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Une forme de sacralisation de la nature: les mouvements de défense des animaux

Abstracts

Cet article tente d'éclairer une tendance historique lourde concernant, au premier chef et mis à part quelques notables exceptions, les pays les plus anciennement industrialisés: le retour de la sacralisation de la nature. Il traite ce thème sous l'angle partiel de l'indifférenciation animal-humain appuyée par l'argumentation scientifique ou celle des mouvements de défense des animaux. Les mouvements de défense des animaux ne sont pas seulement le fait du sentimentalisme individuel bourgeois qui valorise la sphère privée. Des scientifiques éthologistes, anthropo-paléontologues, écologues ou biologistes ont renforcé des présupposés nés en pleine période coloniale et d'expansion de l'évolutionnisme. Cette pression des "sciences de la nature et de la vie" sur les sciences de l'homme conduit à la même négation de la frontière animal / humain que celle des cercles de protection des animaux et la renforce en lui donnant un légitimité scientifique. Au delà du combat entre ceux qui considèrent l'animal comme inférieur et ceux qui prétendent le mettre sur le même plan que l'humain, existent - chez les deux mouvements adverses - des relations symboliques fortes manifestant toutes sortes d'amalgames. On le montrera à partir du cas, sans doute le plus sensible, de la corrida.

corrida; culture; écologistes; histoire des sciences; nature


Este artigo procura esclarecer uma tendência histórica importante concernente, antes de tudo e com algumas notáveis exceções, aos países industrializados mais antigos: o retorno da sacralização da natureza. Trata esse tema sob o ângulo parcial da indiferenciação animal-humano apoiada na argumentação científica ou seja, a dos movimentos pela defesa dos animais. Esses movimentos não são simples resultado do sentimentalismo individual burguês que valoriza a esfera do privado. Cientistas dos campos da etologia, antropo-paleontologia, ecologia e biologia reforçaram os pressupostos que surgiram em plena época colonial e de expansão do evolucionismo. Essa pressão exercida pelas "ciências da natureza e da vida" sobre as ciências do homem conduz à mesma negação da fronteira animal/humano que aquela produzida pelos círculos de proteção dos animais e a reforça ao lhe atribuir uma legitimidade científica. Além da briga entre aqueles que consideram o animal como inferior e aqueles que pretendem colocá-lo no mesmo plano do humano, existem - no seio dos dois movimentos adversários - relações simbólicas fortes, produzindo todo tipo de amálgamas. Ilustraremos esse processo a partir do caso, sem dúvida, o mais sensível da corrida de touros.

corrida; cultura; ecologistas; história da ciência; natureza


ARTIGOS

Une forme de sacralisation de la nature: les mouvements de défense des animaux

Juan Salvador

Université de Caen - França

RÉSUMÉ

Cet article tente d'éclairer une tendance historique lourde concernant, au premier chef et mis à part quelques notables exceptions, les pays les plus anciennement industrialisés: le retour de la sacralisation de la nature. Il traite ce thème sous l'angle partiel de l'indifférenciation animal-humain appuyée par l'argumentation scientifique ou celle des mouvements de défense des animaux. Les mouvements de défense des animaux ne sont pas seulement le fait du sentimentalisme individuel bourgeois qui valorise la sphère privée. Des scientifiques éthologistes, anthropo-paléontologues, écologues ou biologistes ont renforcé des présupposés nés en pleine période coloniale et d'expansion de l'évolutionnisme. Cette pression des "sciences de la nature et de la vie" sur les sciences de l'homme conduit à la même négation de la frontière animal / humain que celle des cercles de protection des animaux et la renforce en lui donnant un légitimité scientifique. Au delà du combat entre ceux qui considèrent l'animal comme inférieur et ceux qui prétendent le mettre sur le même plan que l'humain, existent - chez les deux mouvements adverses - des relations symboliques fortes manifestant toutes sortes d'amalgames. On le montrera à partir du cas, sans doute le plus sensible, de la corrida.

Mots-clés: corrida, culture, écologistes, histoire des sciences, nature.

RESUMO

Este artigo procura esclarecer uma tendência histórica importante concernente, antes de tudo e com algumas notáveis exceções, aos países industrializados mais antigos: o retorno da sacralização da natureza. Trata esse tema sob o ângulo parcial da indiferenciação animal-humano apoiada na argumentação científica ou seja, a dos movimentos pela defesa dos animais. Esses movimentos não são simples resultado do sentimentalismo individual burguês que valoriza a esfera do privado. Cientistas dos campos da etologia, antropo-paleontologia, ecologia e biologia reforçaram os pressupostos que surgiram em plena época colonial e de expansão do evolucionismo. Essa pressão exercida pelas "ciências da natureza e da vida" sobre as ciências do homem conduz à mesma negação da fronteira animal/humano que aquela produzida pelos círculos de proteção dos animais e a reforça ao lhe atribuir uma legitimidade científica. Além da briga entre aqueles que consideram o animal como inferior e aqueles que pretendem colocá-lo no mesmo plano do humano, existem - no seio dos dois movimentos adversários - relações simbólicas fortes, produzindo todo tipo de amálgamas. Ilustraremos esse processo a partir do caso, sem dúvida, o mais sensível da corrida de touros.

Palavras-chave: corrida, cultura, ecologistas, história da ciência, natureza.

Comment s'occuper de l'humain sans prendre parti?

Todorov

Il y a un abîme insondable entre l'acte du singe emmanchant deux bambous pour monter sur une caisse et décrocher une banane, et le geste de fabrication du Zinjanthrope.

Leroi-Gourhan

Les sociétés modernes censées fonctionner sur le mode de la rationalité instrumentale connaissent différentes sortes de persistance ou de dérive de la sacralité. L'une d'elles, la sacralisation de la nature, est plus qu'une survivance d'anciens cultes de la nature: elle se présente sous la forme d'une tendance culturelle lourde et profonde, chaque jour plus accentuée. Il ne s'agit pas seulement d'idéologies marginales telles que la deep ecology mais aussi et surtout d'un complexe réseau symbolique et sémantique de rapprochement de la nature et de la culture que l'humanisme classique avait soigneusement séparées. On ne traitera pas, dans cet article, des aspects proprement anthropologiques de la relation humain / animal, cet immense domaine auquel une très large littérature scientifique s'intéresse. On se contentera de rappeler les principaux fondements de la zoophilie dans les sociétés occidentales et de relever l'infléchissement récent de quelques tendances anciennes dans une perspective socio-anthropologique. C'est sous l'angle partiel de l'indifférenciation animal-humain et de l'argumentaire des mouvements de défense des animaux que cet article tente d'éclairer un des aspects de cette tendance historique lourde concernant, au premier chef et mis à part quelques notables exceptions, les pays les plus anciennement industrialisés.

Les mouvements de défense des animaux ne sont pas seulement, comme nous l'apprennent les historiens, le fait du sentimentalisme individuel bourgeois qui valorise la sphère privée. Des scientifiques éthologistes, paléoanthropologues, écologues ou biologistes ont renforcé des présupposés nés en pleine période coloniale et d'expansion de l'évolutionnisme. Cette pression des "sciences de la nature et de la vie" sur les sciences de l'homme conduit à la même négation de la frontière animal / humain que celle des cercles de protection des animaux et la renforce en lui donnant un légitimité scientifique. Le courant de la sociobiologie fut à la pointe de ce combat dans les années soixante mais une épaisse littérature médicale l'a précédé. Différents signes manifestent aujourd'hui l'influence de ces mouvements d'idées: fonds de livres et de revues de plus en plus considérable consacré aux animaux, anthroponymie animale en accélération, évolutions juridiques récentes suite aux différentes versions de la "Déclaration universelle des droits de l'animal", comportements divers de multiplication des animaux "domestiques"1 1 "Domestiques", ils sont loin de l'être toujours puisque de plus en plus de scorpions, mygales ou vipères se vendent, au milieu des tortues, lapins et autres poissons rouges dans les jardineries animalières Rappelons aussi la mode, surtout nord-américaine, de maintient à domicile de fauves ou d'animaux très exotiques. (trente millions en France, soit un pour deux habitants) et de préférence de l'animal par rapport à l'humain

Au delà du combat entre ceux qui considèrent l'animal comme inférieur et ceux qui prétendent le mettre sur le même plan que l'humain, existent - chez les deux mouvements adverses - des relations symboliques fortes manifestant toutes sortes d'amalgames. Certaines différentes s'estompent dès lors que l'on prend la peine de lire entre les lignes des symboles mobilisés. On le montrera à partir du cas, sans doute le plus sensible, de la corrida. Condensant toutes les passions, ce rituel est sans doute le meilleur exemple de ce qui est actuellement en jeu dans la définition de l'identité humaine.

Un repère symbolique, fondateur de l'identité humaine, qui s'affaiblit

En évoquant les récits légendaires des grands voyageurs, y compris ceux des rumeurs rapportées par Marco Polo et Christophe Colomb, où les cannibales à tête de chien côtoient toutes sortes d'êtres hybrides, Leach (1980b) entendait jalonner les difficultés d'émergence historique de l'idée d'unité de l'homme au delà de la diversité des cultures. Cette histoire a été des plus convulsives: souvenons-nous des contradictions, chez Aristote et chez les romains, en matière de statut non humain des esclaves - nommés en droit "cheptel parlant"2 2 Pour Weber (1998, p. 71) le schéma idéal des agronomes romains consiste à réserver un "habitat du 'cheptel parlant'" autrement dit l'écurie pour esclaves que nous trouvons "à côté de celle du bétail". Notons que le terme latin instrumentum vocale peut aussi être traduit par mobilier parlant ou ressource matérielle (selon le Gaffiot). Ce n'est là qu'une des modalités, anciennes de rapprochement inhumain des hommes des animaux. - ou du procès de Valladolid pour ne prendre que quelques exemples. Le même auteur rappelle ailleurs (1976, p. 100) à quel point la définition de la culture dépend de couples d'opposition tels que humain / animal, domestique / sauvage, ce monde / autre monde, culture / nature Alors que l'anthropologie biblique3 3 A nos yeux, elle commence par l'analyse de la Bible, en l'occurrence, des sacrifices de "taureaux expiatoires" dont il est rendu compte par exemple dans Exode 24, Lévitique 8 et 16 ou Juges 6. établissait une différenciation nette entre humain et animal, la période ou la colonisation européenne voit resurgir et se préciser des rapprochement que les impérialistes de tous temps et tous lieux ont toujours opérés entre les barbares quasi-animaux et les humains civilisés. Le rapprochement principal est celui du continuum animal - humain, synchronique ou diachronique, que propose l'évolutionnisme sommaire.

Les échelles de proportion de l'anthropologie physique, que la crâniométrie du 19e siècle prolongera, rapportées par Gossiaux (1993, p. 357) montrent que, dès le 18e siècle, on établissait une échelle continue allant du chien, animalité absolue mais proximité humaine néanmoins, au grec symbolisant la perfection de l'humain. Les différences statistiques sont établies: l'angle formé par l'horizontale trou auditif - bas du nez et la ligne facéale incisives supérieures - partie saillante du front ne laissait aucun doute. Le chien est à 35º, l'orang-outang à 58º, le "jeune Nègre" à 70º et l'antique grec à 100º. Les mesures seront précisées par la suite et Cuvier fera gagner quelques degrés au jeune Nègre dans l'échelle facéale. En inversant l'échelle des différence, précise Gossiaux, on peut tirer une histoire des ressemblances, une continuité animal - humain. Tel est l'enjeu, toujours actuel, de l'anthropologie médicale, puis de la sociobiologie appelée plus récemment éthologie, et de la paléo-anthropologie appartenant encore au giron des sciences de la nature et de la vie. Les positions continuistes d'aujourd'hui, relayées par la génétique nous disant que presque rien ne sépare les humains des singes au plan génétique, renvoient aux équivoques de l'anthropologie médicale du 19e siècle voire, symboliquement, aux confusions mythiques et plus anciennes de certaine sociétés traditionnelles.

Gould (1983) avait déjà mentionné la craniométrie existant avant Darwin ainsi que les planches établissant le continuum humains - animaux comparables à celles que Gossiaux présente. Il montre aussi4 4 Voir Gould (1983, p. 35, 132-137, 147-148). et surtout que les égalitaristes du 19e siècle postulaient l'unité de l'espèce humaine distincte du monde animal alors que les utilitaristes5 5 Ricot (1997, p. 41) rappelle également que le fondateur de l'utilitarisme en économie, Bentham, s'attendrissait sur les animaux et sur les noirs... Engels (1973, p. 54) évoquait "la fureur hypocrite des Anglais contre la vivisection" tout en relevant le "haut degré de perfectionnement de la torture des animaux" du côté des Français. adhéraient aux thèses de la "récapitulation" qui non seulement se fondent sur l'amalgame animal-humain mais hiérarchisent aussi les "races humaines" en tant qu'espèces. C'est le cas de Cuvier établissant le caractère simiesque des noirs ou d'Herbert Spencer (si critiqué par les durkheimiens), socio-anthropologue notoirement misogyne et raciste, qui postule, en 1910 dans son traité de sociologie, l'infériorité fondamentale des femmes, des sauvages et des enfants. La théorie de la récapitulation s'inscrit dans l'histoire du concept d'évolution6 6 Parmi les très nombreux auteurs évolutionnistes qui la reprennent, relevons Piaget (1977, p. 227-229) lorsqu'il écrit: "Or ces mentalités [primitive et enfantine] se ressemblent par certains aspects. [...] On peut citer comme exemples la tendance à l'affirmation sans preuve, le caractère affectif de la pensée, son caractère global non analytique (le syncrétisme), l'absence de cohérence logique [ ] la confusion du signe et de la cause, du signe et de la chose signifiée, etc." . L'inventeur du mot écologie, le zoologiste allemand Haeckel, est aussi celui qui, nous apprend Gould, à ravivé la vieille théorie de la biologie créationniste selon laquelle chaque individu en développement récapitulerait, dans l'ordre, les phase de l'évolution de l'humanité. La récapitulation (de la phylogenèse par l'ontogenèse), ajoute Gould, a joué un rôle considérable en médecine et en paléontologie pour s'épanouir pleinement dans les thèses du déterminisme biologique dont l'anthropométrie craniométrique7 7 En particulier celle qui prétendait légitimer la domination des hommes européens blancs sur les femmes et les autres êtres humains non "blancs", les premiers ayant un volume cervical supérieur en moyenne Gould a montré que les différences s'estompent en tenant compte tout simplement de la taille des personnes n'est qu'une des formes. Evolutionnisme et déterminisme biologique ont toujours fait bon ménage, en particulier chez les criminologues à l'origine de la sociobiologie. Il en va ainsi, rapportent Gould et Gossiaux, de l'évolutionnisme et de la sociobiologie du médecin Lumbroso (1876) selon lequel les criminels seraient une régression de l'évolution. Le même auteur proposait, très logiquement, des comparaisons entre les "féroces instincts de l'humanité primitive et les animaux inférieurs" ainsi que des interprétations anthropomorphes de la violence des animaux, symétrique parfait de ce que Lorenz réanimera.

Les écrits de Lorenz (qui fut Prix Nobel de Médecine en 1973) ne sont qu'une des tentatives impérialistes des "sciences de la nature et de la vie" sur la socio-anthropologie. Non content d'évoquer pêle-mêle l'amour "sans guillemets" d'un jar et d'une oie (1963, p. 207), l'infériorité intellectuelle des femmes ou la "supériorité énorme" des hommes (p. 141), de comparer "les comportements des animaux supérieurs" et celui des "peuples civilisés" (p. 67), tout en hiérarchisant la comparaison animaux familiers - petits enfants - homme civilisés adultes (p. 87), d'affirmer, sans le moindre début de preuve, le dénuement de "l'homme primitif" ou l'agression antérieure à la coopération ou à l'amitié dans l'histoire de l'humanité (p. 232), Lorenz n'hésite pas à convoquer le "mécanisme phylogénétiquement adapté" et les "propriétés animales" nécessaires à la morale et à l'éthique (p. 289)! Dans un autre ouvrage, (1988), il donne aux oies des prénoms humains tels que Claire, Martina, Sinda, Mercedes, Ada (et "ses trois enfants"), Blaise, Florian ou Max Les glissements anthropomorphiques du vocabulaire sont permanents dans les textes de Lorenz, à l'image de l'éthologie dans son ensemble. Dans son ouvrage sur l'éthologie (1978), discipline qui désignait au 17e siècle la sciences des mœurs, donc de la morale, avant de désigner la "caractérologie" au 19e et de se retrouver aujourd'hui incluse dans la biologie8 8 Pour le dictionnaire "Grand Robert", qui cite Geoffroy Saint-Hilaire en 1849, l'éthologie est la science des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel; elle est donc proche de l'écologie d'où l'éco-éthologie (ou encore de la zoopsychologie). Au 19e siècle, le terme éthologie s'applique à l'étude des mœurs et des manières des êtres humains (l'éthographie, dit Littré, décrit les mœurs, le caractère et les passions des hommes. Avec prudence et clairvoyance, le même Littré définit le terme de craniologie, (dont la craniométrie est dérivé) non comme une science mais comme un "art au moyen duquel on prétend reconnaître l'intelligence et le moral d'un homme" , il prétend aussi fonder la rationalité humaine sur les "instincts primordiaux" que nous aurions en commun avec plusieurs types d'animaux.

Le combat qui nous occupe est aussi ancien que celui qui oppose ceux qui veulent fonder l'explication des faits sociaux dans la nature à ceux qui les fondent dans la culture. Les premiers sont des utilitaristes que l'on nomme aussi des individualistes aujourd'hui. Les seconds sont des institutionnalistes soucieux de montrer le fondement historique du social et de la mémoire comme culture objectivée. Les prétentions impérialistes de la biologie sont permanentes. Elles ne se sont pas affaiblies depuis le 19e siècle et ressurgissent aujourd'hui sous d'autres formes.

Aujourd'hui, comme hier, ceux qui défendent l'animal se rattachent au courant utilitariste et critiquent la socioanthropologie durkheimaussienne. Par exemple, tout en relevant les "ambitions anthropologiques de la paléontologie, de la primatologie et de l'écologie", Guille-Escuret, (1994, p. 114, 146) écrit que le chimpanzé aurait un "outillage" (p. 82), que la coopération fonderait le social (il évoque les "insectes vraiment sociaux") et que le langage ne serait "qu'une adaptation évolutive" (p. 111). Pas étonnant, dès lors, de lire sous la même plume, que "les idées de Durkheim, Lévi-Strauss et Leroi-Gourhan ont visiblement vieilli" Un des maîtres de Durkheim, Wundt (1880-94), avait déjà montré la différence fondamentale entre la grégarité animale et le social humain9 9 Par ailleurs, Wundt évoquait déjà (1990, p. 247) les mythes de transformation d'humains en animaux dont l'œuvre de Lévi-Strauss rend également compte dans Le cru et le cuit. . Il écrivait (1990, p. 419-421) que l'attachement ou les attaches "sociales", l'adhérence pure (Anhänglichkeit), ne sont pas le propre de l'humain car les animaux les connaissent. Le lien social humain se manifeste au contraire dans et par les qualités éthiques qui le distinguent du règne animal. Au dessus de l'être humain individuel apparaît l'Humanité comme transcendant les limitations introduites par la famille, le clan, l'Etat. La solidarité communautaire ne suffit pas pour le développement humain: il faut aussi des institutions intégratives telles que le langage, la religion, les coutumes...

Ainsi, qu'un auteur se prétendant lecteur de la sociologie puisse écrire que les termites "fabriquent de la société" et inventent en permanence ou que leurs oeuvres sont donc "le produit d'une histoire" (Guille-Escuret, 1994, p. 154) est proprement a-sociologique. Tout le problème de la définition de l'histoire est là. Il est indissociable de celui de la définition du symbolique car il renvoie à ce qu'est une institution. La définition de l'institutionnel est d'ailleurs un des principaux enjeux scientifiques du débat de l'anthropologie et de la biologie, débat que nous nous contentons de mentionner ici. Notre auteur n'hésite pas à écrire que "le fait social est absent de la plus grande partie du paléolithique" alors que tout anthropologue considère la moindre trace d'outil comme une preuve d'existence institutionnelle et fait donc débuter le fait social avec le premier outil ou artefact attesté, c'est à dire au début du paléolithique. La relation entre la paléo-anthropologie, la sociobiologie et l'éthologie actuelles consiste précisément à ne pas reconnaître de limites psychiques aux primates et donc à leur prêter des qualités humaines: "un chimpanzé dressé peut apprendre à communiquer avec des symboles" écrit ce biologiste (p. 271-78)

La tradition scientifique d'amalgame humain - animal n'est ni récente ni limitée à ces disciplines. Elle existe déjà dans le behaviorisme de Mead. Mead reprend souvent le terme "d'animal humain". Il propose la bataille de chiens comme paradigme de la relation sociale humaine: relation définie comme action provoquant une réaction que les deux protagonistes interprètent de la même manière, d'où les symboles expressifs. "Quand le geste arrive à cette situation il s'est transformé en ce que nous nommons 'langage'". C'est donc la similarité - et donc l'imitation toute tardienne10 10 Mead rend un hommage appuyé et explicite à l'individualiste Tarde (1979) qui voyait également dans le système nerveux central le fondement du social. - des réactions gestuelles qui est à la base du symbolique et du social. "Le système nerveux central, en résumé, permet à l'individu d'exercer un contrôle conscient sur sa conduite." (p. 151). Même si la "caractéristique de l'esprit est l'intelligence réflexive de l'animal humain", une société est une agrégation d'individus: il n'y a pas d'institutions. Cette conception a-sociologique du social se marie fort bien avec le rapprochement primitifs, enfants, animaux: "Chez les peuples primitifs, comme je l'ai dit, la nécessité de distinguer entre la personne et l'organisme fut désignée par ce que nous appelons 'le double'. [...] Nous trouvons chez les enfants quelque chose qui correspond à ce double, à savoir les compagnons invisibles, imaginaires [...]. Dans ce que nous appelons le jeu des animaux nous avons quelque chose qui suggère cela." (p. 180).

On le voit, utilitarisme et individualisme sont les deux mamelles de l'amalgame humain - animal. La désymbolisation du monde social au profit d'une naturalisation toute biologique est commune à Spencer et à Darwin11 11 David Le Breton (1998, p. 151) le dit nettement: "Darwin s'affranchit du symbolique en posant la continuité de l'homme et de l'animal dans l'observation des conduites". . Leach (1964, p. 275) avait introduit l'idée de proximité Ego - animal familier. Cet ego (individualisme et de la valorisation de la sphère privée en Angleterre) se dilate: l'animal domestique est, de nos jours et en France, un symbole de privacité y compris dans les genres de vie de ceux qui en possèdent12 12 On l'a empiriquement montré dans nos travaux sur la vie quotidienne (Juan, 1991, 1995). . Grands colonialistes, les Anglais avaient désigné les chiens et les chevaux comme amis de l'homme et "êtres de même nature" (instituant le tabou alimentaire du premier et les boucheries chevaline pour le second). Aujourd'hui, la différence humain-animal, condition de l'identité humaine, est en voie de disparition. L'évolution de la zoophilie est directement concernée par cette involution sociale. Montrons-le en entrant un peu plus dans le détail des faits.

L'inhumanité des "droits animaux" et de la confusion des genres

Aujourd'hui, les sciences "de la nature et de la vie" et certaines formes de religiosité s'accordent en matière d'amalgame humain-animal. Le mouvement de défense des animaux, on va le voir, s'épanouit surtout dans les pays fondant le plus leur développement économique sur ces disciplines.

Les prétentions anthropologiques des sciences de "la nature et de la vie"

et l'amalgame humain-animal

Si des médecins ou éthologistes tels que Boris Cyrulnik ont tant de succès aujourd'hui en France, c'est parce qu'ils jouent souvent sur les affects à l'égard des animaux. Tout en réaffirmant le principe évolutionniste selon lequel l'étude de la comparaison des espèces permet de mieux comprendre l'homme, cet auteur évoque la souffrance et les représentation de tendresse ou de violence des animaux ("l'aigle qui se saisit d'un lapin n'est pas violent") et n'hésite pas à déclarer qu'il existe des animaux "qui font preuve d'un sentiment de morale", voire de "diplomatie"13 13 C'est une journaliste (Matignon) qui le fait parler dans l'ouvrage mais Cyrulnik a contrôlé le texte puisqu'il préface le livre. . Bien-sûr, les métaphores anthropomorphes sont volontaires mais non moins significatives sous la plume d'un scientifique (et rappellent Lorenz, d'ailleurs positivement cité dans la préface du livre). Enfin, pour conclure le dispositif évolutionniste, Cyrulnik (Matignon, 2000, p. 110-117) profère des contre-vérités depuis longtemps évacuées par l'archéologie et l'anthropologie préhistorique: humains du paléolithique ne vivant pas plus de vingt-cinq ans, homme en permanence "proie des fauves", et, bien-sûr, "brutalité originelle" des humains d'alors En montrant la pseudo animalité des humains du paléolithique - qui connaissent la technique, l'art et la religion mais notre biologiste semble l'ignorer - la biologie prétend renforcer les présupposés évolutionnistes selon lesquels le développement personnel humain (ontogenèse) dépend de l'évolution de l'espèce (phylogenèse).

C'est bel et bien derrière la bannière de la biologie que s'opère la grande alliance anti-sciences sociohumaines car des paléontologues ou des paléo-anthropologues convoquent aujourd'hui la génétique pour expliquer l'humain: il existerait "un gène du comportement coopératif et un gène pour le langage" (Arsuaga; Martinez, 1998, p. 316). Ces chercheurs paléo-anthropologues d'aujourd'hui continuent donc de s'appuyer sur l'évolution cervicale des hominidés pour affirmer un continuisme a-humain qui pose la question de ce qui pourrait être désigné, au plan socio-anthropologique, comme rupture historique. On continue d'écrire des phrases du type: "le processus de cérébralisation depuis nos ancêtres prosimiens prouve qu'il n'y a pas de coupure entre l'homme et l'animal" (Matignon, 2000, p. 19). Derrière le supplément d'âme écologique apparent de ces écrits se cache un naturalisme a-historique. Au delà du sophisme de ces biologistes, consistant à mêler processus et essences, le problème de la coupure humanité animalité a été pertinemment posé par Heidegger au plan de l'essence.

Le raisonnement philosophique peut, à ce stade de l'exposé, permettre de caler quelques idées ou arguments. Heidegger (1992, p. 269) écrit14 14 Au départ il s'agit d'un cours donné à Fribourg en 1929-30. L'ouvrage qui le publie pour la première fois en allemand date de 1983. : "Avec la question du rapport de l'animal et de l'homme, il ne peut non plus s'agir de décider si l'homme descend du singe ou pas. Cette question, en effet, nous ne pouvons même pas la poser - et encore moins y répondre - aussi longtemps que nous ne voyons pas clairement quelle distinction il y a entre homme et animal ni comment il faut l'établir. Cela veut dire: il faut que nous puissions préciser non pas comment animaux et hommes se distinguent d'un point de vue quelconque, mais préciser ce qui constitue l'essence de l'animalité de l'animal et l'essence de l'humanité de l'homme [...]". Cette essence, que craignent tant les sciences, est traitée scientifiquement au plan du raisonnement par Heidegger qui n'hésite pas à commenter les écrits d'éthologues et de biologistes. Il ajoute (p. 269) qu'on ne peut déterminer l'animalité de l'animal que si la clarté est faite sur ce qui constitue "la nature vivante du vivant à la différence de ce qui est sans vie", de ce qui n'a pas même la possibilité de mourir. Une pierre ne peut pas être morte, parce qu'elle ne vit pas. Heidegger reprend et invalide tous les arguments des éthologues de son époque (ce sont les mêmes aujourd'hui) prétendant que l'animal communique de manière analogue humains. Se calant finalement sur les mêmes positions anthropologiques que celles de Durkheim et de Mauss, il écrit (1992, p. 444): "il n'y a de parole et de mot que dans l'apparition du symbole, si et dans la mesure où apparaissent le fait de s'accorder et celui de tenir ensemble. Que ces faits apparaissent, c'est là la condition de possibilité de la parole. Ce phénomène fait défaut chez l'animal, qui malgré tout produit des sons".

C'est, en effet, à Durkheim et à son école que revient le mérite d'avoir, en sociologie, fondé le fait social dans le symbolique. Durkheim (1993, p. 57) était fort explicite sur la question qui nous occupe, comme le montre ce passage: "De ce qu'un animal a pu apprendre au cour de son existence individuelle, presque rien ne peut lui survivre. Au contraire, les résultats de l'expérience humaine se conservent presque intégralement et jusque dans le détail, grâce aux livres, aux monuments figurés, aux outils, aux instruments de toute sorte qui se transmettent de génération en génération, à la tradition orale, etc. [ ] Au lieu de se dissiper toutes les fois qu'une génération s'éteint et est remplacée par une autre, la sagesse humaine s'accumule sans terme, et c'est cette accumulation indéfinie qui élève l'homme au-dessus de la bête et au dessus de lui-même.". Comme on le voit, c'est la sédimentation historique, ce que Simmel (1900) nommait la "culture objective" qui définit sociologiquement l'essence de l'humain. Mauss (1996, p. 34), quant à lui, avait formulé15 15 Dans ses cours s'étalant de 1939 à 1947 et reconstitués par ses élèves. Ouvrage publié en 1996. sa position humaniste de principe d'une autre manière plus directement contraire à la paléo-anthropologie et insérée dans le fond du courant de l'anthropologie préhistorique puisqu'il écrit que: "l'homme entre équipé dans l'histoire; dès qu'il y a homme, il y a outil". Loin de vivre une hypothétique animalité, l'humain du paléolithique s'inscrit totalement dans la culture artistique, technologique ou religieuse. Ce constat, dûment attesté par l'archéologie, dérange bien évidemment l'évolutionnisme sommaire des sciences "de la nature et de la vie" qui ont toujours besoin d'affirmer l'animalité de l'homme et la pseudo-continuité du vivant pour asseoir leur volonté d'emprise explicative (et donc industrielle) sur les comportement sociohumains.

Ce détour par le début du vingtième siècle n'a de sens que si l'on articule la vision religieuse et la vision scientifique (ou prétendue telle) de l'indifférenciation humain / animal. Ces deux visions ne sont d'ailleurs pas si lointaines. Par exemple, la Ligue Française des Droits de l'Animal a été fondée en 1977 par un Prix Nobel de physique atomique (Alfred Kasler) et par des médecins ou des biologistes éthologues tels que Rémy Chauvin. Ce dernier, bien que reconnu en matière d'éthologie16 16 Rémy Chauvin est l'auteur d'ouvrages scientifiques tels que "Des fourmis et des hommes" (France Empire), "Les sociétés animales" (PUF) ou "Des animaux et des hommes" (Seghers). , a également écrit des ouvrages sur les soucoupes volantes ou sur la communication avec les morts (par radio ou par fax) Outre les combats habituels de cette association contre les zoos, la chasse, la corrida, l'expérimentation animale, le cirque ou le foie gras, la LFDA dit avoir œuvré en faveur de la déclaration universelle des droits animaux (sur laquelle on reviendra plus loin). Que les thèmes de la communication avec les morts et celui des soucoupes volantes intéresse un scientifique, ardent défenseur des animaux, n'est pas sans soulever quelques questions. Qu'est-ce qui est, au juste, sacralisé ou transcendant dans la défense des animaux? Le matériau empirique nous donne la réponse.

Sacralité de l'amalgame animal - humain

La religiosité de la défense animale se donne très directement à voir dans les documents de la Société Nationale pour la Défense des Animaux17 17 La SNDA a été créée en 1972. La SNDA est une association française sans but lucratif, reconnue d'utilité publique. La SNDA est membre de la Commission spécialisée de la protection des animaux auprès du ministre de l'agriculture et oeuvre pour faire reconnaître l'unité de la Vie. qui a pour objet" la lutte contre les souffrances infligées aux animaux" et qui oeuvre "contre l'injustice et pour la défense de l'être faible qui a eu la malchance de naître sous une forme animale". Ce dernier point est du plus grand intérêt. La vision religieuse de la réincarnation transparaît nettement à travers les premières lignes du document18 18 Il s'agit d'extraits de la "Déclaration universelle sur l'unité de la Vie relative au cycle de la nature, à l'avenir des humains et des animaux" proclamée par l'association la SNDA sur Internet en 1997. . Elle est doublée d'une sacralisation de la nature en arrière-plan. Voici, dans l'encart ci-dessous, quelques passages du document de présentation de l'association.

Comme la feuille morte tombée de l'arbre sert de nourriture à une multitude d'êtres microscopiques vivant dans le sol, êtres qui à leur tour en nourriront d'autres, l'Homme n'échappe pas à cette biotransformation. [ ] Son corps devient substance nourricière, est transformé en gaz, humus, champignons, vers, insectes nécrophages, etc., passant ainsi de l'état humain à d'autres états, gazeux, minéral, végétal, animal. C'est l'éternel retour, la loi universelle, l'Homme se voudrait supérieur, mais il se trompe. La nature ne fait pas de différence, tant que la vie continuera, chaque être qui mourra sera réutilisé sans pouvoir choisir son apparence. Ainsi, prisonniers de la Vie et des réalités du cycle biologique, les êtres humains d'aujourd'hui deviendront des animaux. Si les cruelles pratiques institutionnalisées ou tolérées pour les animaux ne sont pas abolies d'urgence, vous en serez vous-même dans l'avenir la victime sans défense et vous subirez toutes les persécutions qui ont été inventées pour les animaux. Alors... Vous pourriez devenir ce chien écartelé qui hurle dans un laboratoire de vivisection, ou cet autre, maltraité, attaché à vie à une chaîne. Vous pourriez être ce chat lâchement abandonné, mourant de froid et de faim, ce rongeur inoculé de germes infectieux par des chercheurs, vous pourriez être cette volaille ou ce veau en élevages concentrationnaires, condamnés à l'immobilité et privés de soleil, mais aussi cet oiseau que l'on met en cage, ce poisson enfermé dans un aquarium, cette oie ou ce canard gavés victimes du "supplice de l'entonnoir" pour le foie gras, ce cheval esclave, cet animal persécuté pour le spectacle, ce ver accroché vivant à l'hameçon... Il faut agir dès maintenant pour faire cesser les souffrances infligées aux animaux afin de ne pas souffrir nous-mêmes plus tard. (SNDA).

Comme on le voit, du ver au cheval, les thèmes du cycle de la vie sont mêlés à ceux de la réincarnation et à ceux de la transmission de l'âme. Peut-on parler d'une forme d'animisme ou de mythes de l'unité de la nature comme ceux que de nombreux ethno-anthropologues, de Frazer à Lévi-Strauss ont rapportés? Citons brièvement quelques propos de ces deux auteurs pour illustrer cette relation. Outre les nombreux passages sur l'âme des plantes ou des animaux, sur les mythes et transferts liés aux relations humains-animaux, Frazer écrit (1995, p. 58619 19 Il s'agit du début du chapitre 53 consacré aux animaux sauvages et aux chasseurs. ) dans le vocabulaire évolutionniste de l'époque: "l'explication de la vie par la résidence d'une âme pratiquement immortelle est une théorie que le sauvage ne réserve pas uniquement aux êtres humains mais qu'il étend à toute la création vivante en général. [ ] Le sauvage croit communément que les animaux sont dotés, comme les humains, de sentiments et d'intelligence; qu'ils possèdent des âmes, survivant à la mort de leurs corps, vagabondant autour comme des esprits désincarnés pour revenir et renaître sous forme animale". De fait, les actuelles associations de défense des animaux tiennent très exactement le même discours animiste. S'étonnera-t-on de telles références dans nos sociétés rationalisées? N'oublions pas que, dans un chapitre consacré à l'animisme, le grand biologiste Monod (1970, p. 48-49) valorise cette "ancienne alliance" de l'homme et de la nature et reprend (p. 167-174) l'argumentation évolutionniste classique - établissant des relations directes entre l'humain du paléolithique, le chimpanzé et le jeune enfant actuel - selon laquelle la taille du cerveau est à l'origine du langage Les mythes de la réincarnation des humains en animaux, ou inversement, doivent être distingués de ceux qui placent des humains à l'origine des animaux. Lévi-Strauss (1964) en cite une dizaine sur ses terrains amérindiens. Ces derniers relèvent plutôt de cultures non évolutionnistes et sans Etat alors que l'évolutionnisme, à l'instar des mouvements de défense des animaux, inverse cet ordre. Regardons, à présent, l'ampleur internationale de ces mouvements et les pays les plus concernés.

Le caractère international du mouvement

Les associations de protection des animaux se multiplient surtout dans les pays de culture anglo-saxonne où se sont développés des mouvements écologistes. Les quatre pays ayant plus d'une centaine de ces associations sont les Etats-Unis (1.420 associations), l'Allemagne (326), le Canada (157) et le Royaume-Uni (122). En valeur absolue, les Etats-Unis est le pays qui abrite, à lui seul, plus de la moitié de toutes les associations recensées20 20 Ce recensement donnait 2.803 associations au monde le 9 juin 2001. Ce nombre évolue en permanence. Son suivi est aisé en consultant le site < http://www.protection-des-animaux.org/Assopays.html>. au monde. Peut-être doit-on chercher une explication dans l'empreinte de la culture protestante sur ces pays, et l'individualisme relatif qui l'accompagne, par rapport à ceux de culture catholique ou ayant d'autres cultes dominants ou syncrétiquement mêlés au christianisme. La comparaison de quelques pays en fonction du nombre d'associations de protection animale recensées (nombre rapporté à la population totale du pays) semble le confirmer, même si interviennent aussi d'autres facteurs. Le classement de quelques pays21 21 On a conservé tous les pays abritant plus de 10 associations de la liste du site. Il faut relativiser ce classement par ratios car l'Irlande (29 associations, ratio 7.25) et la Nouvelle Zélande (20 associations, ratio 5) car ces pays sont sur-évalués du fait d'une population de 4 million d'habitants dans les deux cas. Inversement, l'Inde (0.05) est sous-évaluée du fait de son milliard d'habitants (57 associations cependant). par ordre décroissant en fonction de l'importance des mouvements de protection des animaux semble (restons prudent tout de même car l'Irlande ou le Canada n'est pas très protestant) désigner une relation entre l'éthique protestante-capitaliste-écologique et la zoophilie militante accentuée. On a choisi, comme critère de classement, le nombre d'associations par million d'habitants:

Irlande (7.25), Etats-Unis (5.25), Canada (5.2), Nouvelle Zélande (5), Allemagne (3.9), Autriche (3.75), Australie (3.7), Suisse (3.2), Hollande (3.12), Royaume-Uni (2), Danemark (2), Belgique (1.9), Bolivie (1.6), Suède (1.44), Grèce (1.27), République Tchèque (1.2), France (0.86), Espagne (0.72), Afrique du sud (0.6), Pologne (0.41), Italie (0.37), Japon (0.13), Brésil (0.09, pays abritant quinze associations), Inde (0.05).

Comme on peut le constater, les pays de culture catholique, de langue latine, mais aussi le Japon ou l'Afrique du sud, sont peu concernés par la défense des animaux. Néanmoins, au delà de ces écart dont l'interprétation mériterait une analyse comparative approfondie, c'est le consensus international qui a prévalu pour l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'animal, solennellement promulguée par l'Unesco. Le propos condense de nombreux symboles d'indifférenciation et mérite donc un rapide examen dans le cadre de cet article. Voici des extraits du texte sur lesquels nous avons indiqué, en italique, les mots à nos yeux les plus significatifs.

Déclaration universelle des droits de l'animal" (extraits)

Préambule: Considérant que la Vie est une, tous les êtres vivants ayant une origine commune et s'étant différenciés au cours de l'évolution des espèces, considérant que tout être vivant possède des droits naturels et que tout animal doté d'un système nerveux possède des droits particuliers, considérant que le mépris, voire la simple méconnaissance de ces droits naturels provoquent de graves atteintes à la Nature et conduisent l'homme à commettre des crimes envers les animaux [ ],

il est proclame ce qui suit:

Article premier Tous les animaux ont des droits égaux à l'existence dans le cadre des équilibres biologiques. Cette égalité n'occulte pas la diversité des espèces et des individus.

Article 2 Toute vie animale a droit au respect.

Article 3 [ ] 2- Si la mise à mort d'un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d'angoisse. 3- L'animal mort doit être traité avec décence.

Article 5 [ ] 3- Toutes les formes d'élevage et d'utilisation de l'animal doivent respecter la physiologie et le comportement propres à l'espèce. 4- Les exhibitions, les spectacles, les films utilisant des animaux doivent aussi respecter leur dignité et ne comporter aucune violence.

Article 6 L'expérimentation sur l'animal impliquant une souffrance physique ou psychique viole les droits de l'animal.

Article 7 Tout acte impliquant sans nécessité la mort d'un animal et toute décision conduisant à un tel acte constituent un crime contre la vie.

Article 8 1- Tout acte compromettant la survie d'une espèce sauvage, et toute décision conduisant à un tel acte constituent un génocide, c'est à dire un crime contre l'espèce. 2- Le massacre des animaux sauvages, la pollution et la destruction des biotopes sont des génocides.

Article 9 La personnalité juridique de l'animal et ses droits doivent être reconnus par la loi [ ].

La Déclaration Universelle des Droits de l'Animal a été proclamée solennellement à Paris, le 15 octobre 1978, à la Maison de l'Unesco. On notera que l'argument évolutionniste est posé au principe du texte où figurent les termes de droit naturel, décence, dignité, respect, crime, de génocide, de personnalité (juridique et donc morale) attribuée aux animaux. Le terme génocide à lui seul aurait dû soulever les réserves des délégués de l'Unesco du fait qu'il désigne l'extermination d'un groupe ethnique et renvoie donc à l'être humain

Le droit privé a déjà concrétisé l'essentiel des revendications zoophiles. Par exemple, en France, les textes législatifs et la jurisprudence évoquent couramment la notion de "personne animale". Le caractère anthropologiquement contradictoire de ce vocable ne semble pas avoir ébranlé les juristes qui s'appuient sur des notions d'intelligence et, surtout, de "conscience" des animaux, voire d 'animal "conscient du droit" (Marguénaud, 1992, p. 379, 383). Bien que rappelant que l'expérimentation animale était interdite par les nazis et bien qu'il évoque le risque "d'abaissement des hommes vers la dure condition des animaux", cet auteur n'en développe pas moins une cinquantaine de pages sur la seule notion de "personne animale" qu'il considère comme étant de pure technique juridique et "n'aurait rien d'anthropomorphique". Rappelons tout de même que la définition de la personne donnée par Mauss se fondait sur le sens de "l'individualité spirituelle et corporelle" et sur le masque de comédie ou de tragédie, de rôle à tenir ou d'hypocrisie (1980, p. 335, 353). On voit mal comment, sur le plan socio-anthropologique, l'animal, y compris le plus "intelligent" (dauphins, baleines, chimpanzés, etc.), pourrait correspondre à cette définition de la personne Cependant, en droit, certaines "personnes animales" auront "le droit de ne pas souffrir inutilement", d'autres (chiens et chats par exemple) le "droit à une durée de vie conforme à leur longévité naturelle".

Par ailleurs, il convient de mentionner le fait que les animaux ont d'ores et déjà des droits, que les humains sont tenus de protéger, sans avoir de devoirs en contrepartie ni sans principe de responsabilité pénale les concernant. Cette contradiction laisse la porte ouverte à l'irresponsabilité et donc à la vulnérabilité humaine face à d'éventuelles proliférations animales22 22 La situations des chiens errants de Bucarest (des centaines de milliers) qui agressent les êtres humains et entraîne toutes sortes de nuisances n'est pas sans soulever des questions de fond quant au droit supérieur de ces animaux. Ces questions, Brigitte Bardot, ne se les pose pas: son site Internet la montre nourrissant les chiens errants de Bucarest ou dérives de toutes sortes. Il ne suffit pas, à cet égard, de mentionner l'appartenance de l'animal à un humain: cessant d'être pur objet, l'animal acquiert une autonomie relative tout en étant dans la dépendance humaine! D'une part, à partir du moment où l'animal acquiert la personnalité juridique, l'animal (ou certains d'entre eux) cesse d'être une simple propriété privée et se dégage relativement de l'emprise de son maître lequel ne peut plus le considérer uniquement comme un objet ou du cheptel. D'autre part, tous les animaux n'ont pas de maître: ceux qui vivent librement ou qui sont errants par exemple. La question de la responsabilité est dès lors posée: quelle sanction est subie, et par qui, face à une agression d'un humain par un animal?

Outre que le juriste ne s'interroge pas sur le caractère absurde de la notion de personne animale ou de longévité naturelle (les vétérinaires injectent en permanence du culturel dans le corps des animaux de compagnie!), il ne précise pas plus le domaine concerné par l'utilité de la souffrance animale. Or toute la question, au plan socio-anthropologique, est là. L'utilité sociale et humaine, à savoir les goûts alimentaires, sportifs et ludiques essentiellement, requièrent quelquefois la souffrance animale (qu'il est toujours possible de limiter), comme nous allons le voir après avoir analysé en détail l'argumentaire anthropomorphe d'une des associations.

Le summum de l'indifférenciation

L'iconographie du site du SNDA propose un dessin où l'enfant est situés sur une même chaîne que les animaux, entre le poisson et l'oiseau (le logo de l'association précédente, celle des scientifiques, est un adolescent de même taille qu'un lion et lui donnant la main-patte) L'amalgame par indifférenciation humain-animal se laisse surtout entrevoir dans les textes sur les combats des associations. Ces combats, quelle que soit l'association concernée23 23 La liste de ces combats est à peu près la même lorsqu'on examine la littérature d'associations telles que le SNDA, la SPA (l'association la plus ancienne), la Ligue française des droits de l'animal (celle fondée par les scientifiques des SNV), la Fondation Brigitte Bardot ou la fondation 30 millions d'amis , sont presque toujours les mêmes: au premier chef la corrida de type espagnol ou portugais, mais aussi la course camarguaise, les courses de vaches landaises, les spectacle taurin (type toro-piscine ou lâcher de taureaux), la ferrade, l'expérimentation animale, la pêche, la chasse, le gavage des oies, le cirque, les rodéos, combats de coqs, les courses de traîneaux tirés par des chiens24 24 La SNDA écrit à ce sujet: "Alors que pour les chiens heureux, le port du collier ou du harnais est une joie, synonyme de promenades, le harnais est une sévère contrainte pour les chiens obligés de tirer des charges [ ]. Le sort habituel des esclaves-chiens tirant des traîneaux consiste en châtiments divers, en corrections". On notera que la captivité du chien en appartement n'est pas dénoncée alors que le terme esclavage est utilisé pour qualifier la condition des chiens de traîneaux. , les animaux élevés pour leur fourrure, les animaux prisonniers dans les cages, zoos, aquariums Pour ces derniers, l'association dénonce "des animaux obligés de supporter une présentation continuelle au public" et qui "ne peuvent se soustraire au regard des visiteurs". La notion de pudeur animale est suggérée, à l'encontre des comportements des animaux sauvages à l'égard des humains (dauphins, mouettes, pigeons, voire écureuils aux Etats-Unis ), comme si la honte, sentiment on ne peut plus socialement déterminé à la fois par un système institutionnel sédimenté en modèles culturels et par une structure inégalitaire de distribution des ressources, pouvait être ressentie par les animaux Ce détail est peut-être plus significatif encore de l'anthropomorphisme que la question de la souffrance physique des animaux.

Thème plus récent, et sans doute stratégie d'alliance avec le mouvement de l'écologie politique, le problème de l'agriculture productiviste est également soulevé. En effet la situation des animaux dans les élevages industriels n'avait jamais été clairement dénoncée jusqu'à récemment ce qui était tout aussi contradictoire que significatif.

Refusez les oeufs dont l'emballage ne comporte pas d'information sur leur mode de production. Ces oeufs proviennent de poules martyres détenues dans des élevages concentrationnaires. N'achetez pas les oeufs de souffrances qui proviennent de ces élevages. [ ] D'autres recherches, tendant à augmenter le rendement d'une agriculture inhumaine, ont abouti aux élevages concentrationnaires, générateurs de souffrances et de multiples maladies, pour poules pondeuses, veaux, agneaux, porcs... La polémique sur l'utilité ou l'inutilité de ces recherches est inopportune. Il faut savoir si, nous-mêmes, nous accepterions de subir ces souffrances et la réponse est non. Alors, nous les refusons pour les animaux. (SNDA).

Le mouvement de défense des animaux est en passe d'acquérir un statut plus offensif en remettant en cause le mode de production agricole, ce qu'il n'avait jamais fait jusqu'aux crises récentes ("vache folle" et autres empoisonnement d'origine agricole). Encore une fois, c'est le nivellement des conditions humaine-animale qui retient l'attention en particulier les termes utilisés, renvoyant à l'histoire des hommes, tels que martyre, concentration, esclavage ou (cf . infra) exécution capitale. Mais ce nouveau combat mène de fait à des contradictions. En effet, la souffrance animale concerne également les équidés et les bovidés (on pourra ajouter les lamas ou les dromadaires) qui ne devraient plus servir en agriculture ou pour le transport. Le SNDA évoque la condition des équidés qui "ne naissent pas pour transporter les humains sur leur dos ou pour servir de véhicules". Sans doute doit-on s'attendre à des procès opposant les trois quarts de l'humanité à de telles associations issues des pays anciennement industrialisés. Mais c'est la corrida qui condense le plus de colère et de propos virulents (chez toutes les associations de défense animale); elle justifie donc un développement particulier avant de conclure.

Le combat des zoophiles et des "hédozoophiles"

Pour simplifier le vocabulaire dans la dénomination des positions en présence, on utilise le terme habituel de zoophiles pour désigner ceux qui défendent l'amalgame animal-humain et on propose le néologisme hédozoophiles pour nommer ce qui n'aiment les animaux que pour leur plaisir.

Les corridas ne sont pas des jeux anodins, qu'il est loisible "d'aimer" ou de "ne pas aimer", mais des exécutions capitales, en public dans une arène, avec des victimes animales désignées. Des tortionnaires aux mains pleines de sang, les toreros. Sur les gradins, des individus stupides qui regardent. Cruauté, obscurantisme et imbécillité: c'est ça la corrida. [ ] Pour terminer cette séance de tortures, meuglant ses souffrances, le sang lui sortant par la bouche, le taureau tombé à terre est frappé avec un poignard dont la lame est enfoncée et tournée dans sa tête. [ ] L'application de la plus élémentaire justice rend inéluctable la condamnation de celui qui inflige sciemment des souffrances aux êtres plus faibles que lui, qu'il s'agisse d'humains ou d'animaux. (SNDA).

La SNDA a monté toutes sortes de "campagnes contre la souffrance" avec le slogan "un animal est un être qui vit, qui pense, qui souffre". Dans une des propagandes de la presse grand public contre la corrida25 25 L'Express du 4/6/1998, p. 115. , l'association affichait les termes suivants: "cruelles lésions", "massacre à l'arme blanche", "agression préméditée" contre un taureau. Un encadré-slogan soulignait l'argumentation principale anti-corrida: "là où l'injustice, la cruauté règnent, il n'y a ni art, ni culture, ni courage". Comme on le voit, le conflit se déroule sur fond d'aplanissement des différences et d'utilisation, pour l'animal, de termes ordinairement réservés aux êtres humains. On a vu plus haut que ce transfert lexical coïncide, au plan symbolique, avec le transfert des âmes qui fonde la zoophilie. Pour autant, il serait illusoire de croire que les hédozoophiles sont exempts de tout ancrage mythique.

La fécondité du taureau a toujours fondé son culte. Au paléolithique, le taureau (ou l'auroch) bénéficie d'une place symbolique de choix puisqu'il détient le record quantitatif des situations pariétales en panneau central dans l'enquête de Leroi-Gourhan (1964b, p. 99), immédiatement suivi du bison et du cheval26 26 Leroi-Gourhan montre (1964b, p. 267) que à mesure que la représentation des animaux devient plus réaliste, celle des humains devient moins figurative, plus abstraite, comme si ces deux évolutions étaient interdépendantes. . Ajoutons que le taureau est l'animal le plus mis en valeur par la composition des panneaux, en particulier ceux d'Altamira.

En Egypte et un peu partout, il est symboliquement associé à la fécondité (dieu de l'orage, associé au tonnerre dans l'imagerie, à la fois par la force et la capacité fécondante ou à la renaissance de la nature dans les cultes agraires (Durand, 1969; Frazer, 1995). L'idée de transfert de force se retrouve aussi, et encore de nos jours, dans la pratique culinaire consistant à faire manger du cheval en cas de faiblesse et, en Espagne, du taureau aux garçons adolescents. Au moment de la puberté, les mères continuent d'offrir à leurs fils des testicules de taureaux (rognons blancs), souvent sans le dire car ce type de nourriture est peu valorisé à l'heure des hamburgers Il s'agit de mieux assurer les qualités futures du jeune homme et sa valeur de reproduction de la lignée27 27 De la même manière, on sacrifiait des taureaux, dans l'Antiquité, pour assurer la prospérité de l'agriculture, des villes fondées ou des élites dirigeantes. Par exemple, Granet (1994, p. 220, 294) évoque pour la Chine antique, des taureaux vaincus et une rivalité guerrière ressemblant fort à la corrida: duel, lancier, couper l'oreille gauche du tué, sacrifice... Fustel de Coulanges (1984) traite à plusieurs reprises (p. 155, 174, 179, 252) de taureaux blancs immolés, sacrifiés durant la fondation d'une ville ou de taureaux gras brûlés pour la prospérité de la ville. Schemeil (1999, p. 273) évoque les proto-corridas royales d'Aménophis III: "'Dans son char, avec toute son armée derrière lui, Sa Majesté ordonna que ces taureaux sauvages soient entourés avec une clôture et un fossé, et sa majesté se porta contre ces taureaux sauvages' dont il tua 96 têtes en six jours". . Pitt-Rivers (1984, p. 36-39) est beaucoup plus radical dans son interprétation du transfert des qualités dans la corrida: pour lui, le sacrifice du taureau dans l'arène vise à transformer symboliquement le torero qui absorbe les qualités du taureau, en particulier sa capacité à engendrer. Pour cet auteur, le "transvasement" nature - humanité s'opère par la médiation du rite de mise à mort qui reconnecte la nature et la culture (n'oublions pas que le torero porte le "costume de lumières") séparées durant les trois phases de la corrida. Pour Leiris (1981), qui relevait aussi la féminine fécondité du taureau et l'importance de la consommation alimentaire des génitoires, la fonction de la corrida est, encore plus généralement, d'incorporer la mort à la vie. Comme le disaient plus généralement Hubert et Mauss (1968, p. 281, 287) dans leur texte sur le sacrifice, il y a souvent "continuité de la vie" et "l'apothéose sacrificielle n'est pas autre chose que la renaissance de la victime". L'idée de réunion (banquet d'immortalité) autour du sacrifice taurin est attestée dans le mithraïsme. Le jeu avec le taureau est très concrètement représenté sur une fresque crétoise du musée d'Eraklion qui ne devrait pas permettre de ranger cet animal central du culte minoen dans la catégorie dieux intangibles... La réunion hédoniste et festive persiste sous forme spectaculaire dans l'arène. Une corrida est toujours une fête, une communion et, en même temps, une action collective d'évaluation esthétique et de jugement populaire.

Finalement, le combat culture/nature se superpose à un conflit social entre partisans d'une vision anthropocentrique du rapport à l'animal et partisans d'une vision zoocentrique du rapport à l'humain. On peut simplifier en les nomment hédozoophiles/zoophiles. Ces représentations sacralisent toutes deux l'animal mais sur le mode opposé. Peut-être l'hypothèse d'un lien entre cette inversion des miroirs et la question de la dénomination des animaux a-t-elle un sens. Lévi-Strauss (1964, p. 247)28 28 Si l'on suit Todorov, l'on se gardera de croire que le structuralisme de CLS est un humanisme anti-zoophile. Selon Todorov (1989, p. 112) citant CLS ( L'homme nu), "le structuralisme réintègre l'homme dans la nature et [...] permet de faire abstraction du sujet". Todorov note aussi (p. 113) que, à la fin de la première édition de La pensée sauvage, Lévi-Strauss aurait écrit que le but dernier des sciences humaines est de "dissoudre l'homme" et qu'il défend une vision biochimique des sciences humaines qui devraient "réintégrer la culture dans la nature". écrit "lorsque le rapport entre espèces (l'humaine et l'animale) est socialement conçu comme métaphorique, le rapport entre les systèmes de dénomination respectifs prend le caractère métonymique; et quand le rapport entre espèces est conçu comme métonymique, les systèmes de dénomination assument un caractère métaphorique". On sait que, en tendance, l'anthroponymie des chiens augmente. Nous l'avons mesuré pour la France (Juan, 2001). Par contre la corrida a toujours conservé des liens de nature métaphorique inversée humain/animal. Par conséquent, à l'idée Lévi-Straussienne de "bétail objet" et de" chien sujet", il conviendrait d'ajouter celle de "taureau sujet inversé".

Les zoophiles sacralisent la nature de l'animal et l'humanisent en lui prêtant des qualités humaines, d'ailleurs à juste titre pour ce qui concerne les animaux familiers qui sont de plus en plus socialisés, qui intériorisent des modèles culturels humains dans le processus d'élevage et d'éducation. De leur côté, les hédozoophiles sacralisent les vertus - tout aussi humaines - de courage, de force et de bravoure de l'animal de combat. Beaucoup des partisans de la corrida glissent en permanence, dans leurs commentaires, d'un référentiel à l'autre: le taureau peut être non seulement "brave" ou "macho" mais encore "noble" de "caste"

D'un côté on sacralise la nature et ses vecteurs que sont les chiens et chats dans un monde urbanisé mécanisé et réifié; on le fait tout en prêtant aux animaux supérieurs des vertus humaines et en aplanissant les différences. De l'autre, on sacralise la culture dans un système d'oppositions qui laisse la place au métaphores: tout sacrifice valorise un principe supérieur qui, en matière de corrida, symbolise un produit façonné par l'homme. En effet, le travail (la faena) vise à contrôler l'énergie du taureau, à donner une forme à la force brute, à le mettre en condition: la responsabilité du matador est totale en cas d'échec de la posture obtenue du taureau. La corrida ressemble à une sculpture de matière vivante et d'énergie que l'on vise à rendre dépendante après avoir au maximum produit l'autonomie: elle est un art que Leiris a fort pertinemment décrit. Le respect, l'amour de la bête, est total avant et pendant la corrida, non seulement tout au long de sa vie dans les vastes plaines mais encore durant le jeu rituel de mise à mort et "le sale quart d'heure" que passe dans l'arène.

Le combat qui nous occupe oppose finalement deux formules de la réflexivité et renvoie à deux manières de constituer un miroir de l'humanité dans l'animalité29 29 Les médias (de même que les séries américaines télévisées ou la littérature fiction de masse telle que celle de Gerber) ne cessent de faire parler les animaux ou de leur prêter des sentiments humains par une sorte de renversement du miroir. . Compassion métonymique pour les zoophiles et admiration métaphorique pour les hédozoophiles. Mais ces derniers, contrairement aux premiers, préservent l'ordre de la culture en séparant l'animal et l'être humain. En effet, il n'est point de souillure ou de dégoût, au sens de déplacement que Douglas (1992) donne à ce terme, dans l'arène car le sang qui tombe est à sa place. La tauromachie nomme plaza (des toros) les arènes pour mieux indiquer ce qui est à sa place. Les limites de l'arène, comme celles d'un abattoir ou d'un cimetière, fixent l'ordre symbolique et le sable (arena en espagnol) est là pour absorber le sang. Rien n'est donc sale au sens de souillé car chacun reste à sa place, même et surtout si l'ordre des places dans l'arène fait l'objet d'inversions dans le rituel que Bordes (1990) a bien relevées. En revanche, les déjection canines sur les trottoirs des villes engendrent toutes sortes de souillures, de désagréments, d'importants coûts sociaux et de graves problèmes de pollution dont ne parlent jamais les zoophiles

On aurait, cependant, tort de croire - précisons-le pour terminer - que les Espagnols restent insensibles au courant zoophile. Non seulement les foyers ayant des animaux domestiques se multiplient rapidement (sans doute en lien avec l'un des taux de fécondité les plus bas du monde, proche de un, les jeunes couples sans enfants ayant souvent un chien, tout comme les personnes âgées seules) mais de plus en plus de voies s'y élèvent contre la "violence" faite aux animaux (une trentaine d'associations de défense des animaux y existent). La presse rend souvent compte de cette nouvelle sensibilité au pays de la corrida. Par exemple, un dessin d'une grande revue hebdomadaire30 30 Il s'agit de Cambio16 (nº 1390 de juillet 1998, p. 90), revue comparable au Nouvel Observateur. à large tirage présente un torero recousant soigneusement, dans l'intimité de son domicile, le dos du taureau qu'il vient de blesser

Conclusion

La zoophilie est socialement et historiquement instituée puisqu'elle naît dans le pays le plus colonialiste et la patrie de l'évolutionnisme, l'Angleterre du 19e siècle. Agulhon (1988) puis Tester (1991) ont indiqué les circonstances historiques d'apparition des mouvements sociaux en faveur des droits animaux à l'apogée de la puissance coloniale britannique et de l'industrialisation du 19e siècle. Ils montrent aussi que la zoophilie se développe sur fond de crise sociale et de repli de la bourgeoisie sur une sphère privée en plein essor. Pour Tester (1991, p. 197), la sensibilité esthétique et morale à l'égard des animaux a presque exclusivement émergé dans les sociétés hautement urbanisées qui vivent loin de et sur le monde naturel. Il note aussi la parenté entre droits des animaux et environnementalisme sous la bannière de la sociobiologie.

Aujourd'hui, ses défenseurs sont aisément repérables: biologie éthologique, biologie paléontologique, biologie médicale31 31 Leroi-Gourhan a eu tort d'écrire (1964, p. 27) que "La paléontologie humaine n'a exorcisé l'ancêtre-singe que ces toutes dernières années" L'exorcisme n'a pas réussi! Les acteurs de ce champ de connaissance et les organisations qui les accompagnent (les sociétés protectrices des animaux) ont pour point et intérêt commun de nier le clivage animal / humain au nom de lois biologiques commune aux différentes espèces vivantes. Nier la frontière humain / animal correspond à des enjeux économiques considérables. Ne travaillant que sur le plan chimico-physique, ne considérant le vivant que comme un échange de substances ou de cellules et l'être humain que comme un ensemble d'organes et de fonctions (ayant intérêt à la faire car la vente de substances rapporte plus que les psycho ou les sociothérapies) lui-même vivant et donc réduit à un ensemble de substances, ces disciplines évacuent tout ce qui caractérise la socio-anthropologie ou ne considèrent l'anthropologie que sous l'angle médical d'anthropométrie. C'est au nom des mêmes cellules et de matériaux génétiques comparables que l'on nie la définition socio-anthropologique de l'humain fondée sur le symbolique. Tout l'enjeu de cette lutte, sur son terrain scientifique, consiste donc à montrer l'humanité de l'animal (censé accéder au symbolique) et l'animalité de l'humain définit comme état de nature.

En dépit de la hiérarchie, récemment établie par le droit, entre animaux devant vivre leur longévité naturelle et animaux qu'il est possible d'abattre sans souffrance, la zoophilie pose des problèmes de limite et ne peut que susciter des réactions de toutes sortes visant à déplacer les frontières par l'action sur les normes. On voit mal comment le sentimentalisme animal pourrait durablement se satisfaire de cette dichotomie chiens et chats/autres animaux. Hors les animaux protégés par les conventions internationales pour cause de maintien de la biodiversité (dauphins, orques, baleines, etc.) et les cas particuliers de mise à mort par la chasse et la corrida, la notion de souffrance animale peut appuyer toutes sortes de conflits futurs. Sur le modèle récurrent des manifestations contre le gavage des oies ou des canards, on voit mal comment pourraient lui échapper les courses de lévriers, le jardinage (qui tue toutes sortes d'espèces animales telles que les escargots, chenilles ou pucerons), la consommation d'huîtres Toutes ces pratiques supposent la souffrance d'animaux.

Si le fait de réguler les pratiques hédonistes de la chasse, la pêche ou des jeux avec animaux a des fonctions environnementales certaines, les dérives de la zoophilie risquent de mener à des absurdités comme celle sur laquelle nous allons clore cet article. A quand un droit de l'huître? Si l'on applique les présupposés zoophiles, l'huître doit subir un véritable supplice: ouverture douloureuse de la coquille avec un instrument tranchant qui brise le muscle principal, lente agonie, brûlure par l'acide (citron ou vinaigrette) versé sur un corps qui se rétracte, douleur infligée par le frottement sadique du couteau visant à vérifier que l'animal est bien vivant, rupture finale des liens avec la coquille protectrice avant l'engloutissement Comment la SPA saurait-elle tolérer ces millions d'êtres vivants victimes de la cruauté humaine? La compassion métonymique qu'évoque Tester ne peut donc pas, par nature, être limitée car le phénomène d'identification qui la fonde n'existe que par déplacement d'objet. Enfin, une toute dernière question: le droit a-t-il vocation à remplir des fonctions religieuses dans une démocratie?

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  • WUNDT, Wilhelm. Elementos de psicología de los pueblos. Barcelona: Alta Fulla, 1990.
  • 1
    "Domestiques", ils sont loin de l'être toujours puisque de plus en plus de scorpions, mygales ou vipères se vendent, au milieu des tortues, lapins et autres poissons rouges dans les jardineries animalières Rappelons aussi la mode, surtout nord-américaine, de maintient à domicile de fauves ou d'animaux très exotiques.
  • 2
    Pour Weber (1998, p. 71) le schéma idéal des agronomes romains consiste à réserver un "habitat du 'cheptel parlant'" autrement dit l'écurie pour esclaves que nous trouvons "à côté de celle du bétail". Notons que le terme latin
    instrumentum vocale peut aussi être traduit par
    mobilier parlant ou
    ressource matérielle (selon le Gaffiot). Ce n'est là qu'une des modalités, anciennes de rapprochement inhumain des hommes des animaux.
  • 3
    A nos yeux, elle commence par l'analyse de la Bible, en l'occurrence, des sacrifices de "taureaux expiatoires" dont il est rendu compte par exemple dans Exode 24, Lévitique 8 et 16 ou Juges 6.
  • 4
    Voir Gould (1983, p. 35, 132-137, 147-148).
  • 5
    Ricot (1997, p. 41) rappelle également que le fondateur de l'utilitarisme en économie, Bentham, s'attendrissait sur les animaux et sur les noirs... Engels (1973, p. 54) évoquait "la fureur hypocrite des Anglais contre la vivisection" tout en relevant le "haut degré de perfectionnement de la torture des animaux" du côté des Français.
  • 6
    Parmi les très nombreux auteurs évolutionnistes qui la reprennent, relevons Piaget (1977, p. 227-229) lorsqu'il écrit: "Or ces mentalités [primitive et enfantine] se ressemblent par certains aspects. [...] On peut citer comme exemples la tendance à l'affirmation sans preuve, le caractère affectif de la pensée, son caractère global non analytique (le syncrétisme), l'absence de cohérence logique [ ] la confusion du signe et de la cause, du signe et de la chose signifiée, etc."
  • 7
    En particulier celle qui prétendait légitimer la domination des hommes européens blancs sur les femmes et les autres êtres humains non "blancs", les premiers ayant un volume cervical supérieur en moyenne Gould a montré que les différences s'estompent en tenant compte tout simplement de la taille des personnes
  • 8
    Pour le dictionnaire "Grand Robert", qui cite Geoffroy Saint-Hilaire en 1849, l'éthologie est la science des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel; elle est donc proche de l'écologie d'où l'éco-éthologie (ou encore de la zoopsychologie). Au 19e siècle, le terme éthologie s'applique à l'étude des mœurs et des manières des êtres humains (l'éthographie, dit Littré, décrit les mœurs, le caractère et les passions des hommes. Avec prudence et clairvoyance, le même Littré définit le terme de
    craniologie, (dont la craniométrie est dérivé) non comme une science mais comme un "art au moyen duquel on prétend reconnaître l'intelligence et le moral d'un homme"
  • 9
    Par ailleurs, Wundt évoquait déjà (1990, p. 247) les mythes de transformation d'humains en animaux dont l'œuvre de Lévi-Strauss rend également compte dans
    Le cru et le cuit.
  • 10
    Mead rend un hommage appuyé et explicite à l'individualiste Tarde (1979) qui voyait également dans le système nerveux central le fondement du social.
  • 11
    David Le Breton (1998, p. 151) le dit nettement: "Darwin s'affranchit du symbolique en posant la continuité de l'homme et de l'animal dans l'observation des conduites".
  • 12
    On l'a empiriquement montré dans nos travaux sur la vie quotidienne (Juan, 1991, 1995).
  • 13
    C'est une journaliste (Matignon) qui le fait parler dans l'ouvrage mais Cyrulnik a contrôlé le texte puisqu'il préface le livre.
  • 14
    Au départ il s'agit d'un cours donné à Fribourg en 1929-30. L'ouvrage qui le publie pour la première fois en allemand date de 1983.
  • 15
    Dans ses cours s'étalant de 1939 à 1947 et reconstitués par ses élèves. Ouvrage publié en 1996.
  • 16
    Rémy Chauvin est l'auteur d'ouvrages scientifiques tels que "Des fourmis et des hommes" (France Empire), "Les sociétés animales" (PUF) ou "Des animaux et des hommes" (Seghers).
  • 17
    La SNDA a été créée en 1972. La SNDA est une association française sans but lucratif, reconnue d'utilité publique. La SNDA est membre de la Commission spécialisée de la protection des animaux auprès du ministre de l'agriculture et oeuvre pour faire reconnaître l'unité de la Vie.
  • 18
    Il s'agit d'extraits de la "Déclaration universelle sur l'unité de la Vie relative au cycle de la nature, à l'avenir des humains et des animaux" proclamée par l'association la SNDA sur Internet en 1997.
  • 19
    Il s'agit du début du chapitre 53 consacré aux animaux sauvages et aux chasseurs.
  • 20
    Ce recensement donnait 2.803 associations au monde le 9 juin 2001. Ce nombre évolue en permanence. Son suivi est aisé en consultant le site <
  • 21
    On a conservé tous les pays abritant plus de 10 associations de la liste du site. Il faut relativiser ce classement par ratios car l'Irlande (29 associations, ratio 7.25) et la Nouvelle Zélande (20 associations, ratio 5) car ces pays sont sur-évalués du fait d'une population de 4 million d'habitants dans les deux cas. Inversement, l'Inde (0.05) est sous-évaluée du fait de son milliard d'habitants (57 associations cependant).
  • 22
    La situations des chiens errants de Bucarest (des centaines de milliers) qui agressent les êtres humains et entraîne toutes sortes de nuisances n'est pas sans soulever des questions de fond quant au droit supérieur de ces animaux. Ces questions, Brigitte Bardot, ne se les pose pas: son site Internet la montre nourrissant les chiens errants de Bucarest
  • 23
    La liste de ces combats est à peu près la même lorsqu'on examine la littérature d'associations telles que le
    SNDA, la
    SPA (l'association la plus ancienne), la
    Ligue française des droits de l'animal (celle fondée par les scientifiques des SNV), la
    Fondation Brigitte Bardot ou la fondation
    30 millions d'amis
  • 24
    La SNDA écrit à ce sujet: "Alors que pour les chiens heureux, le port du collier ou du harnais est une joie, synonyme de promenades, le harnais est une sévère contrainte pour les chiens obligés de tirer des charges [ ]. Le sort habituel des esclaves-chiens tirant des traîneaux consiste en châtiments divers, en corrections". On notera que la captivité du chien en appartement n'est pas dénoncée alors que le terme esclavage est utilisé pour qualifier la condition des chiens de traîneaux.
  • 25
    L'Express du 4/6/1998, p. 115.
  • 26
    Leroi-Gourhan montre (1964b, p. 267) que à mesure que la représentation des animaux devient plus réaliste, celle des humains devient moins figurative, plus abstraite, comme si ces deux évolutions étaient interdépendantes.
  • 27
    De la même manière, on sacrifiait des taureaux, dans l'Antiquité, pour assurer la prospérité de l'agriculture, des villes fondées ou des élites dirigeantes. Par exemple, Granet (1994, p. 220, 294) évoque pour la Chine antique, des taureaux vaincus et une rivalité guerrière ressemblant fort à la corrida: duel, lancier, couper l'oreille gauche du tué, sacrifice... Fustel de Coulanges (1984) traite à plusieurs reprises (p. 155, 174, 179, 252) de taureaux blancs immolés, sacrifiés durant la fondation d'une ville ou de taureaux gras brûlés pour la prospérité de la ville. Schemeil (1999, p. 273) évoque les proto-corridas royales d'Aménophis III: "'Dans son char, avec toute son armée derrière lui, Sa Majesté ordonna que ces taureaux sauvages soient entourés avec une clôture et un fossé, et sa majesté se porta contre ces taureaux sauvages' dont il tua 96 têtes en six jours".
  • 28
    Si l'on suit Todorov, l'on se gardera de croire que le structuralisme de CLS est un humanisme anti-zoophile. Selon Todorov (1989, p. 112) citant CLS (
    L'homme nu), "le structuralisme réintègre l'homme dans la nature et [...] permet de faire abstraction du sujet". Todorov note aussi (p. 113) que, à la fin de la première édition de
    La pensée sauvage, Lévi-Strauss aurait écrit que le but dernier des sciences humaines est de "dissoudre l'homme" et qu'il défend une vision biochimique des sciences humaines qui devraient "réintégrer la culture dans la nature".
  • 29
    Les médias (de même que les séries américaines télévisées ou la littérature fiction de masse telle que celle de Gerber) ne cessent de faire parler les animaux ou de leur prêter des sentiments humains par une sorte de renversement du miroir.
  • 30
    Il s'agit de
    Cambio16 (nº 1390 de juillet 1998, p. 90), revue comparable au
    Nouvel Observateur.
  • 31
    Leroi-Gourhan a eu tort d'écrire (1964, p. 27) que "La paléontologie humaine n'a exorcisé l'ancêtre-singe que ces toutes dernières années" L'exorcisme n'a pas réussi!
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      20 Sept 2005
    • Date of issue
      Dec 2001
    Programa de Pós-Graduação em Antropologia Social - IFCH-UFRGS UFRGS - Instituto de Filosofia e Ciências Humanas, Av. Bento Gonçalves, 9500 - Prédio 43321, sala 205-B, 91509-900 - Porto Alegre - RS - Brasil, Telefone (51) 3308-7165, Fax: +55 51 3308-6638 - Porto Alegre - RS - Brazil
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