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L'intervention en négligence: repères cliniques

The intervention in neglect problems: clinical reference

Abstracts

Le présent texte vise à présenter de manière schématique un ensemble de repères cliniques permettant de guider l'intervention en négligence, intervention qui exige des connaissances multiples concernant le développement socio-affectif de l'enfant et les déterminants du parentage. Afin de bien cerner les aspects importants de l'aide et du soutien à donner aux parents et aux enfants vivant cette problématique, il nous apparaît nécessaire de faire le point sur les principaux éléments du lien parent-enfant impliqués dans la négligence. Trois dimensions du lien parent-enfant seront examinées afin de faire ressortir les particularités de la conduite parentale négligente et de l'expérience subjective de l'enfant négligé: les dimensions comportementale, psychologique et environnementale. Ces dimensions sont interreliées et organisées de façon hiérarchique.

Dimensions; Repères Cliniques; lien parent-enfant


This text has as its main objectif to present, in a summarized way, some clinical references able to guide the intervention in neglect problems, intervention that exiges multiple knowledges about infant's social and affective development, as about parenting determinants. It is necessary to emphasize the main elements of parent-child attachment that are present in neglect problems so it could be possible to give some informatins about important aspects of help. Three dimensions are examined in parent-child attachment with the focus on neglect behaviour of the parents and what is experienced by the child in this situation: behavioural, psychological and environmental. These dimensions are interelated and organized in a hierarchical way.

Dimensions; Clinical Reference; Attachment parent-child


L'intervention en négligence: repères cliniques

The intervention in neglect problems: clinical reference

Carl Lacharité

UQTR

Endereço para correspondência Endereço para correspondência: Carl Lâchante Department de Psychologie Groupe de Recherche en Développement de l'Enfant et de la Famille UQTR CP 500, Trois Rivières, Québec, Canadá, G9A 5H7 e-amail Carl_Lacharite@uqtr.uquebec.ca

RÉSUMÉ

Le présent texte vise à présenter de manière schématique un ensemble de repères cliniques permettant de guider l'intervention en négligence, intervention qui exige des connaissances multiples concernant le développement socio-affectif de l'enfant et les déterminants du parentage. Afin de bien cerner les aspects importants de l'aide et du soutien à donner aux parents et aux enfants vivant cette problématique, il nous apparaît nécessaire de faire le point sur les principaux éléments du lien parent-enfant impliqués dans la négligence. Trois dimensions du lien parent-enfant seront examinées afin de faire ressortir les particularités de la conduite parentale négligente et de l'expérience subjective de l'enfant négligé: les dimensions comportementale, psychologique et environnementale. Ces dimensions sont interreliées et organisées de façon hiérarchique.

Mots Clés: Dimensions, Repères Cliniques, lien parent-enfant

ABSTRACT

This text has as its main objectif to present, in a summarized way, some clinical references able to guide the intervention in neglect problems, intervention that exiges multiple knowledges about infant's social and affective development, as about parenting determinants. It is necessary to emphasize the main elements of parent-child attachment that are present in neglect problems so it could be possible to give some informatins about important aspects of help. Three dimensions are examined in parent-child attachment with the focus on neglect behaviour of the parents and what is experienced by the child in this situation: behavioural, psychological and environmental. These dimensions are interelated and organized in a hierarchical way.

Key words: Dimensions, Clinical Reference, Attachment parent-child

Dimension Comportamentale du lien parent-enfant

«Un adulte et un enfant qui font des choses ensemble». Voilà la façon la plus simple de décrire le lien entre un parent et son enfant. Quelle est la nature de ces «choses» qu'ils font ensemble? La réponse à cette question dépend intimement de ce que l'enfant est capable de faire et de ce qu'il n'est pas encore capable de faire pour participer à la relation. Comme l'illustre la Figure 1, le point de départ de la description du lien parent-enfant est constitué par les échanges réciproques des deux protagonistes lorsqu'ils sont en présence l'un de l'autre. La participation du jeune enfant à ces échanges comportementaux se fonde essentiellement sur l'expression de ses besoins (E Besoin = besoins de l'enfant) tandis que la participation du parent se fonde essentiellement sur la réponse (P Réponse = réponses du parent) qu'il apporte aux besoins exprimés par l'enfant.


La nature des besoins de l'enfant ainsi que sa capacité à signaler leur présence évoluent drastiquement de la naissance jusqu'au début de la période scolaire1 1 Le présent texte se penche essentiellement sur l'enfant âgé de 6 ans et moins, la majorité des cas de négligence en Amérique du Nord se retrouvant dans cette tranche d'âge. Nous utilisons l'expression «jeune enfant» pour référer à cette période développementale. . Les conduites parentales doivent évoluer simultanément de façon à pouvoir intégrer dans la relation les nouvelles formes d'expression de besoins ainsi que les nouveaux besoins qui émergent.

À la naissance, la plupart des bébés sont déjà des partenaires compétents. Leurs compétences se manifestent : 1) Dans leurs capacités à porter une attention sélective aux stimuli complexes (tels que la figure et la voix humaines) ; 2) Dans leur capacités à émettre des signaux concernant leurs états internes (pleurer, fouiner, etc.); 3) Dans les réactions réflexes face aux stimuli externes.

Par la suite, le bébé développe une capacité de plus en plus grande à s'engager dans des échanges mutuels avec le parent (Greenspan, 1993). Ce développement relationnel est intimement associé à une augmentation 1) des capacités d'auto-régulation physiologique, 2) des capacités à diriger et à soutenir l'attention et 3) de l'intérêt envers le monde extérieur (Greenspan, 1996).

Plus tard dans la petite enfance (entre le 6e mois le 18e mois), l'enfant apprend à communiquer intentionnellement en utilisant des signaux de plus en plus complexes. Il apprend à s'insérer dans des boucles de messages réciproques de plus en plus longues et de plus en plus sophistiquées avec les personnes de son entourage (Greenspan, 1993). Cette période est également celle où il organise ses comportements d'attachement autour d'un nombre restreints de personnes de son entourage (Bowlby, 1969). Cette organisation des comportements d'attachement peut être détectée de façon fiable autour du lle mois; mais on peut cependant en observer les précurseurs déjà vers le 7e/8e mois. La façon dont les comportements d'attachement de l'enfant s'organisent dépend intimement de la nature de la conduite des principales figures d'attachement (Ainsworth, 1985). Cette organisation reflète davantage la qualité de la relation avec les figures d'attachement que les caractéristiques personnelles (par exemple, le tempérament) du jeune enfant (Bowlby, 1989).

Il n'existe que trois façons pour le parent de répondre aux signaux du bébé (Crittenden, 1999). La première façon consiste en l'utilisation de comportements qui transforment de manière efficace et contingente les signaux de détresse de l'enfant en signaux de confort. Le parent ne sait évidemment pas toujours comment répondre aux signaux de détresse du bébé; néanmoins, puisque la plupart des parents réagissent en commençant par prendre dans leurs bras leur bébé en le berçant doucement, celui-ci ressent ainsi suffisamment de confort pour pouvoir attendre une réponse parentale plus appropriée. Le bébé fait l'expérience d'une association positive et prévisible entre ses signaux affectifs et une réponse parentale. Il apprend ainsi à signaler de manière claire et directe ses intentions et ses affects. Il utilise ses figures parentales comme base de sécurité dans les moments de détresse et, lorsqu'il se sent confortable, il explore activement son monde environnant. En termes d'attachement, c'est un enfant sécurisé et la conduite parentale peut être qualifiée de disponible et sensible (Ainsworth et coll., 1978).

La seconde façon pour le parent de répondre aux signaux de l'enfant consiste à utiliser des comportements qui augmentent de manière contingente la détresse de l'enfant. Ces comportements prennent diverses formes: le rejet, l'hostilité, l'intrusion et l'absence de réaction (apathie). Le bébé fait l'expérience d'une association prévisible entre ses signaux affectifs et une réponse parentale. Cette association est cependant négative plutôt que positive. Le bébé apprend à inhiber l'expression d'affects négatifs de façon à éviter les conséquences négatives qui en découlent. Il organise son comportement de façon à réduire la probabilité de conséquences négatives en évitant (autant que faire se peut) son parent. En terme d'attachement, c'est un enfant évitant et la conduite parentale peut être qualifiée de non-disponible et/ou d'insensible (Ainsworth et coll., 1978).

La troisième façon de répondre aux signaux de l'enfant consiste à manifester de la disponibilité et de la sensibilité mais de manière aléatoire et inconsistente. Le bébé ici ne peut établir d'association entre ses signaux affectifs et la réponse parentale. Il est presque constamment en alerte et signale sa détresse en utilisant des niveaux d'intensité maximale durant de longues périodes de temps. Toute son attention disponible est dirigée vers le parent et son inconfort s'exprime par l'intermédiaire de trois émotions distinctes: 1) l'agression envers le parent qui le met en colère, 2) la peur de l'abandon de la part de ce parent et 3) le désir d'être réconforté par lui. En terme d'attachement, cet enfant est considéré comme étant résistant/ambivalent et la conduite parentale peut être qualifiée d'inconsistente (Ainsworth et coll., 1978).

La réponse parentale aux besoins de l'enfant de la période préscolaire dépend des propres capacités du parent à s'engager dans des interactions de nature symbolique (partager le contenu de son esprit et s'intéresser au contenu de l'esprit de l'autre) et à structurer sa pensée émotionnelle. Les trois types de conduites parentales décrites plus haut continuent donc à être présentes lors de la période préscolaire, mais elles se complexifient de part l'addition des échanges de nature symbolique que l'enfant suscite.

Le parent disponible/sensible encourage l'enfant à utiliser des formes symboliques d'expression de ses désirs, de ses sentiments et de ses idées plutôt que des formes comportementales (gestes, décharges motrices). Il «accompagne» son enfant dans ce type de conduite («Floor Time» de Greenspan, 1993). Il aide son enfant à réfléchir sur son comportement et le contenu de son esprit de façon à encourager chez lui l'adoption d'une attitude de responsabilisation à l'égard de sa conduite et le développement de sa capacité à s'adapter à la réalité extérieure («Problem Solving» de Greenspan, 1993). Il communique (ses désirs, ses sentiments, ses idées) avec son enfant de façon directe, claire et maîtrisée. Sa conduite est en général cohérente et congruente: 1) les demandes /directives qu'il impose à l'enfant ne sont pas contradictoires (Strayhorn, 1988) ; 2) Il tient ses promesses et supervise l'enfant dans l'accomplissement des demandes/directives (Strayhom, 1988) ; 3) Ses expressions faciales et gestuelles correspondent au contenu de son discours lorsqu'il ressent des affects (Crittenden, 1999).

Le parent non-disponible/insensible, en plus d'exposer son enfant à des formes comportementales de rejet, d'hostilité, d'intrusion et d'apathie, l'expose à des formes symboliques de ces réponses, notamment à travers son discours («Tu es un bon à rien!», «Je suis fatiguée, laisse-moi tranquille») et l'expression faussée d'affects (faux signaux d'affect positif quand il se sent et exprime de la colère). Les stratégies comportementales d'évitement qui étaient efficaces pour l'enfant lors de la petite enfance ne le sont plus lors de la période préscolaire puisque le parent insensible interprète maintenant de façon négative ce type de conduite chez l'enfant («mon enfant me rejeté») entraînant ainsi des réponses parentales intrusives ou punitives (Crittenden, 1999). L'enfant évitant d'âge préscolaire s'arrange donc pour inhiber mentalement l'expression de comportements d'attachement et d'affects négatifs tout en demeurant présent physiquement auprès de son parent. Certains enfants apprennent, lors de la période préscolaire, à exprimer de faux affects positifs dans le but de susciter la proximité et l'approbation du parent rejetant/hostile ou dans le but de susciter l'attention et l'intérêt du parent apathique/retiré. Particulièrement dans le cas du parent apathique/ retiré, un renversement de rôle peut se produire où l'enfant apprend à «prendre soin» du parent de façon à pouvoir entrer en contact avec lui («compulsive caregiving»). Dans le cas du parent abusif l'enfant peut en venir à se conformer de façon excessive aux demandes du parent pour éviter les manifestations d'hostilité («compulsive compliance»).

Enfin, le parent inconsistent, placé devant son enfant d'âge préscolaire qui manifeste un comportement coercitif qui lui permet de contrôler l'attention parentale, agit comme s'il était «piégé» par ce dernier. À la période préscolaire, le comportement de l'enfant qui, plus tôt, exprimait simultanément sa colère, sa peur de l'abandon et son désir de confort se polarise maintenant autour de manifestations de colère suivies par des manifestations de soumission désarmante (Crittenden, 1999). Cette polarisation est reproduite dans la conduite parentale sous forme de manifestations de colère et d'exaspération suivies de manifestations de culpabilité et de remords. Le parent ici adopte souvent une attitude de laisser-faire (pendant que l'enfant devient de plus en plus désagréable) qui débouche vers une explosion d'impatience et d'agressivité (à laquelle l'enfant répond par une conduite de soumission). Le parent s'engage dans une escalade de chantage et de menaces qui ne seront pas suivis. L'enfant apprend ainsi à ne plus faire confiance au discours parental pour prévoir le cours des événements. La structuration de son monde ne dépend que de sa capacité à provoquer les choses qu'il juge importantes pour lui.

ASPECTS COMPORTEMENTAUX DE LA NÉGLIGENCE

Au niveau le plus concret, la conduite parentale négligente se définit en fonction des phénomènes d'omission parentale et de besoin développemental de l'enfant. La négligence peut à ce niveau être décrite comme étant un profil («pattern») d'interactions dysfonctionnelles entre le parent et son enfant à l'intérieur duquel ce parent omet de façon chronique de fournir la stimulation et les soins minimaux sur le plan d'un ou de plusieurs domaines du fonctionnement de l'enfant (physique, cognitif affectif social, éducationnel, etc.).

L'évaluation de cette omission parentale doit tenir compte de l'interaction entre le type de conduite parentale et le degré de dépendance-autonomie de l'enfant (selon son âge et/ou son niveau de développement). Les risques et les conséquences de la négligence sont plus grands lorsque l'enfant est jeune et plus dépendant.

L'accent n'est pas mis ici sur la privation de soins (physique, affectif, etc) à l'enfant (même si celle-ci constitue un élément central du phénomène de négligence) mais sur des formes de relation parent-enfant qui ont pour fonction de réduire la participation du parent auprès de son enfant. C'est cette fonction qui fait que l'enfant risque à plus ou moins long terme et de manière plus ou moins sévère d'être privé de soins essentiels à sa sécurité et à son développement.

Dimension Psychologique du Lien Parent-Enfant

Cette dimension concerne principalement la façon dont le parent perçoit, interprète et se représente mentalement sa propre conduite, la conduite de son enfant et les échanges entre lui et ce dernier. L'ensemble de ces représentations constituent l'état d'esprit du parent au moment où il interagit avec son enfant et influence les décisions conscientes et inconscientes qu'il prend à l'intérieur de son rôle parental. Cette dimension est représentée par le second cercle de la Figure 2.


Nombres de psychanalystes ont souligné, au-delà des soins concrets, l'importance de la manière dont un parent «porte dans sa tête» son enfant. Parmi les éléments qui composent l'expérience subjective du parent, on retrouve son état d'esprit à propos des propres relations d'attachement qu'il a entretenues durant son enfance et son adolescence et le sentiment de compétence personnelle qu'il a réussi à établir. Ces aspects influencent directement la capacité du parent à s'engager émotionnellement dans la situation parentale et à être attentif et sensible aux signaux de l'enfant- Cette capacité se déploie en quatre étapes (Crittenden, 1993). Premièrement, le parent doit être psychologiquement disponible pour pouvoir détecter les signaux qu'envoie l'enfant. Deuxièmement, le parent doit posséder des stratégies cognitives efficaces qui lui donne l'occasion de faire des hypothèses plausibles lui permettant d'interpréter correctement et de comprendre ces signaux. Troisièment, le parent doit posséder un répertoire d'options comportementales suffisamment étendues et adaptées pour répondre aux besoins perçus et ainsi que des stratégies qui lui permettent de choisir la meilleure option en fonction de la situation donnée. Dernièrement, le parent doit pouvoir appliquer l'option comportementale sélectionnée et en évaluer l'impact sur son enfant. La qualité de l'expérience subjective du parent vient lui permettre de composer (ou interférer) avec les tâches requises à chacune des étapes mentionnées.

La dimension psychologique est également présente chez l'enfant qui, très tôt dans son développement, élabore des représentations (sensori-motrices, sémantiques et épisodiques) de lui-même, du parent et de l'interaction. À la fin de la petite enfance (entre le 18e et le 36e mois), l'enfant acquiert la capacité à se représenter mentalement certains aspects de son monde. Ses conduites ne sont plus que procédurales ou sensori-motrices, mais elles acquièrent une dimension symbolique (langage et jeu). Dans les échanges avec ses parents, l'enfant commence à partager le contenu de son esprit et à saisir le contenu de l'esprit de l'autre: ils n'échangent plus simplement des signaux mais également des représentations mentales (Greenspan, 1993). D'un point de vue comportemental, l'enfant exprime de façon plus sophistiquée ses désirs et ses sentiments, il explore son monde environnant avec plus d'assurance, il est capable de mieux prévoir et planifier sa conduite et celles des autres et son répertoire de fantaisies/modèles s'agrandit considérablement durant cette période.

À la période préscolaire (de 4 à 6 ans), l'enfant organise les éléments de son expérience interne (ses sentiments, ses idées à propos de lui-même, des autres et du monde environnant), ce que Greenspan (1993) nomme la «pensée émotionnelle». Le développement de cette pensée émotionnelle lui permet notamment de mieux séparer la fantaisie de la réalité, de mieux distinguer ce qui se rapporte à lui (Soi) et ce qui se rapporte aux autres, de mieux distinguer entre différents sentiments (par exemple, être en colère comparé à être apeuré) et à mieux organiser les caractéristiques temporelles et spatiales de ses représentantions (Greenspan, 1996). À cette période, l'organisation des conduites d'attachement de l'enfant ne reflète plus uniquement les stratégies comportementales utilisées par l'enfant dans la relation avec ses figures d'attachement mais également les stratégies mentales qui lui permettent de gérer cette relation. Le type d'attachement qu'il manifeste devient de plus en plus une caractéristique de l'enfant lui-même qu'un reflet de la qualité de ses relations interpersonnelles (Bowlby, 1989). On constate ainsi une plus grande cohérence dans la conduite de l'enfant entre ses divers contextes de vie.

ASPECTS PSYCHOLOGIQUES DE LA NÉGLIGENCE

Au niveau psychologique, les parents ayant une conduite négligente présentent des niveaux de stress parental et de dépression élevés, et leur capacité de résolution de problèmes quotidiens est souvent inférieure à celle des autres parents. Deux phénomèmes semblent particulièrement significatifs à souligner dans les situations de négligence: le désengagement affectif et l'insensibilité parentale.

Les conduites négligentes impliquent fréquemment un état d'esprit chez le parent caractérisé par l'apathie (silence, absence prolongée de contact visuel) et le retrait affectif (peu d'expression d'affect, peu de réaction contingente, se tenir à distance de l'enfant). Nous nommons cet état d'esprit le désengagement affectif

Les conduites négligentes impliquent aussi fréquemment une difficulté chez le parent à détecter, interpréter correctement les signaux de l'enfant et à modifier son comportement pour répondre adéquatement aux signaux de ce dernier. Les difficultés des parents ayant une conduite négligente peuvent se manifester à l'une ou l'autre de ces étapes. Plus le parent manifeste des difficultés à assumer les tâches inhérentes aux étapes précoces du processus de sensibilité parentale (détection et inférence), plus la conduite négligente risque d'être sévère.

Ces dimensions de désengagement affectif et d'insensibilité parentale exposent l'enfant à un contexte relationnel imprévisible et facilitant peu la régulation des affects. L'enfant en vient ainsi à développer une image de lui et du monde qui l'entoure distorsionné et dans laquelle les relations interpersonnelles ont un caractère instrumental.

Dimension Environnementale du Lien Parent-Enfant

L'accent est ici placé sur le contexte socioculturel entourant le parent dans l'exercice de son rôle. Ce contexte réfère notamment au réseau de soutien du parent, aux ressources dont il dispose pour réaliser ses fonctions dans sa famille ainsi qu'aux liens qu'il entretetient avec les différentes institutions ou sources de services formels vis-à-vis de l'enfant et de la famille (garderie, école, CLSC, services de santé, etc.). Ces deux pôles sont représentés dans la Figure 3 - Dimensions comportenentales, psychologiques et environnementales du lien parent-enfant


Les conduites parentales négligentes émergent et se maintiennent dans des conditions de manque de soutien et de ressources. Nous utilisons ici l'expression «pauvreté sociale» pour désigner une situation où le parent n'a pas suffisamment accès à des sources d'aide et des ressources qui sont nécessaires à l'exercice du rôle de parent. Ce manque d'accessibilité peut être causé par l'isolement social et les conflits sociaux.

Dans les situations d'isolement social, le problème d'accessibilité des ressources et des sources d'aide est ici principalement un problème de disponibilité de ces ressources et sources de soutien: le parent n'a pas, autour de lui, ce que normalement un parent doit avoir pour pouvoir exercer adéquatement son rôle. Sur ce point, il est important de souligner particulièrement l'impact sur les mères du désengagement de leur partenaire masculin, désengagement en termes de soutien instrumental (soins à l'enfant, tâches domestiques, etc.) et de soutien affectif (absences, manque de fiabilité, coercivité, violence verbale et physique). Il faut ici savoir que peu d'enfants négligés vivent avec leur mère seule. Dans une majorité de cas, un homme est présent dans la situation familiale (père naturel, conjoint de la mère, partenaire sexuel de la mère). La nature de la participation de cet homme à la vie familiale constitue un élément (positif ou nuisible) important à considérer dans l'analyse d'une situation de négligence.

Dans les situations de conflits sociaux, le problème d'accessibilité des ressources et des sources d'aide est ici principalement un problème d'interférence. Le parent possède un réseau social suffisamment dense, mais les échanges aux sein de ce réseau sont essentiellement conflictuels et interfèrent avec les fonctions de soutien et limitent la quantité de ressources auxquelles le parent pourrait avoir accès (conflits au travail menant à des congédiements fréquents, difficultés à s'insérer dans des groupes d'entraide, etc.). Plusieurs familles aux prises avec des problèmes de négligence sont exposées à ces deux formes de difficultés: elles sont isolées et le peu de contacts qu'elles ont sont de nature conflictuelle.

Une autre problématique fréquemment rencontrée sur le plan social est la densité du réseau de soutien formel (aide professionnelle) par rapport au réseau de soutien informel (aide naturelle). La famille dont l'enfant est négligé ou à haut risque d'être négligé est souvent invitée (ou forcée) à établir et à maintenir des liens avec plusieurs intervenants (simultanément ou un à la suite de l'autre). Ces liens sont souvent perçus comme menaçants et, en favorisant peu la réciprocité et le partage, créent une situation où le parent est peu enclin à s'attribuer la responsabilité des améliorations dans sa vie.

Conclusion

Prévenir la négligence et soutenir les enfants et les parents aux prises avec ce type de difficulté implique que l'on puisse comprendre la souffrance de ces personnes. La négligence est souvent définie en mettant exclusivement l'accent sur les omissions parentales. Ce point de vue réductionniste ou myope entraîne naturellement l'adoption d'une perspective unidimensionnelle de la prévention et du traitement de la négligence, perspective se centrant sur l'acquisition ou l'adoption de certaines conduites parentales.

Cette perspective ne rend pas adéquatement compte de la souffrance relationnelle vécue par les parents et les enfants aux prises avec la négligence. Elle ne rend pas suffisamment compte de tout ce que ces parents (1) tentent de faire avec leurs enfants sans y arriver ou (2) tentent de faire parce qu'ils ont d'excellentes raisons de penser que cela sera utile pour leurs enfants (comme, par exemple, de leur montrer à ne pas s'attacher parce que cela fait souffrir inutilement).

Intervenir en négligence nécessite donc un élargissement des modèles de compréhension de ce phénomène. Cette compréhension plus profonde de « l'expérience « de la négligence favorise évidemment un autre élément central de la démarche d'aide avec ces familles : la compassion. Sans cet ingrédient, l'aide offerte à ces familles risque de n'être qu'une autre tentative de contrôle social.

Références Bibliographiques

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  • Endereço para correspondência:

    Carl Lâchante
    Department de Psychologie
    Groupe de Recherche en Développement de l'Enfant et de la Famille
    UQTR
    CP 500, Trois Rivières, Québec, Canadá, G9A 5H7
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    Le présent texte se penche essentiellement sur l'enfant âgé de 6 ans et moins, la majorité des cas de négligence en Amérique du Nord se retrouvant dans cette tranche d'âge. Nous utilisons l'expression «jeune enfant» pour référer à cette période développementale.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      30 July 2009
    • Date of issue
      June 1999
    Universidade de São Paulo, Faculdade de Filosofia Ciências e Letras de Ribeirão Preto, Programa de Pós-Graduação em Psicologia Av.Bandeirantes 3900 - Monte Alegre, 14040-901 Ribeirão Preto - São Paulo - Brasil, Tel.: (55 16) 3315-3829 - Ribeirão Preto - SP - Brazil
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