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Musée national de l’histoire de l’immigration - Persona grata: le concept humain d'hospitalité envers les immigrants et les réfugiés 1 1 Recherche postdoctorale en sociologie réalisée à l´Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales - Sorbonne, dirigé par Mme Anne Gotman, directrice de recherche émérite au- Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) - Centre de Recherche sur les Liens Sociaux (Cerlis).

Musée national de l’histoire de l’immigration - Persona grata: the human concept of hospitality for immigrants and refugees

RESUMÉ

Cet article reflète la crise de l’hospitalité qui se présente sur la scène globale à travers l’exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris. Le défi qui se pose, dans cette recherche, est de contribuer à l’approfondissement du débat interdisciplinaire sur l’hospitalité à la lumière des penseurs français comme Derrida, Gotman, Boudou, Brugère et Le Blanc. L’élément méthodologique utilisé dans cette recherche était l’observation directe et l’enregistrement photographique. La présentation de la proposition muséographique de l’exposition Persona grata fait ressortir les critiques de l’hospitalité dans la modernité. Le lien entre l’hospitalité et l’immigration, inséré dans les expositions permanente et temporaire du Musée national de l’histoire de l’immigration, a servi à la réflexion sur les pratiques des inclus et des exclus de immigrants et réfugiés du processus social.

MOTS-CLÉS :
Musée national de l’histoire de l’immigration; Persona grata; Immigration; Hospitalité; Hostilité

ABSTRACT

This paper reflects the crisis of hospitality on the global scene through the exhibition Persona grata at the National Museum of the History of Immigration in Paris. The challenge in this research is to contribute to establish an interdisciplinary debate on hospitality in the light of French thinkers like Derrida, Gotman, Boudou, Brugère and Le Blanc. The methodological element used in this research was direct observation and photographic recording. The presentation of the museum proposal for the Persona Grata exhibition highlights criticisms of modern hospitality. The link between hospitality and immigration, inserted in the permanent and temporary exhibitions of the National Museum of the History of Immigration, served to reflect on the practices of those included and excluded of the immigrants and refugees from the social process.

KEYWORDS:
Musée national de l’histoire de l’immigration; Persona grata; Immigration; Hospitality; Hostility

RESUMO

Este artigo reflete a crise da hospitalidade no cenário global por meio da exposição Persona grata do Museu Nacional de História da Imigração em Paris. O desafio desta pesquisa é estabelecer um debate interdisciplinar sobre a hospitalidade à luz de pensadores franceses, tais como Derrida, Gotman, Boudou, Brugère e Le Blanc. O elemento metodológico utilizado nesta pesquisa foi a observação direta e o registro fotográfico. A proposta deste museu com a exposição Persona Grata evidencia uma visão crítica à hospitalidade moderna. A relação entre hospitalidade e imigração, inserida nas exposições permanentes e temporárias do Museu Nacional de História da Imigração, serviu para refletir sobre as práticas aos incluídos e excluídos dentre os imigrantes e refugiados a partir de uma perspectiva social.

PALAVRAS-CHAVE:
Museu Nacional da História da Imigração; Persona grata; Imigração; Hospitalidade; Hostilidade

INTRODUCTION

Cette recherche reflète la crise de l’hospitalité qui se présente sur la scène globale à travers l’exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris, à l’affiche du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019, dont le contenu critique correspond à ce que nous avons conçu des pensées et des études de l’École française de l’hospitalité sur une interface muséologique contemporaine.

Nous supposons que la triade du don de Marcel Mauss3 3 Mauss (2008). et l’hospitalité inconditionnelle de Jacques Derrida,4 4 Derrida; Dufourmantelle (1997). ont influencé une partie d’une génération de chercheurs français qui travaillent avec la thématique de l’immigration et ses idéaux d’accueil social. À partir d’elles, nous formulons les principales critiques à la politique européenne anti-immigration, notamment quant aux pratiques d’hospitalité (ou quant à leur absence).

Le défi qui se pose, dans cette recherche, est de contribuer à l’approfondissement du débat interdisciplinaire et, par conséquent, de constituer une voix scientifique sociale et culturel plus vigoureuse tant dans la communauté académique que dans la propre société, à la lumière de l’École française. En d’autres termes, notre étude cherche à comprendre les épisodes liés à l’hospitalité comme des faits sociaux construits à partir des recherches sur le terrain à caractère observationnel dans le Musée national de l’histoire de l’immigration.

Dans la proposition de recherche sociale, il y a préalablement une identité entre le sujet et l’objet, et on ne peut travailler seulement avec la norme de la scientificité déjà construite. « En tant qu’englobement de conceptions théoriques d’approche, la théorie et la méthodologie vont de pair, inextricablement inséparables » Le mot théorie est originaire du verbe grec theorein qui signifie voir, puisque l’association entre « voir » et « savoir » est l’une des bases de la science occidentale.5 5 Minayo (2012, p. 15).

Ce choix renvoie au fait que la subjectivité est un fondement du sens de la vie sociale étudiée ici et nous la défendons en tant que caractéristique du social des groupes. L’interprétation des désirs, des aspirations et des nécessités humaines des enquêtés (réfugiés et immigrants) sont une partie pertinente de cette étude, qui a également considéré les notions d’affectivité et d’échanges symboliques entre les membres du groupe et entre ceux-ci et la société qui les accueille et/ou leur est hostile.

À partir de ces perspectives, l’élément méthodologique utilisé dans cette recherche était l’observation. Cette méthode « donnera au chercheur les conditions pour comprendre la genèse de la structure des représentations sociales, en plus de le libérer de la quantification et de l’expérimentation prématurée qui peuvent générer la fragmentations du phénomène étudié ».6 6 Geertz (1989, p. 52). Dans cette direction, notre recherche a utilisé l’interaction dans le contexte local en recourant, primordialement, aux techniques de l’observation directe et des conversations informelles et formelles, en plus de l’enregistrement photographique au Musée national de l’histoire de l’immigration.

MUSEE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION : DIRECTIVES CRITIQUES DU PROCESSUS MIGRATOIRE EN FRANCE

La notion d’hospitalité n’est donc pas seulement mobilisée ici comme une valeur inspiratrice de pratiques avec l’étranger, mais comme un ensemble de pratiques plus ou moins codifiées, destinées à encadrer et à régler ainsi les frontières de l’intégration. Protections et secours accordés à l’étranger, l’hospitalité est issue de barrières de tous ordres érigées par les entités territoriales pour non-membres. « On peut définir l’hospitalité comme un travail d’élaboration de règles visant à permettre et à encadrer la relation entre ‘membre’ et ‘non-membre’, sachant que l’on est membre à des degrés divers et selon des intensités variables dans l’espace et dans le temps ».7 7 Gotman (2004, p. 200).

Ainsi, à partir des penseurs français contemporains, nous avons opté pour établir, dans cette partie de la recherche, quelques connexions avec nos expériences au Musée national de l’histoire de l’immigration (Palais de la Porte Dorée) à Paris, dont le dialogue avec la société se fait de manière substantielle en ce qui a trait au regard sur le migrant (Photo 1).8 8 Cf. Delaplace (2015).

Photo 1
Musée national de l’histoire de l’immigration.

La muséographie de ses expositions permanente et temporaires dépasse la conception de l’hospitalité et muséifie les pratiques d’hostilité envers les réfugiés contemporains. Cette traversée solitaire est juste un point de départ dans lequel la sortie et l’arrivée se sont pas assurées et, encore moins, définitives dans la vie de ces sujets. Le migrant se bat pour sa vie et porte dans ses bras les traces du naufrage et de la noyade de l’hospitalité contemporaine.

Cette mise en patrimoine de l’immigration repose donc sur un objectif d’agir sur la société et ses représentations. Autrement dit, la reconnaissance patrimoniale et ses outils peuvent engendrer un changement de la réalité en passant par un changement des représentations d’une culture ou d’une communauté. Ainsi, le musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration affiche dans son nom cette volonté de reconnaissance de la diversité culturelle liée à l’immigration9 9 Ibidem.

Dans un contexte migratoire où les arrivants ne sont ni souhaités ni attendus, la charge de l’intégration repose tout entière sur eux. Comme sont récurrents les conflits d’une hospitalité qui, loin de ressembler à une promenade de santé, s’apparente plutôt à une épreuve - l’épreuve de l’autre.10 10 Cf. Gotman (2017).

Le contexte de l’hospitalité est lié à l’histoire de l’être humain en ce qui concerne ses déplacements en quête de meilleures conditions de vie et de travail face aux conflits territoriaux nationaux et aux pratiques de domination colonisatrice mondiale qui persistent encore dans la modernité. De cette manière, les territoires manquant d’un processus civilisateur ne fournissent pas de conditions de vie à leurs citoyens qui finissent par aller voir ailleurs : ils ont doublement la condition de non-membres.

En Europe, le droit d’hospitalité universelle aurait reçu sa définition la plus radicale et sans doute la plus formalisée, par exemple, des guerres coloniales ou de libération, mais on leur donne souvent la figure des mouvements de recolonisation ou de décolonisation.11 11 Cf. Derrida; Dufourmantelle, op. cit. « Le monde ne fonctionne pas sans hospitalité ni sans inhospitalité », nous le dit Gotman.12 12 Gotman (2011, p. 601).

L’exposition permanente Repères développe sur plus de 1 100m2 deux siècles d’histoire de l’immigration. Le parti pris adopté est celui d’un parcours thématique prenant en compte la chronologie historique. En effet, au-delà de toutes les différences, ceux qui se sont installés en France depuis le XIX siècle ont traversé les mêmes épreuves, ont vécu les mêmes expériences décisives, ont formé les mêmes espoirs. Après une refonte de son parcours, en juillet 2014, et un nouvel accrochage des œuvres, ce sont 200 ans d’histoire de l’immigration en France qui s’offrent aux visiteurs. L’exposition Repères présente, dans une approche croisée des regards et des disciplines, deux siècles d’histoire de l’immigration : témoignages, documents d’archives, photographies et œuvres d’art se répondent au rythme d’un parcours historique et thématique qui relate les temps forts de l’histoire de France depuis le 19e siècle.13 13 Disponible sur : <https://bit.ly/3krH7Dc>. Accès en 12 nov. 2020.

« Exposer les migrations » engage les musées dans le débat sur la démocratie culturelle. L’immigration comme thème de collection pose un double enjeu : la représentation et la reconnaissance des mobilités, des cultures, des identités reflétant la sociologie des territoires ; la participation active, sans injonction, d’une pluralité d’acteurs qui mutualisent leurs ressources dans un projet collaboratif commun et citoyen. Dans ce sens, les musées reflètent les mouvements du monde en réhabilitant la dimension internationale du passé, le cosmopolitisme des histoires singulières, les mémoires des espaces inclusifs ou exclusifs, selon les périodes de notre histoire commune. Dans ce sens, les musées reflètent les mouvements du monde en réhabilitant la dimension internationale du passé, le cosmopolitisme des histoires singulières, les mémoires des espaces inclusifs ou exclusifs, selon les périodes de notre histoire commune.14 14 Cf. Poinsot (2018).

Dans cette dynamique, l’exposition permanente du Musée national de l’histoire de l’immigration dresse un panorama historique des principales directives du processus migratoire en France et de ses pratiques d’hospitalité et d’hostilité. En montant et en descendant les escaliers vers l’exposition, on a la dimension périodisée des événements et des actions de l’État à l’égard des étrangers. La ligne du temps présente les progrès et les reculs du processus d’accueil des étrangers. La Révolution française y est décrite comme un événement qui « proclame l’égalité de tous les citoyens. La distinction entre nationaux et étrangers devient la principale différence juridique dans la population » (Photo 2).

Photo 2
Ligne du temps migratoire en France (Musée national de l’histoire de l’immigration).

Encore sur la Révolution française, il est à noter que les premières années sont marquées par une hospitalité nationale rarement observée. Mais cette même logique conduit pendant les guerres révolutionnaires à un nationalisme xénophobe, rejouant la confusion ancienne entre l’étranger et l’ennemi. L’hospitalité perd son caractère public en prenant une signification essentiellement commerciale.15 15 Cf. Boudou (2017).

Il faut dire que, quant aux sens de l’égalité évoqué lors de la Révolution de 1789, elle était destinée aux nationaux du pays, même si les idéaux de fraternité et de liberté ont projeté l’avenir de la France et influencé le monde occidental avec une perspective républicaine humaniste. Mais l’hospitalité serait-elle possible avec l’égalité ?

L’idée d’égalité est l’un des paradoxes des lois de l’hospitalité. « L’hospitalité est difficilement compatible avec l’égalité. La relation entre les accueillants et les accueillis suppose le respect de lois de l’accueillant, la gratitude pour ce qui doit être vécu comme un don généreux, et éventuellement la déférence envers les accueillis ».16 16 Ibidem, p. 177. L’hospitalité s’oppose à la régularité du droit et est incompatible avec le nationalisme. La conséquence négative est évidemment une stigmatisation de l’étranger comme citoyen de seconde zone ou tout simplement comme ennemi.

L’hospitalité publique dans le contexte de la Révolution française a été interprétée par les idées d’égalité et les idéaux nationalistes. Inévitablement, même dans un contexte qui a projeté la fraternité et la liberté comme des piliers essentiels, l’hospitalité et ses rapports asymétriques deviendraient incompatibles avec l’État de droit évoqué dont la symétrie ne correspond pas aux fragilités de certains groupes sociaux et à leurs singularités. De cette façon, les concepts de liberté, d’égalité et de fraternité ne se traduisent pas théoriquement en hospitalité face à sa prémisse du don et à ses aspirations inconditionnelles.

L’hospitalité s’oppose au souci principal du libéralisme philosophique : l’impartialité - parce que qu’elle suppose au contraire la considération égale. L’hospitalité peine à se maintenir à partir du moment où l’écart entre privé et public se creuse. L’hospitalité résisterait précisément parce qu’elle subvertit l’égalité, l’empire du droit, le nationalisme, l’impartialité ou la distinction entre public et privé.17 17 Ibid., loc. cit.

En ce sens, « politique et droit dénaturent l’hospitalité, et s’il faut un droit au refuge il ne doit pas être strictement délimité par des règles ».18 18 Gotman (2001, p. 601). « L’hospitalité vient ici subvertir les relations égalitaires attendues des rapports sociaux dans un État de droit ».19 19 Idem, 2013, p. 8. À partir de cette idée, Gotman analysera les conditions dans lesquelles des familles françaises ont envisagé d’accueillir des réfugiés du Kosovo lorsque ceux-ci ont été chassés de leur territoire par les forces serbes en 1999 : les représentations qui ont inspiré ce mouvement collectif d’hospitalité et les circonstances politiques de cet épisode quant aux rapports entre l’hospitalité privée et publique. Lorsque Lionel Jospin, dans son discours télévise du 8 avril 1999, invite les Français à s’associer à l’accueil des familles kosovares qui seront admises en France, il suit alors le mouvement d’opinion plus qu’il ne le précède. Au terme de ce processus, sur les 440 000 tentatives d’appel, 8 000 demandes ont été transmisses et seules les candidatures de 2 500 familles ont été retenues.20 20 Ibidem.

Avant même de se traduire concrètement, la décision d’héberger des réfugiés oblige à de petites clarifications relationnelles avec l’entourage immédiat. Qui sommes-nous ? Qui sont-ils ? Ces deux questions sont en effet indissociables. Les familles accueillantes souhaitent offrir un réconfort moral et affectif. Jusqu’à l’empathie, point de fuite de la solidarité, qui a déclenché l’appel au réfugié et qui, au-delà de la logique redistributive, cherche à établir un lien avec les personnes victimes d’abandon pour donner un sens à leur vie. L’accueil des réfugiés participe précisément de cette action de résistance au matérialisme et à sa superficialité. Les foyers ont réussi à leur donner une certaine autonomie et la capacité de s’y sentir chez eux, ce qui n’aurait pas été possible à des particuliers.21 21 Idem, 2001. Cependant, les organismes intermédiaires sont réticents à ce que les réfugiés partent dans les familles d’accueil.

Parmi ces actes et ces scènes d’hospitalité, les années suivantes ont symbolisé le contexte de l’hospitalité en France :

  • 1948 : la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule que « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ni de son droit à changer de nationalité ».

  • 1995 : le gouvernement français crée le « délit d’hospitalité », menaçant de prison toute personne aidant les étrangers en situation irrégulière, soit en logeant des demandeurs d’asile, soit en rechargeant leurs portables, soit en les aidant à passer la frontière.

  • 2015 : presque toute l’Europe expérimente de déni d’hospitalité. Accueillir est devenu tabou.

Comment en sommes-nous arrivés à ce déni d’hospitalité ou, pis, ce délit d’hospitalité ?

La naissance de l’hospitalité a pourtant été scellée il y a fort longtemps en Europe. On la trouve documentée et démultipliée dans la fiction d’Homère, l’Odyssée. L’hospitalité est le contraire de la haine et le risque de l’hospitalité ne peut alors être seulement individuel, il doit reposer sur une solution collective et donc politique. Sans dispositifs politiques qui viennent lui conférer une réalité collective, l’hospitalité peut-elle encore rester une impulsion ?22 22 Cf. Brugère; Le Blanc (2017).

À partir de cette délinéation critico-philosophique, l’exposition permanente du Musée national de l’histoire de l’immigration situe les paradoxes de l’hospitalité française avec les dictons « Terre d’accueil, France hostile » (Photo 3).

Photo 3
Musée national de l’histoire de l’immigration - Exposition permanente.

À la fin du XIXe siècle, la peur ancestrale de l’autre, de celui qui vient d’ailleurs, se généralise. La mise en place des États-nations, la consolidation de la République, le discours de la presse et des élites renforcent les discours xénophobes qui stigmatisent l’étranger comme « envers du national ». Les stéréotypes qui se mettent alors en place structurent durablement les représentations de l’immigration : les étrangers seraient trop nombreux, concurrents au travail, porteurs de maladies, délinquants potentiels, politiquement menaçants, irréductiblement différents. Le rejet se nourrit aussi de l’antisémitisme et du racisme qui visent les migrants coloniaux. À chaque vague d’immigration, les griefs reviennent ; à chaque crise, les tensions s’exacerbent. D’une époque à l’autre, restent pourtant des Français qui savent tourner le dos à la xénophobie pour faire le choix de la solidarité.23 23 Disponible sur : <https://bit.ly/3eURdLV>. Accès en 11 nov. 2020.

En effet, l’exposition consiste en un panorama sur le thème de l’immigration en France avec des thématiques qui d’une certaine façon introduisent la question. En conséquence, pour que le visiteur puisse approfondir les points présentés dans l’exposition, il doit aller chercher plus d’informations ailleurs. Ne présentant pas une vision critique et approfondie sur l’immigration en France, l’exposition permanente est loin d’être une unanimité. Depuis son ouverture, le musée a reçu de nombreuses critiques qui convergent toutes vers une demande d’approfondissement et d’élargissement des thématiques traitées (comme par exemple développer la contextualisation du bâtiment ou parler de la question coloniale et des politiques d’immigration) et d’avoir un discours plus critique face à l’intégration de ces immigrés dans la société française.24 24 Delaplace (2015, p. 262).

Qui accueille-t-on ? Des citoyens ou une population à part ? Qui accueille ? L’État, le département, la région ou la commune ? Sur le fondement de quelles obligations ? Quelles sont en retour les obligations des groupes accueillis et au nom de quoi ? De quel accueil s’agit-il et quels droits peuvent être revendiqués ? Parler de l’hospitalité, c’est désigner la difficulté de s’acquitter de cette obligation au lieu de la masquer, montrer les inquiétudes et les négativités soulevées par la venue de l’autre, étranger au pays ou à la commune, évoquer les cadres et les dispositifs prévus pour déjouer et réguler les antagonismes entre arrivants et installés. Qu’est-ce qu’un étranger ? Le tout autre qu’on relègue dans un dehors absolu et sauvage, barbare, pré-culturel et pré-juridique, en dehors et en deçà de la famille, de la communauté, de la cité, de la nation ou de l’État. Le rapport à l’étranger est réglé par le droit, par le devenir-droit de la justice.25 25 Cf. Derrida; Dufourmantelle, op. cit.

EXPOSITION PERSONA GRATA : RITUELS CONTEMPORAINS D’HOSPITALITE ET D’HOSTILITE

Le binôme hospitalité-hostilité est ouvertement postulé dans l’exposition Persona Grata au point d’identifier les conditions historiques de travail et de logement des immigrants dans le pays. Nous comprenons que la muséification de ce processus migratoire et ses formes d’hospitalité (et d’hostilité) font partie d’un processus civilisateur que toutes les sociétés devraient refléter sur elles-mêmes. Le regard autocritique sur l’autre dépasse les perspectives nationalistes et institue un processus civilisateur humain qui surmonte l’égocentrisme de l’homme moderne.

Ainsi, afin de penser le quotidien des pratiques d’accueil du contexte migratoire en France, le Musée national de l’histoire de l’immigration dépasse les éléments ségrégationnistes et nationalistes de plusieurs autres de même nature, car il déplace le regard vers les nouveaux arrivants et leurs défis d’insertion dans le pays où beaucoup d’entre eux n’ont pas reçu (et ne reçoivent toujours pas) d’attention. En apportant l’hostilité en tant qu’élément de l’hospitalité, le musée offre une vision dialectique de la réalité migratoire dans un sens temporel et spatial.

Il faut remarquer que, dans le contexte brésilien, de nombreux musées qui se proposent d’exposer l’histoire de l’immigration ne sont liés qu’à des groupes de migrants ayant été insérés dans le contexte social et économique avec succès, comme les Italiens, les Japonais, les Allemands, entre autres. Quelques nationalités fondamentalement importantes pour la formation du peuple brésilien, comme les Africains et les Latino-Américains, se trouvent dans le contexte muséologique du pays de manière pas assez expressive, notamment les migrants contemporains como les Haïtiens, Boliviens et Vénézuéliens. De toute façon, cette pratique dominatrice est aussi l’héritage de l’eurocentrisme colonisateur du pays, encore réverbéré dans ses institutions qui incluent et excluent des groupes et des ethnies selon une logique du pouvoir symbolique.

Les insiders et outsiders sont donc inégaux et potentiellement ennemis. Cette vision « désenchantée » de l’hospitalité vise, dans mon propos, à faire saisir la subversion des relations entre égaux dans la sphère publique lorsque des relations fondées sur le modèle asymétrique de l’hospitalité s’en emparent. Asymétrie, inégalité de statuts donc, ne signifie pourtant pas domination. Car à cette règle s’en ajoute une autre qui, elle, est réciproque, à laquelle s’obligent l’hôte comme l’invité de s’honorer mutuellement. Suspension temporaire de la séparation entre membres et non-membres, l’hospitalité découle de l’existence même de cette partition : religieuse, ultérieurement, juridique, économique et toujours identitaire.26 26 Cf. Gotman (2013).

Les significations de l’hospitalité ont été encore plus soulignées au Musée national de l’histoire de l’immigration lors de son exposition temporaire Persona grata (Photo 4). Le dialogue avec les théories abordées dans cette recherche et la praxis de l’hospitalité contemporaine a été muséographié de manière profonde et sensible.

Photo 4
Exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration. Source : Kimsooja, Bottari Truck - Migrateurs, 2007-2009. Mixed media, duraclear photographic print in light box, 2/8, 2AP, 124,0×187,0×16.8 cm.

À l’heure ou les débats sur l’accueil des migrants sont particulièrement vifs, le Musée national de l’histoire de l’immigration et le MAC VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, s’associent pour interroger le sens de l’hospitalité dans nos sociétés. L’hospitalité est ainsi abordée dans sa double acceptation. Elle est envisagée du point du vue de celui qui accueille et de celui qui est accueilli.27 27 Wenden (2018).

La scène de l’hospitalité est tout autre. Un inconnu sonne à la porte. La familiarité du monde est rompue. La demande d’hospitalité est un appel à être entendu. Tout se passe comme si notre propre ligne téléphonique était soudain parasitée par la ligne téléphonique d’un autre. L’hospitalité est toujours locale et globale, particulière et universelle. Elle est une réponse non préméditée à un appel lui-même non prémédité et elle est une manière de rendre à nouveau visibles et audibles des humains déjà oubliés.28 28 Cf. Brugère; Le Blanc, op. cit.

Dans ces termes, les objets muséifiés nous ont fait regarder la situation de l’immigrant et, d’un autre angle, les nations qui justifient une crise migratoire comme subterfuge de leur crise d’hospitalité. Pour ces nations, le migrant est un sujet social sans visage dont l’identité repose uniquement sur lois d’immigration et des visas contrôlés par l’État avec lequel le désenchantement est latent chez les premiers. Les tampons géants en bois dont les manches représentent des bustes sans visages (Photo 5).

Photo 5
Exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration. Source: Toguo Barthélémy - The New World’s Climax III, 2001. Bois sculpté et gravé, encre, table en bois, 146,5×274×100 cm. Collection MAC VAL.

La muséographie de l’exposition incite le spectateur à penser sur l’hospitalité: « Être hospitalier n’est-ce pas pourtant montrer à quelqu’un qu’il est persona grata? La bienvenue est le contraire d’une malvenue. […] Par contraste, persona non grata signifie être fait indésirable, ne plus avoir les moindres faveurs de quelque État que ce soit ». Le nom de l’exposition évoque la « persona grata », évoque les idéaux de l’hospitalité en ce qui concerne le système d’échange avec l’autre qui dépasse les relations frontalières vers un espace urbain partagé commun.

L’hospitalité implique ainsi un double mouvement d’« expropriation » et génère un double système de frontières : frontières internes, qui règlent l’usage de l’espace partagé, espace de réception, qu’hôtes et invités se doivent d’observer ; et frontières externes, qui délimitent espaces autorisés et interdits, au-delà desquels l’étranger est indésirable ou même tout simplement inimaginable. L’hospitalité n’est pas seulement une question de choix individuel, mais la condition même de l’urbanité.29 29 Gotman (1997, p. 16).

Néanmoins, l’hospitalité ne suspend pas la méfiance de l’autre, mais envisage une forme pacifique en voie de réciprocité. Selon Boudou, l’hospitalité n’est pas exactement la suspension de la méfiance, mais sa gestion pacifique. Pour cet auteur, l’hospitalité repose donc sur une « prohibition de l’égalité » pouvant prendre la forme d’une hiérarchie inversée.30 30 Boudou, op. cit., p. 57. L’hospitalité correspond donc au mode positif de la réciprocité, l’hostilité à son mode négatif. Les sens d’hôte et d’ennemi se distinguent ainsi, comme les deux faces de la même réciprocité.

L’hospitalité opère par réciprocités asymétriques - le maître de maison est souverain et au service de son hôte, l’hôte est prince mais soumis à l’accueillant -, le droit se fonde sur l´égalité. On voit ici resurgir les figures perverties de l’hôte ‘princier’ comblé de préséances et du maître serviteur, entre lesquels la loi veut rétablir équilibre et égalité.31 31 Gotman (2004, p. 204).

Un autre objet muséal dans l’exposition Persona grata a attiré notre attention (Photo 6). Dans cette œuvre, l’artiste évoque une vision critique de l’hospitalité en remettant en question la liberté de l’immigrant. L’espace infime proposé à l’étranger devient dès lors, pour l’artiste, un « espace excavé, qui, même une fois rebouché après l’exposition, existera toujours ». Pour Boudou, « le contraire de l’hospitalité n’est pas la fermeture (‘closure’), mais l’enfermement (‘enclosure’) ».32 32 Boudou, op. cit., p. 120.

Photo 6
Exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration. Source: Moataz Nars, Dome, 2011. Courtesy de l’artiste et Galleria Continua. Bois, cristal, vidéo projection, leds. Production : Établissement public du Palais de la Porte Dorée Musée national de l’histoire de l’immigration.

Espace spirituel que invite à la contemplation, Dome agit comme un espoir mais aussi comme un apprentissage. Apprentissage de la compassion, su partage, de l’amour. L’œuvre se fait ode symbolique à la rencontre et à la fraternité. Elle insuffle la possibilité du dialogue entre les culture et les êtres.33 33 Wenden, op. cit.

La liberté de circulation fait partie des droits mentionnés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Le droit d’asile est évoqué lui aussi dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le droit d’asile est devenu un droit positif, régi par la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951.

Les espaces circonscrits imposés aux immigrants et réfugiés situés dans certaines institutions et dans des camps provisoires les emprisonnent, et eux-mêmes finissent par ne pas être capables d’établir des échanges avec la société qui devrait accueillir. La liberté de circulation, qui à d’autres moments a été évoquée comme développement social, aujourd’hui est de plus en plus restreinte et la vie des réfugiés commence à dépendre de miettes de fraternité que la modernité ose appeler hospitalité.

L’hospitalité, à l’origine, est au-delà des actions ponctuelles de fraternité, car elle se propose de diminuer les relations d’injustice que les lois supposément égalitaires de l’État ne diminuent pas. Le sens de l’hospitalité ne se trouve pas dans des principes de justice que régiraient la relation, mais dans l’injustice qu’elle corrige. La relation d’hospitalité peut être injuste, éventuellement violente (rituellement) et inégalitaire. Réaliser la justice consiste ni plus ni moins qu’à réduire la domination.34 34 Cf. Boudou, op. cit.

Comme nous avons déjà voulu le démontrer, les critiques historiques et sociologiques de l’hospitalité française exposées au Musée national de l’histoire de l’immigration sont en accord avec de nombreux penseurs classiques et contemporains de l’École française de l’hospitalité.

Pour Gotman la migration est une expression du désir des gens de choisir où ils veulent vivre et profite de surcroît aussi bien aux pays d’origine qu’aux pays d’accueil.35 35 Gotman (2017). La migration est liée à la précarité. Depuis les années 1970, ces champs ont été abondamment traités par les sciences sociales, qu’il agisse de la sociologie urbaine sondant les modes de cohabitation et de conflits développés dans le cités et les quartiers en difficulté, des approches historiques et socio-ethnologiques des phénomènes migratoires, des réflexions politiques et juridiques sur les politiques de maîtrise des flux migratoires, la réglementation du séjour et les lois de naturalisation, et des évaluations de politiques sociales territorialisées.

Depuis la fin des années 1980, et surtout durant la décennie suivante, des exilés du monde entier sont de plus en plus nombreux à traverser plusieurs États européens - souvent la Grèce, l’Italie, puis la France - pour finalement trouver asile en Grande-Bretagne, où les conditions d’accueil restent d’ailleurs plus attractives qu’en France, en particulier pour les demandeurs d’asile sans ressources : prise en charge dès l’arrivée para une ONG financée par l’État, hébergement sous certaines conditions, allocation hebdomadaire, cours d’anglais, et possibilité d’être autorisé à travailler si la demande d’asile échoue.36 36 Cf. Carrere (2004).

Si l’on pense à la migration contemporaine dans une perspective d’hospitalité, l’exposition Persona grata ne pourrait s’empêcher de muséographier ce qui s’est passé à Calais. Sangatte est une commune française située dans le département du Pas-de-Calais. De 1999 à 2002, la commune a fait l’objet d’une importante exposition médiatique pour avoir hébergé un centre d’accueil des migrants cherchant à passer au Royaume-Uni. Elle a également accueilli plusieurs campements de fortune de réfugiés.

Les enregistrements photographiques de la désoccupation forcée réalisée par le gouvernement français dans le camp des immigrants, connu notamment comme « jungle », constatent l’absence d’une politique d’hospitalité envers eux ou, dans son revers à sens unique, dénotent une politique d’hostilité sévère à leur encontre. La trajectoire migratoire pour ces sujets prendrait une direction différente de leur prétention de traverser la frontière vers l’Angleterre. Après cette action, beaucoup d’immigrants se sont dirigés dans le nord de Paris, où ils sont dans des situations d’abandon réduits aux miettes de fraternité de quelques institutions non gouvernementales.

Après la fermeture du camp de réfugiés de la Croix-Rouge à Sangate, en novembre 2002, Bruno Serralongue débute un projet sur le vie des migrant en transit, installés à la lisières de la ville : compte-rendu photographique du démantèlement du camp de migrants de Calais connu sous le nom de « bidonville d’état » ou de « new jungle » (Photo 7 et Photo 8).

Photo 7
Exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration. Source : Bruno Serralongue, Chemin à l’aube 2, Calais, Juillet, 2006. Tirage jet d’encre sur papier contrecollé sur aluminium, capot.

Photo 8
Exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration. Source: Bruno Serralongue, Chemin à l’aube 2, Calais, Juillet, 2006. Tirage jet d’encre sur papier contrecollé sur aluminium, capot.

La « jungle » de Calais avait en 2016 entre 7 500 et 10 000 personnes retenues dans un bidonville de tentes et d’abris, avec 73 restaurants, des épiceries, des lieux de culte, des écoles, des bibliothèques, des terrains de foot et de volley, un centre juridique où traiter les violences envers les migrants et aussi entre eux, une centaine de latrines, 116 points d’eau ; cependant, les cafés et les restaurants du camp ne sont pas que des cafés et des restaurants. Ils accueillent les nouveaux réfugiés le temps que les associations de bénévoles ou les ONG leur fournissent une tente et leur donnent des repères. La logique de l’État est la fermeture d’une « jungle » qu’il avait lui-même fait naître en refusant de créer des maisons d’accueil et de fraternité dans toutes régions de France. Le camp, par l’hospitalité, peut devenir une cité potentielle, éphémère, mais un lieu malgré tout moins inhumain et oublié.37 37 Cf. Brugère; Le Blanc, op. cit.

Les politiques françaises d’intégration ont fini par insérer les immigrants dans le même cas des autres marginalisés sociaux et ne se sont concentrées que sur des aides spécifiques : « les politiques d’intégration ne différencient pas immigrés, populations précaires ou marginaux, sinon pour compenser les ‘handicaps’ notamment linguistiques des populations immigrées par des aides spécifiques ».38 38 Gotman (2004, p. 9).

En France, très régulièrement, la police intercepte et détient les passagers à la descente des avions, avant le contrôle officiel des frontières, pour ne pas avoir à les refouler au grand jour. Rendu invisible, ce refoulement avant ou hors le territoire national est contraire à la Convention de Genève qui accorde aux demandeurs d’asile le droit, la possibilité, de déposer leur requête. La situation des réfugié-e-s est aujourd’hui le résultat de la politique systématique du pire.39 39 Cf. Ivekovic (2016).

Cependant, les politiques d’hospitalité dans des villes françaises ne sont pas toujours les mêmes et, dans quelques cas, des propositions d’intégration effectives ont été faites. Barros (2004) raconte qu’après la Seconde Guerre mondiale, les communes ont été dessaisies de toute compétence en matière d’attribution de titres de séjour des étrangers. À Roubaix, la municipalité reconnaît les associations dédiées à la prise en charge des indigènes en métropole et à Nanterre la municipalité communiste participe à certaines des actions des résidents algériens contre la colonisation française et, à travers cette dernière, contre le gouvernement dont le PCF vient d´être exclu.

Sur Nanterre: Peut-on, pour conclure, opposer les logiques d’hyperintégration et les logiques d’exclusion ? Si on se place sur le terrain d’une éthique de l’hospitalité, comment parler d’une ‘ville pour tous’, de valeurs universelles, si on en limite aussitôt le champ d’application aux seules frontières communales ? En vérité ces deux phénomènes apparemment contradictoires vont de pair tant dans le discours que dans la pratique locale.40 40 Daadouch (2004, p. 140).

Outre le fait qu’elles sont extrêmement variables, les règles d’accueil sont parfois tout simplement illégales en France. L’hospitalité n’appelle pas nécessairement à supprimer les frontières, mais à se demander si les frontières instituées favorisent la transformation d’un pouvoir en domination pour les frontières de l’appartenance. La position d’un réfugié ou d’un demandeur d’asile doit permettre la revendication politique de ces individus. Prendre l’hospitalité au sérieux implique enfin de renoncer à l’idée d’une éthique de l’immigration parfaitement juste. L’hospitalité doit donc être considérée à partir des conditions effectives de l’accueil.41 41 Boudou, op. cit.

Les opposants aux discours d’hospitalité en France disent qu’il n’est pas possible pour le pays d’accepter toute la misère du monde sans penser qu’à d’autres moments de leur histoire.

On se trouve donc face à une situation largement entachée d’hypocrisie : d’un côté, il y a la proclamation d’un droit, et d’un devoir, sacrés, auxquels les citoyens des pays riches sont attachés. Ces citoyens supposent que les administrations en charge de l’application du respect du droit d’asile veillent à accorder le statut de réfugié à tous ceux qui sont fondés à s’en réclamer. De l’autre, il y a l’idée, devenue consensuelle dans les nations riches - avec le fameux ‘on ne peut pas accueillir toute la misère du monde’ -, que la fermeture des frontières et le ‘contrôle des flux migratoires’ sont des impératifs.42 42 Carrere, op. cit., p. 281.

Le problème de l’appartenance subsume la question de la globalité. Il est devenu évident que l’humanité est une, il est en revanche de plus en plus complexe de définir les facteurs déterminants de l’appartenance aux multiples visages que peut revêtir la globalité. Ces éléments restaurent au sein de la démocratie la capacité de traiter de l’universalité de l’homme autour d’un humanisme qui a uni des opposants politiques aussi marquants qu’un Robespierre et un Tocqueville, et permettent à l’autre, le nécessiteux, le marginal, l’étranger de trouver asile dans cette société qui s’honore de savoir comprendre l’universel et le particulier, au lieu de déporter des familles.43 43 Cf. Assier-Andrieu (2004).

Devant cette situation, l’œuvre suivante exposée dans Persona grata (Photo 9) cherche à établir qu’« il existe un monde délabré de l’inhospitalité qui renvoie à nos décisions de ne pas accueillir. Et s’il nous arrive au mieux de secourir des vies dont le pronostic vital est presque engagé, c’est pour les laisser sur le trottoir l’instant d’après, hors de tout dispositif d’accueil. Si nous savons encore secourir, nous ne savons plus accueillir. Pourtant, l’hospitalité est accueil : elle vise à restituer un lieu pour une vie privée de lieu ».

Photo 9
Exposition Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration. Source: Dan Stockholm, By Hand, 2016. Briques d’argile crue, collection de l’artiste.

By hand en est la parfait illustration. L’artiste Donne corps à cette action en réalisant une douzaine de moulages de ses mains. Les empreintes de celles-ci, seules ou joint, sont imprimées en creux dans chacune des briques qui constituent un mur - souvenir, mur - mémoire, réminiscence de la maison paternelle réincarnée par le geste.44 44 Wenden, op. cit.

Le travail d’intégration, quant à lui, a commencé sans bruit sitôt l’émigration décidée, et se poursuit jour après jour, dans tous les gestes de la vie quotidienne, en ville, à l’école, au travail et pour pénétrer une administration dont l’étranger, par son statut, dépend et dont il est en quelque sorte un ressortissant. Pour Gotman en France, on le sait, il s’agit certes d’accueillir les différences mais non de les cultiver : « la gestion des périodes intermédiaires entre l’arrivée sur le territoire et le plein accès aux ressources communes […] retient les immigrés bénéficiaires dans un régime de dépendance administrative et d’hospitalité ».45 45 Gotman (2004, p. 15).

La volonté d’aider n’est pas nécessairement de l’hospitalité, mais c’est une action qui amène à regarder l’autre, même partiellement. La tâche d’intégrer l’être humain dans un lieu qui n’est pas le sien devient encore plus complexe. Toutefois, le travail d’intégration conduit par une politique d’hospitalité de l’État est l’exercice dans lequel nous devons nous engager afin d’aller au-delà des pratiques caritatives isolées. L’hospitalité, à la lumière du Musée national de l’histoire de l’immigration, propose des exercices pratiques d’hospitalité qui mettent à l’épreuve notre sens de la collectivité, essentiellement dans cette période où la société se caractérise par l’individualisme et la liquidité des relations sociales.

CONCLUSION

Le lien entre l’hospitalité et l’immigration, inséré dans les expositions permanente et temporaire (Persona grata) du Musée national de l’histoire de l’immigration, a servi à la réflexion sur les pratiques des inclus et des exclus du processus social. La muséification de ce processus est devenu un chemin vers l’apprentissage critique et culturellement institué. La visite des expositions et des événements qui en ont découlé par le présent chercheur et par un public diversifié a soulevé le débat de l’hospitalité à un moment opportun : L’hospitalité fait naufrage sur la scène contemporaine face à l’ascension du nationalisme et de l’extrême droite en France et dans divers pays du monde, comme au Brésil.

Derrida et Dufourmantelle nous annonçait déjà le retour des nationalistes et des fondamentalistes dans leurs aspects les plus sanglants, de sorte qu’il est nécessaire de penser l’hospitalité sous la menace de la finitude de l’amour.46 46 Derrida; Dufourmantelle, op. cit. Nous avons constitué cette perspective épistémologique à partir des concepts d’hospitalité publique d’Anne Gotman et d’autres auteurs français contemporains, tels que Benjamin Boudou, Brugère et Le Blanc.

La présentation de la proposition muséographique de l’exposition Persona grata du Musée national de l’histoire de l’immigration fait ressortir les critiques de l’hospitalité dans la modernité. À partir de ce cadre, nous appelons École française de l’Hospitalité celle qui insère les hostilités humaines comme une partie du contexte de l’hospitalité. Le courage de l’hospitalité est nécessaire pour construire un système d’asile commun fondé sur la responsabilité publique des citoyens et la volonté politique des dirigeants mondiaux. Pour faire face à la précarité du sujet migrant contemporain, il est impératif de construire des dispositifs d’inclusion sociale. Cependant, le scénario qui se présente est celui de l’hospitalité à rebours, les migrants ne devenant visibles à l’État que pour leurs actions hostiles, alors que les dispositions en matière d’accueil des institutions religieuses et des organisations non gouvernementales sont insuffisantes, de sorte qu’elles font un travail d’hospitalité palliatif.

Alors, dans ce cadre volatile contemporain des migrations et des refuges, il est primordial de comprendre l’action des pays qui reçoivent de tels flux migratoires, tant par les actions prises par l’État que par la réceptivité de la société. On présuppose que le don et l’aspiration inconditionnelle sont des éléments fondants de l’hospitalité qui doivent guider les actions envers l’autre être humain dans son impossibilité. Les politiques doivent être capables de créer des directives affectives pour la compréhension de l’accueil humain, essentiellement dans la relation d’échanges asymétriques et affectives, dans un régime asymétrique avec un regard d’aspiration inconditionnelle sur l’autre : l’inconnu, l’étrange, l’étranger, le migrant, le réfugié, etc. À partir d’ici, nous verrons comment ce cadre s’applique à la pratique de quelques institutions et organisations qui accueillent ces groupes dans les villes en tant que persona grata

SOURCES IMPRIMÉES

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LIVRES, ARTICLES ET THÈSES

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  • MINAYO, Maria Cecília de Souza (org.). Pesquisa social: teoria, método e criatividade. Petrópolis: Vozes, 2012.
  • 1
    Recherche postdoctorale en sociologie réalisée à l´Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales - Sorbonne, dirigé par Mme Anne Gotman, directrice de recherche émérite au- Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) - Centre de Recherche sur les Liens Sociaux (Cerlis).
  • 3
    Mauss (2008MAUSS, Marcel. Ensaio sobre a dádiva. Lisboa: Edições 70, 2008.).
  • 4
    Derrida; Dufourmantelle (1997DERRIDA, Jacques; DUFOURMANTELLE, Anne. De l’hospitalité. Paris: Calmann-Lévy, 1997.).
  • 5
    Minayo (2012MINAYO, Maria Cecília de Souza (org.). Pesquisa social: teoria, método e criatividade. Petrópolis: Vozes, 2012., p. 15).
  • 6
    Geertz (1989GEERTZ, Clifford. A interpretação das culturas. Rio de Janeiro: Guanabara, 1989., p. 52).
  • 7
    Gotman (2004GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004., p. 200).
  • 8
    Cf. Delaplace (2015DELAPLACE, Andréa. Le Musée de l’histoire de l’immigration à Paris: une collection et un musée en devenir. Anais do Museu Paulista, São Paulo, v. 23, n. 2, p. 239-264, 2015.).
  • 9
    Ibidem.
  • 10
    Cf. Gotman (2017GOTMAN, Anne. L’hospitalité est-elle soluble dans le droit ? In: WIEVIORKA, Michel (ed.). Les Solidarités. Auxerre: Éditions Sciences Humaines, 2017. p. 269-284.).
  • 11
    Cf. Derrida; Dufourmantelle, op. cit.
  • 12
    Gotman (2011GOTMAN, Anne. « 30. Sous la solidarité et le droit : l’hospitalité ». In: PAUGAM, Serge (org.). Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales. Paris: Presses Universitaires de France, 2011. p. 599-617., p. 601).
  • 13
    Disponible sur : <https://bit.ly/3krH7Dc>. Accès en 12 nov. 2020.
  • 14
    Cf. Poinsot (2018POINSOT, Marie. « Un défi de démocratie culturelle ». Hommes & Migrations, Paris, n. 1322, p. 1, 2018.).
  • 15
    Cf. Boudou (2017BOUDOU, Benjamin. Politique de l’hospitalité. Paris: CNRS Éditions, 2017.).
  • 16
    Ibidem, p. 177.
  • 17
    Ibid., loc. cit.
  • 18
    Gotman (2001GOTMAN, Anne. Le sens de l´hospitalité. Essais sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre. Paris: Presses Universitaires de France, 2001., p. 601).
  • 19
    Idem, 2013, p. 8.
  • 20
    Ibidem.
  • 21
    Idem, 2001.
  • 22
    Cf. Brugère; Le Blanc (2017BRUGÈRE, Fabienne; LE BLANC, Guillaume. La fin de L´hospitalité. Paris: Flammarion, 2017.).
  • 23
    Disponible sur : <https://bit.ly/3eURdLV>. Accès en 11 nov. 2020.
  • 24
    Delaplace (2015DELAPLACE, Andréa. Le Musée de l’histoire de l’immigration à Paris: une collection et un musée en devenir. Anais do Museu Paulista, São Paulo, v. 23, n. 2, p. 239-264, 2015., p. 262).
  • 25
    Cf. Derrida; Dufourmantelle, op. cit.
  • 26
    Cf. Gotman (2013GOTMAN, Anne. Du Capitaine Cook à l’hôte administratif : l’hospitalité au sens propre et au sens figuré. Santé et politiques d’accueil, Bordeaux, 2013.).
  • 27
    Wenden (2018WENDEN, Catherine Wihtol de (coord.). Persona grata. Experiénces migratories et territoires. Hommes & Migrations , Paris, n. 1323, 2018. 200 p.).
  • 28
    Cf. Brugère; Le Blanc, op. cit.
  • 29
    Gotman (1997GOTMAN, Anne. La question de l’hospitalité aujourd’hui. Communications, Lyon, v. 65, p. 5-19, 1997. , p. 16).
  • 30
    Boudou, op. cit., p. 57.
  • 31
    Gotman (2004GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004., p. 204).
  • 32
    Boudou, op. cit., p. 120.
  • 33
    Wenden, op. cit.
  • 34
    Cf. Boudou, op. cit.
  • 35
    Gotman (2017GOTMAN, Anne. L’hospitalité est-elle soluble dans le droit ? In: WIEVIORKA, Michel (ed.). Les Solidarités. Auxerre: Éditions Sciences Humaines, 2017. p. 269-284.).
  • 36
    Cf. Carrere (2004CARRERE, Violaine. « Burden sharing » entre États et communes : les exilés à Sangatte et leurs « successeurs ». In: GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004.).
  • 37
    Cf. Brugère; Le Blanc, op. cit.
  • 38
    Gotman (2004GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004., p. 9).
  • 39
    Cf. Ivekovic (2016IVEKOVIC, Rada. Réfugié-e-s : les jetables. Marselle: Al Dante, 2016.).
  • 40
    Daadouch (2004DAADOUCH, Christophe. Comment peut-on être nanterrien? In: GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004., p. 140).
  • 41
    Boudou, op. cit.
  • 42
    Carrere, op. cit., p. 281.
  • 43
    Cf. Assier-Andrieu (2004ASSIER-ANDRIEU, Louis. Le droit universalise l’infériorisation. In: GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004.).
  • 44
    Wenden, op. cit.
  • 45
    Gotman (2004GOTMAN, Anne (org.). Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers ». Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004., p. 15).
  • 46
    Derrida; Dufourmantelle, op. cit.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    22 Jan 2021
  • Date of issue
    2021

History

  • Received
    14 Feb 2020
  • Accepted
    18 Sept 2020
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