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Les artisans de la concorde: Remarques sur le Congrès des Arts Populaires de Prague (1928)1 1 Cet article présente les résultats d’un stage de recherche à l’étranger financé par la Fondation d’aide à la recherche de la province de São Paulo (Fapesp), dans le cadre du programme BEPE (Bolsa Estágio de Pesquisa no Exterior), entre février et décembre 2020 - Procès 2019/16557-0.

The craftsmen of concord: notes on the Prague Congress of Folk Arts (1928)

RÉSUMÉ

Cet article analyse un événement spécifique : le premier Congrès international des arts populaires, qui s’est tenu à Prague en 1928. Lors de cette réunion, les savoir-faire artisanaux ont été considérés comme des outils diplomatiques efficaces : des éléments d’un réseau d’échanges culturels dont le but était de maintenir la paix. Nous mettons en évidence les principaux travaux qui y ont été discutés, en tenant compte du contexte géopolitique des années 1920 en Europe. L’objectif de cet article est de montrer comment les débats du dit congrès ont cherché à surmonter les rivalités nationalistes et à établir la concorde entre les nations européennes par un discours esthétique ancré sur le concept d’art populaire.

MOTS-CLÉS:
Tradition; Folklore; Coopération intellectuelle; Concorde

ABSTRACT

This article deals with the First International Congress of Popular Arts, held in the city of Prague, in 1928. During this meeting, craft traditions were considered effective diplomatic tools for comprising elements of a cultural exchange network whose aim was to maintain peace. The text highlights the main works discussed during the symposium, considering the geopolitical context of the 1920s in Europe. Based on the concept of folk art, this study sought to understand how this concept served as an aesthetic speech aimed to overcome nationalist rivalries and establish harmonious relations among European nations.

KEYWORDS:
Tradition; Folklore; Intellectual cooperation; Concord

LE FOLKLORE ET L’IDENTITE NATIONALE

Comme le remarque Eric Hobsbawm,3 3 Hobsbawm (1997). le phénomène de l’État-nation - un résultat des révolutions libérales, des mouvements d’indépendance des colonies américaines et des processus d’unification et de formation de nouveaux pays européens au cours du XIXe siècle - a été défini par la perception qu’une population, vivant dans les limites d’un territoire spécifique, configure une communauté ethnique et politique, ancrée dans de profondes racines historiques ainsi que dans mémoires et codes culturels communs, lesquels devraient être dirigés par un État.

Au cours du XIXe siècle, plusieurs collectivités européennes ont commencé à concevoir elles-mêmes comme des nations ou des peuples spécifiques, appartenant à un territoire historiquement constitué comme le « leur », et destinées à posséder un État propre.

Dans l’État-nation moderne, le modèle de la collectivité politique s’est associé à la catégorie « peuple ». Cette idée s’est développée depuis la fin du XVIIIe siècle, sur la base du romantisme allemand. Dans ce cas, le peuple était identifié au paysan, qui serait plus proche de la nature, et dont les habitudes seraient déterminées par le climat et le milieu géographique. Les populations rurales étaient tenues pour des communautés harmonieuses et pacifiques, composées d’hommes et de femmes sages et heureux, possédant des traditions inestimables. Par conséquent, les coutumes populaires sont devenues les symboles du nationalisme. Les populations agraires ont été représentées comme les gardiennes de l’histoire et des traditions les plus authentiques d’une nation. Le peuple (le paysan) était considéré comme une entité complète, organique, harmonieuse et pure ; sa spontanéité ou naïveté supposée constituerait une barrière immunologique contre les influences extérieures. Ainsi, les manifestations populaires - fêtes, coutumes, cuisine, danses, chants, etc. - seraient le trésor le plus précieux de la nation.4 4 Cf. Hobsbawm et Ranger (1983).

L’intérêt pour la culture du peuple remonte à la fin du XVIIIe siècle. Le romantisme allemand a donné lieu aux formulations les plus connues sur le populaire-national. Les philosophes Johann Herder et Johann Gottlieb Fichte, par exemple, considéraient le peuple germanique comme le fondement de la nation. Le peuple serait l’ « homme » simple et rustique de la campagne. Pour des philosophes et des écrivains tels que Schelling, Schleiermacher, Schlegel et Novalis, entre autres, le peuple signifiait le noyau d’origine de la nationalité ; il s’agissait d’une entité vigoureuse, enracinée depuis des siècles dans un territoire particulier, responsable de la transmission de la culture à travers des générations. Il convient encore de mentionner les frères Grimm, qui ont fait des recherches sur la poésie, les chants et les légendes traditionnelles au cours de la première moitié du XIXe siècle. Ces auteurs ont fourni d’importants repères nationalistes, car ils sous-tendaient la croyance qu’une communauté donnée serait naturellement destinée à un territoire, une histoire et une culture spécifiques. La création populaire était tenue pour impersonnelle et pure, une manifestation authentique de l’esprit national.5 5 Cf. Thiesse (1999).

Le concept de folklore est issu de la conception romantique du Volk (peuple en allemand), qui entendait couvrir le répertoire des expressions authentiques de la nation. Le 22 août 1848, l’ethnologue anglais William John Thoms a publié, dans le numéro 982 du magazine The Atheneum, à Londres, une lettre dans laquelle il proposait le néologisme folklore, employé pour la première fois pour désigner la sagesse du peuple - en l’occurrence, folk signifie « peuple », et lore « savoir ». Avec le temps, le terme a désigné l’étude et l’enregistrement des traditions paysannes préservées oralement. En 1878, Thoms a fondé la Folklore Society pour systématiser le folklore comme une science positive. Les recherches menées par l’entité ont mis l’accent sur les danses, les rituels, les mélodies, les fêtes, les légendes, les coutumes et les croyances.6 6 Cf. Bendix (1997).

À la fin du XIXe siècle, en Europe, le mot folklore s’est répandu comme référence aux populations rurales et aux traditions anonymes transmises oralement. Le mot présupposait que le milieu rural aurait conservé des coutumes ancestrales chères à une nationalité ; il a également évoqué une valorisation puriste qui considérait le campagnard comme un véritable représentant de la nation, dont les habitudes, plus proches de la nature, seraient restées à l’abri des mélanges et des influences étrangères. L’intérêt pour les objets et les savoirs populaires était étroitement lié à la menace qu’ils couraient à cause des transformations déclenchées par le capitalisme. Les cultures orales étaient érodées par la croissance urbaine et l’industrialisation. La perception de la disparition d’une culture donnée a été la principale motivation des études folkloriques. La culture des communautés paysannes était donc regardées comme des trésors anciens qui devraient être préservés du progrès technologique, car ils garderaient l’essence de la nation.7 7 Cf. Burke (2009).

Au cours du XIXe siècle, d’innombrables chercheurs se sont rendus dans les champs et les vallées lointaines des grandes villes à la recherche de prétendues origines nationales. Ces incursions étaient jugées urgentes, car l’ancien héritage risquait de disparaître en raison de l’avancée de la société capitaliste. Les traditions ancestrales seraient encore vivantes chez le peuple, comme des reliques qui résistent au temps bouleversé de l’industrialisation. L’étude et la diffusion du folklore, ou culture populaire, mettaient l’accent sur le local et le spécifique, visant toujours à la légitimation d’une identité collective-nationale. Bref, les recherches étaient orientées vers une définition du singulier, par opposition à l’uniforme et au massifié, caractéristiques de la société bourgeoise industrielle.8 8 Cf. Bendix (1997).

Pourtant, l’étude de la culture populaire a révélé des transferts, des croisements et des hybridations qui faisaient référence à plusieurs ethnies. Bien que le folklore relève de la construction des nationalités, son étude a fait connaître une dimension internationale : on a ainsi constaté que les traditions locales avaient des ramifications au-delà des frontières d’un pays. Les incursions pour l’enregistrement du populaire-national ont souvent dessiné un scénario multiethnique basé sur des échanges et des affiliations. En outre, la constitution d’un domaine de recherche folklorique est due en grande partie à la collaboration de chercheurs de différents pays. Paradoxalement, la définition des identités nationales par le folklore a permis la construction d’un savoir constitué de références culturelles transnationales.

Entre 1790 et 1795, le compositeur attiré des princes Esterhazy, Joseph Haydn, séjourne à Londres : à la suite de quoi il produit plus de 400 arrangements de chansons écossaises et galloises. Beethoven harmonise, entre 1810 et 1818, 57 chants irlandais, 25 chansons galloises, 37 écossaises et quelques italiennes. Il avait eu le projet d’une collection de chants populaires de tous les pays. Les premières recherches de mélodies populaires, comme celles des contes et poésies, s’inscrivent dans les principes énoncés par Herder et les Grimm de la découverte du national dans le transnational.9 9 Thiesse, op. cit., p. 180.

C’est précisément cette potentialité sémantique transnationale, inscrite dans l’idée de folklore, que nous entendons explorer dans cet article. Nous essaierons de montrer comment une conception esthétique de la culture populaire a rendu possible le Congrès de Prague, dont le but était de motiver la concorde entre les nations d’Europe.

Comme nous le verrons plus loin, le 1er Congrès international des Arts populaires, qui s’est tenu à Prague en octobre 1928, a été soutenu par l’Institut international de Coopération intellectuelle (IICI), un organisme crée en 1926 en tant que branche des Sociétés des Nations. Siégé à Paris, l’IICI avait pour objectif établir des relations diplomatiques par le moyen de la recherche coopérative internationale. En d’autres termes, l’institut visait à maintenir la paix par l’échange et la collaboration entre des savants et des chercheurs du monde entier.

La présente étude s’appuie sur la documentation produite par les organisateurs du congrès de Prague, qui étaient membres de l’IICI. Cette documentation se trouve aux Archives de l’Unesco, à Paris (où, par ailleurs, sont conservés tous les documents concernant l’IICI). Pour les besoins de cet article, nous avons utilisé deux types de sources primaires : a) les documents administratifs ; b) les actes imprimés, c’est-à-dire la série de communications présentées lors de l’événement, publiée en deux volumes et intitulée Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1erCongrès international des Arts populairesINSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1..10 10 Les sources primaires utilisées ici sont référencées à la fin de l’article.

D’une façon générale, les documents administratifs contiennent des lettres circulaires et des procès-verbaux de réunions qui permettent de retracer la manière dont se sont déroulées les négociations pour la mise en place du congrès (date, lieu, thèmes, pays participants, etc.). Certains de ces documents sont cependant des déclarations officielles, utiles pour mettre en évidence la position de ceux qui ont promu l’événement - leurs buts et idéaux, leurs attentes et projets par rapport aux débats qui y étaient proposés, etc.

Les annales du congrès, à leur tour, sont des sources importantes car elles indiquent, outre le point de vue des organisateurs, les positions des participants. Bien que nous ne puissions pas savoir exactement quelle a été la teneur des débats qui ont eu lieu au symposium de Prague - puisqu’il n’y a pas de témoignages directs à leur sujet -, les actes imprimés sont fondamentaux dans la mesure où ils présentent des nuances, des singularités, des tensions et des approches inusitées, qui enrichissent la réflexion.

De la recherche sur les sources primaires, nous pouvons conclure que les participants étaient en gros répartis en trois groupes. Le congrès de Prague a été suivi en plus grand nombre par un groupe d’intellectuels professionnels d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique - professeurs universitaires, directeurs de musées et chercheurs libres souvent rattachés à des associations folkloriques. Un nombre considérable de bureaucrates (conservateurs et administrateurs de musées, ou employés dans d’autres institutions de recherche telles que les archives et les bibliothèques) a également participé à l’événement. Enfin, un groupe d’artistes a participé de cette rencontre, la plupart desquels ont présenté des études sur la musique et la danse folkloriques - comme les compositeurs hongrois Laszlo Lajtha et Béla Bartók, entre autres.

Du point de vue théorique et conceptuel, les travaux les plus complexes - et qui offrent davantage d’éléments de réflexion sur les rapports entre la coopération internationale, la diplomatie et le folklore - ont été ceux produits par le groupe d’intellectuels. Les conférences présentées par les bureaucrates ont été une forme d’apologie des institutions auxquelles ils étaient rattachés (musées, associations, clubs folkloriques, archives, bibliothèques, etc.), et non des études théoriques à proprement parler. De leur côté, les artistes, dans leurs études, allaient rarement au-delà d’une description technique des savoir populaires - surtout la musique et la danse, comme il a été déjà mentionné, mais aussi la peinture, la céramique, la sculpture, etc. En somme, si le groupe des intellectuels a présenté une discussion plus dense sur le nationalisme, le folklore et la concorde, les autres groupes (bureaucrates et artistes) se sont tenus à des échantillons plus descriptifs. Ainsi, en nous servant des annales du congrès, nous avons accordé une attention particulière aux textes signés par les intellectuels professionnels, puisqu’ils permettent une réflexion plus large sur le thème concerné.

Il convient encore d’ajouter que peu de travaux universitaires citent le Congrès des Arts populaires de Prague. De fait, nous ne trouvons aucune étude axée exclusivement sur cet événement. La bibliographie, peu exhaustive, présente le congrès comme un chapitre de l’histoire de l’IICI (dont les activités ont été suspendues en 1939 à cause de la Seconde Guerre mondiale). Les seuls auteurs sur lesquels nous avons pu nous appuyer pour cet article sont Annamaria Ducci et Bjarne Rogan, dont les travaux pionniers se concentrent sur l’histoire de l’IICI, mais n’approfondissent pas l’analyse des débats qui ont eu lieu au congrès de Prague. Il s’agit de travaux davantage axés sur les relations politiques entre les personnages impliqués dans l’IICI, plutôt qu’une réflexion sur les discours et les concepts relatifs au folklore, à la coopération internationale, au nationalisme, etc.

Par conséquent, la contribution de cette étude consiste à mettre l’accent sur un événement spécifique et à montrer comment cet événement a pu élargir la perception de l’importance du folklore pour le projet d’une diplomatie basée sur la coopération scientifique internationale. Nous entendons donc contribuer à la bibliographie sur les relations internationales dans l’entre-deux-guerres par l’analyse d’un événement singulier, qui manque encore d’approfondissement.

LA SOCIETE DES NATIONS ET LE CONGRÈS DE PRAGUE

À la fin du XIXe siècle, le nationalisme et l’idée d’État-nation sont devenus des paradigmes géopolitiques en Occident. Le nationalisme a favorisé la rivalité entre les puissances économiques et militaires (l’Allemagne, la France et l’Angleterre) ; il a provoqué la haine et le fanatisme, étant parmi les principales motivations du déclenchement des conflits armées entre les nations européennes et, surtout, de la Première Guerre. D’autre part, dans certains pays politiquement consolidés, des mouvements nationalistes des groupes minoritaires ont commencé à revendiquer leur propre État. Au début du XXe siècle, les idéaux nationalistes se sont propagés à travers l’Europe, gagnant la sympathie des Arméniens, des Géorgiens, des Lituaniens, des Juifs, des Macédoniens, des Albanais, des Ruthènes, des Croates, des Basques, des Catalans, des Flamands, entre autres, qui ont revendiqué le droit à un État propre, identifié à une culture et à un territoire spécifiques.11 11 Cf. Hobsbawm, op. cit.

Après la Première Guerre mondiale, la réorganisation géopolitique du continent européen a provoqué la crise du modèle de l’État national. Les États naissants ont dès lors comporté des ethnies différentes et, dans de nombreux cas, l’idéologie hégémonique n’a pas été en mesure d’apaiser les rivalités entre les groupes qui cohabitaient à l’intérieur des mêmes frontières. De ce fait, des conflits n’ont pas tardé à éclater opposant des ethnies différentes, au sein d’un même pays, chacune revendiquant le droit à l’autodétermination, c’est-à-dire à avoir un État qui lui soit propre.

Pour régler les questions géopolitiques dans ce contexte de tension et éviter de nouvelles guerres, une instance diplomatique internationale a été créée : la Société des Nations (SDN), ou Ligue des Nations (LDN). La SDN a été conçu lors du Traité de Versailles en 1919, lorsque les puissances victorieuses se sont réunies pour définir les conditions d’établissement de la paix. Siégée à Genève, en Suisse, l’entité a été officiellement inaugurée en 1920, et son objectif était d’arbitrer les relations diplomatiques à l’échelle mondiale.12 12 Cf. Renoliet (1999).

En 1926, l’IICI, siégé à Paris et lié à la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI),13 13 Département consultatif de la LDN, la CICI a été créée en 1922 et siégeait à Genève, Suisse. Elle a bénéficié de la participation d’intellectuels reconnus tels que Marie Curie (France/Pologne), Albert Einstein (Allemagne), Henri Bergson (France) et Kristine Bonnevie (Norvège), entre autres. Cf. Renoliet, op. cit. a été créé au sein de la LDN. L’IICI avait pour mission de promouvoir les échanges scientifiques et intellectuels entre le plus grand nombre possible de pays. Ancêtre de l’Unesco, l’IICI était en charge de la diplomatie dite culturelle, basée sur l’échange de connaissances, de traditions et de savoir-faire comme stratégie de pacification.14 14 L’Institut international de Coopération intellectuelle a été supprimé en 1946, donnant lieu à la fondation de l’Unesco. Cf. Renoliet, op. cit. Le danger de destruction posé par la Grande Guerre a mis les questions culturelles à l’ordre du jour dans les relations internationales. On pensait que les échanges culturels et intellectuels engendreraient un sentiment de solidarité, alors que des négociations strictement économiques pourraient accroître les tensions. La coopération intellectuelle comprenait plusieurs domaines du savoir : philosophie, sciences naturelles, littérature, théâtre, arts plastiques, musique, ethnologie, muséologie, etc. ; elle a été conçue comme un moyen d’établir la paix entre les nations les plus puissantes du monde, et aussi pour donner de l’espace à des nations moins influentes (économiquement, politiquement et militairement), comme c’était le cas des nations latino-américaines et celles de l’Est européen.15 15 Ducci (2015, p. 133-148).

La première action importante de l’IICI a été l’organisation du premier Congrès international des Arts populaires, qui a eu lieu dans la ville de Prague du 7 au 13 octobre 1928. L’événement a été coordonné par Arnold van Gennep, Richard Dupierreux, Albert Marinus,16 16 Le Belge Albert Marinus s’est distingué comme journaliste, conférencier et folkloriste durant la première moitié du XXe siècle. Au début des années 1920, il a créé la revue Le Folklore brabançon et a pris la direction du Service de Recherches historiques et folkloriques de la Province de Brabant. Responsable de l’organisation des expositions d’art populaire, Marinus a été l’auteur de plusieurs ouvrages sur le folklore ; ses études portent sur les traditions populaires de l’ancienne province de Brabant, en Belgique. L’ouvrage le plus connu de l’auteur est Le folklore belge, publié en trois volumes. Source : <http://www.albertmarinus.org/>. Consultée le : 17 juillet 2020. Julien Luchaire (directeur de l’IICI)17 17 Julien Luchaire (1876-1962) était un écrivain français, docteur en littérature italienne. En 1921, il a été nommé membre de la CICI et, de 1926 à 1930, il a été directeur de l’Institut international de Coopération intellectuelle (IICI). Cf. Renoliet, op. cit. et Henri Focillon. Ces intellectuels pensaient que la connaissance des arts et des traditions populaires pourrait favoriser la paix entre les peuples. Le « populaire » était identifié à un monde paysan supposé bucolique et harmonieux ; les traditions concernaient des savoirs anonymes, transmis oralement, qui renvoyaient à la société pré-industrielle. Comme nous allons le voir, les savoirs locaux (populaires) ont acquis une importance universelle pour les congressistes.18 18 Ducci, op. cit., p. 133-148.

L’objectif du Congrès de Prague était de mettre en valeur les arts populaires et de défendre leur préservation face au danger qu’ils couraient. L’art populaire a été compris du point de vue du modèle de production artisanale. Le symposium a tenu un discours de résistance à la production capitaliste en série, en se prononçant contre la banalisation et en faveur des traditions singulières. D’anciens objets, pratiques et techniques ont été mis en évidence, tels que la poterie, le tissage, la tapisserie, l’orfèvrerie, l’architecture vernaculaire, les danses et les chants folkloriques, etc., qui seraient des symboles de réaction au paradigme industriel.19 19 Ibid.

Au début de 1926, le Belge Richard Dupierreux - professeur à l’Institut des beaux-arts d’Anvers, membre de l’IICI et responsable de la section des relations artistiques de la SDN - a invité le folkloriste Arnold van Gennep à occuper le poste de secrétaire scientifique du Congrès de Prague (chargé d’en formuler le programme). Au cours de sa séance du 20 juillet 1926, la CICI a officiellement approuvé l’événement. Le Suisse Conzague de Heynold, membre de la CICI, a été élu président du congrès, tandis que Dupierreux s’en est chargé du secrétariat administratif. Lors d’une réunion du 4 décembre 1926 à Paris, il a été décidé de former le comité officiel de l’événement, composé de Dupierreux, Luchaire, Henri Focillon et Gennep.20 20 Cf. Archives Unesco (1926-1928). Le 17 décembre (après la deuxième réunion de la commission tenue le jour précédent), une circulaire signée par Julien Luchaire a été imprimée, présentant les directives du Congrès de Prague :

Le champ des travaux de ce congrès peut, dès à présent, être déterminé. En tenant compte des rapports qui unissent l’étude des arts populaires et celle des problèmes de l’anthropologie, de l’ethnographie, de la linguistique, de la préhistoire, de l’archéologie et du folklore, ce Congrès envisagerait spécialement l’œuvre traditionnelle de l’artisan (formes, matières, techniques, mouvements) qui ajoute un élément de beauté ou d’expression de caractère utilitaire de l’objet à sa fonction dans la vie sociale.

La Commission de Coopération Intellectuelle a décidé de diviser le Congrès en cinq grandes sections : la Section européenne, la Section américaine, la Section asiatique, la Section océanienne, et la Section africaine.

Chacune de ces Sections devra notamment :

  1. Dresser l’inventaire des manifestations actuelles des divers arts populaires et discerner les persistances ;

  2. Etudier les rapports, les échanges et les influences ;

  3. Rechercher les causes de la disparition ou de la survivance des industries populaires et la possibilité de les maintenir et de les vivifier.

  4. Etudier les échanges entre les arts populaires et les Beaux-Arts en général.21 21 Ibid.

Le Roumain Georg Opresco, historien de l’art et secrétaire de la CICI, a suggéré que le congrès se tienne à Stockholm, en raison de l’importante tradition suédoise d’études du folklore, et aussi pour rapprocher l’IICI des pays scandinaves. Dupierreux, Focillon et Luchaire, à leur tour, ont souhaité que l’événement ait lieu à Bucarest, en Roumanie, car dans ce pays il y avait déjà de nombreux musées sur le sujet, et le gouvernement serait prêt à l’aider financièrement.22 22 Ibid.

Le congrès était prévu pour le printemps 1927, et une exposition sur les arts populaires pour 1928. Lors d’une réunion le 2 juillet 1927, la CICI a décidé que le symposium devrait avoir lieu au mois d’octobre 1928. Le gouvernement roumain n’étant pas disposé à le financier, le choix s’est porté sur Vienne et Prague. Finalement, le gouvernement tchèque a décidé de se charger du parrainage du premier Congrès international des Arts populaires. En conséquence, on a choisi la capitale de l’ancienne Tchécoslovaquie.23 23 Ibid.

La rencontre a eu lieu à l’Université Charles (Karlova Universitat) et a été divisée en cinq sections : 1) Études historiques, réflexions théoriques et méthodologiques, muséologie ; 2) Art en bois, métaux, architecture, mobilier, décoration ; 3) Art textile, vêtements, broderies, dentelles, filets, tapisserie ; 4) Musique et chanson ; 5) Danse, théâtre et représentations dramatiques. Des dizaines de personnes y ont participé (bien qu’il ne soit pas possible d’en connaître le nombre exact). Il y avait essentiellement trois groupes de congressistes : 1) des chercheurs ayant suivi une formation universitaire (fonctionnaires des musées, des archives ou des universités) ; 2) des artistes (écrivains, peintres et musiciens) ; 3) des représentants d’organisations travaillant pour la conservation de l’art populaire et d’autres bureaucrates. Dix-neuf pays y ont envoyé des délégués officiels. Des chercheurs de 31 pays y ont participé - européens, asiatiques, sud-américains et nord-américains.24 24 Rogan (2007, p. 7-23).

Le 15 août 1928, date limite pour l’envoi des résumés, Gennep25 25 En raison de sa position théorique, qui ne correspondait pas aux discours idéologiques ou nationalistes d’alors, Arnold van Gennep (1873-1957) a été choisi pour participer à l’organisation du congrès. Le projet de Gennep consistait plutôt à faire du folklore une discipline scientifique autonome. Ses références étaient la muséologie allemande et scandinave, qui utilisaient la cartographie comme ressource méthodologique centrale. Au moment où il a été appelé à participer au Congrès de Prague, il avait déjà publié d’importants travaux, comme Les rites de passage (1909), Le folklore (1924) et Coutumes et croyances populaires en France (1924). À cette époque, il avait par ailleurs commencé les recherches pour le Manuel de folklore français (travail inachevé, réparti en plusieurs volumes). Bien que Gennep n’ait pas présenté de communication au congrès, sa participation a été décisive puisqu’il a aidé à sélectionner les communications et à élaborer le programme scientifique du concours. Cf. Fabre (1992, p. 641-675). avait déjà reçu plus de 300 propositions de communications, lesquelles ont continué à arriver après cette date. Au total, 230 textes ont été remis au secrétariat. En 1931, la version finale des actes du Congrès a été publiée ; intitulée Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1erCongrès international des Arts populairesINSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 2., elle comprenait 180 textes divisés en deux volumes. L’article introductif, signé Henri Focillon, a cherché à dessiner un cadre conceptuel autour de l’expression « art populaire », afin de servir de référence aux débats. Le texte de Focillon n’est pas seulement le plus élaboré de tous les travaux publiés (du point de vue théorique), mais aussi celui qui présente une sorte de manifeste philosophique de l’événement. Voyons donc, à grands traits, comment l’auteur concevait l’art populaire.

L’ART POPULAIRE SELON HENRI FOCILLON

Né à Dijon en 1881, Henri Focillon (1881-1943) a étudié la littérature classique à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure. Au début du XXe siècle, il a travaillé comme enseignant à Bourges et à Chartres. En 1913, il est devenu professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lyon. Outre l’enseignement, Focillon s’est voué au journalisme et à la critique d’art. À Lyon, où il est resté jusqu’en 1925, il a dirigé le Musée des Beaux-Arts. En 1925, il a pris la chaire d’histoire de l’art médiéval à la Sorbonne. De 1937 à 1939, Focillon a enseigné à l’Université de Yale à New Haven. Intellectuel prolifique, l’auteur s’est distingué par des études sur l’art d’Extrême-Orient, la peinture moderne, l’histoire de la gravure, l’art médiéval et l’art populaire. Son œuvre la plus connue est Vie des formes (1934), essai sur le langage esthétique qui relie la forme artistique (spatiale, matérielle ou visuelle) à une signification autonome, qui serait propre à l’art et ne se réduirait pas à des déterminations externes - sociales, morales ou historiques.26 26 Ducci (2006, p. 341-377).

Selon Annamaria Ducci, Henri Focillon a organisé le Congrès de Prague avec l’aide du Roumain Georg Opresco (1881-1969), professeur d’histoire de l’art qui a enseigné à l’Université de Bucarest à partir de 1931, où il a également dirigé le musée Toma Stelian et fondé l’Institut d’histoire de l’art de l’Académie roumaine. Opresco et Focillon étaient amis depuis l’époque où l’intellectuel français travaillait à Lyon. En 1925, Focillon a intégré la CICI. En 1926, il a été responsable de la création de la Commission populaire des arts au sein de la CICI. Le groupe s’est réuni assez régulièrement en vue de l’organisation d’une rencontre sur les arts populaires.27 27 Ibid.

Par l’intermédiaire d’Opresco, Focillon a établi des contacts, après la Première Guerre mondiale, avec des universités et des musées roumains, en allant jusqu’à collaborer avec ceux-ci. Par ailleurs, en 1922, Opresco a présenté Foccilon à un groupe d’intellectuels et d’artistes qui se trouvaient à Bucarest, comme le biologiste Jean Cantacuzène (passionné d’art figuratif), le médecin Constantin Ionesco-Mihaesti, l’archéologue Vasile Pârvan, l’historien de l’architecture George Bals, le peintre Jean Steriadi et l’historien Nicolae Iorga. L’intérêt de Focillon pour l’esthétique populaire a été éveillé à l’occasion de ses voyages en Roumanie, où il y avait de nombreuses traditions paysannes - très anciennes en réalité, mais toujours vivantes. Des historiens tels qu’Arthur Haberlandt (participant du Congrès de Prague), Georg Opresco et Nicolae Iorga avaient déjà publié des ouvrages importants sur l’art populaire roumain.28 28 Nicolae Iorga, par exemple, est l’auteur de l’étude remarquée L’art populaire en Roumanie (1923). Parmi les œuvres les plus connues de Georg Opresco, on peut citer L’art du paysan roumain (1935). Cf. Ducci (2006, p. 341-377). En mai 1925, Focillon a organisé l’ « Exposition d’art roumain ancien et moderne » au Jeu de Paume, à Paris.29 29 Ibid. L’historien a également produit des études sur l’art populaire en Europe, dont certaines figurent dans le livre Moyen Age : Survivances et réveils.30 30 Focillon (1943).

Dans son « Introduction » aux Annales du Congrès de Prague, Henri Focillon aborde le folklore en dehors de tout préjugé nationaliste. Il comprend les traditions du peuple dans un large cadre ethnique, linguistique, géographique et historique, au-delà des frontières nationales. Ainsi, l’art populaire, en indiquant une origine commune à toutes les nations, pourrait être un instrument d’union et non de division. L’historien français soutient que les arts populaires seraient restés inconnus de l’élite éduquée pendant des siècles. D’après l’auteur, le romantisme du XIXe siècle a été responsable de la découverte et de la valorisation des arts populaires, notamment par la mise en valeur de la notion de « peuple », un élément actif, créatif et humain, par opposition aux œuvres des élites, jugées artificielles. Sous la diversité des manifestations ethniques, le romantisme mettrait en évidence un fonds commun, humain ou « primordial », dans la mesure où de telles manifestations reposeraient sur « l’ordre des puissances authentiques qui modèle les traits essentiels de l’humanité ». 31 31 Focillon (1931, p. VII). La culture populaire serait la manifestation singulière, l’acte localisé, d’une puissance spontanée et humaine. Un tel acte serait davantage motivé par l’émotion que par la raison. La valeur humaine des arts populaires serait dans l’affection, dans les émotions spontanées, et non dans le rationnel.

Le peuple, la poésie et l’art populaire dans la philosophie de l’histoire élaborée par le romantisme, c’est l’ordre des puissances authentiques qui modèle les traits essentiels de l’humanité. Pour la première fois, on aperçoit la forêt du folklore dans toute son ampleur, dans toute sa chatoyante diversité et l’on commence à ébaucher ce vaste système de comparaisons et de rapprochements qui tendent à montrer, sous la variété des races et des milieux, une sorte de fonds commun, une émotion et une sagesse unanimes.32 32 Ibid., p. VII.

Ces chefs-d’œuvre obscurs, un tapis, une poterie, une figure de danse, devenaient les symboles et les dépositaires d’une force fraternelle ; ils signifiaient l’union des cœurs ; longtemps voués à la servitude et à l’oubli, ils étaient soudain jetés au premier plan.33 33 Ibid., p. VIII.

Focillon considère les arts populaires comme un pouvoir imaginatif, un faire poétique opposé aux gestes automatisés de la société industrielle. L’auteur critique l’uniformité des objets promue par la production capitaliste ; en ce sens, la richesse humaine résiderait dans la diversité d’anciennes créations populaires. Néanmoins, ces traditions séculaires risqueraient de disparaître à cause de l’avancée de la production en série des usines modernes. Les puissances meurtrières déclenchées par la Première Grande Guerre accentueraient le danger de destruction de ces trésors historiques, fruits d’un savoir-faire immémorial. Il fallait, en conséquence, défendre les arts populaires.

Dans les nations où l’élément paysan domine et conserve avec charme des aptitudes anciennes, de hauts esprits jugent qu’il est possible, en faisant appel aux procédés et à la main-d’œuvre indigènes, de lutter avec avantage contre la production en série, banale, interchangeable, et de sauver ainsi, en l’associant à la vie active de la nation, son patrimoine le plus précieux.34 34 Ibid., p. IX-X.

Les différentes traditions populaires formeraient un patrimoine commun. Les créations des peuples résulteraient de compétences humaines élémentaires, lesquelles dépasseraient leurs contextes régionaux ou nationaux pour prendre une valeur universelle. D’après Focillon, l’objectif du congrès serait « de susciter des comparaisons et d’établir les grandes lignes d’une sorte de tableau idéal où le classement par nationalité n’empêcherait pas de voir avec force les liens qui unissent tant de formes diversement nuancées, mais non pas étrangères les unes aux autres ».35 35 Ibid., p. X. L’auteur propose de comprendre l’art populaire au travers de trois échelles d’analyse :

Temps

Au temps accéléré de la modernité, on oppose un temps lent, voire immobile. Les cultures du temps lent produisent le folklore tout court : les us et coutumes, les croyances, les usages et les savoirs traditionnels, les légendes, etc. Les arts populaires correspondent à une temporalité distincte du monde moderne et ne sont pas régis par l’invention ou le renouvellement, mais par la permanence. Dans cette temporalité presque immobile, les techniques sont conservées ; les mêmes matériaux et outils sont toujours utilisés ; les formes, les expressions et les objets sont toujours similaires.

Espace

Les arts populaires dépassent les notions de la géographie et de la géopolitique contemporaines et ne se limitent pas au référentiel de la nationalité. En d’autres termes, les traditions populaires ne sont pas limitées à une « identité nationale », car ces traditions ont été formées par des échanges multiethniques millénaires - des échanges transversaux entre des communautés spécifiques -, qui dépassent les frontières d’une nation. En se répandant ainsi dans l’espace, les arts populaires font partie d’un patrimoine transnational.

Action

Contrairement à la conception moderne d’art, les savoirs populaires relèvent des besoins quotidiens - c’est pourquoi on les appellerait aussi « arts fonctionnels ». Les arts populaires n’entrent pas dans la catégorie des arts désintéressés ou autonomes, comme c’était le cas pour l’art classique. Pour Focillon, la valeur des créations du peuple est ancrée dans leur utilité : il s’agit d’un art doté d’une fonction sociale, c’est-à-dire au service de la vie quotidienne - un art « vivant », pour ainsi dire, immanent aux gestes et aux actions ordinaires.

Puisqu’ils s’enracinent dans un temps profond et se répandent au long d’un espace transfrontalier, en rendant ainsi possible les actions nécessaires à la vie des gens, les savoirs et coutumes populaires auraient une valeur esthétique et humaine inestimable. Considéré par Focillon comme une « sagesse unanime » (essentielle), les traditions seraient des moyens efficaces pour promouvoir la compréhension mutuelle et renforcer les alliances entre les nations. Dans son article introductif, l’historien français a non seulement voulu dresser un tableau d’orientation des débats, mais aussi susciter des propositions de préservation de cet ensemble complexe de manifestations assemblées sous la rubrique « arts populaires ». Il s’agissait d’établir un large horizon de références à partir duquel une identité humaine universelle pourrait être perçue.

TENSIONS ENTRE LE NATIONAL ET L’INTERNATIONAL

Quelque effort d’orientation que Focillon ait exprimé, les débats qui ont eu lieu au Congrès de Prague sont restés dans les limites très restreints d’un point de vue conceptuel. En règle générale, des recherches riches en détails descriptifs, mais fragiles en matière de réflexion théorique, y ont été exposées. Les organisateurs et les conférenciers, pour avoir suivi la politique de conciliation de l’IICI, d’ailleurs recommandée par la SDN, ont évité à tout prix des affrontements susceptibles de provoquer des émotions chauvines. De cette manière, les travaux sur les techniques artisanales et les performances visuelles (la danse et le théâtre) ont été privilégiés. Des études portant sur des traditions orales ou écrites - fables, poésie, légendes, mythes, épopées, hagiographies, etc. - ont été écartées, car elles pourraient encourager des positions par trop nationalistes.

Sous le nom « art populaire », l’IICI a voulu limiter les présentations du congrès aux connaissances et techniques traditionnelles, issues notamment des communautés paysannes. On a identifié le « populaire » au monde rural et à la production anonyme, qui comprenait des objets tangibles, considérés comme utilitaires ou fonctionnels. Ces artefacts et savoirs auraient un sens esthétique qui serait à la fois local et universel, historique et intemporel. Dans une notice datée du 1er mai 1927, le journal belge Neptune a salué le Congrès de Prague avec les mots suivants :

The practical consequences of this congress, and even more the lessons to be learned, may be considerable. It is highly possible that this congress will be an effective tool for universal peace. [Folk] art will increasingly become the flower of peace... The aim of the promoters of the Prague congress... is both aesthetic and social, and we would suggest: political. By studying the expressions of folk art in different regions - the most varying and the most distant the one from the other, one will be able to establish the deeper reasons for the analogies of form and the identity of patterns, between peoples of different races, and consequently the relations which have existed between peoples who are today strangers, even sometimes enemies. The demonstrations of these old relations and their fertile influence on culture and the evolution of art will serve as an element of reconciliation, the awakening, in some way or other, of a source of friendship, stronger than any diplomatic approach36 36 Apud Rogan, 2007, p. 10.

Pour la paix et la compréhension mutuelle, l’événement cherchait à mettre en lumière ce que les nations avaient en commun, à étudier la répartition géographique des types d’arts populaires, à faire l’inventaire des traditions survivantes et à proposer des moyens de les préserver. L’accent mis sur l’artisanat, au détriment des productions littéraires et orales, était une stratégie visant à éviter les interprétations nationalistes habituelles auxquelles ces productions étaient soumises. Les objets tangibles seraient plus aptes que la littérature à l’expression d’une esthétique transnationale. Les arts populaires représentés par les techniques artisanales constitueraient un terrain propice aux échanges, à la cohésion et à la concorde entre les peuples, puisque ces savoirs dépasseraient les frontières régionales ou nationales en se projetant sur un espace plus vaste, c’est-à-dire comme un patrimoine commun à l’humanité.

Les discussions du Congrès se sont partagées entre deux sens attribués au concept de culture populaire. Parfois, celle-ci était présentée comme une sphère universelle, alors que certains travaux la renvoyaient à un contenu nationaliste qui pourrait favoriser « l’émergence de rivalités et de revendications territoriales ».37 37 Ducci (2015, p. 136). Le terme « art populaire » a été choisi comme titre de l’événement parce qu’on estimait qu’une telle notion exprimerait une signification plus universelle, ou moins régionaliste, que des termes tels que « folklore », « ethnologie » ou « ethnographie ». Ces mots étaient censés fomenter des sentiments nationalistes et motiver des revendications séparatistes. La géopolitique de l’époque était une question délicate et les discours ethnographiques ou folkloriques pourraient légitimer des mouvements en faveur de nouvelles souverainetés nationales. Cependant, le terme « art populaire » a été utilisé dans le même sens que celui de folklore (connaissance du peuple, ou savoir traditionnel lié au monde rural). Comme le souligne Bjarne Rogan, “The recognition of regional or national cultures was seen as a potential source of conflict. On the other hand, folk art was regarded as a medium for mutual sympathy and understanding between populations and ethnic groups [...]”.38 38 Rogan (2007, p. 7).

Les travaux présentés ont été divisés en trois axes : une section théorico-méthodologique a proposé des réflexions conceptuelles sur les arts populaires ; un groupe d’études régionales et nationales ; enfin, un ensemble d’études portant sur des techniques et des connaissances spécifiques, comme le tissage, la tapisserie, la musique, la danse, l’architecture, la broderie, la poterie, la faïence, la menuiserie, la sculpture, etc.

En gros, les communications visaient à donner une définition précise de l’objet en question. En ce qui concerne le temps, les membres du Congrès ont fait écho au discours d’Henri Focillon : les arts populaires correspondraient à la longue durée de la vie paysanne. D’où il s’ensuit que le temps de la tradition (anonyme, collective) s’opposerait au temps bouleversé de la ville industrielle. Les arts populaires seraient des symptômes d’un temps structuré et stable, c’est-à-dire d’un temps essentiel. Cependant, face aux changements accélérés de la société moderne, les traditions millénaires risqueraient d’être démantelées et oubliées : le lent processus de production artisanale cédait la place à la production en série des usines ; l’exode rural déstructurait les communautés paysannes et gonflerait les centres urbains. L’urbanisation et l’industrialisation ont été regardées comme les principaux facteurs de la crise des traditions populaires. La modernité détruirait cette temporalité fondatrice, déterminante pour la perception d’un espace culturel transfrontalier. L’appréciation des arts populaires était alors fondée sur la critique du capitalisme. Les conférenciers se sont mis à critiquer la production en série et à mettre en garde contre la perte des traditions populaires. Dans l’étude intitulée « Le Dansk Folkemuseum et l’art populaire du danemark » (sur l’architecture vernaculaire, la broderie, le tissage, la menuiserie et la charpenterie), Jörgen Olrik, conservateur du Musée du Folklore danois (Dansk Folkmuseum), a résumé la situation de la culture populaire-paysanne au Danemark dans les termes suivants :

Aujourd’hui la vieille culture rustique se meurt en Danemark de n’avoir pu s’accommoder de l’évolution des industries actuelles, évolution à laquelle l’agriculture même a participé peut-être plus que dans beaucoup d’autres pays. Mais ses produits n’ont pas perdu leur valeur pour les hommes modernes ; ils sont empreints des traditions fermes et antiques d’une des plus anciennes populations agricoles de l’Europe, et nous pouvons souvent envier aux anciens paysans illettrés la sûreté de leur goût pur et simple et nous laisser inspirer de ces ouvrages naïfs et conformes à la nature.39 39 Olrik (1931, p. 48).

Le même point de vue a été adopté par le congressiste Ferdinad Leinbock - chef de la section ethnographique du Musée national estonien - dans son texte L’art populaire estoniana:

Le dessin dominant dans les arts textiles estoniens est géométrique et, datant des temps préhistoriques, il est en liaison avec la technique du tissage et a conservé, à travers les âges, son aspect premier, grâce au contact intime qu’il a gardé avec ladite technique. Ceci s’applique principalement aux dessins des ceintures. De même, la broderie au dessin géométrique semble la forme évoluée de la broderie en fils de métal des temps préhistoriques [...].

Cependant, les anciennes traditions de l’art populaire sont en train de disparaître du sein du peuple depuis le milieu du siècle passé. Il faut en chercher la cause dans la disparition de l’ancienne forme de la vie économique, provoquée par l’invasion des réformes sociales, et dans les produits industriels bon marché envahissant les campagnes.40 40 Leinbock (1931, p. 59-62).

L’exposé du Roumain Alexandru Tzigara-Samurcas41 41 Alexandru Tzigara-Samurcas (1872-1952) était historien de l’art, muséologue et ethnologue. En 1906, il a coordonné la fondation du Musée national d’art de Bucarest. Il est l’une des principales références de la muséologie roumaine et européenne de la première moitié du XXe siècle. Cf. Popescu (1995, p. 394-408). (directeur du Musée national d’art de Bucarest) a montré comment, en Roumanie, les régions qui n’ont pas encore été touchées par la civilisation moderne ont conservé des rituels, des techniques et des savoirs d’origine préhistorique. Les céramiques fabriquées dans ces régions isolées, par exemple, remonteraient à la période néolithique. Des motifs en spirale datant de 330 av. J.-C., découverts sur des sites archéologiques, pouvaient encore être vus dans la poterie paysanne du pays. Selon l’auteur, néanmoins, les anciennes coutumes et le savoir-faire artisanal étaient abandonnés au fur et à mesure que la vie rurale était affectée et modifiée par la société capitaliste.

Le bien-être moderne, pénétrant jusque dans les vallées les plus reculées, fait disparaître le beau passé et avec lui la poésie et l’art paysan. Faut-il s’en plaindre ? Au point de vue social et économique, certainement pas, mais ou point de vue esthétique et sentimental, oui. Avec la pénétration des nouvelles formes de la vie moderne, les anciennes coutumes sont naturellement destinées à disparaître ; les étoffes teintes aux couleurs d’aniline criardes remplacent les broderies si harmonieuses des temps passés.

De quel droit d’ailleurs pourrions-nous exiger que le paysan continue à bâtir et à ornementer sa maison en bois, quand les fabriques lui fournissent la brique commode et solide ? De quel droit peut-on demander à la paysanne de refaire le costume ancestral, aux broderies minutieuses, qui occupent toutes ses veillées ?42 42 Tzigara-Samurcas (1931, p. 124).

L’extrait cité ci-dessus reflète la plupart des travaux présentés au Congrès de Prague, notamment en ce qui concerne la nature fonctionnelle et esthétique des arts populaires. En ce sens, les productions populaires seraient intégrées aux besoins vitaux ; par conséquent, les coutumes et les objets d’usage quotidien refléteraient fidèlement les sentiments ou le caractère d’une communauté donnée. Outre cet aspect fonctionnel, l’art populaire apporterait également une valeur esthétique, c’est-à-dire fait de beauté. En effet, au sens esthétique s’est ajouté une signification d’utilité ; à la composition formelle des artefacts traditionnels, on a superposée une dimension émotionnelle ou affective responsable de l’identification d’un groupe humain et de la solidification des relations sociales. Enfin, les arts du peuple seraient essentiellement collectifs et anonymes - à l’opposé, donc, du travail individuel de l’artiste érudit.

Cette perspective esthétique cherchait à remettre en question le préjugé selon lequel les créations populaires seraient de simples copies d’œuvres érudites. En critiquant cette idée reçue de manque d’originalité ou d’une imitation supposée, les membres du Congrès ont défendu le caractère actif et créatif de l’artiste populaire, qui s’approprierait les motifs savants pour les transmuter en conceptions originales. L’artiste anonyme du peuple réinventerait un style consacré en fonction de ses valeurs et de ses compétences. Les congressistes ont tâché de mettre en lumière l’originalité esthétique et l’inventivité des arts du peuple, en ajoutant à leurs propos respectifs que l’artiste populaire, contrairement à l’artiste érudit, était fondamentalement guidé par la nécessité ou par la fonction collective de l’objet produit. Le sens esthétique est allié à la fonction de l’objet ; l’expression artistique populaire est toujours au service d’une activité sociale qui le détermine en tant que forme. Grâce à cette esthétique fonctionnelle, l’art perd tout signe de conception individuelle dans le ethos populaire.43 43 Dans cette perspective, on peut souligner aussi les travaux présentés par Adolphe Spamer (professeur à l’École polytechnique de Dresde) et par l’Autrichien Arthur Haberlandt (historien et directeur du Musée etnhographique de Vienne), intitulés respectivement Des problèmes fondamentaux de l’étude des arts plastiques populaires et Les tendances artistiques dans le travail populaire en Europe. Pour ces auteurs, le populaire serait la source d’où proviendrait l’art érudit, et non l’inverse. Spamer (1931, p. 9-12); Haberlandt (1931, p. 22-23).

S’agissant d’un travail empirique et pratique, l’art populaire constituerait un ensemble de compétences élémentaires et stables. Bien qu’ils présentent des particularités et des empreintes ethniques spécifiques, les arts populaires refléteraient un substrat profondément humain. Ces arts auraient une origine très lointaine, primitive, préhistorique, antérieure aux configurations géopolitiques modernes. Enracinée dans une tradition immémoriale, l’ancienneté d’une technique de tapisserie, par exemple, ne serait pas limitée à l’histoire d’un État-nation. Le savoir-faire des peuples proviendrait de croisements, d’échanges et d’influences antérieures à la formation des nations modernes. L’espace occupé par la tradition transcenderait, bref, les frontières de n’importe quel pays.

On a alors remarqué que des modèles formels similaires étaient utilisés dans des cultures ou des ethnies éloignées les unes des autres. De la Lettonie au sud de l’Espagne, voire sur tous les continents de la planète, l’art populaire couvrirait un vaste champ d’expressions étonnamment semblables : les mêmes formes géométriques, les mêmes motifs floraux et figures animales, les mêmes danses et rituels de mariage, les mêmes structures architecturales, etc. pourraient être constatés dans plusieurs groupements humains. Comme le souligne Adolphe Riff, conservateur des Musées de la ville de Strasbourg et représentant de la France au Congrès :

L’art populaire de différents pays de l’Europe, depuis la Bretagne et le Pays Basque jusqu’aux Balkans, compose un curieux groupe d’ornements géométriques qui se distinguent par leur caractère très primitif. Ces ornements, dont l’emploi remonte à une haute antiquité et qui fournissent un curieux exemple de survivance d’éléments décoratifs, ont été maintes fois /signalés.44 44 Riff (1931, p. 71).

Les études présentées à Prague ont essayé d’attribuer une signification esthétique, utilitaire et transnationale aux arts populaires, justement par l’accent mis sur les particularités locales et nationales. La tonalité du congrès était de mettre sur le même plan la valorisation de la nation et la signification universelle de la culture. L’enjeu consistait à éviter tout discours nationaliste, sans pour autant nier l’importance des arts populaires pour la constitution des identités nationales ou régionales. Même si certaines broderies ou techniques architecturales étaient des traditions caractéristiques d’une contrée de France, par exemple, ces connaissances auraient résulté d’échanges séculaires et auraient été historiquement liées à des pratiques existantes dans d’autres pays (elles appartiendraient donc au patrimoine commun de l’humanité, dans la mesure où elles feraient référence à une nation, à une ethnie, à une région, etc. - voilà la dialectique du singulier et de l’universel).

Toutefois, il y a eu des exposants dont les travaux ont manifesté des tendances chauvines, ce qui aurait provoqué une certaine appréhension chez les participants. De telles approches évoquaient un discours qui pourrait motiver l’attisement des rivalités identitaires. Dans son étude sur la Grèce, Angelique Hagimihali a fièrement déclaré :

L’art populaire grec, émanation spontanée du sens artistique naturel du peuple hellène, reflète le caractère et le tempérament de la race et constitue une des manifestations les plus sincères de l’âme nationale. De même que les chansons populaires, les contes et la langue témoignent avec évidence et de façon caractéristique des sentiments, des idéals et de la mentalité du peuple hellène, de même les créations de l’art populaire portent l’empreinte de son état d’esprit et de sa manière de vivre.

L’art populaire grec, ce produit naturel de la race, n’est que la suite de l’histoire ininterrompue de la nation et c’est pourquoi, dans les dessins actuels, on retrouve des modèles très anciens remontant aux périodes les plus reculées de la civilisation hellénique.45 45 Hagimihali (1931, p. 78).

Au moment de sa conférence sur l’architecture vernaculaire germanique, Otto Lehmann (directeur du Musée d’art et d’histoire culturelle d’Altona, à Hambourg) a dit que « l’art populaire a su donner à la maison une physionomie qui en fait un symbole des particularités de race et du sens artistiques de ce peuple expansif ».46 46 Lehmann (1931, p. 170). Elisabeth Konsulova-Vazova, directrice du Ministère bulgare de l’instruction publique, n’a pas pu dissimuler un certain préjugé nationaliste, dans son étude sur les vêtements traditionnels des campagnards, en affirmant qu’ « [i]l est étonnant qu’ayant été si longtemps sous la domination étrangère, le peuple bulgare ait conservé ses anciens costumes et ses traditions populaires ».47 47 Konsulova-Vazova (1931, p. 9).

Ce genre d’affirmation aura pu provoquer des tensions indésirables lors des sessions d’un Congrès qui cherchait à dépasser le discours romantique, appuyé sur l’idée d’un « esprit », ou « âme » nationale. Dans ce contexte, l’art populaire serait une référence inestimable à la perception d’une identité transfrontalière et un instrument pour faciliter la concorde. Une coopération intellectuelle basée sur l’étude de la culture populaire ouvrirait donc un espace de dialogue, jusqu’ici entravé par les questions géopolitiques.

En 1929, dans le bulletin de l’IICI, Richard Dupierreux fait le point sur le Congrès de Prague. Pour lui, le bilan serait positif, car les principaux objectifs de l’événement auraient été atteints, à savoir : promouvoir la compréhension entre les peuples et faire progresser la construction d’une science sur les arts et les traditions populaires. D’après son évaluation, les discussions et les propositions auraient eu lieu dans un « parfait esprit de cordialité ».48 48 Dupierreux (1929, p. 15). L’intellectuel a encore souligné que les travaux auraient préféré une approche scientifique des arts populaires à toute orientation nationaliste. Selon l’auteur, le congrès aurait contribué à l’établissement d’une science comparative, systémique et internationale, par l’étude de monographies régionales. L’image d’un forum scientifique neutre et universel, guidé par les idéaux de concorde, devrait prévaloir, suivant les directives diplomatiques de la SDN.

D’aucuns avaient redouté qu’au lieu de faire apparaître des identités entre les races, ce Congrès fût l’occasion pour certaines minorités d’exprimer des revendications inopportunes. L’art populaire est, en effet, souvent beaucoup plus régional que national. Pas un instant, ces appréhensions ne se sont vérifiées. Les congressistes n’ont trouvé, dans la sphère de leurs travaux, que des occasions de s’accorder. Les influences réciproques des arts populaires s’étendant au-dèla des frontières politiques, permettaient de reconnaître, à la lumière de ce rapprochement international, des éléments essentiels de la communauté humaine, traduits par un motif décoratif, un thème musical ou un pas de danse. Ces données objectives, scientifiquement considérées, illustraient des pensées qui constituent l’idéal même de la Société des Nations.49 49 Ibid., p. 15.

Encore en 1929, l’IICI a publié un rapport officiel dans lequel il a évalué le Congrès de Prague d’après les critères scientifiques et diplomatiques visés par les organisateurs de l’événement. Les termes du rapport réaffirment la position de Dupierreux :

L’une des conclusions de principe du Congrès de Prague est que l’étude des arts populaires doit s’inspirer surtout des méthodes comparatives. Qu’il y ait intérêt à noter séparément les caractéristiques du costume, de la poterie, de l’architecture ou de la chanson populaire d’une région déterminée, personne ne le contestera. Mais tout le monde sera d’accord pour estimer que les déductions tirées de la confrontation de ces observations régionales ont une portée plus vaste et une valeur humaine moins discutable. Pour que pareil travail puisse se réaliser, il convient d’abord que les éléments d’information régionale, aujourd’hui dispersés, soient réunis et systématiquement classés. En orientant spécialement vers les arts populaires l’effort de concentration d’archives qu’il estimait désirable, le Congrès de Prague remplissait sa tâche principale qui était de faciliter autant que de provoquer les recherches des spécialistes.50 50 Rapport de l’Institut sur le Congrès International des Arts Populaires de Prague (1929), p. 8-9, apud Archives Unesco (1938).

CONCLUSIONS

Le comité d’organisation du Congrès de Prague a voulu laisser un héritage permanent de valorisation des traditions populaires. Lors des conférences, on a souvent réfléchi à la possibilité de créer un réseau international d’archives, de bibliothèques et de musées ; des propositions concernant la compilation de bibliographies, d’inventaires, de documents photographiques et cinématographiques ont aussi été faites. Au moment de la séance plénière de clôture, le 13 octobre 1928, on a discuté la création d’un centre international d’archives (qui abriterait la documentation écrite, photographique, cinématographique et phonographique, et qui siégerait à Prague ou à Paris) et d’une société internationale de musique consacrée à la recherche et à l’enregistrement de chansons traditionnelles (comme l’ont suggérée Béla Bartók et Hubert Pernot).51 51 Pourtant, aucune mesure pratique n’a été prise pour mettre en œuvre ces propositions. Cf. Rogan (2007, p. 7-23). La préservation des savoirs et des coutumes en voie de disparition s’inscrivait dans le projet de constitution d’un domaine scientifique fondé sur la collaboration intellectuelle et la diplomatie. Le comité organisateur a conclu qu’il serait nécessaire d’enregistrer les chansons et les chants populaires, compte tenu du danger qu’ils couraient dans les conditions modernes.

À cette occasion, l’historien Antoine Stransky, représentant de la Tchécoslovaquie, a jugé indispensable la constitution d’archives internationales, non seulement pour l’étude et la conservation des arts populaires, mais aussi pour la consolidation de la coopération intellectuelle et de la concorde. Il faudrait donc disposer d’un organe rassemblant un grand nombre de documents afin d’encourager la collaboration et la compréhension mutuelle des nations.

Vers la vingtième année du XXe siècle, les frontières des Etats et des langues sont, pour ainsi dire, tombées. Nous vivons d’une culture européenne commune, nous travaillons tous sous le regard de toute l’Europe. Dans toutes les branches de l’activité humaine, nous observons le sens de la coopération du travail collectif, pourrait-on dire. Nous utilisons les résultats acquis par nos précurseurs. La synthèse tire profit des fruits qu’a fait se développer l’effort des spécialistes. La science est le gâteau de miel dû à tout un essaim d’abeilles laborieuses. Qui connaît les noms des travailleurs ? Sans cesse, l’individualisme scientifique diminue et fait place au collectivisme. L’auteur honnête devient comme le membre d’une coopérative de collaborateurs au champ d’action toujours élargi.52 52 Stransky (1931, p. 27).

Dans la même l’assemblée de clôture, les participants ont décidé de nommer une commission internationale pour traiter des questions relatives aux traditions et aux arts populaires. Approuvée par 24 des 31 délégations présentes, la Commission internationale des arts populaires (CIAP) a alors été désignée. La CIAP était composée des chefs des délégations nationales participant au congrès, dont cinq ont été choisis pour former le conseil : Otto Lehman (Allemagne), Georges Julien (France), Arthur Haberlandt (Autriche), J. van Schrijnen (Pays-Bas), Jiri Horak (Tchécoslovaquie, puis remplacé par Ludvik Kuba).53 53 Cf. Archives Unesco (1938). En 1929, Albert Marinus (Belgique) a remplacé Haberlandt. La CIAP est devenue un organe de la SDN ; elle siégeait à Paris et était directement liée à la CICI et à l’IICI, ce qui lui assurait la gestion des ressources financières ; son but était d’œuvrer pour le maintien et la diffusion des manifestations populaires.54 54 Pendant les années 1930, le bureau de la CIAP était situé au siège de l’Institut international de Coopération intellectuelle, à la rue de Montpensier, n. 2. Palais-Royal, Paris. De 1946 jusqu’à l’année de sa fermeture, son bureau a été basée au Musée Musée National des Arts et Traditions Populaires (MNATP), à l’avenue Mahatma Gandhi, près du Bois de Boulogne. Cf. Rogan (2007, p. 7-23).

La CIAP a été le legs du colloque de Prague. Tout au long de sa brève existence (1930 à 1964), la CIAP a préconisé une politique de collaboration intellectuelle basée sur la recherche et la préservation des coutumes et des techniques antérieures au monde capitaliste. Dans les congrès publications et recherches promus par la CIAP, le « populaire » n’a jamais cessé de représenter la référence fondamentale d’une identité transfrontalière. Bref, l’entité n’a jamais cessé de considérer les « arts populaires » (dans son sens le plus large) comme un langage de compréhension mutuelle ou un instrument de pacification. La sagesse ancienne serait toujours la clé pour surmonter les rivalités nationalistes.55 55 Sur l’histoire de la CIAP, voir : Rogan (2008, p. 19-63).

Le Congrès de Prague (1928) a été un moment important de l’histoire des relations internationales et de la coopération intellectuelle. On croyait que, par l’étude des arts populaires, il serait possible de surmonter le fanatisme nationaliste en vigueur depuis le XIXe siècle. La volonté des organisateurs du congrès était précisément de renverser les termes du discours nationaliste. Ensuite, les manifestations folkloriques ont été considérées comme des pratiques et des savoir-faire primitifs, et néanmoins universels, concernant une époque antérieure à la formation des nationalités.

Au cours des années 1930, des réunions similaires ont eu lieu en Europe, comme le Congrès d’Anvers en 1930 (également promu par l’IICI) ; le Congrès international de folklore en 1937, à Paris (organisé par les muséologues Paul Rivet et Georges-Henri Rivière) ; et le Congrès de Copenhague en 1938 (présidé par l’ethnologue suédois Sigurd Erixon), entre autres. Toutes ces rencontres ont considéré les traditions populaires comme des moyens privilégiés pour la compréhension mutuelle et la construction d’un forum international d’échanges scientifiques.56 56 Rogan (2013, p. 89-152). Dans tous ces cas, on croyait que la tradition abriterait des connaissances et des codes humains essentiels. Par contre, le temps troublé de la société moderne ne ferait que détruire les anciens trésors de l’humanité. Les traditions populaires seraient, en somme, des références culturelles transnationales, collectives et anonymes - transmises oralement à travers les siècles -, qui révéleraient une nature profonde, sédimentée dans des strates préhistorique du temps.

SOURCES PRIMAIRES

  • ARCHIVES UNESCO. IICI - Archives de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, 1921-1954. Série organique IICI Correspondence Files, 1923-1949. Sous-série organique F. Sous-sous-série IX - Arts populaires, 1926-1946. Dossier 19a - Comité de consultation, 1926-1928.
  • ARCHIVES UNESCO. IICI - Archives de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, 1921-1954. Série organique IICI - Documents, 1921-1945. Sous-série C.I.A.P/C.C/P.V - Commission Internationale des Arts Populaires, 1938.
  • INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1.
  • INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 2.

LIVRES, ARTICLES E THÈSES

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  • BURKE, Peter. Popular culture in early modern Europe Farnham: Ashgate, 2009.
  • DUCCI, Annamaria. Henri Focillon, l’arte popolare e le scienze sociali. Annali di Critica d’Arte, Torino, n. 2, p. 341-377, 2006.
  • DUCCI, Annamaria. Le musée d’art populaire contre le folklore : L’Institut International de Coopération Intellectuelle à l’époque du Congrès de Prague. Revue Germanique Internationale, [s. l.], v. 21, p. 133-148, 2015.
  • DUPIERREUX, Richard. Les arts populaires et l’esprit international. La Coopération Intellectuelle: Bulletin de l’IICI, [s. l.], v. 1, p. 15, 1929.
  • FABRE, Daniel. Le manuel de folklore français d’Arnold van Gennep. In: NORA, Pierre (org.). Les lieux de mémoire: III. Les Frances: 2. Traditions. Paris: Gallimard, 1992. p. 641-675.
  • FOCILLON, Henri. Introduction. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. VII-XVI.
  • FOCILLON, Henri. Moyen Age: survivances et réveils: études d’art et d’histoire. Montreal: Valiquette, 1943.
  • HABERLANDT, Arthur. Les tendances artistiques dans le travail populaire en Europe. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 22-23.
  • HAGIMIHALI, Angélique. L’art populaire grec. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 78-82.
  • HOBSBAWM, Eric. Nations et nationalisme depuis 1780: programme, mythe, réalité. Paris: Gallimard, 1997.
  • HOBSBAWM, Eric; RANGER, Terence (eds.). The invention of tradition Cambridge: Cambridge University Press, 1983.
  • KONSULOVA-VAZOVA, Elisabeth. Le costume national bulgare. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 2, p. 9-11.
  • LEHMANN, Otto. L’art populaire dans la maison paysanne allemande. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 167-170.
  • LEINBOCK, Ferdinand. L’art populaire estoniana. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 59-62.
  • OLRIK, Jörgen. Le Dansk Folkemuseum et l’art populaire du Danemark. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 47-48.
  • POPESCU, Ioana. L’«Art national» chez les Roumains. Ethnologie Française, Paris, v. 25, n. 3, p. 394-408, 1995.
  • RENOLIET, Jean-Jacques. L’Unesco oubliée: la Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946). Paris: Publications de la Sorbonne, 1999.
  • RIFF, Adolphe. La survivance et l’origine de quelques ornements géométriques dans l’art populaire alsacien. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 71-74.
  • ROGAN, Bjarne. Folk art and politics in inter-war Europe: an early debate on applied ethnology. Folk Life, London, v. 45, p. 7-23, 2007.
  • ROGAN, Bjarne. From CIAP to SIEF: Visons for a discipline or power struggle? In: CRAITH, Máiréad Nic; KOCKEL, Ullrich; JOHLER, Reinhard (orgs.). Everyday culture in Europe: approaches and methodologies. Hampshire: Ashgate, 2008. p. 19-63.
  • ROGAN, Bjarne. Sigurd Erixon on the post-war international scene: international activities, European ethnology and CIAP from 1945 to the mid-1950s. ARV Nordic Yearbook of Folklore, Uppsala, v. 69, p. 89-152, 2013.
  • SPAMER, Adolphe. Des problèmes fondamentaux de l’étude des arts plastiques populaires. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 9-12.
  • STRANSKY, Antoine. Projet d’organisation d’archives internationales de l’art populaire. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 27-29.
  • THIESSE, Anne-Marie. La création des identités nationales: Europe, XVIIIe-XXe siècle. Paris: Seuil, 1999.
  • TZIGARA-SAMURCAS, Alexandru. L’art paysan en Roumanie. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 122-125.
  • 1
    Cet article présente les résultats d’un stage de recherche à l’étranger financé par la Fondation d’aide à la recherche de la province de São Paulo (Fapesp), dans le cadre du programme BEPE (Bolsa Estágio de Pesquisa no Exterior), entre février et décembre 2020 - Procès 2019/16557-0.
  • 3
    Hobsbawm (1997HOBSBAWM, Eric. Nations et nationalisme depuis 1780: programme, mythe, réalité. Paris: Gallimard, 1997.).
  • 4
    Cf. Hobsbawm et Ranger (1983HOBSBAWM, Eric; RANGER, Terence (eds.). The invention of tradition. Cambridge: Cambridge University Press, 1983.).
  • 5
    Cf. Thiesse (1999THIESSE, Anne-Marie. La création des identités nationales: Europe, XVIIIe-XXe siècle. Paris: Seuil, 1999.).
  • 6
    Cf. Bendix (1997BENDIX, Regina. In search of authenticity: the formation of folklore studies. Madison: University of Wisconsin Press, 1997.).
  • 7
    Cf. Burke (2009BURKE, Peter. Popular culture in early modern Europe. Farnham: Ashgate, 2009.).
  • 8
    Cf. Bendix (1997BENDIX, Regina. In search of authenticity: the formation of folklore studies. Madison: University of Wisconsin Press, 1997.).
  • 9
    Thiesse, op. cit., p. 180.
  • 10
    Les sources primaires utilisées ici sont référencées à la fin de l’article.
  • 11
    Cf. Hobsbawm, op. cit.
  • 12
    Cf. Renoliet (1999RENOLIET, Jean-Jacques. L’Unesco oubliée: la Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946). Paris: Publications de la Sorbonne, 1999.).
  • 13
    Département consultatif de la LDN, la CICI a été créée en 1922 et siégeait à Genève, Suisse. Elle a bénéficié de la participation d’intellectuels reconnus tels que Marie Curie (France/Pologne), Albert Einstein (Allemagne), Henri Bergson (France) et Kristine Bonnevie (Norvège), entre autres. Cf. Renoliet, op. cit.
  • 14
    L’Institut international de Coopération intellectuelle a été supprimé en 1946, donnant lieu à la fondation de l’Unesco. Cf. Renoliet, op. cit.
  • 15
    Ducci (2015DUCCI, Annamaria. Le musée d’art populaire contre le folklore : L’Institut International de Coopération Intellectuelle à l’époque du Congrès de Prague. Revue Germanique Internationale, [s. l.], v. 21, p. 133-148, 2015., p. 133-148).
  • 16
    Le Belge Albert Marinus s’est distingué comme journaliste, conférencier et folkloriste durant la première moitié du XXe siècle. Au début des années 1920, il a créé la revue Le Folklore brabançon et a pris la direction du Service de Recherches historiques et folkloriques de la Province de Brabant. Responsable de l’organisation des expositions d’art populaire, Marinus a été l’auteur de plusieurs ouvrages sur le folklore ; ses études portent sur les traditions populaires de l’ancienne province de Brabant, en Belgique. L’ouvrage le plus connu de l’auteur est Le folklore belge, publié en trois volumes. Source : <http://www.albertmarinus.org/>. Consultée le : 17 juillet 2020.
  • 17
    Julien Luchaire (1876-1962) était un écrivain français, docteur en littérature italienne. En 1921, il a été nommé membre de la CICI et, de 1926 à 1930, il a été directeur de l’Institut international de Coopération intellectuelle (IICI). Cf. Renoliet, op. cit.
  • 18
    Ducci, op. cit., p. 133-148.
  • 19
    Ibid.
  • 20
    Cf. Archives Unesco (1926-1928ARCHIVES UNESCO. IICI - Archives de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, 1921-1954. Série organique IICI Correspondence Files, 1923-1949. Sous-série organique F. Sous-sous-série IX - Arts populaires, 1926-1946. Dossier 19a - Comité de consultation, 1926-1928.).
  • 21
    Ibid.
  • 22
    Ibid.
  • 23
    Ibid.
  • 24
    Rogan (2007ROGAN, Bjarne. Folk art and politics in inter-war Europe: an early debate on applied ethnology. Folk Life, London, v. 45, p. 7-23, 2007., p. 7-23).
  • 25
    En raison de sa position théorique, qui ne correspondait pas aux discours idéologiques ou nationalistes d’alors, Arnold van Gennep (1873-1957) a été choisi pour participer à l’organisation du congrès. Le projet de Gennep consistait plutôt à faire du folklore une discipline scientifique autonome. Ses références étaient la muséologie allemande et scandinave, qui utilisaient la cartographie comme ressource méthodologique centrale. Au moment où il a été appelé à participer au Congrès de Prague, il avait déjà publié d’importants travaux, comme Les rites de passage (1909), Le folklore (1924) et Coutumes et croyances populaires en France (1924). À cette époque, il avait par ailleurs commencé les recherches pour le Manuel de folklore français (travail inachevé, réparti en plusieurs volumes). Bien que Gennep n’ait pas présenté de communication au congrès, sa participation a été décisive puisqu’il a aidé à sélectionner les communications et à élaborer le programme scientifique du concours. Cf. Fabre (1992FABRE, Daniel. Le manuel de folklore français d’Arnold van Gennep. In: NORA, Pierre (org.). Les lieux de mémoire: III. Les Frances: 2. Traditions. Paris: Gallimard, 1992. p. 641-675., p. 641-675).
  • 26
    Ducci (2006DUCCI, Annamaria. Henri Focillon, l’arte popolare e le scienze sociali. Annali di Critica d’Arte, Torino, n. 2, p. 341-377, 2006., p. 341-377).
  • 27
    Ibid.
  • 28
    Nicolae Iorga, par exemple, est l’auteur de l’étude remarquée L’art populaire en Roumanie (1923). Parmi les œuvres les plus connues de Georg Opresco, on peut citer L’art du paysan roumain (1935). Cf. Ducci (2006DUCCI, Annamaria. Henri Focillon, l’arte popolare e le scienze sociali. Annali di Critica d’Arte, Torino, n. 2, p. 341-377, 2006., p. 341-377).
  • 29
    Ibid.
  • 30
    Focillon (1943FOCILLON, Henri. Introduction. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. VII-XVI.).
  • 31
    Focillon (1931FOCILLON, Henri. Moyen Age: survivances et réveils: études d’art et d’histoire. Montreal: Valiquette, 1943., p. VII).
  • 32
    Ibid., p. VII.
  • 33
    Ibid., p. VIII.
  • 34
    Ibid., p. IX-X.
  • 35
    Ibid., p. X.
  • 36
    Apud Rogan, 2007ROGAN, Bjarne. Folk art and politics in inter-war Europe: an early debate on applied ethnology. Folk Life, London, v. 45, p. 7-23, 2007., p. 10.
  • 37
    Ducci (2015DUCCI, Annamaria. Le musée d’art populaire contre le folklore : L’Institut International de Coopération Intellectuelle à l’époque du Congrès de Prague. Revue Germanique Internationale, [s. l.], v. 21, p. 133-148, 2015., p. 136).
  • 38
    Rogan (2007ROGAN, Bjarne. Folk art and politics in inter-war Europe: an early debate on applied ethnology. Folk Life, London, v. 45, p. 7-23, 2007., p. 7).
  • 39
    Olrik (1931OLRIK, Jörgen. Le Dansk Folkemuseum et l’art populaire du Danemark. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 47-48., p. 48).
  • 40
    Leinbock (1931LEINBOCK, Ferdinand. L’art populaire estoniana. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 59-62., p. 59-62).
  • 41
    Alexandru Tzigara-Samurcas (1872-1952) était historien de l’art, muséologue et ethnologue. En 1906, il a coordonné la fondation du Musée national d’art de Bucarest. Il est l’une des principales références de la muséologie roumaine et européenne de la première moitié du XXe siècle. Cf. Popescu (1995POPESCU, Ioana. L’«Art national» chez les Roumains. Ethnologie Française, Paris, v. 25, n. 3, p. 394-408, 1995., p. 394-408).
  • 42
    Tzigara-Samurcas (1931TZIGARA-SAMURCAS, Alexandru. L’art paysan en Roumanie. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 122-125., p. 124).
  • 43
    Dans cette perspective, on peut souligner aussi les travaux présentés par Adolphe Spamer (professeur à l’École polytechnique de Dresde) et par l’Autrichien Arthur Haberlandt (historien et directeur du Musée etnhographique de Vienne), intitulés respectivement Des problèmes fondamentaux de l’étude des arts plastiques populaires et Les tendances artistiques dans le travail populaire en Europe. Pour ces auteurs, le populaire serait la source d’où proviendrait l’art érudit, et non l’inverse. Spamer (1931SPAMER, Adolphe. Des problèmes fondamentaux de l’étude des arts plastiques populaires. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 9-12., p. 9-12); Haberlandt (1931HABERLANDT, Arthur. Les tendances artistiques dans le travail populaire en Europe. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 22-23., p. 22-23).
  • 44
    Riff (1931RIFF, Adolphe. La survivance et l’origine de quelques ornements géométriques dans l’art populaire alsacien. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 71-74., p. 71).
  • 45
    Hagimihali (1931HAGIMIHALI, Angélique. L’art populaire grec. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 78-82., p. 78).
  • 46
    Lehmann (1931LEHMANN, Otto. L’art populaire dans la maison paysanne allemande. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 167-170., p. 170).
  • 47
    Konsulova-Vazova (1931KONSULOVA-VAZOVA, Elisabeth. Le costume national bulgare. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 2, p. 9-11., p. 9).
  • 48
    Dupierreux (1929DUPIERREUX, Richard. Les arts populaires et l’esprit international. La Coopération Intellectuelle: Bulletin de l’IICI, [s. l.], v. 1, p. 15, 1929., p. 15).
  • 49
    Ibid., p. 15.
  • 50
    Rapport de l’Institut sur le Congrès International des Arts Populaires de Prague (1929), p. 8-9, apud Archives Unesco (1938ARCHIVES UNESCO. IICI - Archives de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, 1921-1954. Série organique IICI - Documents, 1921-1945. Sous-série C.I.A.P/C.C/P.V - Commission Internationale des Arts Populaires, 1938.).
  • 51
    Pourtant, aucune mesure pratique n’a été prise pour mettre en œuvre ces propositions. Cf. Rogan (2007ROGAN, Bjarne. Folk art and politics in inter-war Europe: an early debate on applied ethnology. Folk Life, London, v. 45, p. 7-23, 2007., p. 7-23).
  • 52
    Stransky (1931STRANSKY, Antoine. Projet d’organisation d’archives internationales de l’art populaire. In: INSTITUT INTERNATIONAL DE COOPERATION INTELLECTUELLE (ed.). Art populaire: travaux artistiques et scientifiques du 1er Congrès International des Arts Populaires. Prague MDCCCCXXVIII. Paris: Éditions Duchartre, 1931. v. 1, p. 27-29., p. 27).
  • 53
    Cf. Archives Unesco (1938ARCHIVES UNESCO. IICI - Archives de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, 1921-1954. Série organique IICI - Documents, 1921-1945. Sous-série C.I.A.P/C.C/P.V - Commission Internationale des Arts Populaires, 1938.).
  • 54
    Pendant les années 1930, le bureau de la CIAP était situé au siège de l’Institut international de Coopération intellectuelle, à la rue de Montpensier, n. 2. Palais-Royal, Paris. De 1946 jusqu’à l’année de sa fermeture, son bureau a été basée au Musée Musée National des Arts et Traditions Populaires (MNATP), à l’avenue Mahatma Gandhi, près du Bois de Boulogne. Cf. Rogan (2007ROGAN, Bjarne. Folk art and politics in inter-war Europe: an early debate on applied ethnology. Folk Life, London, v. 45, p. 7-23, 2007., p. 7-23).
  • 55
    Sur l’histoire de la CIAP, voir : Rogan (2008ROGAN, Bjarne. From CIAP to SIEF: Visons for a discipline or power struggle? In: CRAITH, Máiréad Nic; KOCKEL, Ullrich; JOHLER, Reinhard (orgs.). Everyday culture in Europe: approaches and methodologies. Hampshire: Ashgate, 2008. p. 19-63., p. 19-63).
  • 56
    Rogan (2013ROGAN, Bjarne. Sigurd Erixon on the post-war international scene: international activities, European ethnology and CIAP from 1945 to the mid-1950s. ARV Nordic Yearbook of Folklore, Uppsala, v. 69, p. 89-152, 2013., p. 89-152).

Publication Dates

  • Publication in this collection
    29 Oct 2021
  • Date of issue
    2021

History

  • Received
    14 Jan 2021
  • Accepted
    16 Apr 2021
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