties: la première consiste en la description des techniques d'enquête et du matériel, la deuxième aborde les questions d'anthropologie physique.48 48 Le deuxième volume qui devait être consacré à l'anthropologie culturelle ne verra jamais le jour. Dina était responsable de l'organisation du matériel de la SEF et il est probable qu'elle se soit chargée d'une bonne partie de la classification du matériel rapporté lors des deux expéditions (Peixoto 1998; Valentini 2010: 44-60). Mais il est difficile de savoir comment le travail a été partagé entre les deux chercheurs puisqu'il n'en est resté aucune trace écrite. De toute façon, les jeunes professeurs suivent de près les conseils que Marcel Mauss dispense à ses élèves qui fréquentent son cours à l'Institut d'ethnologie intitulé « Petites instructions d'ethnographie descriptive » dans lequel le Professeur insiste sur l'importance de la culture matérielle, des techniques, de l'organisation sociale, de la vie rituelle, morale et religieuse, etc. L'étude d'une société doit suivre un plan strict: d'abord la description de la morphologie sociale qui comprend la démographie, la géographie humaine et la techno-morphologie, puis vient la physiologie (les techniques, l'esthétique, l'économie, le droit, la religion, la science), enfin les phénomènes généraux comme la langue, les phénomènes nationaux, internationaux et l'ethologie collective. Ces directives vont se retrouver dans les écrits de l'époque qui sont essentiellement descriptives mais qui annoncent déjà les travaux ultérieurs.

L'article sur les Bororo est intéressant car il est à mi-chemin entre le rapport de mission et l'esquisse d'une monographie classique où apparaissent déjà tous les éléments nécessaires à la description ethnographique. L'essai laisse une large part aux productions matérielles: le texte commence par la description de la structure du village, puis porte sur les questions relatives à l'organisation économique, aux unions préférentielles, aux lois (privilèges et obligation des clans), aux expressions concrètes de la structure sociale, aux techniques et à la division du travail (Lévi-Strauss 1936). L'auteur passe en revue les aspects de la morphologie sociale, la division sexuelle du travail entre homme et femmes, les types physiques, les décorations corporelles (peintures, pendants d'oreilles, de nez et de lèvres, diadèmes, coiffures, vêtements, étuis péniens). Il fait aussi une part importante au rituel, laissant les aspects religieux pour la fin, et décrit une cérémonie funéraire à laquelle il a assisté (marid'do), faisant l'inventaire des objets rituels - Bull-Roarer (ait'e), arc d'apparat et de cérémonies.

Lévi-Strauss démontre dans ce premier article que la vie matérielle et l'organisation spatiale reflètent l'organisation sociale. Cette démonstration est faite à partir d'une description minutieuse de la décoration des arcs et des flèches qui correspondent aux différents clans.

On peut penser que les jeunes chercheurs suivent les conseils de Marcel Mauss pour la collecte des objets puisqu'il s'agit d' « établir les archives matériels d'une société »: premièrement il faut établir un inventaire général qui doit être accompagné de fiches descriptives où sont annotées la localisation précise du lieu de la collecte, les usages et la fabrication de l'objet, de dessins, de photographies e/ou de films (Mauss 1967: 14). Par la même occasion, l'ethnographe doit observer les techniques:

Un dessin sera joint chaque fois qu'il faudra montrer le maniement de l'objet, un mouvement de la main ou du pied (exemple: pour l'arc et les flèches, il est important de fixer la méthode de lancement par la position des bras, des doigts aux divers moments; le métier à tisser est incompréhensible sans documents montrant son fonctionnement (Mauss 1967: 17).

Les résultats scientifiques de cette expédition sont salués par les plus grands spécialistes de l'époque, notamment A. Lowie, ouvrant la voie à de futures découvertes portant sur l'organisation sociale des peuples de la forêt52 52 Voir la correspondance de Métraux à Lévi-Strauss après l'envoi de l'article à Lowie (15/11/1936): « Je tiens à vous féliciter pour cette monographie qui est sans aucun doute une des plus importantes qui aient paru sur une tribu sud-américaine au cours de ces dix dernières années. Enfin peut-être commencerons-nous à savoir quelque chose au sujet de l'organisation sociale des indigènes de ce continent ». La réponse de Lowie à Lévi-Strauss ne tarde pas (16/08/1937): « Through our friend, Dr. A. Métraux, Who is spending this semester at the University as Lecturer, I have learned your adress. This gives me an opportunity to tell you directly how very favorably I was impressed with your article on the Bororo. I also gather that you have arrived at very much the same conclusions as myself concerning the relations of Bororo society to that of the Gê tribes. » (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150). :

Sociologiquement, les résultats de toutes ces expéditions ont été considérables, car elles ont révélé une complexité extraordinaire de l'organisation sociale: phratries exogamiques, clans, groupes sportifs se recoupant à l'extrême, aboutissant à une complication qui n'a rien envier à celle de nos sociétés. Géographiquement, le séjour de Lévi-Strauss chez les Bororos a permis la description précise de leur genre de vie: la pêche et la chasse restent l'essentiel, mais la raréfaction du gibier favorise l'agriculture; celle-ci entièrement confiée aux femmes est limitée la culture sur brûlis du riz, du maïs du manioc et du tabac. (...) Le village, établi dans une clairière de la forêt, sur les bords du Rio Vermelho, a une structure morphologique qui traduit l'organisation sociale: les maisons sont distribuées autour un grand cercle dont le centre est occupé par la « maison des hommes » construite sur un axe N-S une ligne OSO-ENE divise le village en deux parties égales, chacune correspondant une phratrie; un second axe perpendiculaire au premier le divise de nouveau en deux moitiés: celle de « ceux de l'amont » et celle de « ceux de l'aval », de façon que chacune de ces moitiés comprend des maisons appartenant à l'une et à l'autre des phratries. Cet exemple suffit à faire comprendre les infinies complications des institutions des Bororos. (Monbeig 1939: 444-445)

C'est dans cet article que le plan du village bororo (aldeia Kejara) est publié pour la première fois: les clans et les lignages sont décrits grâce à l'analyse de la disposition des maisons, de la terminologie de la parenté et des arcs décorés aux couleurs de chaque section. Il s'agit donc d'un exercice d'application des idées de Marcel Mauss pour lequel les représentations collectives et la culture seraient inscrites dans la vie matérielle des sociétés (Mauss 1967: 14-21).

L'auteur termine par une réflexion sur le dualisme, thème qui sera repris dans les réflexions postérieures et qui annonce le structuralisme, théorie déjà présente dans la thèse principale du thésard. Enfin, à l'occasion de ce premier article scientifique, Lévi-Strauss inaugure ses analyses dans le domaine du totémisme, à propos de la notion d'archaïsme et surtout pour les études sur la parenté, réflexion initiale qu'il prolongera dans son œuvre majeure, Les Structures élémentaires de la parenté (1949) (Souza & Fausto 2004). 53 53 Alors que Rivet était initialement le directeur de thèse de Lévi-Strauss, de retour en France, celui-ci soutient sa thèse complémentaire avec Marcel Griaule en 1948 ( La vie familiale et sociale des indiens Nambikwara) et sa thèse de doctorat ès Lettres avec Georges Davy ( Les structures élémentaires de la parenté). Nous n'avons pas trouvé les raisons pour lesquelles ce changement de directeur de thèse a eu lieu, d'autant que Rivet et Griaule ne s'appréciaient guère. Il est vrai qu'à l'époque Rivet semble davantage absorbé par ses activités politiques, qui l'obligent à voyager souvent à l'étranger, que par ses activités académiques. En outre, cette même année, l'homme politique souffre d'une campagne de diffamation (Laurière 2008: 354-355; 640-641).

A son retour en France, Lévi-Strauss présente les résultats de sa mission: il fait une conférence et organise une exposition remarquée. Lors de la scéance de la Société du 12 janvier 1937, Claude Lévi-Strauss fait une communication « accompagnée de projections », occasion où il fait un « compte rendu de la mission au Matto Grosso, novembre 1935-mars 1936 » qui sera présenté par Paul Rivet; celui-ci « souligne l'intérêt de la mission qu'il vient d'accomplir chez les Kaduveo et les Bororo. Il fait part à la Société du projet de mission qui doit réunir pendant un an dans la sierra dos Parecis, M. et Mme. Claude Lévi-Strauss, le Dr. Vellard et M. Curt Nimuendajú » (Actes... 1937). L'exposition réalisée à la Galerie Wildenstein à Paris en 1937, a été organisée avec l'appui de Georges-Henri Rivière (Lévi-Strauss & Éribon 1988: 30). C'est encore Paul Rivet qui écrit l'introduction du «Guide catalogue de l'exposition organisée à la galerie de la 'Gazette des beaux-arts' et de 'Beaux-Arts'» (Bulletin... 1988: 277):

Pendant quatre mois, Mr. et Mme Lévi-Strauss ont séjourné au milieu des Indiens Kaduveo et Bororo, populations profondément différentes par la langue et la culture, mais dont l'importance pour l'ethnographie américaine, est de tout premier plan. La mission que le Gouvernement français avait confié à M. et Mme. Lévi-Strauss s'est trouvée doublée d'une mission du gouvernement de l'Etat de São Paulo et du Département de Culture de la municipalité de São Paulo. Nous tenons à exprimer à cette occasion notre reconnaissance aux autorités paulistes, ainsi qu'au Musée National de Rio de Janeiro, qui avait bien voulu accorder son patronage scientifique à l'expédition. Cette collaboration entre les deux pays est un nouveau témoignage - que nous enregistrons avec joie - des liens intellectuels qui unissent la France et le Brésil, et dont les jeunes universités de São Paulo et de Rio de Janeiro sont les vivants symboles.

Il est donc bien spécifié que cette première expérience de recherche de terrain au Brésil est d'abord financée par la France et si l'expédition a reçu des fonds complémentaires de la municipalité de São Paulo, le Musée National s'est contenté de donner une caution scientifique. Néanmoins, Paul Rivet insiste sur la collaboration franco-brésilienne qui s'annonce fructueuse puisqu'un projet d'une nouvelle expédition est déjà en marche.

Enfin, cet article de jeunesse ouvre la discussion anthropologique à des problèmes qui seront repris dans son œuvre de maturité et montre des qualités descriptives de l'auteur qui ont été sous-estimées. Bizarrement, l'ethnographe a été oublié et ce sont les photographies de Lévi-Strauss qui sont passées à la postérité, ayant connu une vie propre après avoir été sorties des collections du musée. Tristes tropiques, publié en 1955, connaît le même sort que les photographies, et sera victime de son succès en librairie puisque cet ouvrage n'est pas considéré par son propre auteur comme étant véritablement de l'anthropologie.

Le spécialiste Nambikwara

(...) Mon étude sur l'organisation sociale des Nambikwara est terminée et la traduction anglaise le sera dans quelques jours. C'est un assez gros travail (deux cents pages dactylographiées) et qui apporte, je crois, pas mal de choses nouvelles sur la sociologie sud-américaine. Comme je considère les Nambikwara comme une culture à affinité très septentrionale, je suis très anxieux de connaître les premiers résultats des enquêtes qui vont être faites sous votre direction en Colombie. Je mets en ce moment au point une méthode presque mécanique (fondée sur certains principes élémentaires de la logique mathématique) qui doit permettre de reconstruire des systèmes de parenté sur la base d'enquêtes faites par des non-spécialistes, pourvu qu'elles soient consciencieuses et se conforment à quelques instructions très simples. Si l'application de cette méthode par vos étudiants travaillant sur le terrain pouvait vous intéresser, je vous en parlerais plus largement et mettrais Lehman au courant pendant son séjour ici, qui sera vraisemblablement court. (...)55 55 Extrait d'une lettre de C. Lévi-Strauss à P. Rivet, le 11/09/41 (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).

La mission de 1938, pour laquelle nous avons davantage de détails, dispose de moyens financiers plus importants et apparaît comme étant un des premières expérience de coopération scientifique entre la France et le Brésil. La professionnalisation du travail de terrain découle de la bonne réception des résultats publiés en 1936. On se limitera ici à rappeler les principaux thèmes abordés dans l'étude des Nambikwara qui est une annonce de la théorie à venir. Le long article paru en 1948 est en effet centré sur les questions de l'anthropologie alors en vogue, la parenté et les systèmes de chefferie.

Itinéraire de la Mission Lévi-Strauss-Vellard 56 56 Dina Lévi-Strauss 1938: 395. (Disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1938_num_30_2_1982_t1_0384_0000_2. ).

La mission de 1938 vient confirmer l'expérience de l'ethnographe déjà reconnu parmi les spécialistes de la question, dans une lettre à Mário de Andrade datée de 1938, il signale l'importance des découvertes:

Quant au voyage, il a été long et difficile. Mais je n'oublierai jamais ces huit mois; ils ont été remplis d'expériences passionnantes. Scientifiquement parlant, nous rapportons, je crois, un beau matériel et beaucoup de nouveau. De quoi modifier profondément les connaissances actuelles. Sincèrement, je pense que l'expédition fera dâte.57 57 Lettre de Lévi-Strauss à Mário de Andrade (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150). Il ne semble pas nécessaire de revenir sur l'expédition d'une manière détaillée et les résultats scientifiques, sachant la somme des publications à ce sujet.

Néanmoins, les tracasseries administratives et les problèmes rencontrés sur le terrain, notamment d'ordre financier, réduisent la durée de l'expédition. On comprend alors l'agacement de C. Lévi-Strauss qui se voit obligé d'inclure L. C. Farias à son équipe.

La Vie familiale et sociale des indiens Nambikwara adopte le même style monographique que l'article sur les Bororos. Il paraît dix ans après la fin de l'expédition comme supplément du Journal; c'est le fruit d'une réflexion et d'une lecture attentive des travaux réalisés sur la parenté. Cette monographie classique est divisée en deux parties: la vie familiale et la vie sociale. On y devine le théoricien qui s'appuie sur des observations ethnographiques recueillies par ses soins:

Nous avons cherché des informations linguistiques plus étendues et plus précises; prêté plus d'attention à l'aspect dynamique de la culture matérielle, en considérant moins les objets achevés que le processus de leur fabrication; et surtout, nous nous sommes largement consacrés à l'étude de l'organisation familiale et sociale, dont la description fait l'objet du présent travail (Lévi-Strauss 1948: 3).

La vie familiale, ouvrage destiné à un public de spécialistes, est une réflexion davantage mûrie et beaucoup plus technique - pour ne pas dire sèche - que l'article écrit en 1936 puisque la thèse complémentaire sera publiée près de dix ans après la recherche de terrain et que le texte sera repris maintes fois; c'est une version remodelée de l'article publié dans le Handbook et de grandes parties seront retrancrites, en 1955, dans Tristes Tropiques.58 58 Claude Lévi-Strauss: The Nambiquara. Steward, J. (Ed). Handbook of South American Indians, New York, Cooper Square. 1948, v. 3, p. 361-369, Smithsonian Instituition, Bureau of American Ethnology, 134. La monographie, centrée sur la parenté et la structure politique, adopte le style sobre qui marquera l'écriture lévistraussienne dans sa thèse Les structures élémentaires de la parenté. On y trouve l'étude systématique des règles de résidence et de mariage, la description et la distribution des différents groupes en présence et l'analyse fine des relations interpersonnelles à partir de l'étude de la nomenclature des termes de parenté. Mais aussi, en suivant l'esprit maussien, et toujours à partir de l'étude de la langue, Lévi-Strauss propose une réflexion sur la sorcellerie et le rapport des Nambikwara au surnaturel, annonçant déjà des thèmes qui seront développés ultérieurement. C'est une analyse élaborée, adoptant un style caractéristique propre à l'auteur qui allie réflexions théoriques et réunit, pour ses démonstrations, une somme importante d'informations empiriques.

Néanmoins, là encore, l'élève de Rivet n'arrive pas à se détacher totalement des prémices de son enquête et termine sa réflexion en revenant à la question de la distribution des cultures et de l'importance de la langue et de la culture matérielle (Lévi-Strauss 1948: 129-130):

Quand on se place au point de vue géographique, l'énoncé du problème se reconstitue aisément. On se demandera comment il convient d'interpréter la présence d'un noyau de basses cultures placé dans une position symétrique, par rapport aux affluents de la rive droite de l'Amazone, à celui qui occupait, et occupe encore, l'est brésilien. Sous les deux ailes de ce «Т » que dessine la distribution des cultures incomparablement plus évoluées de la vallée de l'Amazone et du Madeira avec la large zone verticale qui s'étend du Xingu aux Tocantins, les bas niveaux Gé à l'est, et les Nambikwara à l'ouest, se font équilibre, comme des îlots isolés. Dans le cas des Nambikwara, un problème supplémentaire se pose: celui de la dualité de leur culture et de leur genre de vie; celle-ci peut être expliquée, soit en prenant pour base la forme la plus élémentaire d'adaptation, et en assumant l'emprunt de la vie agricole à des groupes de culture plus évoluée, soit, en partant de la forme supérieure, comme un appauvrissement déterminé par l'isolement culturel, ou par le refoulement dans des régions particulièrement inhospitalières qui auraient imposé des formes secondaires d'adaptation. Mais c'est seulement en faisant appel à toutes les sources d'information disponibles, et qui doivent comprendre, outre les données sociologiques, l'étude de la langue et celle de la culture matérielle, et par une comparaison avec les groupes vivant dans le même milieu géographique, qu'un effort d'interprétation de ces problèmes pourra être raisonnablement entrepris.

Le changement de perspective et de paradigme dans les recherches américanistes en Amazonie a été gradatif car l'idée de faire l'inventaire des cultures peut être retrouvée jusque dans les années 1950. Rapidement, les recherches iront se spécialiser, avec une phase d'internationalisation de la connaissance anthropologique sur le continent américain. Le rapprochement entre les chercheurs français, brésiliens et nord-américains, notamment dans les années précédant la Seconde guerre mondiale, laisse apparaître que les idées théoriques se transforment rapidement en action et visent à la lutte contre le racisme. Cette tendance se reflètera en partie, à la Libération, avec la création de l'Unesco qui compte parmi ses membres fondateurs et ses militants les mêmes acteurs qui ont participé à la fondation du Musée de l'Homme; le centre des attentions se déplace néanmoins des populations indigènes vers les afro-descendants, avec les enquêtes sur le racisme et les religions africaines. Mais dès le milieu des années 1920 et surtout dans les années trente, dans un contexte politique favorable à de nouvelles entreprises populaires et éducatives, on assiste à des tentatives de rapprochement entre la France et le Brésil sur le plan de la coopération scientifique, notamment dans le champ des sciences humaines (PetitJean 2001). Ainsi, même si l'importance théorique des études sur les sociétés amazoniennes pour l'anthropologie contemporaine apparaît aujourd'hui comme une évidence, il est intéressant de noter qu'elle a été le fruit d'une réflexion concertée - l'œuvre de jeunesse et la correspondance de Claude Lévi-Strauss nous révèle comment il s'est peu à peu éloigné du projet intellectuel dans lequel il s'inscrivait au début de sa carrière et qui était avant tout descriptif. Il explique aussi comment il a pris son envol théorique à la fin de son séjour aux États-Unis, sans toutefois renoncer tout à fait à un engagement intellectuel marqué à la fois par les idées du socialisme et la perspective culturaliste ayant un caractère encyclopédiste; aventure à laquelle il a participé en écrivant plusieurs articles pour le Handbook of South American Indians et qui se prolongera, d'une certaine manière, avec l'intérêt qu'il portera au patrimoine culturel à l'Unesco.

L'aventure américaine

Finalement, j'ai été casé aux Nations Unies, dans la division 'Etudes et Recherches' qui s'occupe de projets scientifiques et voilà comment je suis devenu fonctionnaire. (...) pour l'instant je dois dire adieu aux Igarapé, aux Nègres et aux Indiens, ce qui me laisse un goût de cendre dans la bouche et une conscience lourdement chargée. Mon sentiment de culpabilité s'en trouve très considérablement accru. 60 60 Lettre de Métraux à Verger (05/07/1946) in: Métraux, Alfred; VERGER, Pierre. 1993. Le pied à l'étrier. Correspondances, Paris, Ed. J-M Place, cahiers de Gradhiva 22: 71.

De fait, les résultats de cette entreprise sont visibles à travers l'analyse des documents d'archives, du matériel utilisé pour les expositions et des publications consacrées aux populations indigènes en particulier celles parues dans le Journal et, aux États-Unis, dans le Handbook: la collaboration entre A. Métraux et Lévi-Strauss sera décisive pour la réussite de cette œuvre car, à l'époque, ils sont tenus comme d'éminents spécialistes, reconnus pour avoir une bonne expérience du terrain (Cohen-Solal 1999: 24; Laurière 2008: 517). Ironie du sort pour celui dont le nom est passé à la postérité comme celui d'un théoricien dédaignant la recherche de terrain; serait-ce une stratégie pour asseoir une renommée et se construire un nom dans le monde académique ? Enfin, il est intéressant de noter l'abandon progressif de l'intérêt porté à la culture matérielle dans les travaux descriptifs de l'après la deuxième guerre: l'effort de la France est centré sur la reconstruction du pays, se voit menacée de la perte de ses colonies et de son influence extérieure. La direction théorique et politique de la discipline est donnée par les pays anglo-saxons et le combat contre le racisme rassemble les chercheurs qui diversifient leurs destinations ethnographiques.

Au delà de l'intérêt d'un tel questionnement pour comprendre l'histoire de l'Américanisme, cette réflexion nous amène à repenser la place réservée à l'objet ethnographique 'muséologisé' dans la discipline. Les tentatives de collaboration entre les équipes françaises et allemandes représentées par Nimuenadju et H. Baldus, vont se concrétiser pendant la Seconde guerre mondiale avec l'entreprise du Handbook qui, d'une certaine façon, dépasse les frontières nationales et transcende les contextes de recherche, rassemble les spécialistes de l'époque, offre une certaine homogénéité aux travaux américanistes et permet une comparaison systématique entre les différentes sociétés décrites.61 61 Nimuendaju publie dans différentes revues: Zeitschrift für Ethnologie, Petermanns Geographische Mitteilungen, Anthropos et le Journal avant d'être sollicité par Lowie et Métraux (Faulhaber 2008).

Lorsque l'on met en perspective les recherches ethnographiques réalisées à l'époque, les sources documentaires trouvées dans les archives et les programmes théoriques des écoles en formation, on se rend compte qu'il existait des projets élaborés depuis la France qui se voulaient résolument internationalistes. Au moment de la guerre, la France perd de sa puissance économique, l'anthropologie produite en Europe devant repartir sur de nouvelles bases. Néanmoins, la France n'arrive pas à concurrencer les organismes de recherche nord-américains dotés d'importants moyens financiers, la recherche ethnographique américaniste change de camp. En tournant notre regard vers les institutions, les programmes et les agents de la recherche américaniste français au début du XXème siècle - en particulier grâce à l'analyse des articles du Journal et des documents administratifs, nous avons découvert qu'il existait des liens importants entre la France et le Brésil avant le début des hostilités. Nous avons aussi abordé la question de la politique extérieure française en matière d'éducation et de culture (Service des œuvres françaises) - en particulier en portant notre intérêt sur les objectifs des missions françaises et la recherche anthropologique menée au Brésil.

De fait, la consultation des documents administratifs portant sur le fonctionnement du Musée de l'Homme et le financement des missions de recherche ont été utiles pour démontrer que la venue de C. Lévi-Strauss au Brésil faisait partie d'un plan institutionnel d'expansion des activités de recherche, à un moment où, en France, l'ethnologie joui d'appuis et de financements. Finalement, l'examen du projet et de la méthode qui sous-tend la constitution des collections ethnographiques montre l'importance attribuée à la culture matérielle au début de l'institutionnalisation de la discipline, en particulier pour ce qui est de description des premières recherches ethnographiques et des moyens théoriques mis en œuvre pour l'analyse des sociétés indigènes de la forêt. Peu à peu, le paradigme culturaliste français qui faisait la part belle à la culture matérielle sera remplacé par l'analyse de la structure sociale et des relations de parenté, des structures de pouvoir, abandonnant les objets collectés par les missions scientifiques aux musées, aux curieux et aux amateurs d'art.

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A propos de l'auteur

Julie Antoinette Cavignac est professeur associée du Département d'Anthropologie et dirige actuellement le Programa de Pós-graduação em Antropologia Social de de l'Université Fédérale du Rio Grande do Norte - UFRN (Natal, Brésil).

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  • VERNEAU, René. 1919. "Le XXe. Congrès international des Américanistes". Journal de la Société des Américanistes, 11: 671-672.
  • 1
    Cet article est le résultat d'une réflexion sur l'Américanisme français, menée dans le cadre d'un stage post-doctoral financé par la CAPES qui a été réalisé au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (LAHIC), entre 2009 et 2010, sous la direction de Daniel Fabre. Cette recherche bibliographique et d'archives s'appuie sur une vaste littérature existante sur le sujet. En particulier, j'ai consulté avec profit la brillante biographie de Paul Rivet élaborée par Christine Laurière (2008) qui m'a guidée dans les méandres de l'histoire de la Société des Américanistes, qu'elle en soit vivement remerciée. J'ai dépouillé le Journal de la Société des Américanistes, en particulier les articles portant sur le Brésil qui ont été publiés entre 1928 (moment où Paul Rivet est élu à la chaire d'anthropologie au Muséum) et 1945. J'ai consulté les fonds de la bibliothèque du Muséum National d'Histoire Naturelle où sont déposés les documents administratifs du Musée de l'Homme (MH) et enfin, à la Bibliothèque nationale (BN), le fonds « Lévi-Strauss » qui, à l'époque était en cours de classement. Je remercie chaleureusement Jacques Galinier, mon maître, pour les suggestions apportées à ce texte.
  • 2
    On peut considérer la Mission Dakar Djibouti (1931) comme étant le modèle des expéditions ethnographiques qui sera suivi par les chercheurs français pendant la période qui précède la seconde guerre mondiale et qui est marquée par une rénovation des cadres et de l'esprit de la recherche (Meyran 2002; Laurière 2008).
  • 3
    Il s'agit de l'article écrit par de E. Thamy (1905): «Deux pierres d'éclair (pedras de corisco), de l'État de Minas-Geraës, Brésil», Journal de la Société des Américanistes, 2, 1: 323 - 325. P. Rivet commence ses activités au Journal de la Société des Américanistes en 1907. Pour avoir une idée de l'ensemble de ses activités, on pourra consulter avec profit la chronologie disponible dans le dossier de presse de l'ouvrage de Christine Laurière (2008):
    http://www.mnhn.fr/museum/front/medias/dossPresse/14837_HD_rivet.pdf. Nous ferons désormais référence au Journal et à la Société des Américanistes comme le Journal et la Société.
  • 4
    Ministère de l'Instruction publique. Mission G. de Créqui Montfort et E. Sénéchal de La Grange, 1903. Itinéraire général suivi par la mission / dressé par V. Huot (Source: Bibliothèque nationale de France, GED-4578). Disponible sur gallica.bnf.fr:
  • 5
    Dans une lettre de H. Lévy-Bruhl, dâtée du 09/03/1921 à P. Rivet, il est fait mention de fonds annuels alloués à Tastevin pour ses recherches (MHN, 2AP1D).
  • 6
    Illustrations de Moeurs, usages et costumes de tous les peuples du monde...] [Vol.3. Pl. en reg. p.186] [Cote: Réserve A 200 324]. Disponible sur
  • 7
    Image disponbilisé sur le site:
  • 8
    Une lettre de Boas à Rivet datée du 23/08/1919 informe que le professeur installé aux États-Unis aide à la publication du Journal en trouvant des financements, mais il n'y a pas de détails sur les donateurs. On peut cependant penser qu'il s'agit de la Fondation Rockefeller sachant la proximité de Boas avec les représentants de la fondation philanthropique (photocopies, fonds Rivet, MH, 2AP1C et D).
  • 9
    En cela, une grande partie de l'œuvre de Roger Bastide est exemplaire: pendant la plupart de son séjour au Brésil (1938-1954), avec la « fin des missions » à la déclaration de la guerre, il n'était pas intégré à un échange académique à proprement parler.
  • 10
    Voir le dossier « Manifestations organisées par le Musée d'ethnographie / Musée de l'homme »: MH, 2AM1 C1 à 2AM1 C9.
  • 11
    Pour l'importance du travail ethnographique lors de l'émergence de la discipline en France, il est important de citer l'œuvre de M. Leenhardt. Cf.: Cavignac 2006 in: Grossi et alli., 25-81.
  • 12
    Correspondance de Rivet à Boas (photocopies, fonds Rivet, MH, 2AP1C). On trouve plus de cent lettres échangées entre les deux hommes, 22 lettres entre 1919-1926; six d'entre-elles datent de 1919 dans lesquelles F. Boas répond à l'invitation faite par Rivet à publier dans le Journal de la Société des Américanistes et où il est fait mention d'échanges entre les revues françaises et américaines mais aussi de subventions reçues par le biais de Boas pour rendre possible la publication du
    Journal après l'arrêt d'aides gouvernementales (Laurière 2008: 513-518).
  • 13
    Journal
    Cri du Peuple (12/12/1940) "Coups de balai. Va-t-on remplacer Paul Rivet para un sous-Rivet?" (Coupures de presse 1940, MHN: 2AM1B3). Pour une analyse du contexte de la recherche ethnologique sous l'Occupation, voir l'article de Daniel Fabre (1997).
  • 14
    Voir les « Actes de la Société » et « Mélanges et nouvelles Américanistes »,
    Journal de la Société des Américanistes, tome 31 à 35, 1939-1945.
  • 15
    Voir le dossier MHN 9 a 03/03/1943.
  • 16
  • 17
    Rivet organisera un banquet en l'honneur de Boas, en 1937, à Paris, et fera un court séjour aux USA en 1942, invité à un déjeuner intime à Columbia University, occasion où Boas sera foudroyé par une crise cardiaque (Laurière 2008: 515-518). Déjeuner auquel Lévi-Strauss participa également. Plus tard, c'est Alfred Métraux et Robert Lowie qui invitent Lévi-Strauss aux États-Unis, grâce au financement de la Fondation Rockfeller qui fonctionne entre 1941 et 1947 (Cohen-Solal 1999: 14).
  • 18
    Lettre de Claude Lévi-Strauss à Paul Rivet, New York, 21/10/1941 (fonds Rivet, MH, 2AP1D) et sa réponse: lettre manuscrite de Paul Rivet à Claude Lévi-Strauss, Bogotá, 25/10/1941; en 1943, à son tour, Rivet insistera pour que Lévi-Strauss aille vivre au Mexique (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).
  • 19
    MH, 2AM1 C4c. Paulo Duarte est aussi le co-fondateur du Département de Culture de São Paulo avec Mário de Andrade (Lévi-Strauss 2008: 1682).
  • 20
    Les deux chercheurs participent de la collection « La question raciale devant la science moderne » du département des sciences sociales de l'Unesco en 1952, résultat qui, pour Lévi-Strauss, sera publié sous le titre de « Race et histoire » (Lévi-Strauss 2008: XLVIII; Maio 1997; Métraux 1978: 314). Pour une discussion approfondie de la question raciale dans le Brésil du début du XXe. s., voir Schwarcz 1993. La période qui suit la deuxième guerre mondiale est marquée par l'institutionalisation de la recherche, tant en France comme au Brésil; là encore, la figure de Paul Rivet son projet de de retrouver l'origine des peuples américains continue à orienter les discussions scientifiques: « Les 'Deuxièmes rencontres intellectuelles' de São Paulo qui ont eu lieu cette année du 21 au 26 août, ont été organisées conjointement par l'UNESCO et l'IВЕС (Instituto Brasileiro de Educação Ciencia e Cultura) grâce à une initiative du grand ami du Musée de l'Homme et de la Société des Américanistes qu'est le professeur Pablo Duarte. Le thème offert en discussion était: 'L'origine de l'homme américain'. Ce choix constituait un hommage au Dr Paul Rivet, vice-président des rencontres de 1954,
    dont le portrait dominait l'auditoire. Dans la séance inaugurale, Pablo Duarte a évoqué le souvenir de celui qui fut pour lui le plus cher des amis, et a décrit son apport à la solution du problème du mystère des origines de l'homme américain."
  • 21
    Impressions d'Alfred Métraux après la rencontre avec Claude Lévi-Strauss à Santos, en 1939.
  • 22
    Deux ouvrages d'Alfred Métraux sortent la même année (1928): « La religion des Tupinamba et ses rapports avec celle des autres tribus Tupi-Guarani » (Librairie Ernest Leroux, Paris) et « La civilisation matérielle des tribus Tupi-Guarani » (Paul Geuthner, Paris).
  • 23
    Lettre de A. Métraux à P. Rivet, 11/09/1934 (MH, fonds Rivet, 2AP1D).
  • 24
    Lettre manuscrite de Paul Rivet à Claude Lévi-Strauss, Bogotá, 25/10/1941 (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150). Peu après, Rivet viendra faire des conférences à New York mais ne réussira pas à rester aux USA (Laurière 2008: 518).
  • 25
    Voir les affiches et les prospectus du Musée de l'Homme: MH, 2AM1 C1 à 2AM1 C9.
  • 26
    Disponible sur
  • 27
    Affiche annonçant la réouverture du Musée de l'Homme et l'ouverture de la nouvelle salle d'Amérique (1939). Disponible sur le site:
  • 28
    En ce qui concerne particulièrement Claude Lévi-Strauss, nous n'avons trouvé que quelques références soulignant la qualité de son travail ethnographique (Souza et Fausto 2004; Saez 2008: 10-11).
  • 29
    Pour une description des activités et des articles de Dina et Claude Lévi-Strauss entre 1934 et 1938, voir les travaux de Fernanda Peixoto (1998) et le projet de recherche dirigé par Mariza Corrêa (UNICAMP) sur l'histoire de l'anthropologie au Brésil entre 1930-1960.
  • 30
    Pour une analyse détaillée du sujet, voir la thèse de Hugo Rogelio Suppo: « La politique culturelle française au Brésil entre les années 1920-1950 », thèse d'histoire, Paris III, 1998.
  • 31
    Lettre de Lévi-Strauss écrite de São Paulo, 30/04/1938, adressée à Rivet (tapée à la machine) et à laquelle Jacques Soustelle répond le 09/05/1938: « Le Dr Rivet vous remercie pour votre lettre, qu'il m a communiquée. Tous deux, et tous nos amis ici, nous nous réjouissons de savoir que le Service de Protection n'a pas fait de difficultés et que la ville de São Paulo vous aide. » (MH, 2AM1M1d).
  • 32
    Traduction de l'auteure. Kurt Nimuendaju, lettre à Herbert Baldus (11/11/1936). « Eu vi dele, primeiramente, um artigo no Estado [de São Paulo], "Com os selvagens civilizados", que me interessou muito pelo seu posicionamento na questão indígena. Depois vem sua "
    Contribution à l'étude de l'organisation sociale des Bororo", no JSA, onde ele, em poucas páginas, traz material muito valioso, e que chegou para mim como se houvesse sido encomendado. O que se pode esperar dele a mais no futuro? », Kurt Nimuendaju, lettre à Herbert Baldus (11/11/ 1936), cité in: Souza et Fausto 2004: 87.
  • 33
    Il est vrai que le chercheur allemand qui allait seul sur le terrain avait des drôles de « méthodes scientifiques » cautionnées par la directrice du Musée d'alors, Heloisa Alberto Torres. Lors de son passage à Rio en juin 1947, A. Métraux (1978: 206) consulte « le Nimuenadju »: « Les détails qui forment son journal sont toujours les mêmes: dâte et heure de départ et d'arrivée, seins touchés et tétons pressés. Il note s'il a senti le battement du coeur des petites filles qu'il a "liebkosé". Parfois il introduit un doigt dans leur vagin ou saisit une cuisse. Il a soin de mentionner leur réaction; la plupart du temps il ne trouve qu'indifférence ou complicité. Donha Heloisa est très choquée lorsque que je lui dis ne pas croire au caractère scientifique de ces "expériences" ».
  • 34
    Mário de Andrade, écrivain moderniste, auteur de
    Macunaïma (1928) et de
    O turista aprendiz (1943) qui rapportent des informations sur les populations qu'ils rencontrent.
  • 35
    Mission 1935-36, image consultable sur:
  • 36
    La première critique à l'égard des actions menées par le gouvernement français dans ses colonies et des méthodes de recherche utilisées est celle de Michel Leiris dans l'
    Afrique fantôme (Motta, In: Grossi
    et alli. 2006: 261-282). En un sens, les engagements politiques de Rivet, du jeune Lévi-Strauss et, dans une moindre mesure, de Métraux, amènent ces chercheurs à prendre position d'une façon critique et différenciée pour ce qui est de la situation coloniale; néanmoins, après la génération de Mauss et de Rivet, et surtout après la guerre, ces engagements sont moins marqués et les chercheurs français hésitent à s'aventurer sur la scène politique, caractéristique qui semble être la marque de la discipline de la seconde moité du XXe.siècle et peut-être la raison principale de sa faiblesse à l'heure actuelle (Laurière 2008).
  • 37
    Lettre de Lévi-Strauss à Rivet, 10/02/1943 (MH, 2AP1D). Voir les autres lettres du fonds Rivet (MH, 2AP1D) et du fonds Lévi-Strauss (BN, NAF 28150). La première lettre de Lévi-Strauss à Rivet date de quelques jours avant son départ pour le Brésil (22/12/1934) et la dernière, écrite des États-Unis, un peu avant son retour définitif en France (09/03/1947). La thèse est finie depuis janvier et « l'étudiant » en poste à l'Ambassade de France envoie l'introduction et le sommaire des
    Structures élémentaires de la parenté à Rivet.
  • 38
    Voir le dossier « mission Lévi-Strauss » (MH, 2AM1M1d) et les correspondance avec Rivet, Mauss, Lévy-Bruhl et, plus tard, Soustelle consultables à la bibliothèque du MNHN.
  • 39
    Lettre de Marcel Mauss à Lévi-Strauss, 20/01/1936 (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).
  • 40
    C'est aussi la mission que Rivet avait confié à Métraux lors de l'expédition à l'île de Pâques qui devait trouver une explication sur l'origine de l'écriture pascuane (Laurière 2008: 437-480).
  • 41
    « Brésil inconnu » par Claude Lévi-Strauss, radio-conférence du 03 juillet 1939 (MH, 2AM1C9e n. 122, 3 juillet 1939 - dossier Lévi-Strauss). L'émission a été diffusée quatre mois après le retour de Lévi-Strauss en France et deux mois avant la déclaration de guerre.
  • 42
    Lorsque l'on consulte les catalogues disponibles au Musée du Quai Branly, il y a quelques différences: on trouve 1457 objets répertoriés dans les collections, 639 Bororo et Caduveo (1936) et 795 objets Nambikwara (1939). (
    http://www.quaibranly.fr/ - collection Lévi-Strauss). On trouve de rares documents pour cette expédition, les notes et les carnets ont été détruits sous l'Occupation (Lévi-Strauss 2008: 1587)
  • 43
    Carnet de C. Lévi-Strauss (1938) mis en ligne sur le site de la BNF:
  • 44
    Disponible sur le site du Musée du Quai Branly
    http://www.quaibranly.fr (collection Lévi-Strauss). Quelques objets sont plus facilement visibles sur la page
  • 45
    Nous avons trouvé les photographies de la "Mission Dina et Claude Lévi-Strauss au Brésil et Paraguay, novembre 1935-mars 1936" (Bororo e Caduveo). Les objets catalogués comprennent aussi l'autre mission de 1938 et présentent une grande diversité d'objets Nambikwara, Tupi-kawahiw, Kaingan, Kaingangue et Bororo qui semblent dominer en numéro.
  • 46
    Sur plusieurs fiches, les commentaires font directement référence à Tristes tropiques ou incluent une citation du livre, ce qui laisse penser qu'un partie au moins des fiches ont été établies après la publication de ce livre, en 1955. Toutefois, vu la richesse des détails contenus dans les fiches il est possible que Lévi-Strauss en personne ait supervisé directement l'organisation des fiches ou les ait élaborées (Lévi-Strauss 2008).
  • 47
    Claude lévi Strauss, à propos du musée de l'homme, caractères - 11/10/1991.
  • 48
    Le deuxième volume qui devait être consacré à l'anthropologie culturelle ne verra jamais le jour.
  • 49
    Image tirée de l'article de C. Lévi-Strauss (1936), disponible sur le site du Journal:
    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037- 9174_1936_num_28_2_1942#. D'autres photos et fiches catalographiques de la mission peuvent être visionnées sur le site
  • 50
    Bibliothèque Nationale, manuscrits,: NAF28150 <
  • 51
    Brésil, Population bororo, 17,6 X 23,2 cm, PP0002058, disponible sur
  • 52
    Voir la correspondance de Métraux à Lévi-Strauss après l'envoi de l'article à Lowie (15/11/1936): « Je tiens à vous féliciter pour cette monographie qui est sans aucun doute une des plus importantes qui aient paru sur une tribu sud-américaine au cours de ces dix dernières années. Enfin peut-être commencerons-nous à savoir quelque chose au sujet de l'organisation sociale des indigènes de ce continent ». La réponse de Lowie à Lévi-Strauss ne tarde pas (16/08/1937): « Through our friend, Dr. A. Métraux, Who is spending this semester at the University as Lecturer, I have learned your adress. This gives me an opportunity to tell you directly how very favorably I was impressed with your article on the Bororo. I also gather that you have arrived at very much the same conclusions as myself concerning the relations of Bororo society to that of the Gê tribes. » (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).
  • 53
    Alors que Rivet était initialement le directeur de thèse de Lévi-Strauss, de retour en France, celui-ci soutient sa thèse complémentaire avec Marcel Griaule en 1948 (
    La vie familiale et sociale des indiens Nambikwara) et sa thèse de doctorat ès Lettres avec Georges Davy (
    Les structures élémentaires de la parenté). Nous n'avons pas trouvé les raisons pour lesquelles ce changement de directeur de thèse a eu lieu, d'autant que Rivet et Griaule ne s'appréciaient guère. Il est vrai qu'à l'époque Rivet semble davantage absorbé par ses activités politiques, qui l'obligent à voyager souvent à l'étranger, que par ses activités académiques. En outre, cette même année, l'homme politique souffre d'une campagne de diffamation (Laurière 2008: 354-355; 640-641).
  • 54
    Disponible sur le site de Persée <
  • 55
    Extrait d'une lettre de C. Lévi-Strauss à P. Rivet, le 11/09/41 (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150).
  • 56
    Dina Lévi-Strauss 1938: 395. (Disponible sur
  • 57
    Lettre de Lévi-Strauss à Mário de Andrade (fonds Lévi-Strauss, BN, NAF 28150). Il ne semble pas nécessaire de revenir sur l'expédition d'une manière détaillée et les résultats scientifiques, sachant la somme des publications à ce sujet.
  • 58
    Claude Lévi-Strauss: The Nambiquara. Steward, J. (Ed).
    Handbook of South American Indians, New York, Cooper Square. 1948, v. 3, p. 361-369, Smithsonian Instituition, Bureau of American Ethnology, 134.
  • 59
    Extrait du discours d'ouverture de la conférence de L'UNESCO par Léon BLum - 1, 01/01/1946 - 01min22s. On peut retrouver le Discours de M. Léon Blum prononcé le 1er novembre 1945, à Londres à la Conférence constitutive de l'UNESCO sur le site
    http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/L._BLUM_1945.pdf. Il n'est pas surprennant qu'au lendemain de la guerre, Léon Blum qui a été déporté à Buchenwald en 1943, puis réhabilité et dirigeant le gouvernement provisoire pendant quelques mois, soit nommé chef de la délégation française et président de la conférence constitutive de l'Unesco (1946). On retrouve les mêmes idéaux qui ont animé les intellectuels du Musée de l'Homme: une coopération culturelle entre les Peuples, la libre circulation des idées, l'éducation et la culture devraient oeuvrer à la paix mondiale.
  • 60
    Lettre de Métraux à Verger (05/07/1946) in: Métraux, Alfred; VERGER, Pierre. 1993. Le pied à l'étrier. Correspondances, Paris, Ed. J-M Place,
    cahiers de Gradhiva 22: 71.
  • 61
    Nimuendaju publie dans différentes revues: Zeitschrift für Ethnologie, Petermanns Geographische Mitteilungen, Anthropos et le Journal avant d'être sollicité par Lowie et Métraux (Faulhaber 2008).
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      14 Sept 2012
    • Date of issue
      June 2012
    Associação Brasileira de Antropologia (ABA) Caixa Postal 04491, 70904-970 Brasília - DF / Brasil, Tel./ Fax 55 61 3307-3754 - Brasília - DF - Brazil
    E-mail: vibrant.aba@gmail.com