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Une anthropologie sans corps c'est comme une messe sans l'hostie: compte rendu d'une prise de contact avec le terrain en Amazonie centrale

Uma antropologia sem corpo é como uma missa sem hóstia: apreciação de um contato com o terreno na Amazônia central

Abstracts

La conception que nous avons communément de l'Amazonie nous est fournie par les connaissances scientifiques, bien que la façon dont celles-ci sont élaborées nous soit occultée. Le but de cet article est de décrire une expérience saisissante de prise de contact avec le terrain de recherche en Amazonie centrale et de passer en revue les réflexions théoriques qui s'en dégagent. Il s'agit d'une expérience décrite dans une thèse de doctorat en anthropologie sociale soutenue au mois de juin 1998 à la Sorbonne sur les pratiques et les actions des scientifiques, leur dynamique et leur organisation dans la région amazonienne. Ce genre de retour sur soi-même et sur sa propre discipline en même temps que l'on produit un savoir, est une démarche indispensable de l'anthropologie car les chercheurs sont aussi un sujet de l'écologie et personne ne traverse impunément la région amazonienne.

actions et pratiques scientifiques; Amazonie; socio-anthropologie de la recherche; Brésil; réflexivité


A concepção que temos usualmente da Amazônia nos é dada pelos conhecimentos científicos, não obstante permaneça oculto para nós o modo como foram elaborados. O objetivo deste artigo é descrever a impactante experiência de tomada de contato com o terreno de pesquisa na Amazônia central, passando em revista as reflexões teóricas que se podem extrair dela. A experiência foi descrita numa tese de doutorado em antropologia social, submetida à Sorbonne em julho de 1998, tratando das práticas e ações dos cientistas, de sua dinâmica e organização na região amazônica. Esse tipo de reflexão sobre nós mesmos e sobre nossa própria disciplina, concomitante à produção de um saber, é uma démarche indispensável da antropologia, já que os antropólogos são sujeitos da ecologia e também porque ninguém atravessa impunemente a região amazônica.

ações e práticas científicas; Amazônia; socioantropologia da pesquisa; Brasil; reflexividade


NOTA DE PESQUISA

Une anthropologie sans corps c'est comme une messe sans l'hostie: compte rendu d'une prise de contact avec le terrain en Amazonie centrale

Uma antropologia sem corpo é como uma missa sem hóstia: apreciação de um contato com o terreno na Amazônia central

Carlos José Saldanha Machado

Doutor em antropologia pela Sorbonne, mestre em engenharia

de Produção pela COPPE/UFRJ

Rua Ministro Armando de Alencar, 16/603

22471-080 Rio de Janeiro — RJ Brasil

cjsmac@uerj.br

La conception que nous avons communément de l'Amazonie nous est fournie par les connaissances scientifiques, bien que la façon dont celles-ci sont élaborées nous soit occultée. Le but de cet article est de décrire une expérience saisissante de prise de contact avec le terrain de recherche en Amazonie centrale et de passer en revue les réflexions théoriques qui s'en dégagent. Il s'agit d'une expérience décrite dans une thèse de doctorat en anthropologie sociale soutenue au mois de juin 1998 à la Sorbonne sur les pratiques et les actions des scientifiques, leur dynamique et leur organisation dans la région amazonienne. Ce genre de retour sur soi-même et sur sa propre discipline en même temps que l'on produit un savoir, est une démarche indispensable de l'anthropologie car les chercheurs sont aussi un sujet de l'écologie et personne ne traverse impunément la région amazonienne.

MOTS-CLÉS: actions et pratiques scientifiques, Amazonie, socio-anthropologie de la recherche, Brésil, réflexivité.

A concepção que temos usualmente da Amazônia nos é dada pelos conhecimentos científicos, não obstante permaneça oculto para nós o modo como foram elaborados. O objetivo deste artigo é descrever a impactante experiência de tomada de contato com o terreno de pesquisa na Amazônia central, passando em revista as reflexões teóricas que se podem extrair dela. A experiência foi descrita numa tese de doutorado em antropologia social, submetida à Sorbonne em julho de 1998, tratando das práticas e ações dos cientistas, de sua dinâmica e organização na região amazônica. Esse tipo de reflexão sobre nós mesmos e sobre nossa própria disciplina, concomitante à produção de um saber, é uma démarche indispensável da antropologia, já que os antropólogos são sujeitos da ecologia e também porque ninguém atravessa impunemente a região amazônica.

PALAVRAS-CHAVE: ações e práticas científicas, Amazônia, socioantropologia da pesquisa, Brasil, reflexividade.

Introduction

L'Amazonie, depuis les premiers jours de sa conquête par les navigateurs européens, est devenue un étrange objet de passions, de rêves, d'intrigues et de controverses politiques et scientifiques.

Plus récemment, nous nous sommes aperçus peu à peu que l'Amazonie revêtait un sens bien différent de celui qu'elle avait à l'époque des récits fabuleux, évoquant l'Eldorado perdu. A l'heure actuelle, ce sens rejoint la perception qui commence à se faire jour, d'une menace globale qui plane sur la planète. La grande modification perceptuelle vient de la reconnaissance de ce que les Anglo-saxons appellent les "commonalities", les choses communes; autrement dit, une nouvelle forme d'interdépendance s'est créée autour de la reconnaissance de l'Amazonie comme bien commun ou "patrimoine de l'humanité". Jusque dans les années 70, on ne parlait que d'interdépendance économique, politique et militaire, mais cette nouvelle forme s'avère bien plus complexe, du fait qu'elle associe le destin de l'humanité toute entière aux solutions proposées pour résoudre les problèmes qui se posent aux collectivités humaines.

Dans ce sens, l'Amazonie s'est transformée en un vaste hall d'aéroport international, où l'on voit entrer et sortir un flot constant de scientifiques, et même de philosophes et de sémiologues, tous membres d'institutions universitaires et/ou non gouvernementales et d'instituts de recherche, venus des pays les plus divers. Cette légion de chercheurs se déplace à travers des régions brûlées, ébranlées par les conflits terriens, divisées en zones indigènes, d'extraction, militaires et d'occupation agricole, mais n'oublie pas d'entrecouper ses allées et venues de participations à des séminaires, des congrès, des ateliers, des colloques, des rencontres et autres tables rondes.

Dans cette brève reconstitution du drame amazonien tel qu'il est mis à l'ordre du jour, un aspect retient plus particulièrement notre attention: la conception que nous avons communément de l'Amazonie nous est fournie par les connaissances que produisent ces spécialistes, bien que la façon dont elles sont élaborées nous soit occultée.

Le but de cet article est de décrire une expérience saisissante de prise de contact avec le terrain de recherche à Manaus auprès de l'Instituto Nacional de Pesquisas da Amazônia et de passer en revue les réflexions théoriques qui s'en dégagent. On n'y traitera qu'une partie de ma prise de contact avec mon principal terrain de recherche en Amazonie centrale. Elle a été décrite dans le premier chapitre de ma thèse de doctorat en anthropologie sociale soutenue au mois de juin 1998 à la Sorbonne sur les pratiques et les actions des scientifiques, leur dynamique et leur organisation dans le domaine des sciences de la nature, en particulier dans ce qu'il a été convenu entre spécialistes d'appeler l'Écologie tropicale (Machado, 1998). Ce genre de retour sur soi-même et sur sa propre discipline en même temps que l'on produit un savoir, est une démarche indispensable de l'anthropologie1 1 Outre la référence incontournable de Malinowski ([1967]1985), de bonnes illustrations de cette démarche réflexive se trouvent dans les travaux de Stocking Jr. (1987), Clifford (1983), Clifford et Marcus (1986), Fabian (1983), Geertz (1988), Rabinow (1977), Ruby (1982), Sperber (1982) et Watson (1987). étant donné que le chercheur est toujours impliqué dans des situations par rapport auxquelles il doit prendre ses distances, dans la mesure où son objet de travail fait partie de son propre territoire de vie.

Le corps du chercheur face au climat tropical en Amazonie centrale: à la recherche de son équilibre

La ville de Manaus se situe au confluent des deux principaux fleuves qui forment l'Amazone, le "Rio Negro", aux eaux noires venues de Colombie, et le "Rio Solimões", qui roule dans ses eaux brunes les alluvions depuis le Pérou.2 1 Outre la référence incontournable de Malinowski ([1967]1985), de bonnes illustrations de cette démarche réflexive se trouvent dans les travaux de Stocking Jr. (1987), Clifford (1983), Clifford et Marcus (1986), Fabian (1983), Geertz (1988), Rabinow (1977), Ruby (1982), Sperber (1982) et Watson (1987).

Dès que je suis arrivé au mois d'août 1994 dans la ville de rencontre des eaux, tout à coup, et à la sortie même de l'aéroport dans une Land Rover 4x4, la voiture fétiche des anthropologues, le milieu liquide de mon corps — ce système de plasma sanguin et lymphatique, littéralement l'atmosphère liquide qui baigne toute cellule douée de vie et qui constitue plus de la moitié du poids des êtres humains — a commencé à interagir avec le climat de la région.3 1 Outre la référence incontournable de Malinowski ([1967]1985), de bonnes illustrations de cette démarche réflexive se trouvent dans les travaux de Stocking Jr. (1987), Clifford (1983), Clifford et Marcus (1986), Fabian (1983), Geertz (1988), Rabinow (1977), Ruby (1982), Sperber (1982) et Watson (1987). Je sentais mon sang s'extravaser vers les vaisseaux périphériques de ma peau afin de remplir les exigences de thermorégulation et de dissiper également la chaleur. A cause de l'humidité et de la chaleur — qui se transmettait par radiation dont l'augmentation se traduisait par l'élévation de la température de mes glandes sudoripares — j'ai commencé à participer au cycle d'évapotranspiration des forêts tropicales amazonienne décrit à plusieurs reprises par des écologistes et des climatologues. Je sentais que les apports journaliers absorbés au petit déjeuner en éléments indispensables à l'équilibre quotidien de ma physiologie (protéines, vitamines et oligo-éléments) s'écoulaient sans cesse à travers la couche superficielle de ma peau en amont de ma tête et en aval de mes pieds. Une partie de la sueur qui s'amassait à la surface de l'épiderme sous forme de gouttes et de gouttelettes se répandait par terre et l'autre partie , piégée par ma veste, s'évaporait à travers le contact de l'air chaud soufflé par des vents alizés venant de l'Atlantique en direction des Andes.

A la fin da ma première semaine de travail à Manaus, mes pieds et mes mains enflaient, ma bouche se desséchait et j'ai eu la diarrhée. La douleur physique et la gêne qui en résultent, ont presque gâché mon séjour en Amazonie centrale. Mais dès le début de mes déboires physiologiques, j'ai essayé d'éviter la déshydratation générale en absorbant davantage de liquides et de jus de fruits et en recourant au charbon végétal. Après une fin de semaine de repos dans une modeste chambre d'hôtel équipée d'un climatiseur particulièrement bruyant, cet épisode a évolué spontanément vers la guérison en quelques jours. L'action rapide des gélules de charbon végétal actif et de Coca-Cola froid sur l'amélioration de mon état de trouble intestinal s'est avérée être un remède efficace.

À la suite de cette expérience physiologique de confrontation soudaine avec une température ambiante élevée — qui altérait aussi l'état normal des semelles en élastomère de mes chaussures — j'ai essayé de modifier mon comportement en utilisant les ressources du milieu. Étant donné le poids et la taille de mon corps (90kg et 1,89m) et la réduction de ma capacité d'effectuer un travail musculaire normal, il fallait compenser les pertes d'eau et de sel résultant d'une intense transpiration quotidienne. Je me suis mis à boire beaucoup d'eau (trois fois plus que d'habitude), à ralentir mon rythme de marche et à chercher des espaces arborisés ou ombragés4 4 Comme l'a souligné Salati et alii (1978), Salati (1984) et Ribeiro et alii (1982), la cause la plus importante de variabilité d'insolation en Amazonie provient des nuages. La température moyenne mensuelle ne varie pas plus de trois degrés centigrades, mais les variations journalières peuvent atteindre jusqu'à quinze degrés centigrades en fonction de la couverture des nuages qui varie à chaque moment et qui réduit l'insolation régionale jusqu'à 50% en moyenne. formés par des bâtiments tout au long de mes déplacements. Ainsi, j'ai pu contrôler ma température qui dépassait 39C5 5 Ce relevé de températures a été effectué à différents moments de la journée grâce à un petit thermomètre à mercure que je transportais dans ma trousse de voyage qui contenait des outils divers: un magnétophone à cassette standard avec enregistrement à activation vocale, un magnétophone à microcassette, des cassettes, des piles alcalines japonaises we love the earth, un appareil photo, des films couleurs, un trépied, des carnets de notes, un relevé de compte, une calculatrice électronique de poche, quelques feuilles bristol de formats variés, un carnet d'adresses, des crayons, des stylos bille, une gomme, des trombones, une mini-agrafeuse, une paire de petits ciseaux, un canif suisse à usages multiples, une règle graduée de vingt centimètres, quelques morceaux de ficelle, un rouleau de ruban adhésif transparent, des sacs en plastique format A4, une paire de lunettes à verres teintés, une montre à sonnerie parlante à cristaux liquides, un petit rouleau de sparadrap médical, une boîte d'aspartame, des médicaments divers (collyre, aspirine...), un carnet de timbres, des cassettes de rock et quelques photos de famille. Force est de constater que plus que d'autres scientifiques, l'anthropologue s'oriente dans la situation d'enquête avec toutes ses ressources personnelles et collectives. et mes activités cardiovasculaires supplémentaires à travers l'équilibre du mon bilan hydrique. Comme ma bouche se desséchait, je la réhydratais en stimulant sa sécrétion salivaire grâce au suçotement de pastilles et de bonbons acidulés sans sucre et de glaçons confectionnés à partir de jus de fruits. À cause des variations rapides d'intensité lumineuse (éclairage intense et pénombre), mes paupières supérieures et inférieures se rétrécissaient et s'élargissaient à des intervalles plus ou moins rapprochés. Pour faire face à ce mouvement musculaire d'adaptation à des conditions d'éclairages différents, j' en suis venu à porter des lunettes à verres noirs afin de réduire la réception intensive de lumière dans l'espace ouvert. Et comme mes chaussures et mes chaussettes jouaient aussi un rôle dans les troubles que je ressentais, il me fallait ventiler mes pieds. Comme ultime ressource visant la stabilisation de la chaleur de mon corps et pour me sentir à l'aise pendant mes recherches, je me suis mis à porter des sandales légères, ainsi qu'un vêtement souple et fonctionnel, le jeans. De fait, le jeans n'était pas en l'occurrence un pantalon de travail et de loisir, c'était un outil qui protégeait mon corps des contraintes du milieu tout en le laissant libre de se mouvoir. Quelle façon efficace de rafraîchir son corps... et d'envoyer au diable le climat!

Étant donné que sous les tropiques, la chaleur et l'humidité sont un problème sérieux dans l'organisation quotidienne des travaux de recherche et pour le confort des chercheurs, l'INPA a résolu les contraintes apportées par le climat à l'équilibre homéostatique corporel des membres de son effectif en ayant largement recours à des climatiseurs installés dans toutes les salles de ses trois Campus: l'air, fluide multifonctionnel, permettant de pratiquer simultanément l'aération, la ventilation, la récupération, le contrôle hygrométrique et la réfrigération des espaces de travail,6 6 Pour une partie des habitants de Manaus, y compris les chercheurs de l'INPA, la notion de "confort" s'apparente à celle de "satisfaction" telle qu'elle peut être utilisée pour caractériser une opinion globale sur une situation: satisfaction du corps à être maintenu dans un état que nulle perturbation extérieure ne vient troubler. Le confort correspond alors à l'absence de sollicitation corporelle ou physiologique ("le bien-être") et se définit comme le degré zéro de toute excitation corporelle: état d'effacement du ressenti. L'ensemble de ces préoccupations converge vers un idéal du conditionnement de l'air, dont les applications sont nombreuses dans certains lieux de travail, hôtels, zones commerciales ou moyens de transports privés et publics. Mais à Manaus, des problèmes techniques liés à la mise en installation des usines thermoélectriques et hydroélectriques de l'état d'Amazonas et la transmission de l'énergie produite jusqu'aux consommateurs entraînent de temps à autre des coupures de courant, ce qui détruit les expériences menées dans les laboratoires de l'Institut. Avec l'introduction de la réfrigération centrale dans des immeubles collectifs, le raccordement aux distributions d'eau et d'électricité, la notion de réfrigération de l'air s'est profondément modifiée: sa problématique d'objet s'est trouvée recouverte par celle de réseau. La question de la réfrigération de l'air est alors entrée dans la logique industrielle de l'organisation territoriale et spatiale des immeubles, ce qui caractérise un mouvement continu d'extension et d'emprise. Ainsi, "l'ordre lointain", celui de l'État et de société industrielle, pénètre l'immeuble et s'y introduit avec d'autantplus de souplesse qu'il est médiatisé par des techniques qui assurent des gratifications satisfaisant des besoins privatisés. est une denrée précieuse pour les sciences tropicales. Pendant les moments de la journée où je n'avais pas de rendez-vous avec d'autres chercheurs, j'ai profité de cette infrastructure d'air climatisé pour travailler à la Bibliothèque centrale qui s'avérait être un agréable refuge â l'égard d'un corps biologiquement bouleversé. J'ai essayé de profiter également du climat confiné dans les 130.000m2 de forêt pluviale du Campus Aleixo I, espace écologique où est installé le siège administratif de l'Institut. Dans ce Campus, un microclimat régnait dans l'épaisseur de la forêt ombrophile, c'est-à-dire dans l'air compris entre le sol et la cime des arbres. D'ailleurs, il était aisé de distinguer l'ambiance de l'intérieur du feuillage de celle qui existe en dessous dont la température oscillait entre 23 et 260C. Ce microclimat forestier estompait les variations thermiques brutales que je subissais7 7 Observations faites à partir de la comparaison entre les températures régnant dans les deux milieux en utilisant un petit thermomètre à mercure qui faisait partie de mes affaires personnelles. dans les espaces ouverts, c'est-à-dire sans arbres: dans le cas des sols humides recouverts par des arbres, l'évaporation augmente et la surface devient plus fraîche là où des vers de terre (des lombrics) se nourrissent d'humus qu'ils rejettent après digestion sous la forme d'un boudin déposé à la surface du sol; dans le cas des sols secs, il se produisait un échauffement avec des variations journalières de températures létales.8 7 Observations faites à partir de la comparaison entre les températures régnant dans les deux milieux en utilisant un petit thermomètre à mercure qui faisait partie de mes affaires personnelles.

Réflexions à partir d'une expérience saisissante

Avant même de terminer ma recherche, j'avais compris trois aspects essentiels liés à ma prise de contact avec le terrain. Premièrement, que pour être à l'aise dans le milieu qui vous entoure, il faut avoir une taille relativement réduite et un métabolisme de base peu élevé pour produire moins de chaleur et pour augmenter l'aptitude du corps à la perdre plus rapidement. Pour le commun des mortels ne disposant pas du temps nécessaire d'ajustement naturel du corps aux conditions climatiques nouvelles, il faut savoir en modifier le degré de tolérance à des facteurs écologiques tels que la température, l'humidité et la luminosité, pour pouvoir travailler au même rythme de l' environnement physique d'origine. Deuxièmement, que nous sommes, nous aussi, les chercheurs, un sujet de l'écologie et que personne ne traverse impunément la région amazonienne. Trop souvent, nous imaginons que la vie dépend de nous, les individus, et de notre capacité de reproduction, nous oublions qu'aucune espèce vivante, y compris la nôtre, ne peut ni produire sa propre nourriture à partir d'éléments minéraux, ni décomposer ses propres déchets, ni subsister sans le concours d'autres espèces. En définitive, nous oublions toutes les conditions nécessaires à notre propre survie. La continuation de la vie dans le cadre d'un écosystème exige que les éléments chimiques vitaux soient recyclés en permanence pour être remis à la disposition des individus, des populations et des espèces, et que l'énergie nécessaire soit fournie de façon permanente. Nos intestins comme une plantation d'hévéa brasiliensis9 7 Observations faites à partir de la comparaison entre les températures régnant dans les deux milieux en utilisant un petit thermomètre à mercure qui faisait partie de mes affaires personnelles. dans une serre, mourraient sans l'action des germes (micro-organismes), puisque pour subsister, les êtres vivants ont besoin de ce qu'on appelle la faune microbienne diversifiée (des bactéries pour les premiers et des bactéries et des champignons pour la seconde) pour décomposer la matière organique provenant du milieu et rendre possible leur alimentation . Comme les êtres les plus rudimentaires, les chercheurs doivent eux aussi tenir compte des informations transmises par leurs organes sensoriels afin de pouvoir faire face aux changements de milieux naturels: notre survie peut être menacée par la destruction de certaines qualités de l'environnement, c'est-à-dire de l'ensemble des caractéristiques physiques, chimiques et biologiques dans lequel vit un organisme vivant.10 10 Depuis les années 1960, le terme 'environnement' est également utilisé par des scientifiques dans un sens plus spécifique et désigne le cadre de vie de l'homme, et ses interactions avec la nature et le milieu urbain. L'environnement est souvent perçu par les différents aspects, presque toujours négatifs, de l'impact des activités humaines sur la biodiversité. Ces impacts peuvent concerner la composition de l'atmosphère aussi bien que la qualité des eaux ou la composition de la flore et de la faune. Troisièmement, qu' on n'a pas besoin d'éduquer a priori notre sensibilité scientifique en lisant soit la littérature médicale incontournable sur des "facteurs de stress" sous les tropiques comme "Physiology of heat regulation and science of clothing (1949), The principles and practice of tropical medicine (1954), The stress of life (1956), soit des comptes rendus de voyages spatio-temporels comme Tristes tropiques (1955), soit des ouvrages de théories holistes comme la vaste synthèse transdisciplinaire The age of Gaia: a biography of our living earth (1988) et Gaia: the practical science of planetary medicine (1991).11 11 Formulée par le chimiste britannique de l'atmosphère J. Lovelock en collaboration avec la biologiste L. Margukis, la théorie de Gaïa a influencé en profondeur depuis quelques années les grands programmes d'écologie globale et le système de classification du monde vivant, ainsi que, de plus en plus, l'imaginaire contemporain. À la suite des idées sur une théorie de la globalité biogéochimique, la Biosphère, développées par le russe Vladimir Vernadsky (1929) et dont les travaux trouveront à partir des années quarante plus d'écho aux États-Unis qu'en France, l'effort théorique de Lovelock consiste à démontrer que les relations entre les êtres humains et les composantes organiques et inorganiques de la nature forment un unique écosystème planétaire. Le formidable recul par rapport à la Terre, qu'ont permis les vols spatiaux, et le regard comparatif de la planétologie, ont révélé à Lovelock cette "anomalie" qu'est, au sein du système solaire, la composition de l'atmosphère de notre planète. S'inspirant alors des travaux en physiologie et en cybernétique, Lovelock a érigé en postulat l'existence d'une régulation par la vie elle-même des conditions atmosphériques au niveau du globe. C'est "l'hypothèse Gaïa". De très nombreuses boucles de rétroaction relient ainsi la vie à son environnement: le pompage du CO 2 en très grande proportion a fait que la Terre n'a 'jamais ni gelé ni bouilli'; l'oxygène se maintient à 21%, niveau qui optimise l'activité aérobie. L'hypothèse Gaïa s'est révélée "payante", faisant émerger une nouvelle conception de la Terre: la vie apparaît désormais comme un phénomène unitaire à extension planétaire. Or, les excès de notre espèce viennent menacer cette autorégulation spontanée de la Terre. Il revient donc désormais à l'homme de protéger la physiologie de sa planète: c'est l'émergence de la "conscience planétaire". Pourtant, affirme Lovelock, ce n'est pas tant la biosphère qui est menacée, elle ne ferait qu'évoluer autrement à travers l'homme; c'est surtout l'aventure humaine qui se trouverait compromise. "Sauver la Terre" est donc une expression impropre, présomptueuse, qui risque de faire de Gaïa une entité mythique, maternelle, providentielle, un culte lourd de dangers. "Préserver notre avenir à tous" semble plus juste. L'écologie globale a pour objet l'ensemble de la biosphère c'est-à-dire le système écologique global de la planète Terre dont l'Amazonie a été placé par Lovelock (1988) au centre du système. Il intègre l'ensemble des organismes vivants — y compris l'espèce humaine et ses activités — mais aussi les autres "sphères": la lithosphère (les continents, les fonds marins...), l'hydrosphère (les océans, les pluies, les fleuves...), l'atmosphère (les gaz de l'air). Elle considère donc la Terre dans toute son histoire (4,6 milliards d'années), un peu comme un organisme en évolution. Pour traiter en termes symétriques tous les êtres vivants et leurs milieux d'existence, il suffit simplement de se plonger dans le voyage initiatique du début du siècle que B. Malinowski décrit, sans mâcher les mots, de manière tout à fait crue dans son Journal d'ethnographe 1914-1918 ([1967] 1985), et que pendant ce long travail d'accommodation du regard, c'est-à-dire de mise en ordre de ce qui a été vécu dans la totalité de l'instant, le chercheur ne se laisse pas posséder par une certaine pudeur littéraire en reléguant dans un jardin secret les sensations, les émotions, la mémoire nostalgique du corps; qu'au moment de la construction scientifique de son objet dans l'espace urbain d'où il vient normalement, il se libère d'une sorte de fanatisme maniaque qui privilégie la pure pensée, le pur esprit qui s'obtient en oubliant le corps — le corps qui, lui, garde des traces — en faisant tourner le monde autour de notre tête. Si nous voulons remplir dignement notre tâche de description et d' analyse de la vie quotidienne des acteurs de la recherche ou de certains aspects de leurs expériences, nous ne pouvons omettre notre corps et sa misère: ce sont des mouvements d'organes qui interfèrent dans notre équilibre instable et qui déterminent le malaise des excès, des contractions, des diarrhées et des vomissements. Il n'y a aucun doute que le sujet, comme l'écrit Piaget, (1967, p. 1.244) "plonge dans l'objet par son organisme, nécessaire à l'action, et réagit sur l'objet en l'enrichissant des apports de l'action".

À la suite de cette expérience de terrain saisissante, un malaise s'est fait jour néanmoins à propos d'une source d'inspiration de ma recherche, l'anthropologie des sciences de B. Latour. Dans son manuel de sociologie des sciences, La science en action ([1987] 1995), cet auteur propose une nouvelle définition de la science, "la science en train de se faire'': la création, la découverte, l'invention et la réussite sont alors prises dans un autre sens. Le point fort de son programme (également connu comme "sociologie de la traduction" ou "théorie de réseaux'') est précisément de ne pas dissocier théoriquement le monde des choses et des humains, de suivre la formation des êtres qui composent le monde, ces "quasi-objets" tour à tour, narrés, collectifs et réels. La nature ne nous est pas donnée, nous devons en construire des représentations. Réhabilitant l'activité manipulatrice, que les travaux pionniers de J. Ravetz (1971) avaient envisagée comme un élément central de la pratique scientifique, l'attention est dorénavant toute entière portée sur les pratiques d'écriture et d'imagerie capables de mobiliser le monde, de le fixer, de l'aplatir, de le faire varier d'échelles, de recombiner et superposer les traces ainsi produites, d'incorporer l'inscription dans les textes et de fusionner les mathématiques. Le rôle de la pensée est radicalement déplacé dans le travail des inscriptions, dans celui de la persuasion ou encore d'extension des réseaux. Et pourtant, si le statut des objets, des instruments, des documents, des compétences techniques, de l'argent de la recherche est mis en valeur, la définition de l'acteur lui-même est sujette à caution, des contradictions ne sont pas exclues de ce déplacement du regard. Tantôt tout puissant, génie social, tantôt sans épaisseur, tantôt absent et interchangeable, tantôt fait d' entités machiavéliques qui enrôlent peu à peu des alliés dans tout un éventail de lieux, réinterprètent leurs intérêts pour les adapter à leurs propres buts. Comme le dit Chateauraynaud (1991, p. 477), l'anthropologie de B. Latour "s'inspirant en partie de l'empirisme de D. Hume semble interdire toute autonomie aux questions relatives à l'acteur humain, à ses dispositions — capacités cognitives, esthétiques —, à ses interactions avec ses semblables, à ses motivations pour agir ou à ses élaborations interprétatives". Par contre, pour un chercheur de terrain, le point faible de ce "programme fort", c'est qu'il minimise l'action collective et le rôle de l'individualité, des rapports sociaux notamment familiaux et d'amitié et du travail intérieur du chercheur. En outre, il n'accorde aucune place à la dimension écologique dans l'action de celui qui fait métier de suivre des scientifiques dans leurs travaux. Sous prétexte d'agnosticisme, les perplexités, les joies ou les désespoirs sont effacés du récit: les contraintes de l'environnement que les anthropologues ont subies dans leurs travaux quotidiens de reconstruction de la dynamique de la recherche ne sont pas prises en considération. Tout se passe donc comme si l'homme de science était celui qui ne ressentait rien! En octobre 1991, grâce à un contrat du Ministère de l'environnement français, B. Latour (1993a, 1993b, pp. 171-225, 1994) a suivi pendant deux semaines une expédition scientifique franco-brésilienne en Amazonie centrale. Il voyage de Paris à l'état de Roraima, la région où va se réaliser le travail de terrain, sans fournir aucun élément descriptif de son mode d'accès et/ou de sa prise de contact avec le terrain. Or n'importe quel chercheur sait très bien qu'avoir un contrat de recherche constitue un préalable très important parce qu'il lui permet de couvrir les frais de mission. Mais il est nécessaire également que dans le cas de l'anthropologie, les acteurs de la recherche acceptent de se laisser observer: comment s'établit le contrat de confiance entre l'anthropologue et ses informateurs (des pédologues français et des botanistes brésiliennes)? On peut s'étonner que Latour, faisant par ailleurs et souvent preuve d'une perspicacité remarquable, ait autant négligé ce facteur. De toute évidence, il a écarté de sa pratique scientifique12 12 Pour une analyse affinée de la pratique de l'épuration dans les milieux scientifiques, voir l'anthropologie historique de S. Shapin (1994). un aspect important de sa technique d'enquête, de même qu'il en a omis les contraintes imposées par l'environnement. En pratique, tout cela est jugé extérieur à notre pratique de la recherche et ne doit pas être pris en charge dans la présentation des résultats de l'analyse du fonctionnement de la nature des choses. Le voyage ethnographique fait silence sur la question, alors que notre pratique ne cesse de montrer qu'on est pris, mélangé, fondu dans un milieu naturel: le corps du chercheur et sa misère physiologique dont la micro-écologie a été décrite auparavant et que caractérise la finitude et circonscrivent les limites de nos opérations mentales, est passé sous silence par cette anthropologie. Or, une anthropologie sans corps c'est comme une messe sans l'hostie: il y manque la présence du sacrifice du corps et du sang de l'anthropologue suivant le rite prescrit depuis que l'anthropologie est devenue une discipline académique.

Afin de continuer mes recherches, j'ai dû laisser de côté le programme de B. Latour dont les extraits de quelques-uns de ses ouvrages ont également servi d'inspiration à ma recherche. Il va de soi que ces quelques remarques à propos de la présentation des résultats de sa recherche amazonienne n'enlève rien au mérite de cet auteur qui depuis une quinzaine d'années a fait rentrer en France les apports du composant matérialiste de l'immense domaine anglo-saxon d'études sociales des sciences et des techniques (acronyme anglais STS de "science and technology studies" ou "science, technology, and society").Elles ne constituent pas une réfutation d'une oeuvre solidement argumentée dont je partage, par ailleurs, la plupart des attendus; elles visent seulement à suggérer un mode d'appréhension singulier d'un problème auquel nous sommes nombreux à nous intéresser, mais dont chacun à partir de la culture de son monde social13 13 Ce concept fondamental de l'anthropologie constitue le sujet de nombreux livres et de discussions fastidieuses sans fin. Autour de ce thème, une littérature abondante nous a permis de dégager un certain nombre d'idées. Celle que nous retenons dans le cadre de notre étude (Brown, 1984; Clifford et Marcus, 1986; Geertz, 1973) renvoie à la culture comme à un amalgame de modes de vie, de traditions accumulées, de connaissances et de coutumes qui s'inscrirent dans notre corps, transmises d'un individu à l'autre et d'une génération à l'autre par des interactions sociales formelles et informelles, les mass media (journal, revue, magasin, radio et télévision) et des contraintes d'ordre juridiques. Chaque culture élabore d'innombrables classifications au moyen desquelles les membres d'une société ou d'un groupe apprennent à s'orienter et à connaître ce qui est 'normal'. 'Normal' pas seulement dans le sens courant, mais aussi dans celui de ce qui est juste, souhaitable et convenable. Dans ce contexte, les catégories cognitives sont étroitement liées aux catégories normatives: connaître et apprécier vont souvent de pair, mais pas nécessairement. Ce que les acteurs acclament ou ce qu'ils rejettent, ce qu'ils aiment ou ce qu'ils haïssent, ce qui les réjouit ou ce qui les chagrine, ce dont ils sont fiers ou ce qu'ils méprisent, ce ne sont que des opinions, des sentiments, des observations, des émotions intimement liés à ce qu'ils ont appris à connaître et à apprécier, se rattachant aux classifications cognitives et aux prescriptions et interdits normatifs. souligne certains phénomènes et en oublie d'autres.

L'Affaire Sokal

Même si les réflexions provocantes livrées par les essais théoriques et les analyses sémiotiques de B. Latour ([1987]1995, 1994) attirent de plus en plus la réaction intellectuelle des spécialistes d'horizons scientifiques les plus divers, cet auteur a réussi à montrer avec son talent d'homme à la plume brillante que celui qui a une imagination créatrice ne doit pas se résigner à l'ordre du jour dicté par des scientifiques. L'une de ces plus récentes critiques est liée au canular d'Alan Sokal, professeur de physique à l'Université de New York, qui a réussi à faire publier au printemps 1996 par la revue américaine Social Text un texte truffé d'absurdités scientifiques étayées par des citations d'intellectuels célèbres, surtout français. Depuis que le canular a fait la une de certains médias, il est devenu l'"affaire Sokal" (Sokal et Bricmont, 1997). Avec l'affaire Sokal c'est le problème centenaire de la démarcation entre les disciplines "scientifiques'' et celles qui ne le sont pas qui est revenu sur le devant de la scène. On y trouve souligné l'attrait pour un modèle de scientificité étroitement inspiré par les sciences de la nature qui se construisent à partir de l'expérimentation et du recours aux mathématiques. Et de là, l'idée que ce domaine de la connaissance se clôt et se conclut nécessairement par des certitudes. En fait, les choses ne sont pas si simples et la scientificité, même dans ce domaine, se traduit par des certitudes sous réserve d'inventaire. Ce modèle a pesé et pèse toujours sur la démarche des sciences humaines tantôt pour les soumettre aux paradigmes des sciences de la nature, tantôt pour récuser leur scientificité. Or, il faut remarquer que les résultats des sciences humaines sont plus rares et plus incertains, car les réalités vivantes qu'elles essaient de cerner: sociétés, mentalités, conduites, etc sont plus riches et présentent moins de régularités que certains phénomènes de la nature.En conséquence de quoi, l'usage de la raison dans ces sciences devra être plus subtil, l'esprit scientifique plus développé que dans les sciences de la nature, où la sanction de l'expérience est immédiate et patente.

Conclusion

En nous référant à ces éléments constitutifs qui participent aux transformations scientifiques tout aussi capitales que l'intégration économique et la globalisation de l'Amazonie, nous avons cherché à rendre compte d'un sujet qui demeure l'une des zones obscures de ce processus.

A la fin de ce compte rendu d'une prise de contact avec le terrain en Amazonie centrale, mes recherches entrent clairement en résonance avec la tradition des sciences cognitives d'après laquelle la cognition est fondée sur l'activité concrète de tout l'organisme (Varela et alii, 1993). D'après cette tradition qui redonne une valeur centrale à l'agir immédiat de l'acteur, le monde n'est pas quelque chose qui nous est donné: c'est une chose à laquelle nous prenons part en fonction de notre manière de voir, de bouger, de toucher, de respirer et de manger.

Afin de transformer les résultats de ma recherche en axe de recherche fécond, axe qui glisse vers l'étude des actions incarnées, il faut diriger mes futures investigations sur la notion d'auteur scientifique dans le domaine de l'écologie tropicale. Dans nos sociétés, on emploie le terme 'auteur' généralement en se référant à une identité personnelle qui peut être discutée et évaluée en public à travers les choses écrites qu'on lui attribue. On appelle 'écrits', dans un sens restreint, les choses qu'un acteur écrit et qui le transforment en auteur. Ces choses sont destinées à un cercle de lecteurs, même si celui-ci peut être extrêmement réduit. Le droit d'auteur est basé sur l'idée qu'aucune propriété n'appartient à un être humain d'une manière plus personnelle que les productions de son esprit exprimées sous une forme matérielle comme un film, un enregistrement phonographique, une peinture, une composition musicale, un périodique ou un livre (Lipszyc, 1997). Mais du point de vue pratique, deux questions persistent: comment devient-on un auteur et d'où vient le pouvoir qui définit ceux qui écrivent ces ouvrages comme auteurs?

Pour préciser cette question, il serait intéressant d'y appliquer les analyses anthropologiques et historiques des sciences. Et cela réclame l'abandon des définitions a priori de la science et de leur substituer une étude des variations dans le processus de constitution d'un auteur en chair et en os. Pour une discipline comme la mienne dont la démarche va du particulier au général, du concret à l'abstrait, le terrain de réalisation de cet axe de recherche peut être défini comme la base de données préalable à toute démarche. Cette recherche doit évidemment être menée, parallèlement aux enquêtes de terrain (au sens propre), à partir de travaux d'archives et d'analyse de la bibliographie existante sur la figure d'auteur dans nos sociétés contemporaines.

NOTES

2 Tout commence dans les glaciers des Andes péruviennes. C'est près de Borja et sous le nom de Rio Marañón que l'Amazone dévale vers le nord sur 800km entre les chaînes andines. Après 600km vers l'est d'un cours régulier, il rencontre le Rio Uycali, venu du sud en amont d'Iquitos. C'est lors de cette jonction qu'il prend pour la première fois le nom d'Amazone; nom qu'il abandonnera à la frontière brésilienne où pendant plus de 1 500km on l'appellera Rio Solimões. C'est à la hauteur de la ville de Manaus qu'a lieu le second baptême du fleuve: il y reprend son nom d'Amazone qu'il conservera désormais.

3 Bien que chaque point du globe terrestre reçoive la même quantité de lumière chaque année, la forme sphérique de la terre ne permet pas une distribution égale de l'énergie solaire. La latitude précise qui reçoit la lumière du soleil à 900C à midi varie durant l'année en fonction de l'inclination de l'axe polaire par rapport à l'axe écliptique. Elle est à l'Équateur de mars à octobre, au Tropique du Cancer (23027' N) au mois de juin et au Tropique du Capricorne (23027' S) au mois de décembre (Salgado-Labouriau, 1994).

8 En défrichant, c'est-à-dire en supprimant le couvert végétal, les acteurs de la vie amazonienne provoquent sur le sol mis à nu des phénomènes de dégradation aux formes les plus diverses: disparition de la terre arable par ruissellement, ravinement, action éolienne; appauvrissement des terres en éléments nutritifs du fait d'une évaporation trop rapide. Dans les zones déboisées, la ferrallisation (ou latéralisation) provoque sur les sols brutalement exposés au soleil, par hydrolyse violente de certains composés minéraux, la libération de quantités importantes de fer et d'alumine qui, accumulées, oxydées, puis cimentées, aboutissent à la formation d'une véritable cuirasse rendant toute exploitation agricole impossible.

9 D'après le Le Nouveau Petit Robert (1994, p. 1089), l'hévéas est une "arbre de grande taille (euphorbiacées), originaire de la Guyane, produisant un latex utilisé pour la fabrication du caoutchouc".

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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  • Watson, G. 1987 'Make me reflexive but not yet'. Journal of Anthropological Research, 43, pp. 29-41.
  • 1
    Outre la référence incontournable de Malinowski ([1967]1985), de bonnes illustrations de cette démarche réflexive se trouvent dans les travaux de Stocking Jr. (1987), Clifford (1983), Clifford et Marcus (1986), Fabian (1983), Geertz (1988), Rabinow (1977), Ruby (1982), Sperber (1982) et Watson (1987).
  • 4
    Comme l'a souligné Salati
    et alii (1978), Salati (1984) et Ribeiro
    et alii (1982), la cause la plus importante de variabilité d'insolation en Amazonie provient des nuages. La température moyenne mensuelle ne varie pas plus de trois degrés centigrades, mais les variations journalières peuvent atteindre jusqu'à quinze degrés centigrades en fonction de la couverture des nuages qui varie à chaque moment et qui réduit l'insolation régionale jusqu'à 50% en moyenne.
  • 5
    Ce relevé de températures a été effectué à différents moments de la journée grâce à un petit thermomètre à mercure que je transportais dans ma trousse de voyage qui contenait des outils divers: un magnétophone à cassette standard avec enregistrement à activation vocale, un magnétophone à microcassette, des cassettes, des piles alcalines japonaises
    we love the earth, un appareil photo, des films couleurs, un trépied, des carnets de notes, un relevé de compte, une calculatrice électronique de poche, quelques feuilles bristol de formats variés, un carnet d'adresses, des crayons, des stylos bille, une gomme, des trombones, une mini-agrafeuse, une paire de petits ciseaux, un canif suisse à usages multiples, une règle graduée de vingt centimètres, quelques morceaux de ficelle, un rouleau de ruban adhésif transparent, des sacs en plastique format A4, une paire de lunettes à verres teintés, une montre à sonnerie parlante à cristaux liquides, un petit rouleau de sparadrap médical, une boîte d'aspartame, des médicaments divers (collyre, aspirine...), un carnet de timbres, des cassettes de rock et quelques photos de famille. Force est de constater que plus que d'autres scientifiques, l'anthropologue s'oriente dans la situation d'enquête avec toutes ses ressources personnelles et collectives.
  • 6
    Pour une partie des habitants de Manaus, y compris les chercheurs de l'INPA, la notion de "confort" s'apparente à celle de "satisfaction" telle qu'elle peut être utilisée pour caractériser une opinion globale sur une situation: satisfaction du corps à être maintenu dans un état que nulle perturbation extérieure ne vient troubler. Le confort correspond alors à l'absence de sollicitation corporelle ou physiologique ("le bien-être") et se définit comme le degré zéro de toute excitation corporelle: état d'effacement du ressenti. L'ensemble de ces préoccupations converge vers un idéal du conditionnement de l'air, dont les applications sont nombreuses dans certains lieux de travail, hôtels, zones commerciales ou moyens de transports privés et publics. Mais à Manaus, des problèmes techniques liés à la mise en installation des usines thermoélectriques et hydroélectriques de l'état d'Amazonas et la transmission de l'énergie produite jusqu'aux consommateurs entraînent de temps à autre des coupures de courant, ce qui détruit les expériences menées dans les laboratoires de l'Institut. Avec l'introduction de la réfrigération centrale dans des immeubles collectifs, le raccordement aux distributions d'eau et d'électricité, la notion de réfrigération de l'air s'est profondément modifiée: sa problématique d'objet s'est trouvée recouverte par celle de réseau. La question de la réfrigération de l'air est alors entrée dans la logique industrielle de l'organisation territoriale et spatiale des immeubles, ce qui caractérise un mouvement continu d'extension et d'emprise. Ainsi, "l'ordre lointain", celui de l'État et de société industrielle, pénètre l'immeuble et s'y introduit avec d'autantplus de souplesse qu'il est médiatisé par des techniques qui assurent des gratifications satisfaisant des besoins privatisés.
  • 7
    Observations faites à partir de la comparaison entre les températures régnant dans les deux milieux en utilisant un petit thermomètre à mercure qui faisait partie de mes affaires personnelles.
  • 10
    Depuis les années 1960, le terme 'environnement' est également utilisé par des scientifiques dans un sens plus spécifique et désigne le cadre de vie de l'homme, et ses interactions avec la nature et le milieu urbain. L'environnement est souvent perçu par les différents aspects, presque toujours négatifs, de l'impact des activités humaines sur la biodiversité. Ces impacts peuvent concerner la composition de l'atmosphère aussi bien que la qualité des eaux ou la composition de la flore et de la faune.
  • 11
    Formulée par le chimiste britannique de l'atmosphère J. Lovelock en collaboration avec la biologiste L. Margukis, la théorie de Gaïa a influencé en profondeur depuis quelques années les grands programmes d'écologie globale et le système de classification du monde vivant, ainsi que, de plus en plus, l'imaginaire contemporain. À la suite des idées sur une théorie de la globalité biogéochimique, la Biosphère, développées par le russe Vladimir Vernadsky (1929) et dont les travaux trouveront à partir des années quarante plus d'écho aux États-Unis qu'en France, l'effort théorique de Lovelock consiste à démontrer que les relations entre les êtres humains et les composantes organiques et inorganiques de la nature forment un unique écosystème planétaire. Le formidable recul par rapport à la Terre, qu'ont permis les vols spatiaux, et le regard comparatif de la planétologie, ont révélé à Lovelock cette "anomalie" qu'est, au sein du système solaire, la composition de l'atmosphère de notre planète. S'inspirant alors des travaux en physiologie et en cybernétique, Lovelock a érigé en postulat l'existence d'une régulation par la vie elle-même des conditions atmosphériques au niveau du globe. C'est "l'hypothèse Gaïa". De très nombreuses boucles de rétroaction relient ainsi la vie à son environnement: le pompage du CO
    2 en très grande proportion a fait que la Terre n'a 'jamais ni gelé ni bouilli'; l'oxygène se maintient à 21%, niveau qui optimise l'activité aérobie. L'hypothèse Gaïa s'est révélée "payante", faisant émerger une nouvelle conception de la Terre: la vie apparaît désormais comme un phénomène unitaire à extension planétaire. Or, les excès de notre espèce viennent menacer cette autorégulation spontanée de la Terre. Il revient donc désormais à l'homme de protéger la physiologie de sa planète: c'est l'émergence de la "conscience planétaire". Pourtant, affirme Lovelock, ce n'est pas tant la biosphère qui est menacée, elle ne ferait qu'évoluer autrement à travers l'homme; c'est surtout l'aventure humaine qui se trouverait compromise. "Sauver la Terre" est donc une expression impropre, présomptueuse, qui risque de faire de Gaïa une entité mythique, maternelle, providentielle, un culte lourd de dangers. "Préserver notre avenir à tous" semble plus juste. L'écologie globale a pour objet l'ensemble de la biosphère c'est-à-dire le système écologique global de la planète Terre dont l'Amazonie a été placé par Lovelock (1988) au centre du système. Il intègre l'ensemble des organismes vivants — y compris l'espèce humaine et ses activités — mais aussi les autres "sphères": la lithosphère (les continents, les fonds marins...), l'hydrosphère (les océans, les pluies, les fleuves...), l'atmosphère (les gaz de l'air). Elle considère donc la Terre dans toute son histoire (4,6 milliards d'années), un peu comme un organisme en évolution.
  • 12
    Pour une analyse affinée de la pratique de l'épuration dans les milieux scientifiques, voir l'anthropologie historique de S. Shapin (1994).
  • 13
    Ce concept fondamental de l'anthropologie constitue le sujet de nombreux livres et de discussions fastidieuses sans fin. Autour de ce thème, une littérature abondante nous a permis de dégager un certain nombre d'idées. Celle que nous retenons dans le cadre de notre étude (Brown, 1984; Clifford et Marcus, 1986; Geertz, 1973) renvoie à la culture comme à un amalgame de modes de vie, de traditions accumulées, de connaissances et de coutumes qui s'inscrirent dans notre corps, transmises d'un individu à l'autre et d'une génération à l'autre par des interactions sociales formelles et informelles, les mass media (journal, revue, magasin, radio et télévision) et des contraintes d'ordre juridiques. Chaque culture élabore d'innombrables classifications au moyen desquelles les membres d'une société ou d'un groupe apprennent à s'orienter et à connaître ce qui est 'normal'. 'Normal' pas seulement dans le sens courant, mais aussi dans celui de ce qui est juste, souhaitable et convenable. Dans ce contexte, les catégories cognitives sont étroitement liées aux catégories normatives: connaître et apprécier vont souvent de pair, mais pas nécessairement. Ce que les acteurs acclament ou ce qu'ils rejettent, ce qu'ils aiment ou ce qu'ils haïssent, ce qui les réjouit ou ce qui les chagrine, ce dont ils sont fiers ou ce qu'ils méprisent, ce ne sont que des opinions, des sentiments, des observations, des émotions intimement liés à ce qu'ils ont appris à connaître et à apprécier, se rattachant aux classifications cognitives et aux prescriptions et interdits normatifs.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      19 May 2006
    • Date of issue
      Feb 2001
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