Acessibilidade / Reportar erro

Pour d’autres politiques de la vie: Expériences de personnes âgées pendant la pandémie de Covid-19

Por outras políticas da vida: Experiências de pessoas idosas na pandemia de Covid-19

Résumé

Dans cet article, nous analyserons les expériences de personnes âgées face à la pandémie de Covid-19, afin de comprendre comment les sens attribués à cet évènement multiple et inégal fournissent des éléments pour réfléchir à « d’autres politiques de la vie ». Cette réflexion se fonde sur le matériel ethnographique né de la recherche anthropologique collective au sujet des impacts de la pandémie de Covid-19 sur les personnes âgées. Concrètement, dans l’article, nous analysons les récits de trois personnes âgées, deux femmes et un homme, qui permettent de problématiser les discours concernant la « minorité des personnes âgées », de même que d’inscrire ces sujets comme « groupe à risque ». En outre, ces récits révèlent un isolement social incitateur de multiples agencements et de la construction/renforcement de réseaux d’interdépendance et d’aide. Si la pandémie a été associée à la tristesse, la solitude, le deuil et la perte de temps de vie, le matériel ethnographique permet de rendre visible d’autres sens, tels que la réflexivité, la revendication, la résignation/attente et les apprentissages.

Mots-clés:
personnes âgées; politiques de la vie; pandémie

Resumo

No presente artigo, são analisadas as experiências de idosas e idosos em relação à pandemia da Covid-19, a fim de compreender como os sentidos atribuídos a este evento múltiplo e desigual fornecem elementos para pensarmos em “outras políticas da vida”. Esta reflexão tem como base o material etnográfico advindo de pesquisa antropológica coletiva acerca dos impactos da pandemia da Covid-19 sobre pessoas idosas. Concretamente, no artigo, são analisadas as narrativas de duas idosas e um idoso, as quais permitem problematizar os discursos acerca da “minoridade dos idosos” como também a inscrição desses sujeitos como “grupo de risco”. Além disso, tais narrativas são reveladoras do isolamento social como incitador de agenciamentos múltiplos e da construção/fortalecimento de redes de interdependência e ajuda. Se a pandemia tem sido associada à tristeza, solidão, luto e à perda de tempo de vida, o material etnográfico permite visibilizar outros sentidos, tais como reflexividade, reinvenção, resignação/espera e aprendizados.

Palavras-chave:
covid-19; idosos; políticas da vida; pandemia

Introduction

Dans cet article, j’analyse les expériences de personnes âgées par rapport à la pandémie de Covid-19, afin de comprendre comment les sens attribués à cet évènement multiple et inégal fournissent des éléments pour réfléchir à « d’autres politiques de la vie » (Fassin, 2006FASSIN, Didier. 2006. “La biopolitique n’est pas une politique de la vie”. Sociologie et Sociétés, 38(2): 35-48. Disponible sur: Disponible sur: https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016371ar/ Consulté le 31 mai 2021.
https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/...
, 2018FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique. France: Éditions du Seuil., 2020aFASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.ias.edu/sites/default/files/...
, 2020bFASSIN, Didier. 2020b. “L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie”. Disponible sur: Disponible sur: https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm Consulté le 31 mai 2021.
https://www.college-de-france.fr/site/di...
, 2020cFASSIN, Didier. 2020c. De l’inégalités des Vies: Leçon inaugurale prononcée le jeudi 16 janvier. Nouvelle édition [en ligne] Paris: Collège de France.). Cette réflexion se fonde sur le matériel ethnographique provenant de la recherche anthropologique menée depuis juillet 2020, autour des impacts de la pandémie de Covid-19 sur les personnes considérées « légalement âgées », c’est-à-dire ayant plus de 60 ans dans l’état du Rio Grande do Sul et dans celui de Santa Catarina1 1 Ce travail résulte du projet « La Covid-19 au Brésil: analyse et réponse aux impacts sociaux de la pandémie chez les professionnels de la santé et la population en situation d’isolement » (Convênio Ref: 0464/20 FINEP/UFRGS), coordonné par le professeur Jean Segata (UFRGS). La recherche est développée par la Rede Covid-19 Humanidades MCTI et elle intègre l’ensemble des actions de la Rede Vírus MCTI financées par le ministère de la Science, de la Technologie et des Innovations pour faire face à la pandémie. La recherche auprès de personnes âgées est développée avec une plus grande équipe de chercheuses et de chercheurs, que je remercie pour leur travail et leur collaboration: Patrice Schuch et Ceres Víctora (coordinatrices), Caroline Sarmento, Cauê Machado, Gabriela Fucks, Lauren Rodrigues, Luisa Barreto, Luiza Kramer, Mariana Picolotto, Monalisa Dias de Siqueira, Pamela Ribeiro, Roberta Ballejo et Taciane Jeske. Pour plus d’informations sur le réseau et le projet, consulter: https://www.ufrgs.br/redecovid19humanidades/index.php/br Consulté le 26 mai 2021. . En fonction du contexte pandémique et des mesures de prévention dans le combat contre le coronavirus, la recherche a été menée à partir d’entretiens semi-directifs réalisés au moyen de contacts téléphoniques et d’appels audio ou vidéo via WhatsApp. Compte tenu du suivi longitudinal de personnes considérées âgées, les entretiens ont été organisés en deux séries, une première réalisée par l’équipe en 2020, auprès d’environ 50 femmes et hommes âgés, sélectionnés à partir d’un réseau de contacts préalablement établi2 2 J’aimerais remercier toutes celles et ceux qui ont aidé à la construction d’un réseau de contacts à Florianópolis: le Centre d’études du troisième âge de l’Université fédérale de Santa Catarina (NETI/UFSC) - en particulier la coordinatrice Maria Fernanda Baeta -, la coordination du Programme Floripa Feliz Idade du Secrétariat municipal d’assistance sociale de la mairie de Florianópolis - en particulier Roselene Antunes -, pour avoir accueilli et contribué à la réalisation de cette recherche. Je remercie également Maria Cecília Godtsfriedt pour son effort et son engagement dans l’insertion et l’élargissement de ce réseau. et une seconde, en 2021, motivée par le début de la vaccination. Au cours de cette seconde étape, on a contacté les personnes âgées qui avaient participé à la première phase, afin d’approfondir les questions posées auparavant ainsi que pour les entendre à propos de leurs expériences au bout d’un an de pandémie. Dès le premier contact téléphonique, on a présenté aux interlocuteurs et interlocutrices les objectifs et les méthodes de la recherche, ceux-ci furent dûment enregistrés avec les termes du consentement éthique. Tous les entretiens ont été enregistrés et ultérieurement transcrits, ils étaient, de plus, accompagnés de notes ethnographiques sur un carnet de terrain.

A des fins analytiques, pour cet article, j’ai sélectionné les expériences de trois personnes âgées, deux femmes3 3 Pour des questions éthiques, les noms des interlocuteurs et des interlocutrices ont été modifiés. Fermina, Bernard et Anna sont les noms de personnages de romans dans lesquels on retrouve un contexte d’épidémie: L’Amour aux temps du choléra (de Gabriel García Márquez), La Peste (de Albert Camus) et Une année de miracles (de Geraldine Brooks). (Fermina, 83 ans et Anna, 73 ans) et un homme (Bernard, 73 ans), qui ont participé à la première série d’entretiens, ceux-ci ont permis de problématiser les discours concernant la « minorité des personnes âgées » ainsi que le fait que ces sujets soient inscrits comme « groupe à risque ». En outre, de tels récits sont révélateurs d’un « isolement social »4 4 Compte tenu des différences techniques entre les expressions « isolement social » et « distanciation sociale », toutes deux faisant l’objet de disputes et de controverses au Brésil, il est bon de justifier que dans cet article, j’utiliserai la première du fait que les interlocuteurs de la recherche l’ont mentionnée pendant les entretiens en 2020. Pour plus de détails, consulter: https://www.ufrgs.br/telessauders/posts_coronavirus/qual-a-diferenca-de-distanciamento-social-isolamento-e-quarentena/ Consulté le 31 mai 2021. incitateur de multiples agencements et de la construction/renforcement de réseaux d’interdépendance et d’entraide. Si la pandémie a été associée à la tristesse, la solitude, le deuil et la perte de temps de vie, le matériel ethnographique permet de rendre visible d’autres sens, tels que la réflexivité, la réinvention, la résignation/attente et les apprentissages, assumés par les sujets. Compte tenu que la pandémie est justement « […] un type abstrait dont la réalisation doit être comprise à partir d’exercices descriptifs du sensible au lieu de l’exaltation d’indicateurs et de mesures internationales d’évaluation », il devient important « de remplir » ces données avec des biographies et des expériences individuelles et collectives » (Segata, Schuch, Víctora, Damo, 2021SEGATA, Jean; SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; DAMO, Arlei. 2021. “A Covid-19 e suas múltiplas pandemias”. Horizontes Antropológicos, 59: 7-25. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTg...
: 8-9).

Ces cas permettent également de penser au coronavirus, au-delà d’une perspective « centrée sur le virus », et, par conséquent, comme une expérience de plus dans la vie de ces sujets, tout en rappelant, comme le suggère Fassin (2007FASSIN, Didier. 2007. When Bodies Remember. Experiences and Politics of Aids in South Africa. Berkeley and Los Angeles, California: University of California Press.), que la vie en soi s’inscrit dans une histoire collective. Comme le rappelle Deisy Ventura (2009VENTURA, Deisy. 2009. “Pandemias e Estado de Exceção”. In: Marcelo Catoni, Felipe Machado (orgs.), Constituição e pProcesso: a resposta do constitucionalismo à banalização do terror. Belo Horizonte: Del Rey/IHJ: 159-181.), en reprenant le roman La Peste, d’Albert Camus (1947), dans le roman comme dans la vie, il s’agit moins de parler de la peste en soi, le virus dans ce cas-là, que de montrer comment les personnes lui font face. Il s’agit de faire venir au premier plan de l’analyse la « plasticité des personnes et des communautés » qui est révélée sous des formes « micro, méso et macro » de résistance (Biehl, 2021BIEHL, João. 2021. “Descolonizando a saúde Planetária”. Horizontes Antropológicos, 59: 337-359. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/mYh65g7LyMWLJhfP9XvcTnn/?format=pdf⟨=pt Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/mYh65g7LyMW...
).

Et pour qu’une telle initiative soit possible, il est fondamental de mettre en avant le rôle et la place de l´anthropologie elle-même, pendant et après la pandémie, dans la production de « connaissance utile » à partir de son effort pour comprendre, via l’ethnographie, les efforts quotidiens invisibles (Das, 2020DAS, Veena. 2020. “Encarando a Covid-19: Meu lugar sem esperança ou desespero”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na pandemia:1-8. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-26 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.reflexpandemia.org/texto-26...
). C’est en ce sens que le présent article, en valorisant de tels efforts, cherche à problématiser/mettre en tension/donner vie à la réalité des chiffres et des statistiques (incapables de capter des variations dans le comportement humain) et qu’il attribue une intelligibilité possible à ces évènements qui ont fait l’objet de controverses et de paradoxes. Pour cette initiative, j’assume la perspective proposée par Segata, Schuch, Víctora et Damo (2021SEGATA, Jean; SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; DAMO, Arlei. 2021. “A Covid-19 e suas múltiplas pandemias”. Horizontes Antropológicos, 59: 7-25. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTg...
) d’une anthropologie responsive, responsable non seulement de répondre aux questions qui nous sont posées, mais qui a surtout la responsabilité de proposer de nouveaux débats. De cette façon, plutôt que de définir le rôle de l´anthropologie, pendant et après la pandémie, il nous intéresse de penser aux “fenêtres” que celle-ci ouvre sur le monde, c´est-à-dire aux possibilités de voir sous d’autres formes les réalités du monde (Fassin, 2020cFASSIN, Didier. 2020c. De l’inégalités des Vies: Leçon inaugurale prononcée le jeudi 16 janvier. Nouvelle édition [en ligne] Paris: Collège de France.).

Politiques de biolégitimité: articulation entre majorité chronologique et risque

Depuis le début de la pandémie, on a beaucoup commenté dans les articles scientifiques, ainsi que dans les médias et les réseaux sociaux, que la pandémie du coronavirus a produit une « crise sans précédent ». Cependant, des auteurs tels que Fassin (2020aFASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.ias.edu/sites/default/files/...
) et Caduf (2020)CADUFF, Carlo. 2020. “What Went Wrong: Corona and the World after the Full Stop”. MEDICAL ANTHROPOLOGY QUARTERLY, 0: 1-21. Disponible sur: Disponible sur: https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12599 Consulté le 31 mai 2021.
https://anthrosource.onlinelibrary.wiley...
ont montré dans leurs travaux qu’il est nécessaire d’inverser une telle phrase, de façon à penser que ce qui a rendu cette pandémie sans précédent, ce n’est pas le virus en soi, mais la réponse qu’on y a apportée. Cette réponse a signifié, dans plusieurs pays, la pratique du « confinement généralisé de la population », guidée par la devise « sauver des vies à tout prix ». L’idéologie de la solidarité nationale pandémique, comme l’a caractérisée Caduf (2020)CADUFF, Carlo. 2020. “What Went Wrong: Corona and the World after the Full Stop”. MEDICAL ANTHROPOLOGY QUARTERLY, 0: 1-21. Disponible sur: Disponible sur: https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12599 Consulté le 31 mai 2021.
https://anthrosource.onlinelibrary.wiley...
, en plaçant tout le monde en confinement et en traitant tout le monde de la même manière, a obscurci la réalité selon laquelle le confinement signifie des choses différentes pour des personnes différentes et que tous ne sont pas exposés de la même manière ni vulnérables de la même manière.

Au Brésil, comme l’observent Schuch, Víctora et Siqueira (2020aSCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020a. “Cuidado e Controle na Gestão da Velhice”. Dilemas. Revista de Estudos de Conflito e Controle Social. Reflexões na Pandemia. Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-91
https://www.reflexpandemia.org/texto-91...
; 2020bSCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020b. “Não mudou quase nada”: ética ordinária e formas de vida em tempos pandêmicos” (sous presse).), l’emphase des politiques de gestion de la pandémie réside fondamentalement dans des actions de protection de l’économie et de l’encouragement moral à l’isolement, bien que cette pratique ne crée pas un consensus, surtout en ce qui concerne les actions gouvernementales. Au-delà des spécificités locales de cette « réponse » à la pandémie, il est possible de penser que le point commun repose sur l’affirmation de la valeur de la vie, voire sur la reconnaissance de la vie comme valeur suprême (Fassin, 2020aFASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.ias.edu/sites/default/files/...
). La vie que les gouvernements reconnaissent à travers leurs décisions, et pas seulement le confinement, c’est la vie physique, la vie en tant que fait biologique menacé par la maladie, à savoir le simple fait de vivre. Les politiques de confinement ne cherchent pas à sauver autre chose que la vie comme fait biologique menacé par la maladie. Si l’on suit cette perspective, depuis le début de la pandémie, il est possible d’observer que les politiques publiques de santé se sont caractérisées par une « expression la plus aboutie de la biolégitimité » (Fassin, 2020a: 6FASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.ias.edu/sites/default/files/...
), c´est-à-dire par une légitimité de la vie biologique.

En ce qui concerne la population de personnes âgées, une série d’actions gouvernementales et leurs développements respectifs, ont été orientés/balisés par la biolégitimité. La première de ces actions est liée à l’association entre « l’âge chronologique élevé et le risque » (Schuch, Víctora, Siqueira, 2020aSCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020a. “Cuidado e Controle na Gestão da Velhice”. Dilemas. Revista de Estudos de Conflito e Controle Social. Reflexões na Pandemia. Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-91
https://www.reflexpandemia.org/texto-91...
). S’il est vrai que les pays européens avaient augmenté l’âge définissant qu’une personne est considérée âgée - de 65 à 75 ans et plus -, avec l’avancé de la pandémie, la marque des 60 ans a été replacée comme « l’âge limite pour le vieillissement » (Dourado, 2020bDOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020b. “Como pensar a velhice em tempos de coronavírus”. Boletim Cientistas Sociais e o Coronavírus, Anpocs, 49: s/p. Disponible sur: Disponible sur: https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus Consulté le 31 mai 2021.
https://www.antropologicas-epidemicas.co...
). On a déjà beaucoup discuté en anthropologie des problèmes que pose la catégorisation des sujets en fonction de critères d’âge. Les études sur le vieillissement ont attiré l’attention sur la distinction entre la définition de la vieillesse en fonction de changements organiques et celle proposée par la définition personnelle, à savoir le moment spécifique où chaque individu constate qu’il est devenu vieux (Dourado, 2020bDOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020b. “Como pensar a velhice em tempos de coronavírus”. Boletim Cientistas Sociais e o Coronavírus, Anpocs, 49: s/p. Disponible sur: Disponible sur: https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus Consulté le 31 mai 2021.
https://www.antropologicas-epidemicas.co...
). En nous basant sur cette distinction, il est possible d’avoir des pistes sur ce qu’a signifié la reprise du jalon des 60 ans comme l’âge de risque en raison du coronavirus: c’est « un pas en arrière sur le chemin cherchant à signifier de façon plus positive le vieillissement » (Dourado, 2020bDOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020b. “Como pensar a velhice em tempos de coronavírus”. Boletim Cientistas Sociais e o Coronavírus, Anpocs, 49: s/p. Disponible sur: Disponible sur: https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus Consulté le 31 mai 2021.
https://www.antropologicas-epidemicas.co...
). Premièrement, parce qu’une telle « uniformisation par âge » est « arbitraire »: « Des individus qui intègrent les groupes les plus divers construisent leur propre perception de la vieillesse, au-delà des définitions fournies par des organismes nationaux et internationaux et des institutions d’états ». Deuxièmement, parce que de façon très rapide, d’un jour à l’autre, avoir 60 ans ou plus devient « risqué » (Dourado, 2020a:155DOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020b. “Como pensar a velhice em tempos de coronavírus”. Boletim Cientistas Sociais e o Coronavírus, Anpocs, 49: s/p. Disponible sur: Disponible sur: https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus Consulté le 31 mai 2021.
https://www.antropologicas-epidemicas.co...
).

Un second point de cette biolégitimité, objet de beaucoup de controverses, concerne la conversion de femmes et d’hommes âgés du monde entier en « groupe à risque préférentiel » (Dourado, 2020aDOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020a. “A pandemia de Covid-19 e a conversão de idosos em ‘grupo de risco’”. Cadernos de Campo, 29: 153-162. Disponible sur: Disponible sur: https://www.revistas.usp.br/cadernosdecampo/article/view/169970/162659 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.revistas.usp.br/cadernosdeca...
; Henning, 2020HENNING, Carlos Eduardo. 2020. “Nem no mesmo barco nem nos mesmos mares: Gerontocídios, práticas necropolíticas de governo e discurso sobre velhices na pandemia da Covid-19”. Cadernos de Campo, 20(1):150-155. Disponible sur: http://anpocs.org/index.php/publicacoes-sp-2056165036/boletim-cientistas-sociais/2371-boletimn-49-cientistas-sociais-e-o-coronavirus
http://anpocs.org/index.php/publicacoes-...
). Les innombrables informations sur la pandémie ont provoqué des réflexions sur les visions que nous construisons sur la vieillesse. Le nombre élevé de personnes âgées décédées, dès le début de la pandémie, surtout avec la dissémination du virus en Chine puis en Europe (en particulier les images venues d’Italie), explique pourquoi ces sujets ont été considérés, principalement par des organismes internationaux, comme les plus vulnérables et les plus susceptibles d’être contaminés. Les regards du monde entier se sont tournés vers ceux et celles qui, du fait de la pandémie, sont devenus plus que jamais un objet de préoccupation et de tutelle. Rapidement, les personnes âgées sont devenues « extraordinairement vulnérables » (Henning, 2020HENNING, Carlos Eduardo. 2020. “Nem no mesmo barco nem nos mesmos mares: Gerontocídios, práticas necropolíticas de governo e discurso sobre velhices na pandemia da Covid-19”. Cadernos de Campo, 20(1):150-155. Disponible sur: http://anpocs.org/index.php/publicacoes-sp-2056165036/boletim-cientistas-sociais/2371-boletimn-49-cientistas-sociais-e-o-coronavirus
http://anpocs.org/index.php/publicacoes-...
), et même celles et ceux qui étaient considérés actifs, indépendants (physiquement, mentalement et économiquement) ont alors été considérés comme « groupe à risque », « qui exige de la part des sociétés et des États, attentions et soins » (Henning, 2020HENNING, Carlos Eduardo. 2020. “Nem no mesmo barco nem nos mesmos mares: Gerontocídios, práticas necropolíticas de governo e discurso sobre velhices na pandemia da Covid-19”. Cadernos de Campo, 20(1):150-155. Disponible sur: http://anpocs.org/index.php/publicacoes-sp-2056165036/boletim-cientistas-sociais/2371-boletimn-49-cientistas-sociais-e-o-coronavirus
http://anpocs.org/index.php/publicacoes-...
; Dourado, 2020b: 2DOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020b. “Como pensar a velhice em tempos de coronavírus”. Boletim Cientistas Sociais e o Coronavírus, Anpocs, 49: s/p. Disponible sur: Disponible sur: https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus Consulté le 31 mai 2021.
https://www.antropologicas-epidemicas.co...
).

La conversion des personnes âgées en groupe à risque et, par conséquent, une emphase sur leur vulnérabilité et leur susceptibilité de contracter le virus (et la plus grande probabilité que celui-ci évolue vers des problèmes respiratoires plus graves, voire le décès) a, d’une part, fait augmenter la préoccupation envers ces sujets, pour qu’ils restent à la maison, qu’ils évitent les contacts avec leurs enfants et leurs petits-enfants (qui pourraient être asymptomatiques et potentiellement transmetteurs du virus) et, d’autre part, cela a amplifié une sorte de « patrouille morale » vis-à-vis de ces sujets et le renfort d’une condition de tutelle et d’actions de vigilance. En ce point, il est important de souligner que cette « politique de contrainte morale pour forcer l’isolement de ce groupe » n’a pas été accompagnée de l’assistance nécessaire (Schuch, Víctora, Siqueira, 2020aSCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020a. “Cuidado e Controle na Gestão da Velhice”. Dilemas. Revista de Estudos de Conflito e Controle Social. Reflexões na Pandemia. Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-91
https://www.reflexpandemia.org/texto-91...
). La réponse à la pandémie, dans certains cas, a produit une augmentation substantielle du nombre de personnes, y compris les personnes âgées bien sûr, qui vivent maintenant avec des maladies non traitées, et l’aggravation de comorbidités dues au fait de rester chez soi sans les activités habituelles, voire les attentions des parents (Caduf, 2020CADUFF, Carlo. 2020. “What Went Wrong: Corona and the World after the Full Stop”. MEDICAL ANTHROPOLOGY QUARTERLY, 0: 1-21. Disponible sur: Disponible sur: https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12599 Consulté le 31 mai 2021.
https://anthrosource.onlinelibrary.wiley...
). Autrement dit, on n’a pas mis en place les conditions et les politiques (outre les mesures de protection de l’économie) pour que ces personnes âgées puissent rester chez elles. En fonction de l’isolement, au fil de notre recherche, nous avons couramment entendu des récits de personnes âgées sur le début ou l’aggravation de leur état de dépression, d’anxiété, de panique et d’insomnie en conséquence de la peur généralisée et de la solitude générées par l’isolement social.

Il est important d’attirer l’attention sur les controverses5 5 La thématique des controverses dans le contexte pandémique mériterait une réflexion qui transcende les objectifs et l’espace de cet article. Parmi les travaux récents sur les controverses autour des vaccins, il est possible de citer l’approche inspiratrice de Rosana Castro (2021a; 2021b). créées au sujet de la vaccination. Au Brésil, comme dans la plupart des pays, le facteur « risque » a été la principale balise pour la décision de vacciner en priorité les personnes âgées et les professionnels de la santé qui agissaient en première ligne dans le combat contre la Covid-19. Voici la première controverse posée par la catégorie « groupe à risque »: si les personnes âgées doivent rester à la maison, alors pourquoi doivent-elles être prioritaires au moment de la vaccination ? Pourquoi ne pas vacciner les plus jeunes, comme dans le cas de l’Indonésie6 6 Voir, par exemple: https://www.bbc.com/portuguese/brasil-55866061 Consulté le 29 mai 2021. Et aussi: https://brasil.un.org/pt-br/104119-oms-pede-prioridade-para-trabalhadores-em-saude-e-populacoes-em-risco-na-vacinacao-contra Consulté le 29 mai 2021. , si ce sont eux qui ont besoin de sortir dans la rue travailler ? Face à une réserve limitée de doses de vaccin, ce qui a rendu impossible la vaccination de toute la population de personnes âgées dans un premier temps, on a établi un nouveau clivage. La vaccination allait commencer par les personnes âgées qui étaient dans les maisons de repos et qui avaient plus de 80 ans. Elles sont toutes des personnes âgées, mais certaines plus que d’autres, voilà la seconde controverse. La question de l’âge normative est prise à contrepied par la propre règle créée et qui considère que les personnes de 60 ans ou plus sont des personnes âgées et, donc, font partie du groupe à risque. La vieillesse n’est pas une catégorie homogène et l’idée de groupe à risque révèle toute sa complexité et, à la limite, son caractère arbitraire.

Les implications de l’emploi de la notion de « groupe à risque », contrairement à ce que le sens commun pourrait supposer, finirent par mobiliser une « profusion de conceptions, de discours et de pratiques discordantes sur la vieillesse », comme l’ont bien montré Schuch, Víctora et Siqueira (2020aSCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020a. “Cuidado e Controle na Gestão da Velhice”. Dilemas. Revista de Estudos de Conflito e Controle Social. Reflexões na Pandemia. Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-91
https://www.reflexpandemia.org/texto-91...
). Des mèmes humoristiques sur les personnes âgées ont circulé et se sont disséminés en grande quantité, même dans les groupes de WhatsApp qui sont exclusivement constitués de personnes âgées, en opposition à un ensemble de discours plus positifs sur la vieillesse (que l’on retrouve dans des notions telles que le troisième âge, le meilleur âge et la vieillesse active) qui ont surgi ces dernières décennies (Schuch, Víctora, Siqueira 2020aSCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020a. “Cuidado e Controle na Gestão da Velhice”. Dilemas. Revista de Estudos de Conflito e Controle Social. Reflexões na Pandemia. Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-91
https://www.reflexpandemia.org/texto-91...
; Dourado, 2020aDOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020a. “A pandemia de Covid-19 e a conversão de idosos em ‘grupo de risco’”. Cadernos de Campo, 29: 153-162. Disponible sur: Disponible sur: https://www.revistas.usp.br/cadernosdecampo/article/view/169970/162659 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.revistas.usp.br/cadernosdeca...
): « un tel flux d’images, dans la plupart des cas, réactualise l’idée de personnes vieilles sans autonomie, subjuguées, dont la capacité d’agentivité, de rationalité et de bon sens sont remises en question (Dourado, 2020a).

De la biolégitimité aux politiques de la vie

La pandémie, comme l’ont observé Segata, Schuch, Víctora et Damo (2021SEGATA, Jean; SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; DAMO, Arlei. 2021. “A Covid-19 e suas múltiplas pandemias”. Horizontes Antropológicos, 59: 7-25. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTg...
), est un évènement multiple et inégal, c’est pour cela qu’il faut prendre en compte une série de distinctions qui finissent par mettre en tension un ensemble de « soi-disant » homogénéités telles que celles qui sont associées aux conceptions de risque et de vulnérabilité. Il est important de rappeler que des notions comme la vulnérabilité, le risque et l’essentiel (par exemple des services considérés essentiels) sont non seulement relatives, donc localement situées, et contingentes, mais, de plus, elles répondent à des intérêts divers. Par ailleurs, elles mettent en évidence des performances gouvernementales qui se traduisent par des discours de « protection de la population nationale » et de solidarité, qui sont distribués de manière inégale (Fassin, 2020cFASSIN, Didier. 2020c. De l’inégalités des Vies: Leçon inaugurale prononcée le jeudi 16 janvier. Nouvelle édition [en ligne] Paris: Collège de France.). « Les stratégies épidémiologiques pour contenir le virus ne tiennent pas compte des conditions de vie matérielle, de la façon dont se structurent l’inégalité ou les relations au quotidien » (Fernandes, 2020FERNANDES, Adriana. 2020. “Coronel vírus Chegou: Notas etnográficas sobre a Covid-19 entre vulnerabilizados da cidade do Rio de Janeiro”. Sexualidad, Salud y Sociedad Revista Latinoamericana, 35: 7-34. Disponible sur: https://www.scielo.br/pdf/sess/n35/1984-6487-sess-35-7.pdf
https://www.scielo.br/pdf/sess/n35/1984-...
). Outre les questions médicales, il est nécessaire de considérer le caractère social de la pandémie, ce qui signifie tenir compte également des effets psychologiques, économiques et humanitaires à long terme (Pezeril, 2020PEZERIL, Charlotte. 2020. « Du Sida au Covid 19: Les leçons de la lutte contre le HIV”. La Vie des Idées, 2 octobre. Disponible sur: Disponible sur: https://laviedesidees.fr/Du-Sida-au-Covid-19.html Consulté le 31 mai 2021.
https://laviedesidees.fr/Du-Sida-au-Covi...
). Cette reconnaissance nous permet de penser au-delà du virus, c´est-à-dire de considérer sérieusement les conséquences sociales, politiques et économiques.

L’idée commune selon laquelle le coronavirus affecte tout le monde de la même manière est compréhensible, jusqu’à un certain point, comme le rappelle Fassin (2020bFASSIN, Didier. 2020b. “L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie”. Disponible sur: Disponible sur: https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm Consulté le 31 mai 2021.
https://www.college-de-france.fr/site/di...
), dans le but de susciter l’adhésion de la société aux mesures de prévention nécessaires (distanciation physique, port du masque et usage du gel hydroalcoolique, etc.). Cependant, elle est profondément fausse et même une « illusion dangereuse », car elle « mène à la cécité et à l’inertie, là où la lucidité et l’action devraient prévaloir. L’invoquer peut donc sembler de bonne tactique, mais c’est une mauvaise stratégie » (Fassin, 2020bFASSIN, Didier. 2020b. “L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie”. Disponible sur: Disponible sur: https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm Consulté le 31 mai 2021.
https://www.college-de-france.fr/site/di...
). La vie prend soin d’elle-même et se maintient différentiellement, rappelait déjà Butler (2009BUTLER, Judith. 2009. Vida Precaria: El poder del duelo y la violencia. Buenos Aires: Paidós.), avant même la pandémie. Cela veut dire que certaines vies sont hautement protégées, alors que d’autres vies ne jouissent pas d’un soutien si immédiat et ne se qualifieront pas en tant que vies qui valent la peine. Plus récemment, dans ce contexte pandémique, l’auteure a attiré notre attention sur le fait que le virus en soi ne fait pas de discrimination. Nous pourrions dire qu’il nous traite de manière égalitaire, que nous nous retrouvons tous face au risque de tomber malade, de perdre quelqu´un de proche et de vivre dans un monde marqué par une menace imminente. Étant donné la façon dont il se déplace et attaque, le virus démontre que la communauté humaine est également précaire. Ce sera l’inégalité sociale et économique qui garantira la discrimination du virus. Le virus en soi ne fait pas de discrimination, mais nous, les humains, il est évident que nous en faisons (Butler, 2020BUTLER, Judith. 2020. Judith Butler sobre a Covid-19: O Capitalismo tem seus limites. Blog da Boitempo. Disponible sur: https://blogdaboitempo.com.br/2020/03/20/judith-butler-sobre-o-covid-19-o-capitalismo-tem-seus-limites/
https://blogdaboitempo.com.br/2020/03/20...
). Voilà que la pandémie fait émerger une « conscience de la vulnérabilité », en ce sens où elle nous rappelle que nous sommes vraiment tous vulnérables, « même si ce n’est pas de la même manière, ou avec la même intensité, y compris face aux risques pour la santé » (Blanc, Laugier, Molinier, 2020BLANC, Nathalie ; LAUGIER, Sandra ; MOLINIER, Pascale. 2020. “O preço do invisível: as mulheres na pandemia”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na Pandemia: 1-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-88 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.reflexpandemia.org/texto-88...
, p.2).

Cette « conscience de la vulnérabilité » nous incite à assumer le défi proposé par Biehl (2021BIEHL, João. 2021. “Descolonizando a saúde Planetária”. Horizontes Antropológicos, 59: 337-359. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/mYh65g7LyMWLJhfP9XvcTnn/?format=pdf⟨=pt Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/mYh65g7LyMW...
) de « décoloniser la pandémie », dans le sens d’aller au-delà des modèles mondiaux qui privilégient des solutions uniformes (pour des problèmes qui sont multiples, dont l’origine réside dans des causes différentes et diverses ou bien, à la limite, qu’il ne s’agisse pas des mêmes problèmes et que cela explique l’échec de la recherche de consensus, au lieu de mettre en évidence les paradoxes et les controverses) qui ont peu à voir avec la variété des réalités locales. L’effet de décoloniser la pandémie permet de mettre en évidence d’autres formes émergentes de politique (ne se fondant pas exclusivement sur la biolégitimité et la recherche d’une réponse unique à des problèmes qui sont pluriels), de soins (qui met à mal une espèce de « consensus » qui a pris de l’importance au cours de la pandémie, désignant les personnes âgées comme groupe à risque) et d’agencements (qui vont outre la simple survie) qui peuvent devenir, comme le suggère Biehl (2021), « des mécanismes efficaces pour affronter la pandémie » (Segata, Schuch, Víctora et Damo, 2021SEGATA, Jean; SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; DAMO, Arlei. 2021. “A Covid-19 e suas múltiplas pandemias”. Horizontes Antropológicos, 59: 7-25. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTg...
, p.20).

Le panorama décrit ci-dessus fournit des pistes qui renforcent l’idée qu’il n’a jamais été si important d’insister sur le fait que d’autres politiques de la vie sont possibles. La pandémie et la réponse à celle-ci, comme le rappelle Caduf (2020)CADUFF, Carlo. 2020. “What Went Wrong: Corona and the World after the Full Stop”. MEDICAL ANTHROPOLOGY QUARTERLY, 0: 1-21. Disponible sur: Disponible sur: https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12599 Consulté le 31 mai 2021.
https://anthrosource.onlinelibrary.wiley...
, requiert que nous puissions reimaginer des vies, reconstruire des conditions d’existence et trouver de meilleurs chemins pour faire de la politique. De la sorte, à partir de l’analyse des expériences de trois personnes âgées, j’ai l’intention de proposer un déplacement important face au panorama actuel, d’une biolégitimité (légitimité de la vie biologique) qui, comme j’ai essayé de le montrer, a caractérisé les réponses à la pandémie, vers des politiques de la vie, au sens assumé par Fassin (2006FASSIN, Didier. 2006. “La biopolitique n’est pas une politique de la vie”. Sociologie et Sociétés, 38(2): 35-48. Disponible sur: Disponible sur: https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016371ar/ Consulté le 31 mai 2021.
https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/...
, 2018FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique. France: Éditions du Seuil., 2020aFASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.ias.edu/sites/default/files/...
, 2020bFASSIN, Didier. 2020b. “L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie”. Disponible sur: Disponible sur: https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm Consulté le 31 mai 2021.
https://www.college-de-france.fr/site/di...
, 2020cFASSIN, Didier. 2020c. De l’inégalités des Vies: Leçon inaugurale prononcée le jeudi 16 janvier. Nouvelle édition [en ligne] Paris: Collège de France.). À la différence d’autres expressions de la vie, la vie biologique est politiquement et moralement neutre et c’est pour cela que ce déplacement semble non seulement nécessaire mais urgent. Il permet de récupérer une autre forme de concevoir la vie, plus riche, plus dense, spécifique aux êtres humains, caractérisée par le fait qu’elle est constituée d’évènements que l’on a la possibilité de conter de nouveau. « À l’inverse, elles mettent à l’épreuve la vie comme expérience biographique dans toutes ses dimensions, l’obligeant à se réinventer, contrainte et amputée » (Fassin, 2020a: 6). En résumé, il y a une réconciliation à faire: la vie est à la fois un fait biologique et une expérience biographique.

Avant de revenir plus spécifiquement sur les politiques de la vie et ce qui explique pourquoi elles inspirent les réflexions de notre article, il faut éclaircir la différence entre celles-ci et un des concepts de Michel Foucault qui a le plus suscité l’attention: celui de la biopolitique7 7 Le « pouvoir sur la vie », biopouvoir, s’est développé à partir du XVIIe siècle à travers l’articulation de deux formes principales: la première (anatomo-politique du corps humain) centrée sur le corps en tant que machine, par conséquent sur le dressage de celui-ci afin d’extraire et d’augmenter au maximum ses potentialités et aptitudes au moyen de procédés de pouvoir qui caractérisent les disciplines. La seconde (biopolitique de la population) qui s’est formée un peu plus tard, centrée sur le corps-espèce, implique toute une série d’interventions et de contrôles régulateurs. La biopolitique se constitue exactement comme une « technologie de prévoyance » et, en tant que telle, elle cherche à contrôler et éventuellement à modifier, à travers la production de savoirs spécialisés et de statistiques, la probabilité de ces évènements et, si possible, de contrôler leurs effets (Foucault, 2002). . En proposant ce concept, Foucault a ouvert un « formidable chantier » qui a inspiré beaucoup de travaux en anthropologie. Après avoir ouvert ce chemin inspirateur, il se serait tourné, dans son « troisième moment intellectuel », comme le reprend Fassin (2006FASSIN, Didier. 2006. “La biopolitique n’est pas une politique de la vie”. Sociologie et Sociétés, 38(2): 35-48. Disponible sur: Disponible sur: https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016371ar/ Consulté le 31 mai 2021.
https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/...
, 2018FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique. France: Éditions du Seuil.), vers d’autres questions et il a produit d’autres concepts également importants et féconds tels que ceux de la « gouvernementalité » et de la « subjectivation », le temps lui manqua alors pour traiter le « cœur même » de la biopolitique, c´est-à-dire la vie même. Par conséquent, la biopolitique, comme le dit le titre d’un article de Fassin publié en 2006, n’est pas une politique de la vie. La biopolitique, selon la relecture que fait Fassin des œuvres de Foucault sur ce thème, ne correspond pas à ce que l’étymologie du mot suggère.

Lorsqu’il parle de politiques de la vie plutôt que de biopolitique, Fassin (2018FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique. France: Éditions du Seuil., 2020aFASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.ias.edu/sites/default/files/...
, 2020bFASSIN, Didier. 2020b. “L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie”. Disponible sur: Disponible sur: https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm Consulté le 31 mai 2021.
https://www.college-de-france.fr/site/di...
, 2006FASSIN, Didier. 2006. “La biopolitique n’est pas une politique de la vie”. Sociologie et Sociétés, 38(2): 35-48. Disponible sur: Disponible sur: https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016371ar/ Consulté le 31 mai 2021.
https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/...
) propose de rendre toute sa profondeur à la relation entre la politique et la vie, c´est-à-dire de prendre au sérieux le fait qu’il s’agit de politique et pas de gouvernementalité, de vie et pas de population et, d’autre part, de penser cette relation du point de vue de la manière dont les politiques traitent les vies humaines, afin de réintroduire l’expérience ordinaire et sa dimension sociale. En résumé, la biopolitique concerne la forme de gouvernement des êtres humains alors que les politiques de la vie privilégient la substance. Celle-là traite des techniques et des logiques de la gestion des populations alors que celles-ci s’attachent à la différenciation dans le traitement des vies et à leur signification en ce qui concerne leur inégalité de valeur. Les politiques de la vie examinent donc l’évaluation relative des vies et elles critiquent les inégalités d’où celles-ci proviennent. Il y a, de la sorte, selon Fassin (2018), un déplacement du singulier vers le pluriel, de la vie en général aux vies en particulier. Il s’agit également d’un mouvement du normatif à l’empirique, de la valeur en termes idéaux à la valeur dans les faits.

Que valent les vies dans des contextes ou des milieux différents ? Que fait la politique des vies humaines et comment les traite-t-elle ? Voici quelques questions posées par Fassin. Y répondre signifie révéler la tension profonde qui existe entre les éthiques et les politiques de la vie, entre l’affirmation de la valeur de la vie comme bien suprême (biolégitimité) et l’inégalité de la valeur des vies dans le monde réel. Considérer la vie d’après la perspective de l’inégalité propose ainsi une nouvelle intelligibilité du monde social, mais aussi de nouvelles potentialités d’intervenir. C’est ici que le thème de l’inégalité permet de relier les dimensions biologiques et biographiques, matérielles et sociales de la vie, à savoir les approches naturaliste et humaniste. Fassin (2018)FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique. France: Éditions du Seuil. ne propose pas une anthropologie de la vie, dont le projet lui semble impossible, mais une composition anthropologique formée par trois éléments dont la réunion/ensemble fait apparaître, tel un puzzle reconstitué, une image: l´inégalité de la valeur des vies.

En m’inspirant de cette proposition de Fassin, je prends les politiques de la vie comme clé analytique qui permet de conférer une intelligibilité à cet « évènement multiple et inégal », sous la forme vécue par les hommes et les femmes âgées. Cette clé permet de récupérer la dimension biographique de ces vies et, par conséquent, elle fournit des éléments pour trouver de possibles brèches et opportunités de déviation dans ce « contexte croisé d’exceptionnalité et de normalité » (Pelbart, 2020PELBART, Peter Pál. 2020. Espectros da Catástrofe. N-1Edições. Pandemia Crítica, n.134. Disponible sur: Disponible sur: https://www.n-1edicoes.org/textos/129 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.n-1edicoes.org/textos/129...
).

Bernard: «Je suis une personne âgée qui ne s’est pas arrêtée»

Bernard est une personne âgée de 73 ans, au sourire facile et de très bonne humeur. Dans le quartier où il habite à Florianópolis, depuis qu’il a pris sa retraite à 65 ans, il est plus connu sous le nom de « vovô Bernard » [papi Bernard]. Outre ses cinq enfants et ses dix petits-enfants de sang, Bernard a, d’après ses calculs, 32 petits-enfants « adoptifs du quartier ». Ces petits-enfants agitent la maison où il vit seul depuis qu’il s’est séparé de sa femme, il y a 22 ans. Pendant de nombreuses années il a travaillé comme commerçant, ce qui lui a permis de voyager presque partout au Brésil. Après avoir tenu son commerce, il a travaillé puis a pris sa retraite en tant que graphiste, dans l’imprimerie officielle de Santa Catarina. Une fois à la retraite, il relate qu’il a commencé à se sentir vraiment oisif, car il était habitué à travailler, il avait commencé à l’âge de 14 ans. Comme, selon lui, il a toujours eu « une très bonne santé », il a décidé qu’il finirait par « se faire du mal » s’il passait tout son temps à la maison.

L’envie d’aider les autres a motivé son engagement en tant que coordinateur du groupe de personnes âgées du conseil communautaire du quartier. L’expérience lui a tant apporté que, peu après, il est entré dans le conseil de santé et il est devenu leader et soutien de la Pastorale des enfants. Il participe à tant d’activités qu’il est difficile de « coincer » Bernard chez lui, sa vie se résume depuis qu’il a eu 65 ans, « à vraiment aider dans ce qui est à ma portée, hein ? ». Avec les limites de ma santé, les limites de ma capacité intellectuelle. Mais j’essaie de me consacrer réellement à la communauté, il y a plusieurs projets » explique-t-il avec fierté.

Tous les jours, il se réveille de bonne heure et s’allonge l’après-midi pour pouvoir répondre aux demandes de la communauté qui ont beaucoup augmenté, surtout en fonction de la pandémie. Cette augmentation des demandes, j’ai pu la constater pendant notre conversation via appel vidéo sur WhatsApp. Pendant qu’il m’explique le travail qu’il réalise dans le quartier, notre conversation est interrompue par une personne âgée qui arrive en poussant une brouette dans la cour de la maison de Bernard: « Bonjour Antônio ! Ça va ? Antônio, je reçois cette jeune femme, mais si vous voulez, je passe là-bas plus tard. Vous vous en sortez avec la nourriture ? Ça va mal ? Ok. Alors, je vais passer. D’accord, parce que j’ai quelque chose ici, alors je vous en apporte. Ça marche ? Je m’en occupe ». Et à ce sujet, il est bon de mentionner que pendant ma conversation avec Bernard, je lui ai demandé si, étant quelqu´un qui « aime aider les autres », il pouvait lui aussi compter sur certaines personnes qui pourraient l’aider dans ce contexte de pandémie. Il me répond que ses amis lui ont reproché qu’un jour, pendant la pandémie, alors qu’il se sentait mal, il n’avait voulu déranger personne. « Je pense que c’est mon tempérament, va savoir, je ne veux pas déranger les gens ». Mais malgré cela, une dame de la pastorale passe chez Bernard tous les jours pour savoir s’il va bien: « Ah, mais si vous avez besoin de quoi que ce soit, ne faites pas comme l’autre fois ! » Ou encore, il y a les « petits-enfants de la communauté » et les voisins sur qui il sait qu’il peut compter, quand il a besoin d’un « petit coup de main ». « Si d’ici peu j’en ai besoin et si je sens que c’est nécessaire, pas de doute, je vais demander et au moins je sais qu’on s’occupera de moi ».

La pandémie n’a pas vraiment changé la routine de Bernard, car à aucun moment il ne s’est isolé: « Parmi les personnes âgées, d’ici, dans mon quartier en tout cas, je suis peut-être la seule personne âgée qui n’a pas fait d’isolement social comme il faut, hein ? Mon isolement s’est passé dans la rue », argumente-t-il en souriant. « Attention, avec le masque… j’aime m’amuser à dire que ma voiture ne sent plus l’éthanol, elle pue l’éthanol », Il plaisante avant de rajouter: « à chaque entrée et sortie, c’est un bain d’éthanol, mais de toute façon je n’ai pas arrêté. Mais la pandémie a changé la vie de la communauté: « les urgences ont changé » évalue-t-il. Avant la Covid-19, Bernard pouvait faire son travail communautaire « tranquillement », en prenant son temps. « Je ne sais pas si j’arrive à te faire comprendre que ce qui a changé dans ma vie personnelle… c’est juste ça, ce sentiment d’urgence pour réaliser les choses ». Avant les choses étaient plus calmes pour lui et avec la pandémie « tout s’est accéléré », comme il l’explique lui-même: « Pas aujourd’hui, aujourd’hui c’est différent. La personne a des problèmes, on doit courir, le médicament en main, lui apporter, il est en isolement, j’apporte le médicament là-bas, pour que la personne continue sa vie normale, mais je ne peux pas remettre à demain, hein ? » Outre les visites et l’accompagnement de personnes âgées, comme Antônio, d’autres urgences et nécessités ont fait irruption dans le flux quotidien du soin. Avec l’isolement social, Bernard a commencé à recevoir aussi d’autres types « d’urgence » qu’il n’était pas habitué à voir dans le quartier:

Les personnes ont perdu leur emploi du jour au lendemain, les personnes ont perdu leur condition normale de vie, de visiter leurs parents, d’avoir une qualité de vie. Soudainement, tout cela s’est interrompu et c’est comme ça qu’ont commencé à apparaître des urgences, aussi bien dans le domaine de la santé que dans le domaine social, de l’alimentation. C’est le fils qui frappe sa mère, le petit-fils qui agresse sa grand-mère, tu vois ? Alors on m’appelle pour m’occuper de chose pour lesquelles on ne m’appelait pas avant.

Les expériences de Bernard nous confrontent à des paradoxes apparus avec la pandémie, surtout en ce qui concerne l’idée de « groupe à risque », selon laquelle les personnes âgées ont besoin de soins, de tutelles et sont donc plus vulnérables. Bien qu’il soit considéré, par son âge, comme « groupe à risque », Bernard est une personne âgée qui n’a pas arrêté pendant la pandémie. Pour lui, la question du risque n’est pas déterminée par l’âge, mais bien par la « qualité de vie » et par la « qualité de santé » des personnes. « Il peut avoir 30 ans, mais le gars boit, se drogue. Il est un groupe à risque même s´il n’en a pas l’âge, son corps est maltraité, il est abimé. Je ne suis pas, pour moi en tout cas, je ne suis pas groupe à risque, hein ? Je peux faire partie du groupe à risque, mais je ne suis pas groupe à risque ».

Bernard reconnait l’importance d’être considéré comme « groupe à risque », mais selon lui, ce n’est pas tout, la personne âgée a aussi besoin de faire sa part, pas uniquement en prenant soin de soi, mais elle doit aussi « faire quelque chose », « s’accrocher » et avoir « la volonté de vivre » et « d’être heureux »:

C’est une réponse qui est très personnelle, je crois sincèrement que les personnes âgées, en particulier, doivent plus prendre soin d’elles que les plus jeunes. La capacité de récupération d’un corps jeune est beaucoup plus grande que la capacité de récupération et de réponse positive d’une personne plus âgée. La réponse que donne l’organisme, d’après moi, à une invasion qu’elle soit bactérienne ou virale, est différente. Aujourd´hui, j’ai d’autres réponses, j’ai davantage de difficultés, hein ? [...] Mais il ne faut pas non plus rester allongé, passer son temps sur le lit ne résout rien, fais quelque chose, tu vas voir que ça fait la différence (rires).

Parmi les projets que Bernard a menés depuis le début de la pandémie, il y a la fabrication et la distribution de masques. En tant que conseiller de santé, Bernard a vu qu’il jouait un rôle important dans la prise de conscience et pour encourager l’usage du masque dans la communauté. « Alors je me suis joint à quelques femmes, qui avaient une machine à coudre chez elles, et par le biais d’un atelier, j’ai commencé à obtenir du tissu. C’est grâce à ça que les femmes ont produit des masques et j’ai commencé à les distribuer dans notre groupe dans un premier temps, j’allais de maison en maison remettre les masques pour que la famille l’utilise ». Selon Bernard, le projet, bien que modeste, a fonctionné car il restait au « portail à parler avec les gens ». En apportant le masque aux personnes, Bernard avait aussi l’opportunité de sensibiliser la personne âgée à la nécessité de se laver les mains et d’encourager le reste de la famille à avoir une « hygiénisation différente par rapport à avant ». « Alors je suis passé par tout ça pendant que j’donnais les masques », explique Bernard.

Cependant, ces mêmes soins qu’il s’efforce d’enseigner/transmettre aux personnes âgées de la communauté font l’objet de stratégies et de flexibilisation durant ses routines de soins pour lui-même. Si, au début de la pandémie, il se considérait « plus pointilleux », « nettoyant tout », quand nous nous sommes parlé en novembre 2020, il reconnaissait déjà qu’il s’était « relaxé » et, à la différence de ce qu’il conseille quand il visite les personnes âgées, il a développé quelques « petites astuces » pour déjouer une éventuelle contamination de ce virus qui, selon ses mots, « a plus l’air d’une bactérie »:

J’arrive du supermarché, au lieu de toucher chaque brique de lait et de passer la main dessus, je regarde bien au moment d’acheter, je regarde bien celle qui est le plus au fond. Bon, au moins comme ça au fond il n’y en a qu’un qui l’a touchée, parce qu’il a pris le carton et il les a enlevées du carton et les a mises là. Donc je ne prends pas celles de devant, parce que celles de devant le gars a ouvert un pack, il en prend une « non, je ne vais pas prendre celle-là » et il la laisse là, hein ? Alors la possibilité de contamination est dans celles de devant, dans les produits qui sont derrière, il y a moins de chances, parce qu’en principe un seul, deux au maximum, ont touché ce produit. Alors, quand j’ai commencé à me rendre compte qu’il existe des trucs qu’on peut utiliser [...]. Au moment d’acheter, j’ai déjà résolu une partie du problème qu’est la possibilité de contamination, je limite déjà ça. Et là, quand j’arrive à la maison, là je redonne juste un petit coup.

Ce changement de posture de Bernard, au sujet des soins à prendre pour éviter la contamination, ces « petites astuces », c’est le résultat des « expériences qu’il a accumulées au long de la pandémie ». Et justement, le fait d’être plus âgé contribue à cette somme d’expériences qui lui permettent de faire certains choix en toute tranquillité face à des situations de « bifurcation ».

Anna: «Je me suis remise à jour dans la vie»

Anna est une personne âgée de 73 ans qui a travaillé toute sa vie comme aide-soignante, plus particulièrement comme visiteuse de santé. Jusqu´à l’âge de 50 ans, âge de sa retraite, elle sortait visiter les communautés, elle apportait des vaccins et une orientation à la population. Outre cette profession, elle intervenait également comme institutrice en maternelle. Selon elle, sa vie a été « très bénie », car elle a toujours pu aider beaucoup de personnes, travaillant dans le secteur des maladies contagieuses, la pneumologie, avec des patients qui avaient la tuberculose. Ensuite, avec le Sida, elle était chargée de faire le test tuberculinique aux personnes qui avaient le VIH pour vérifier si elles avaient été en contact avec la tuberculose. Même quand l’âge de la retraite est arrivé, elle ne s’est jamais arrêtée: elle intervenait comme bénévole dans une ONG dans une favela de Florianópolis qui accompagnait des enfants en dehors de l’horaire scolaire, elle s’est engagée dans le groupe d’accueil de l’église catholique et elle a découvert sa passion pour l’artisanat. Elle a trois enfants, huit petits-enfants et elle vit avec son compagnon à l’une des plages de Florianópolis. S’il était possible de dire qui est Anna en quelques mots, elle est perspicace: « j’aime la vie, j’adore vivre, je suis super heureuse ».

Anna fait partie de plusieurs groupes de personnes âgées et, depuis quatre ans, elle est la coordinatrice engagée et très active d’un de ces groupes: « je fais un travail là-bas, toute modestie mise à part, merveilleux… que tout le monde aime. Alors c’est comme ça, je fais de tout, j’aide les personnes ». Il s'agit d’un groupe de convivialité qui existe depuis 26 ans, constitué de 65 femmes et de quatre hommes, toutes et tous de plus de 60 ans. En lien avec le Programme Feliz Idade [l’âge heureux], du secrétariat d’assistance sociale de la mairie de Florianópolis, le groupe réunit des personnes de différentes classes sociales qui, avant la pandémie, se réunissaient pour faire des activités, des voyages et des promenades et fabriquer des produits artisanaux.

Du fait de la pandémie, le groupe a maintenu ses activités exclusivement via WhatsApp. Dans l’application, le groupe a été créé en juillet 2017 et il est composé de 35 participants, dont 34 femmes et seulement un homme. Bien qu’il compte cinq administratrices, Anna est la plus active: elle lance des défis (elle poste des jeux et des activités pour la mémoire), elle encourage les participantes à poster des photos et des vidéos de l’artisanat produit pendant la pandémie, elle poste l’évangile quotidiennement et des messages religieux liés à l’église catholique, elle stimule les réflexions, repasse les messages envoyés par la coordinatrice du programme Feliz Idade de la mairie, etc. Elle est aussi intervenue comme leader d’opinion à propos des messages concernant le coronavirus, à propos de soins, de prévention et, plus récemment, sur la vaccination.

Et maintenant, durant la pandémie, le jour où on a ouvert le groupe, c’était le 12 mars, et depuis on a plus arrêté, mais qu’est-ce que j’ai fait ? J’interagis avec elles en ligne. Je mettais beaucoup de messages optimistes pour elles, pour qu’elles ne deviennent pas dépressives, chez elles, alors je mettais les bals, les endroits où on est allés se promener. Ensuite j’ai commencé à interagir d’une autre façon: la fête des mères approchait, alors j’ai commencé à travailler avec elles en ligne en leur demandant: mettez des photos de vous et de vos enfants, alors là elles les mettaient heureuses comme tout. Alors je faisais une vidéo pour elle, elles adoraient. Alors j’ai commencé à interagir comme si j’étais la coordinatrice du programme Feliz Idade: Les filles, mettez ce que vous êtes en train de faire, allez !

La pandémie, au lieu de la démobiliser, a fait surgir une « autre Anna »: « Je me suis remise à jour dans la vie », résume-t-elle en souriant. Sa passion pour l’artisanat s’est renforcée pendant cette période d’isolement. « C’est quelque chose qui ne m’a pas laissé tomber dans la dépression, parce que sinon je crois que je serais déprimée, dans la maison tout le temps, pour quelqu’un qui n’était pas habituée, c’est compliqué, hein ? ». Avant la pandémie, c’était difficile de trouver Anna chez elle ; d’après les mots de son compagnon déjà habitué au rythme de son épouse: « elle est toujours dans la rue ». Et sa réponse au fait de ne jamais être à la maison est toujours prête, sur le bout de la langue: « Tu sais, tant que j’aurai des jambes, laisse-moi sortir, laisse-moi marcher, parce qu’un beau jour je vais tomber malade et je ne pourrai plus sortir et je dois profiter de ce que j’ai en moi ». Avec l’arrivée de la covid-19, elle dit qu’elle s’est retrouvée comme un « petit oiseau dans une cage », mais un « petit oiseau heureux ». Pendant cette période, elle a compté elle aussi sur le soutien de ses amies, plus jeunes qu’elle, et de ses voisins qui lui apportaient, d’une part, des choses à manger et, d’autre part, leur soutien: « Un voisin m’apportait mon pain, ils achetaient mon fromage, j’ai reçu beaucoup de soutien de mes amies, tu sais, elles ont été merveilleuses… Jusqu’aujourd’hui, elles passent tous les jours en fin d’après-midi: des amours ! Tu as besoin de quelque chose ? Elles sont toujours là pour moi ».

Quant aux projets que la pandémie l’a empêchée de réaliser, elle pondère que « chaque chose en son temps » et ce temps a représenté pour elle « une croissance ». Comme elle a travaillé de nombreuses années avec les maladies infecto-contagieuses, elle connaît bien le danger que la Covid-19 représente pour la population. Dès le début de la pandémie, elle a reçu cette nouvelle avec beaucoup de préoccupation et de peur. La peur d’une possible contamination, la peur de devoir rester longtemps « enfermée à la maison »: « Je pensais, mon dieu, je pourrais être à la plage, mes enfants me visiteraient ici, parce que j’habite dans un endroit très beau, un grand terrain, et là, je me suis isolée de tout, je ne voyais plus personne ». Toutefois, elle a trouvé dans l’artisanat la source de sa « remise à jour » et de sa réalisation personnelle. Si auparavant elle ne savait « presque rien » faire, aujourd´hui elle fait tout type de tâches: « je déjeune et aussitôt je viens et je prends mes affaires. En créant, en remodelant, vois ce qui va sortir d’ici, de ma broderie, les couleurs que je vais utiliser ». Et avec l’artisanat, vint aussi l’apprentissage pour utiliser les technologies. « Je ne suis vraiment pas bonne en technologie. Maintenant je le suis devenue, non ? Avant c’était toujours la nourriture de tous les jours, maintenant, j’en sais un peu plus. [...] J’ai un ordinateur et mon ordinateur est tombé en panne, alors ma fille m’a donné un ordinateur de bureau, joli, alors j’y vais et j’ouvre YouTube, aujourd´hui je veux faire un petit travail sur CD, je veux faire un petit boitier à lunettes… Voilà, c’est ce que je suis en train de faire de ma vie ».

Cet usage des technologies a donc aidé pour la production d’artisanat, par ailleurs, elle a aussi découvert d’autres possibilités d’interaction (voir des lives d’artistes et produire elle-même ses lives), qui lui donnent de l’inspiration pour proposer de nouvelles activités dans le groupe dont elle est la coordinatrice. En plus d’inspirer les personnes âgées du groupe à s’approprier des technologies pour apprendre de nouvelles choses, elle cherche aussi à les motiver pour continuer à produire leurs travaux pendant l’isolement.

Alors elles ont commencé à participer aux activités que je mettais là-bas, je vibrais parce que j’ai vu qu’elles étaient intéressées par ça, donc tout ce que je poste, c’est pour elles. La première chose que je poste, c’est ce que l’église m’envoie, l’évangile. Je dis bonjour, on va faire une belle journée, on va continuer de prendre soin de soi, toujours un message comme ça pour elles, hein ? Ne désespérez pas, tout ça va vite passer.

Tout en étant isolée depuis sept mois, sans sortir du tout, elle dit qu’elle a affronté cette période avec « résignation » et en même temps elle a trouvé l’inspiration pour se « redécouvrir ». Et sur le fait d´être considérée « groupe à risque », Anna dit qu’elle est d’accord et que c’est pour cela qu’elle et les autres personnes âgées se « protègent vraiment ». Pourtant, bien qu’elle ait reconnu cela, elle évalue par ailleurs que « cette maladie » met toute la population dans une situation de risque, sans distinction d’âge.

Même si pour les vieux comme ça, dans mon cas, les personnes plus âgées, qui sinon, l’immunité diminue avec le temps, on voit qu’on fatigue plus, tout est plus difficile, mais on observe que des jeunes s’en vont, que des vieux s’en vont, maintenant le président des États-Unis, lui et sa femme, ils sont déjà dans le même bateau, pas vrai ? Quand tu crois que c’est fini, ce n’est pas fin.

Sa longue expérience de vaccinatrice fait d’Anna une promotrice de la vaccination contre la Covid-19. Dans le groupe de WhatsApp, ses messages sont fréquents dans le but d’orienter et d’informer les personnes âgées quant aux dates de vaccination - selon la tranche d’âge - l’importance de recevoir la seconde dose dans le délai indiqué et, surtout, de souligner l’importance du vaccin pour contenir la pandémie. « Toute ma vie j’ai travaillé avec les vaccins, alors il faut donner l’exemple ». À l’époque où je travaillais « je vaccinais tout le monde » contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l’hépatite. Anna a travaillé dans le combat contre plusieurs maladies, elle a connu beaucoup d’expériences, mais aucune maladie ne lui a fait aussi peur que celle causée par le coronavirus. Selon elle, ce virus est très agressif et les possibilités de contamination provoquent une grande panique:

On est passé par tout ça et aujourd´hui il y a une pandémie où simplement en se serrant la main on se contamine. [...] Si j’ai travaillé avec tant de maladies infecto-contagieuses, la lèpre, tout, et ce truc-là arrive comme un désespéré pour, hein, nous enfermer dans nos maisons, provoquer de la panique. [...] je crois qu’il est venu de manière plus agressive. Parce que comme ça, je travaillais en pneumologie et en physiologie, les personnes tuberculeuses arrivaient près de moi, alors la salive, le bacille heurtait à coup sûr mon visage et je n’ai pas eu la tuberculose. Toutes ces maladies, je n’ai pas apporté de maladie à mes enfants et aujourd´hui, tu ne peux pas même pas approcher les personnes. C’est parce que c’est un virus vraiment bien agressif, hein ? [...] je n’utilisais pas de masque, rien, je me lavais plus ou moins les mains et je l’ai eu, en vitesse. Je n’utilisais rien, c’était avec les moyens du bord. [...] Et maintenant ça, tu restes là, impuissante, sans savoir quoi faire, en plus de toutes les précautions à prendre, hein ?

Outre l’artisanat et la participation et coordination de groupe de personnes âgées, pendant la pandémie, Anna a aussi commencé un travail de recherche sur les « pandémies qui ont déjà eu lieu dans le monde ». Ce travail qui, selon elle, n’est pas encore terminé, a pour but, d’une part, de lui fournir un panorama historique pour penser la Covid-19 et, de l’autre, de lui permettre de comparer son expérience de pandémie avec celle vécue par des générations antérieures à la sienne. « J’ai pris un cahier et j’ai tout copié, l’année où ça a eu lieu, le type de maladie, combien de personnes atteintes, combien sont mortes, combien ont survécu et alors j’ai catalogué tout cela. Maintenant je veux faire de la recherche, ma grand-mère, par quelles pandémies ma grand-mère, qui est décédée, est-elle passée. Mes parents, tu comprends ? Pour que j’arrive ensuite à une conclusion ». Anna est encore en train de tirer ses conclusions, mais elle arrive déjà à percevoir, par exemple, que la technologie de notre époque fait ou devrait faire la différence par rapport aux pandémies antérieures: « Pas celle-ci, elle a déjà la technologie avancée, alors beaucoup de morts auraient pu être évitées et ne l’ont pas été, malgré toute cette technologie ».

Fermina: «je suis une personne comme ça, très attachée… à la wifi»

En août 2019, à la suite d’un AVC, Fermina, 83 ans, a renoncé à la vie qu’elle menait dans sa maison à Pelotas, dans l’état du Rio Grande do Sul, pour aller vivre dans une résidence pour personnes âgées à Florianópolis. Elle s’est « dévêtue de tout » ce qu’elle possédait. Elle n’a emporté que peu de choses et depuis elle endosse entièrement la phrase du poète Mário Quintana: « j’habite en moi-même ». « La chambre est petite, mais c’est plutôt bien parce que comme ça j’ai moins d’espace pour perdre mes affaires ». Fermina a trois enfants et sept petits-enfants, elle a travaillé pendant 30 ans comme enseignante de langue portugaise. Elle a été élevée par son père qui disait qu’elle serait enseignante et c’est pour cela, explique-t-elle, qu’elle a beaucoup valorisé l’intellect: « Je n’en suis pas moins une personne extrêmement sensible et très affective, mais la chose intellectuelle m’attire. Ce n’est pas que je ne valorise pas le reste, mais cela m’a été passé par mon père, je suis une personne très liée aux choses intellectuelles ».

Elle n’avait jamais planifié de sortir de Pelotas, la ville qui est, dit-elle, sa « terre » ; même lorsqu’elle voyageait ailleurs, c’est toujours là qu’elle revenait. Avant son AVC, qui fut déterminant pour sa décision d’abandonner la vie dans sa ville, elle avait quelques problèmes de santé, une bronchite, un problème osseux et une « double déficience importante » des yeux et de l’ouïe, mais rien qui ne « la perturbe ». Même si elle n’a pas eu de séquelles, elle évalua à l’époque qu’elle n’aurait pas les moyens pour continuer de payer ses employées de maison et aides-soignantes dont elle aurait besoin pour assurer sa routine de soins et que cela finirait par « l’incommoder énormément ». La décision de déménager vers une résidence pour personnes âgées, dont sa belle-fille est propriétaire, a été motivée également par son désir d’une « vieillesse tranquille », « sans avoir à se préoccuper de rien ». Ses amies et sa fille étaient contre, elles disaient « qu’elle était folle » et elles demandaient ce qu’elle prétendait faire si cela ne lui plaisait pas: « Je rentre. [...] Je viens dans un centre de gériatrie d’ici », se rappelle-t-elle.

Fermina dit avoir fait un « pacte avec Jésus » selon lequel, s’il décidait qu’elle avait besoin d’un fauteuil roulant, elle « accepterait sans problème » ; en revanche, qu’il « lui laisse toute sa tête ». « Je voudrais avoir toute ma tête toujours. Et voilà qu’il tient sa promesse ! Mais je n’ai pas encore eu besoin du fauteuil roulant ». Elle se considère privilégiée d’être encore « lucide » même à 83 ans, après tout, ils ne sont pas nombreux au foyer de personnes âgées à avoir cette même condition. « Ici, les personnes qui sont en fauteuil roulant, mais qui ont encore toute leur tête, qui raisonnent logiquement, sont une minorité. Perdre sa lucidité c’est tout perdre » argumente-t-elle. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, « la journée est courte » pour toutes les activités auxquelles Fermina participe. Selon ses mots, elle est très agitée, bavarde et elle aime la convivialité: « j’adore les personnes, hein ! Je suis psychologue aussi ». Elle écrit des poésies, elle suit un cours de sonnets, participe aux réunions de son groupe de Rotary et du groupe de trovas et aussi, avant que la pandémie ne commence, elle s’était inscrite à un cours du NETI/UFSC8 8 Centre d’études du troisième âge - Universidade Federal de Santa Catarina. de contes: « J’allais commencer le 12 ou le 14. La bombe a explosé et alors je me suis dit: ça ne va pas être possible, je vais en rester là. Et c’est là que je me trouve ». Beaucoup d’activités dans lesquelles elle est engagée et qui continuent malgré la pandémie sont en ligne. Fermina dit qu’elle est « très attachée à la wifi » et qu’elle est « totalement connectée »: « La technologie c’est mon affaire, je tâche de tout apprendre. Et autre chose, je vis avec ça [tablette] à la main ». La nuit, elle joue sur internet avec sa sœur et son beau-frère qui habitent à Miami, un jeu appelé rummikubb, selon elle, « très intéressant »: « Tu ne le connais pas ? » me demande-t-elle sur un ton d’évidence et en m’expliquant tous les détails de son fonctionnement.

Dès le début de notre conversation, elle s’empresse de me dire qu’elle se sent très bien, même du point de vue de la santé, à l’exception de la Covid-19 qu’elle avait contractée quelques mois auparavant, mais elle avait déjà « pleinement récupéré ». À la résidence de personnes âgées où elle vit, elle n’a pas été la seule: huit personnes âgées de 90 à 96 ans ont eu la Covid-19. Tous, selon elle, ont guéri. Jusque-là, Fermina avait toujours cru que le « virus » n’arriverait pas jusqu´à la résidence et elle le disait à tout le monde: « cet endroit est beau, il est loin de tout, des arbres partout autour de nous ». Et même s’il arrivait, selon elle, ils étaient tous très préparés pour « quoi qu’il advienne »:

Alors, qu’est-ce que je disais ? On ne s’en est pas du tout sorti. Les visites, faut les programmer et personne n’entre. Nous les recevons sur la terrasse, nous sommes protégés et les personnes restent du côté extérieur, dans le jardin. Mes petits-enfants, quand ils viennent, car j’ai une famille ici, j’ai un fils, une belle-fille et quatre petits-enfants. Eux aussi restent du côté extérieur et ils ne peuvent pas s’approcher, ils ne pouvaient vraiment pas, hein ?

Quand les nouvelles de l’apparition d’un nouveau virus en Chine ont commencé à circuler, Fermina n’aurait jamais pu imaginer combien la pandémie allait affecter le Brésil. Avec les rumeurs, elle s’est immédiatement souvenue qu’elle avait grandi en entendant sa mère parler de la grippe espagnole. À cette époque-là, Fermina se rappelle que sa mère parlait avec tant d’emphase de la grippe qu’on n’imaginait pas qu’elle avait à peine 12 ans à l’époque. « Mais ça a dû être atroce, parce qu’elle disait que les car-ro-ções [grands chariots] (en séparant et en insistant sur chaque syllabe) passaient, ils ramassaient les corps et les jetaient à l’intérieur ». Mais Fermina révèle qu’il ne lui serait jamais passé par la tête qu’elle puisse vivre une expérience semblable à celle de sa mère, car aujourd´hui, contrairement à cette époque-là, on a davantage de moyens et de technologie.

Depuis que la pandémie s’est installée dans le pays, elle estime que la « covid est devenue une cause ». Les personnes ont été si « effrayées », reflète-t-elle, qu’elles ont négligé leurs traitements en cours. C’est justement parce que la Covid-19 est devenue une « cause » que beaucoup de morts, résultant d’autres causes liées ou non à la Covid-19, ont été comptabilisées comme des morts dues au coronavirus. « Qu’en penses-tu ?’ Pourquoi personne ne meurt plus de cancer ? Et une femme qui criait, « mais il est cardiaque », « il a fait un infarctus » ! Non. Covid ».

Le gouvernement a établi, d’une manière générale, un état de pa-nique ! Tout le monde en train de mourir de peur, et les gens au lieu de se traiter, fuyaient le traitement. Je suis quelqu’un qui, je me sens victime de cette situation, parce que je dépends des autres. Maintenant on m’a pris un rendez-vous, mais j’ai eu un cancer des deux seins et j’ai senti la douleur. Je demandais et je demandais qu’ils prennent rendez-vous mais, bien sûr, plutôt que d’avoir la covid, pour l’amour de dieu, on ne va pas sortir. C’est ainsi que des milliers de personnes sont en train de mourir parce qu’elles ne vont pas chercher leur traitement. Je ne parle pas de la covid, mais d’autres choses.

Le virus qui ne semblait pas pouvoir arriver jusqu’où habite Fermina, s’est infiltré dans la résidence par le biais d’une des soignantes (qui était asymptomatique) dès le début de la pandémie. Par une malheureuse coïncidence, cette soignante a accompagné Fermina faire sa toilette un jour avant de tomber malade. Aujourd´hui, en revoyant comment tout est arrivé en mars 2020, Fermina est convaincue qu’à la résidence, « ils ont caché tout ce qu’ils ont pu » pour ne pas la préoccuper. « C’est plus tard que j’ai commencé à rassembler les pièces du puzzle. Quand je suis sortie de table la veille, je suis passée à côté d’un homme, de 94 ans, il était rouge comme une écrevisse. ‘Et lui, il n’est pas comme ça… il doit avoir de la fièvre’. Quand j’ai commencé à me douter, j’ai demandé: ‘et José ?’ ‘Ah non, ce n’était rien. C’est une pneumonie’. ‘Ah, alors ça va’. » Mais ce n’était pas une pneumonie, insiste Fermina. À partir de ce jour-là, elle aussi a commencé à avoir des symptômes comme une toux sèche, une douleur horrible dans le corps, une douleur dans la cage thoracique et des maux de tête. Mais comme mode de « défense inconscient », à chaque nouveau symptôme, elle attribuait (et elle essayait de se convaincre et d’y croire) une cause autre que celle de la Covid-19.

Mais voilà, au bout d’un certain moment, en fonction de tous les protocoles que l’on a commencé à adopter dans la résidence, Fermina est devenue de plus en plus méfiante: « On continue de nier, hein ? » Ils ont fait le test et huit personnes âgées avaient contracté le virus:

[...] quand ils ont fait le test, j’étais pratiquement sure. Le médecin de la résidence est venu ici et il a dit: « non, on va commencer avec de l’azithromycine et du zinc ». Alors moi… je me suis mise sur mes gardes. J’ai pu parler à mon fils: « et l’hydroxychloroquine ? » mais mon fils est de l’autre bord, on ne pouvait pas donner, même au médecin, le remède de Bolsonaro.

De cette période où elle a été malade, pendant environ 20 jours, Fermina se rappelle très peu de choses. Peut-être qu’elle a « bloqué » tout ce qui s’est passé, mais s’il y a une chose dont elle paraissait sure, c’est qu’elle n’a pas eu peur, elle n’a pas pensé qu’elle allait mourir. « Mais mon fils a dit: « Maman, tu es guérie parce que tu aimes beaucoup vivre ». « Et c´est bien vrai. J’aime vivre. Alors… c’est facile, on… met la maladie de côté et on avance, hein ? Tant que c’est possible. Le moment va arriver où ce ne sera plus le cas. Moi, je dis que quand je m’en irai, ce sera comme ça, j’ai une attaque et paf ! C’est fini ! », explique-t-elle en souriant, puis elle complète: « C’est parce que je demande à Dieu, ne me laisse pas souffrir, hein ?

L’expérience de Fermina et des autres femmes et hommes âgés qui ont eu la Covid-19 à la résidence met en tension certains paramètres qui orientent la notion de risque pendant la pandémie. Fermina dit qu’il y a « des choses très étranges » dans ce virus, à commencer par le fait que la personne âgée, de 83 ans, qui s’assoie à côté d’elle tous les jours aux heures de repas, n’a pas été contaminée ; ensuite, il y a aussi le fait que toutes les personnes âgées contaminées là-bas ont contracté le virus et développé une forme « légère » de la maladie, malgré leur âge avancé. « Comment peut-on comprendre un truc pareil ? Et autre chose, des personnes de 16, 20, 30 ans… ah, ça tue n’importe qui: Eh oui. Cependant, ici, personne n’avait moins de 70 ans. La plus jeune de nous tous avait 75 ans. Le traitement s’est fait ici. Celle qui a été hospitalisée, c’est à cause de son cœur ». Pour elle, la notion de risque passe par d’autres questions, qui vont outre son âge biologique. « Autour de la maladie », elle insiste bien sur ce point, « il y a beaucoup de politique » et « beaucoup d´intérêts en jeu »:

[Le risque] n’est pas le même pour tout le monde, en effet, parce que ce n’est pas tout le monde qui se prépare, ce n’est pas tout le monde qui fait de la prévention. De plus, de vous à moi, ici, notre alimentation est à base de lait, de fruits, de légumes, une alimentation extrêmement saine. En revanche, va dans la favela de Rio, ou d’ici à Florianópolis, qui mange des fruits au petit déjeuner ? Ces personnes, je n’ai aucune preuve, mais elles ont probablement été très touchées. Mais ces personnes qui souffrent de malnutrition, hein ? Anémiques, ce sont elles, réellement, le groupe à risque, ce sont les misérables. Cependant, des vieux comme nous ici, bien accompagnés, avec une prévention incroyable, qui ne sommes pas exposés, la seule qui l’a eu, ce fut de deux employées, si elles ne l’avaient pas contracté, on allait en ressortir sans rien. Et autre chose, tu vois quel groupe à risque, ah oui ?! Je suis groupe à risque, 83 ans, guérie, Dieu merci. Mais il y a des gens plus âgés encore, de 95, 96 ans, gué-ris !

Quand nous parlons des effets « psychologiques » de l’isolement social, tels que la dépression et l’augmentation de l’anxiété, Fermina observe que dans une résidence de personnes âgées il n’y a pas beaucoup de différence entre avant et pendant l’isolement social en fonction de la pandémie. « Voilà ce qui arrive: pour nous ici, la vie est toujours comme ça ». Les activités et leurs horaires respectifs sont déjà préétablis: l’heure de manger, de dormir, de se doucher, etc. Cette routine, même avant la pandémie, ne changeait que pour les dates spéciales ou en fonction des visites de la famille. Alors, Fermina savait déjà « occuper » sa vie d’autres façons: « Ah, j’ai beaucoup de prix, j’ai gagné beaucoup de trophées dans la vie. J’ai des livres publiés, j’ai trois livres électroniques, il y a le poème libre, les sonnets, les trovas». Et malgré la pandémie, elle a ses projets, l’un d’eux est la commémoration de son anniversaire de 85 ans, auprès de son frère à Brasília:

Ah, mes 85 ans, j’ai tout organisé. Mon frère va avoir d’ici peu, le 2, 79 ans. Alors, je lui ai dit: « tu sais, on va s’organiser comme ça, j’ai eu 80 ans, j’ai fait une fête énorme, j’ai invité plein de monde. Maintenant, pour mes 85 ans, toi tu fais la fête. On fait la fête à Brasilia. Il me regardait sans bouger, « mais quel enthousiasme » ! « Eh oui. Et ce n’est pas une bonne idée ?! [...] Alors j’ai déjà prévenu les gens, je vais fêter ça à Brasília. Ah, mais est-ce que je serai encore là ? Et pourquoi pas ?! » [...] cependant, si on n’arrête pas d’y penser, « bah, je vais mourir ! » Je sens qu’on m’a volé une année, je le sens. C’est bien réel, c’est du concret, c’est une donnée de la réalité. Mais là, « ah, être au désespoir », non. Je vais la récupérer, hein ?

Les sens de la pandémie: entre agencements et réseaux d’interdépendance

Le choix de ces trois cas a été motivé par un ensemble de questions qui permettent non seulement de réfléchir et d’analyser les expériences de personnes âgées pendant la pandémie, mais surtout parce qu’elles fournissent des éléments pour penser à d’autres politiques de la vie, qui n’aient pas la biolégitimité comme principale balise. La première et la plus générale de ces politiques est liée à l’idée selon laquelle, bien que la pandémie soit un évènement vécu à l’échelle mondiale, comme l’ont déjà signalé Segata, Schuch, Victora et Damo (2021SEGATA, Jean; SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; DAMO, Arlei. 2021. “A Covid-19 e suas múltiplas pandemias”. Horizontes Antropológicos, 59: 7-25. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTg...
), cela ne justifie pas que l’on insiste sur son apparente homogénéité. Compte tenu de cette constatation, il est nécessaire de considérer les différentes façons dont les personnes âgées expérimentent cet évènement, en particulier les sens que ces sujets attribuent à la pandémie. Si, d’une part, on parle tant de ce contexte pandémique comme étant associé à la tristesse, la solitude, le deuil et la perte/vol d’un temps de vie, le matériel ethnographique permet de visibiliser d’autres sens tels que la réflexivité, la réinvention, l’adaptation, la résignation et l’apprentissage. Autrement dit, ces sens révèlent une productivité du contexte pandémique qui émerge du besoin de faire face à une autre temporalité (différente de celle à laquelle les personnes âgées étaient habituées) et, par conséquent, à d’autres façons de se positionner face à la vie. Si cet évènement critique est expérimenté de façons différentes et inégales, comme je prétends le montrer à partir des trois cas sélectionnés, c’est parce qu’il y a justement différents modes de compréhension et d’expérimentation de la vieillesse, outre les marqueurs d’âge et biomédicaux, à prendre en compte. Impossible de parler de « vieillesse au singulier », rappelle Goldemberg (2020GOLDEMBERG, Miriam. 2020. Entrevista. Disponible sur: Disponible sur: https://apublica.org/2020/06/mirian-goldenberg-lutar-contra-a-velhofobia-e-lutar-pela-nossa-propria-velhice/ Consulté le 31 mai 2021.
https://apublica.org/2020/06/mirian-gold...
), étant donné que cette condition est construite de façon relationnelle et qu´elle dépend d’une série de critères financiers, éducationnels, etc. Sur un plan plus général et qui précède la pandémie, la recherche permet de réaffirmer l’hétérogénéité de la catégorie personne âgée. En ce sens, le fait que l’analyse soit centrée sur des personnes âgées de plus de 60 ans, donc sur « des vieux plus vieux », pourrait être problématisé dans d’autres études, comme l’a déjà proposé Alda Brito da Motta (2010)BRITTO DA MOTTA, Alda. 2010. A atualidade do conceito de gerações na pesquisa sobre o envelhecimento. Sociedade e Estado, v. 25: 225, 250. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/se/a/hfzk9pNbRc69T3JRqbGsVjn/?lang=pt Consulté le 31 mai 2021.
https://www.scielo.br/j/se/a/hfzk9pNbRc6...
. Soulignons également que les différences entre les expériences de Fermina, Bernard et Anna, en termes de classe, de genre, de formation et de conditions de vie (on rappelle qu’Anna vit dans une institution de long séjour pour personnes âgées - ILPI) produisent des spécificités et des nuances dans l’articulation entre le soin, les relations d’interdépendance et le vieillissement.

Un premier point pour penser d’autre politiques de la vie résiderait dans la « pratique d’aider les autres », qui alimente tout un réseau d’interdépendance et de circulation d’informations sur la pandémie. Aussi bien Bernard qu’Anna, malgré le fait qu’ils se trouvent dans une condition sociale différente de celle de beaucoup de membres des groupes qu’ils coordonnent, assument une position/place (qui oscille entre « interne » et « externe » à la communauté) qui leur permet de mesurer les difficultés, les demandes et les désirs d’autres personnes âgées. Anna assume sa place de médiatrice auprès des organes publics, surtout avec la mairie, et elle apprend les façons d’interagir, de motiver d’autres personnes âgées, en s’inspirant de la performance de la coordinatrice du programme Feliz Idade. En faisant cela, d’un côté elle perçoit l’efficacité de cette performance, de l’autre, elle fait parvenir aux femmes âgées du groupe des informations « officielles » qui, sans sa médiation, ne parviendraient peut-être pas à la communauté. Quant à Bernard, bien qu’il dise que la pandémie n’a en rien affecté sa vie, surtout en termes de routines et d’activités qu’il accomplit, il est assez sensible pour s’apercevoir que les urgences ont changé, alors le temps de ces aides n’est plus le même et, par conséquent, il se met à répondre à d’autres types de demandes. Autrement dit, il n’arrête pas, pour que justement la vie des autres puisse continuer. Pour que d’autres personnes de la communauté puissent faire leur isolement, il sort de chez lui tous les jours et il apprend des « trucs » qui lui permettent de continuer d’alimenter ce réseau d’interdépendance. De même qu’Anna, Bernard coordonne aussi un groupe de personnes âgées lié au programme Feliz Idade de la mairie, cependant, bien que le groupe qu’il coordonne fonctionne via WhatsApp, il ne respecte pas l’isolement et il ne se présente pas comme un « porte-parole » des actions de la mairie. Dans son cas, le réseau tissé, bien qu’apparemment centré sur sa personne, est configuré de manière plus diffuse, car il fait intervenir lui-même d’autres personnes de la communauté pour rendre compte des demandes et des projets qu’il a idéalisés.

Ce que ces deux expériences d’aide mettent en évidence, c’est le fait que « la grammaire du care9 9 Dans ce travail, on emploie le care dans sa version politique, comme le suggère Joan Tronto et il désigne un type spécifique d’activité « that includes everything we do to maintain, continue, and repair our world so that we may live in it as well as possible ». Le care nous parle de « meeting needs » et est par conséquent toujours relationnel (Tronto, 2015). Le contexte pandémique renforce et rend encore plus évident ce qui avait été dit par Tronto, à savoir que nous sommes tous bénéficiaires du care. « L’idée de vulnérabilité et d’hétéronomie prend alors un autre sens: si tous sont vulnérables à un moment ou à un autre de leur vie, l’autonomie est relative parce qu’elle a comme contrepartie la dépendance par rapport aux travailleurs et surtout travailleuses qui rendent cette autonomie possible ». (Hirata, Molinier, 2012: 9). s’est remarquablement imposée » pendant la pandémie: « nous sommes tous dépendants des autres, que ce soit pour des besoins vitaux, à la vie à la mort, ou pour des besoins plus ordinaires » (Blanc, Laugier, Molinier, 2020BLANC, Nathalie ; LAUGIER, Sandra ; MOLINIER, Pascale. 2020. “O preço do invisível: as mulheres na pandemia”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na Pandemia: 1-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-88 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.reflexpandemia.org/texto-88...
: 2). Bernard, qui a aidé tout le monde, sait bien qu’il peut compter sur ses voisins, sur les parents des « petits-enfants » de la communauté et sur les enfants eux-mêmes qui animent la maison où il vit seul. Anna peut également, au cours de la pandémie, compter sur ses voisins et ses amies les plus jeunes qui peuvent sortir de chez elles. Et ces réseaux d’interdépendance qui sont tissés peu à peu, dont ces personnes âgées sont d’importants agents, mais pas les seuls, sont alimentés par des dynamiques très particulières de circulation de dons. À partir d’un dialogue avec Bessin (2016BESSIN, Marc. 2016. “Política da Presença: as questões temporais e sexuadas do cuidado”. In: Alice Abreu et al. (orgs.), Gênero e trabalho no Brasil e França: perspectivas interseccionais. São Paulo: Boitempo: 235-245.), il serait possible de penser que le paradigme du don qui anime ces réseaux est sous-jacent aux implications du soin et, par conséquent, la réciprocité de tels dons peut être différée comme cela arrive dans les relations intergénérationnelles. Autrement dit, ces aides, cette façon de prendre soin et de s’occuper de l’autre ne sont pas exemptes des trois obligations (donner, recevoir, rendre), mais la réciprocité pourra n’apparaître que bien plus tard. Une autre question méritant d’être mise en lumière dans de tels réseaux est certainement le rôle joué par les femmes. Le projet des masques dirigé par Bernard ne serait pas possible sans l’aide des femmes âgées de la communauté qui ont accepté de faire tout le travail de couture. Sans oublier qu’aussi bien dans le groupe de personnes âgées coordonné par Anna que dans celui de Bernard, il y a une majorité de femmes, ce sont elles qui occupent ces espaces qui sont également des espaces politiques et qui permettent de concrétiser une série d’actions d’aide à la communauté, même pendant la pandémie. Finalement, comme le rappellent Blanc, Laugier et Molinier (2020: 2)BLANC, Nathalie ; LAUGIER, Sandra ; MOLINIER, Pascale. 2020. “O preço do invisível: as mulheres na pandemia”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na Pandemia: 1-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-88 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.reflexpandemia.org/texto-88...
:

La pandémie agit comme un dispositif de visibilité pour des pratiques généralement discrètes et elle promeut la conscientisation de l’importance du care, du travail des femmes et des autres « petites mains » de la vie quotidienne constamment enfermées entre les murs de la vie domestique. C’est ce que l’on nomme le travail du care qui assure la continuité de la vie sociale.

Et dans le cas de Fermina, il est aussi important de remarquer que sa décision d’aller vivre dans une résidence de personnes âgées pour avoir une « vieillesse tranquille » et « sans avoir à se préoccuper de rien », passe aussi par la reconnaissance que, là-bas, elle pourra recevoir les attentions d’autres femmes, plus jeunes, ce qui lui permet d’avoir la garantie de son autonomie et la continuité de ses activités. Ces réseaux d’interdépendance renforcent l’idée selon laquelle « l’autonomie des uns est possible grâce au travail des autres » (Blanc, Laugier, Molinier, 2020BLANC, Nathalie ; LAUGIER, Sandra ; MOLINIER, Pascale. 2020. “O preço do invisível: as mulheres na pandemia”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na Pandemia: 1-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-88 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.reflexpandemia.org/texto-88...
: 2). Au début de l’isolement, Fermina a même dit à une de ses accompagnatrices, pensant aux risques de contamination dans les transports en commun: « le mieux, ce serait que vous habitiez ici », alors la jeune femme lui a répondu: « mais ce n’est pas possible. Nous avons une famille ». « Ce n’est pas possible… alors elles viennent en Uber, les unes passent prendre les autres, tu vois ? ».

Les cas sélectionnés permettent aussi de mettre en tension des discours humoristiques et stigmatisants qui ont circulé pendant la pandémie, surtout une série de mèmes sur les réseaux sociaux qui essayaient de disséminer l’idée selon laquelle les personnes âgées sont sous tutelle, qu’elles n’ont pas d’autonomie, sont infantilisées, irresponsables, disséminatrices de fake news, etc. Comme l’observe Henning (2020HENNING, Carlos Eduardo. 2020. “Nem no mesmo barco nem nos mesmos mares: Gerontocídios, práticas necropolíticas de governo e discurso sobre velhices na pandemia da Covid-19”. Cadernos de Campo, 20(1):150-155. Disponible sur: http://anpocs.org/index.php/publicacoes-sp-2056165036/boletim-cientistas-sociais/2371-boletimn-49-cientistas-sociais-e-o-coronavirus
http://anpocs.org/index.php/publicacoes-...
), pendant la pandémie, c’est comme si l’on avait installé une « arène permissive » dans laquelle les personnes âgées sont présentées comme le problème social (dans la mesure où ils nécessitent des politiques publiques), des vilains ou « une offrande sacrificielle à l’économie ». À ces discours, viennent s’ajouter ceux que le gouvernement lui-même a mis en circulation, ils banalisent l’idée selon laquelle les personnes âgées sont un fardeau social et que les vieilles vies seraient dispensables pour la société. À l’opposé de ces discours, les récits d’Anna, Bernard et Fermina permettent de problématiser le « défi éthique de la minorité », qui a été renforcé durant la pandémie, c´est-à-dire qu’ils mettent en tension la conception de personnes âgées considérées comme un objet de l’assistance (plus vulnérables, qui ont besoin d’être accompagnés et sont des personnes à charge, des victimes, etc.) plutôt que comme des sujets (Rifiotis, 2007RIFIOTIS, Theóphilos. 2007. “O idoso e a sociedade moderna: desafios da gerontologia”. Pro-posições,18(52): 137-151.). L’action de Bernard et Anna permet que les politiques publiques de santé (surtout en termes de prévention et de combat contre le coronavirus) soient accessibles à d’autres personnes et, à la rigueur, les expériences que leur temps de vie leur a permis d’accumuler leur permettent de voir là où ces politiques n’arrivent pas, ou bien là où elles sont inopérantes. Des efforts au quotidien, très souvent invisibles (basés sur la convivialité et l’écoute des expériences vécues par d’autres personnes âgées), leur permettent de « créer » des possibilités de vie, dans les brèches et les vides laissés par de telles politiques, qui sont des biopolitiques et non des politiques de la vie. Et ce qu’ils font, ils ne le font pas seuls. À travers les réseaux d’interdépendance qui, contrariant les attentes d’un sens commun, se sont maintenus actifs surtout en fonction de l’usage de technologies et, par conséquent, de la mobilisation d’autres personnes âgées pour développer et mettre en œuvre des projets outre ceux considérés « officiels ».

Compte tenu que les politiques de la vie, comme le signale Fassin (2018FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique. France: Éditions du Seuil.), ne sont pas simplement une affaire d’état, car elles impliquent toute la société, dans les pratiques et les discours de Bernard et Anna, nous avons des pistes sur la façon dont ces politiques peuvent être fabriquées quotidiennement, sous des formes qui peuvent être micro, méso ou macro de résistance (Biehl, 2020). Il est important d’observer comment les expériences et les connaissances pratiques accumulées par ces personnes âgées peuvent contribuer à la gestion et à la mise en œuvre de ces politiques. Anna, du fait de sa longue expérience en tant que vaccinatrice, fournit un exemple de l’importance de la vaccination pour combattre la pandémie aux autres personnes âgées du groupe. Fermina et elle ont accumulé des connaissances à partir des expériences familiales de générations antérieures (mères et grands-mères) à propos d’autres pandémies. Et toutes deux se rendent bien compte que la technologie aurait pu faire la différence en ce qui concerne le nombre de morts. Ce sont les expériences que Bernard a accumulées qui lui ont permis de faire des choix face aux bifurcations dans sa biographie/parcours de vie et de continuer à aider les autres personnes âgées, même dans cette autre temporalité « d’urgences » imposée par la pandémie. C´est-à-dire que l’on observe que de telles expériences sont balisées par une compréhension du vieillissement non pas comme une « phase de pertes et d’altération de la rationalité », mais comme une « somme d’expériences » et de connaissances.

Les récits de Luiz, Anna et Fermina permettent aussi de mettre en tension la conception de risque qui a balisé les politiques de lutte contre la Covid-19. La perception que ces trois personnes âgées ont de leur l´appartenance au « groupe à risque » ne passe pas exclusivement par des critères propres à une biolégitimité. Si, d’une part, elles et lui reconnaissent que leur corps, en termes physiologiques, n’a plus le même type de réponse à l’invasion de virus et de bactéries, ils attirent l’attention aussi sur des facteurs sociaux, économiques et politiques qui constituent le « risque ». Ces personnes âgées accordent de l’importance aux façons dont les personnes mènent leur vie et, principalement, elles insistent sur le poids des différences sociales, celles-ci empêchent toutes et tous d’avoir accès à l’alimentation de qualité et à des conditions concrètes de se préparer et de se protéger contre une pandémie. Autrement dit, la misère et la pauvreté produisent du risque. Anna et Bernard relativisent le critère de l’âge en observant que le risque existe de fait, mais c’est le cas aussi pour tous les âges. Le risque, par conséquent, s’impose non seulement à la vie au sens biologique, mais aussi à la jonction de celle-ci et de sa dimension biographique. Comme l’observe Fermina, huit personnes âgées de la résidence et elle-même ont contracté le virus (avant d’être vaccinés) sans, pour autant, qu’aucun cas n’évolue vers une forme grave ou qu’ils aient besoin d’être hospitalisés. Toutes et tous ont guéri, alors qu’ils avaient 83, 95 et 96 ans. C’est aussi une question de soins et de ceux qui peuvent recevoir ces soins, comme le remarque Fermina: « Les vieux comme nous ici, on s’en occupe bien, avec une prévention incroyable ». Une partie des personnes âgées dont on ne s’occupe pas dans ce contexte pandémique doivent, en plus, prendre soin de leurs petits-enfants, pour que la vie de la famille ne sente pas davantage les effets économiques de la pandémie. Quand Bernard dit « je peux faire partie du groupe à risque, mais je ne suis pas groupe à risque », il ne révèle pas une contradiction discursive mais plutôt une forme flexible de faire face/concevoir le normatif. C´est-à-dire que la façon dont il s’inscrit dans ce qu’on appelle « groupe à risque », de même que Fermina et Anna, est relationnelle et contingente. De plus, le simple fait de s’inscrire comme « groupe à risque » ne suffit pour être en bonne santé, il faut aussi créer des conditions pour l’émergence de l’agentivité et échapper à une condition d’assisté/sous tutelle, d’une « minorité des personnes âgées » (Rifiotis, 2007RIFIOTIS, Theóphilos. 2007. “O idoso e a sociedade moderna: desafios da gerontologia”. Pro-posições,18(52): 137-151.).

Dans le sillage de ces questions, le matériel ethnographique permet aussi de penser l’isolement social non en tant qu’espace de désagencement de ces personnes âgées, mais comme initiateur d’agencements multiples et de formes différentes de participation et d’engagement politique. Pour penser cette question, j’établie un parallèle entre l’expérience de la possession chez Rabelo (2008RABELO, Miriam. 2008. “A possessão como prática: esboço de uma reflexão fenomenológica”. Mana, 14(1): 87-117.) et l’expérience de l’isolement social en fonction de la pandémie, car dans ces deux expériences (toutes proportions gardées) les sujets impliqués sont pensés moins par leur activité que par une certaine passivité ou perte temporaire de l’agentivité - une condition de désagencement. Cependant, cette apparente passivité et cette docilité sont révélatrices des manières à travers lesquelles ces sujets deviennent aussi agents. « Si nous définissons l’agentivité comme la capacité d’agir, on perçoit facilement que l’exercice de la docilité est une importante partie du processus à travers lequel sont étudiées les habiletés nécessaires à sa construction » (Rabelo, 2008: 96RABELO, Miriam. 2008. “A possessão como prática: esboço de uma reflexão fenomenológica”. Mana, 14(1): 87-117.). Si on suit cette perspective, il devient plus productif de déconstruire la relation de causalité entre celui qui discipline (actif) et celui qui est discipliné (passif), et d’assumer la possibilité que l’agentivité ne peut s’affirmer que dans « l’articulation entre activité et passivité ». Cela veut dire que l’acceptation/incorporation d’un ensemble de règles (discipline et termes des routines et habitudes d’hygiène) et de limites (principalement en ce qui concerne la liberté de circulation) dans un premier moment, pourra être converti ultérieurement en stratégies d’agencement. Penser à la productivité de « l’isolement social » implique de reconnaître que ce qui est imposé, même indirectement - sous la forme des dynamiques temporelles et spatiales - possède une dimension de réflexivité et de reconnaissance de ces personnes âgées en tant que sujets. L´isolement, dans sa dimension de productivité, a créé des conditions pour que Anna perfectionne son habileté avec l’artisanat et l’usage de technologies. Il ne s’agit plus de la « nourriture de tous les jours » souligne-t-elle, elle veut voir et produire des lives, elle cherche à dynamiser le groupe via WhatsApp et elle veut revenir sur son histoire dans le contexte de la pandémie. Fermina est encore « totalement connectée » et elle demande que Dieu ne lui retire jamais sa capacité de raisonnement pour qu’elle continue d’écrire ses trovas, ses poésies et de remporter des prix à 83 ans, tout en vivant dans une résidence de personnes âgées. Et elle fait des projets: même face à la « donnée de la réalité », que la pandémie lui a volé un an de sa vie, elle pense déjà à sa fête de 85 ans à Brasilia. C’est ce que Biehl a caractérisé comme la « plasticité des sujets », il ne s’agit pas d’une simple adaptation à des contextes d’exception, il s’agit de la possibilité de transformation à partir de ce qu’ils expérimentent: « je suis une autre Anna… je me suis remise à jour dans la vie ». Il est intéressant de penser également au potentiel d’agentivité contenu dans « l’attente » elle-même. L’attente, rappelle Joseph et Neiburg (2020JOSEPH, Handerson; NEIBURG, Federico. 2020. “A (i)mobilidade e a pandemia nas paisagens haitianas”. Horizontes Antropológicos, 26(58): 463-479.) en citant Hage, propre à ces temps, n’est en rien passive, il s’agit d’un acte fondamental d’agentivité individuelle et collective. « Chaque chose en son temps », pondère Anna. Et ces temps « pourpres », comme Mbembe (2020MBEMBE, Achille. 2020. O direito universal à respiração. Disponible sur: https://www.buala.org/pt/mukanda/o-direito-universal-a-respiracao
https://www.buala.org/pt/mukanda/o-direi...
) les a nommés, peuvent aussi être des temps de « croissance », comme préfère le penser cette femme âgée.

Au long de cet article, j’ai essayé de montrer, à partir de l’analyse des expériences de Bernard, Anna et Fermina, le besoin que nous problématisions les politiques de combat contre la Covid-19, fondées sur des réponses centrées sur une biolégitimité, et que nous pensions à la possibilité « d’autres politiques de la vie ». Des politiques qui prennent en compte l’inégalité et l’impossibilité de ne considérer la vie que sous sa forme neutre et biologique. C’est dans la dimension politique et biographique de la vie que nous pourrons trouver des éléments pour mieux comprendre les politiques appliquées en ce moment face à la pandémie de Covid-19, mais aussi pour chercher, pour l’avenir, de nouvelles réponses à d’autres pandémies (Pezeril, 2020PEZERIL, Charlotte. 2020. « Du Sida au Covid 19: Les leçons de la lutte contre le HIV”. La Vie des Idées, 2 octobre. Disponible sur: Disponible sur: https://laviedesidees.fr/Du-Sida-au-Covid-19.html Consulté le 31 mai 2021.
https://laviedesidees.fr/Du-Sida-au-Covi...
). Nous ne pouvons courir le risque, en restant si « confinés dans le présentisme », d’arrêter d’imaginer comment le contrecarrer. Il est nécessaire d’apprendre, avec ces expériences et tant d’autres face à la pandémie, à profiter des brèches (lignes de fuite) que l’on entrevoit, sans permettre qu’à partir de ce « contexte croisé », « d’exceptionnalité et de normalité », que les opportunités de détournement nous échappent des mains (Pelbart, 2020PELBART, Peter Pál. 2020. Espectros da Catástrofe. N-1Edições. Pandemia Crítica, n.134. Disponible sur: Disponible sur: https://www.n-1edicoes.org/textos/129 Consulté le 31 mai 2021.
https://www.n-1edicoes.org/textos/129...
).

Références bibliographiques

  • BESSIN, Marc. 2016. “Política da Presença: as questões temporais e sexuadas do cuidado”. In: Alice Abreu et al. (orgs.), Gênero e trabalho no Brasil e França: perspectivas interseccionais São Paulo: Boitempo: 235-245.
  • BIEHL, João. 2021. “Descolonizando a saúde Planetária”. Horizontes Antropológicos, 59: 337-359. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/mYh65g7LyMWLJhfP9XvcTnn/?format=pdf⟨=pt Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.scielo.br/j/ha/a/mYh65g7LyMWLJhfP9XvcTnn/?format=pdf⟨=pt
  • BLANC, Nathalie ; LAUGIER, Sandra ; MOLINIER, Pascale. 2020. “O preço do invisível: as mulheres na pandemia”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na Pandemia: 1-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-88 Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.reflexpandemia.org/texto-88
  • BRITTO DA MOTTA, Alda. 2010. A atualidade do conceito de gerações na pesquisa sobre o envelhecimento. Sociedade e Estado, v. 25: 225, 250. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/se/a/hfzk9pNbRc69T3JRqbGsVjn/?lang=pt Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.scielo.br/j/se/a/hfzk9pNbRc69T3JRqbGsVjn/?lang=pt
  • BUTLER, Judith. 2009. Vida Precaria: El poder del duelo y la violencia Buenos Aires: Paidós.
  • BUTLER, Judith. 2020. Judith Butler sobre a Covid-19: O Capitalismo tem seus limites Blog da Boitempo. Disponible sur: https://blogdaboitempo.com.br/2020/03/20/judith-butler-sobre-o-covid-19-o-capitalismo-tem-seus-limites/
    » https://blogdaboitempo.com.br/2020/03/20/judith-butler-sobre-o-covid-19-o-capitalismo-tem-seus-limites/
  • CADUFF, Carlo. 2020. “What Went Wrong: Corona and the World after the Full Stop”. MEDICAL ANTHROPOLOGY QUARTERLY, 0: 1-21. Disponible sur: Disponible sur: https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12599 Consulté le 31 mai 2021.
    » https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12599
  • CASTRO, Rosana. 2021a. “Necropolítica e a corrida tecnológica: notas sobre ensaios clínicos com vacinas contra o coronavírus no Brasil”. Horizontes Antropológicos, 27: 71-90.
  • CASTRO, Rosana. 2021b. “Vacinas contra a Covid-19: o fim da pandemia?” Physis, 31: e310100-e310100.
  • DAS, Veena. 2020. “Encarando a Covid-19: Meu lugar sem esperança ou desespero”. Dilemas, Seção Excepcional Reflexões na pandemia:1-8. Disponible sur: Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-26 Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.reflexpandemia.org/texto-26
  • DOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020b. “Como pensar a velhice em tempos de coronavírus”. Boletim Cientistas Sociais e o Coronavírus, Anpocs, 49: s/p. Disponible sur: Disponible sur: https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.antropologicas-epidemicas.com.br/post/v6a15-como-pensar-a-velhice-em-tempos-de-coronav%C3%ADrus
  • DOURADO, Simone Pereira da Costa. 2020a. “A pandemia de Covid-19 e a conversão de idosos em ‘grupo de risco’”. Cadernos de Campo, 29: 153-162. Disponible sur: Disponible sur: https://www.revistas.usp.br/cadernosdecampo/article/view/169970/162659 Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.revistas.usp.br/cadernosdecampo/article/view/169970/162659
  • FASSIN, Didier. 2006. “La biopolitique n’est pas une politique de la vie”. Sociologie et Sociétés, 38(2): 35-48. Disponible sur: Disponible sur: https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016371ar/ Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016371ar/
  • FASSIN, Didier. 2007. When Bodies Remember. Experiences and Politics of Aids in South Africa Berkeley and Los Angeles, California: University of California Press.
  • FASSIN, Didier. 2018. La Vie: Mode d’emploi critique France: Éditions du Seuil.
  • FASSIN, Didier. 2020a. “La Valeur des vies: Éthique de la crise sanitaire”. Par ici la sortie ! Paris: Éditions du Seuil: 1-10. Disponible sur: Disponible sur: https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.ias.edu/sites/default/files/fassin%2C%20la%20valeur.pdf
  • FASSIN, Didier. 2020b. “L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie”. Disponible sur: Disponible sur: https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm
  • FASSIN, Didier. 2020c. De l’inégalités des Vies: Leçon inaugurale prononcée le jeudi 16 janvier. Nouvelle édition [en ligne] Paris: Collège de France.
  • FERNANDES, Adriana. 2020. “Coronel vírus Chegou: Notas etnográficas sobre a Covid-19 entre vulnerabilizados da cidade do Rio de Janeiro”. Sexualidad, Salud y Sociedad Revista Latinoamericana, 35: 7-34. Disponible sur: https://www.scielo.br/pdf/sess/n35/1984-6487-sess-35-7.pdf
    » https://www.scielo.br/pdf/sess/n35/1984-6487-sess-35-7.pdf
  • FOUCAULT, Michel. 2002. “Aula de 17 de março de 1976”. In: Em Defesa da Sociedade São Paulo: Martins Fontes: 285-315.
  • GOLDEMBERG, Miriam. 2020. Entrevista Disponible sur: Disponible sur: https://apublica.org/2020/06/mirian-goldenberg-lutar-contra-a-velhofobia-e-lutar-pela-nossa-propria-velhice/ Consulté le 31 mai 2021.
    » https://apublica.org/2020/06/mirian-goldenberg-lutar-contra-a-velhofobia-e-lutar-pela-nossa-propria-velhice/
  • HENNING, Carlos Eduardo. 2020. “Nem no mesmo barco nem nos mesmos mares: Gerontocídios, práticas necropolíticas de governo e discurso sobre velhices na pandemia da Covid-19”. Cadernos de Campo, 20(1):150-155. Disponible sur: http://anpocs.org/index.php/publicacoes-sp-2056165036/boletim-cientistas-sociais/2371-boletimn-49-cientistas-sociais-e-o-coronavirus
    » http://anpocs.org/index.php/publicacoes-sp-2056165036/boletim-cientistas-sociais/2371-boletimn-49-cientistas-sociais-e-o-coronavirus
  • JOSEPH, Handerson; NEIBURG, Federico. 2020. “A (i)mobilidade e a pandemia nas paisagens haitianas”. Horizontes Antropológicos, 26(58): 463-479.
  • HIRATA, Helena; MOLINIER, Pascale. 2012. “Les ambiguïtés du care”. Travailler, 28: 9-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.cairn.info/revue-travailler-2012-2-page-9.htm Consulté le 15 octobre 2021.
    » https://www.cairn.info/revue-travailler-2012-2-page-9.htm
  • MBEMBE, Achille. 2020. O direito universal à respiração Disponible sur: https://www.buala.org/pt/mukanda/o-direito-universal-a-respiracao
    » https://www.buala.org/pt/mukanda/o-direito-universal-a-respiracao
  • PELBART, Peter Pál. 2020. Espectros da Catástrofe N-1Edições. Pandemia Crítica, n.134. Disponible sur: Disponible sur: https://www.n-1edicoes.org/textos/129 Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.n-1edicoes.org/textos/129
  • PEZERIL, Charlotte. 2020. « Du Sida au Covid 19: Les leçons de la lutte contre le HIV”. La Vie des Idées, 2 octobre. Disponible sur: Disponible sur: https://laviedesidees.fr/Du-Sida-au-Covid-19.html Consulté le 31 mai 2021.
    » https://laviedesidees.fr/Du-Sida-au-Covid-19.html
  • RABELO, Miriam. 2008. “A possessão como prática: esboço de uma reflexão fenomenológica”. Mana, 14(1): 87-117.
  • RIFIOTIS, Theóphilos. 2007. “O idoso e a sociedade moderna: desafios da gerontologia”. Pro-posições,18(52): 137-151.
  • SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020a. “Cuidado e Controle na Gestão da Velhice”. Dilemas. Revista de Estudos de Conflito e Controle Social Reflexões na Pandemia. Disponible sur: https://www.reflexpandemia.org/texto-91
    » https://www.reflexpandemia.org/texto-91
  • SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; SIQUEIRA, Monalisa Dias de. 2020b. “Não mudou quase nada”: ética ordinária e formas de vida em tempos pandêmicos” (sous presse).
  • SEGATA, Jean; SCHUCH, Patrice; VÍCTORA, Ceres; DAMO, Arlei. 2021. “A Covid-19 e suas múltiplas pandemias”. Horizontes Antropológicos, 59: 7-25. Disponible sur: Disponible sur: https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf Consulté le 31 mai 2021.
    » https://www.scielo.br/j/ha/a/ZSsWb6QvgTgttGRv8X9RLFR/?lang=pt&format=pdf
  • TRONTO, Joan C. 2015. Who Cares? How to Reshape a Democratic Politics Ithaca (EUA)/ Londres: Cornell University Press.
  • VENTURA, Deisy. 2009. “Pandemias e Estado de Exceção”. In: Marcelo Catoni, Felipe Machado (orgs.), Constituição e pProcesso: a resposta do constitucionalismo à banalização do terror Belo Horizonte: Del Rey/IHJ: 159-181.
  • 1
    Ce travail résulte du projet « La Covid-19 au Brésil: analyse et réponse aux impacts sociaux de la pandémie chez les professionnels de la santé et la population en situation d’isolement » (Convênio Ref: 0464/20 FINEP/UFRGS), coordonné par le professeur Jean Segata (UFRGS). La recherche est développée par la Rede Covid-19 Humanidades MCTI et elle intègre l’ensemble des actions de la Rede Vírus MCTI financées par le ministère de la Science, de la Technologie et des Innovations pour faire face à la pandémie. La recherche auprès de personnes âgées est développée avec une plus grande équipe de chercheuses et de chercheurs, que je remercie pour leur travail et leur collaboration: Patrice Schuch et Ceres Víctora (coordinatrices), Caroline Sarmento, Cauê Machado, Gabriela Fucks, Lauren Rodrigues, Luisa Barreto, Luiza Kramer, Mariana Picolotto, Monalisa Dias de Siqueira, Pamela Ribeiro, Roberta Ballejo et Taciane Jeske. Pour plus d’informations sur le réseau et le projet, consulter: https://www.ufrgs.br/redecovid19humanidades/index.php/br Consulté le 26 mai 2021.
  • 2
    J’aimerais remercier toutes celles et ceux qui ont aidé à la construction d’un réseau de contacts à Florianópolis: le Centre d’études du troisième âge de l’Université fédérale de Santa Catarina (NETI/UFSC) - en particulier la coordinatrice Maria Fernanda Baeta -, la coordination du Programme Floripa Feliz Idade du Secrétariat municipal d’assistance sociale de la mairie de Florianópolis - en particulier Roselene Antunes -, pour avoir accueilli et contribué à la réalisation de cette recherche. Je remercie également Maria Cecília Godtsfriedt pour son effort et son engagement dans l’insertion et l’élargissement de ce réseau.
  • 3
    Pour des questions éthiques, les noms des interlocuteurs et des interlocutrices ont été modifiés. Fermina, Bernard et Anna sont les noms de personnages de romans dans lesquels on retrouve un contexte d’épidémie: L’Amour aux temps du choléra (de Gabriel García Márquez), La Peste (de Albert Camus) et Une année de miracles (de Geraldine Brooks).
  • 4
    Compte tenu des différences techniques entre les expressions « isolement social » et « distanciation sociale », toutes deux faisant l’objet de disputes et de controverses au Brésil, il est bon de justifier que dans cet article, j’utiliserai la première du fait que les interlocuteurs de la recherche l’ont mentionnée pendant les entretiens en 2020. Pour plus de détails, consulter: https://www.ufrgs.br/telessauders/posts_coronavirus/qual-a-diferenca-de-distanciamento-social-isolamento-e-quarentena/ Consulté le 31 mai 2021.
  • 5
    La thématique des controverses dans le contexte pandémique mériterait une réflexion qui transcende les objectifs et l’espace de cet article. Parmi les travaux récents sur les controverses autour des vaccins, il est possible de citer l’approche inspiratrice de Rosana Castro (2021aCASTRO, Rosana. 2021a. “Necropolítica e a corrida tecnológica: notas sobre ensaios clínicos com vacinas contra o coronavírus no Brasil”. Horizontes Antropológicos, 27: 71-90.; 2021bCASTRO, Rosana. 2021b. “Vacinas contra a Covid-19: o fim da pandemia?” Physis, 31: e310100-e310100.).
  • 6
    Voir, par exemple: https://www.bbc.com/portuguese/brasil-55866061 Consulté le 29 mai 2021. Et aussi: https://brasil.un.org/pt-br/104119-oms-pede-prioridade-para-trabalhadores-em-saude-e-populacoes-em-risco-na-vacinacao-contra Consulté le 29 mai 2021.
  • 7
    Le « pouvoir sur la vie », biopouvoir, s’est développé à partir du XVIIe siècle à travers l’articulation de deux formes principales: la première (anatomo-politique du corps humain) centrée sur le corps en tant que machine, par conséquent sur le dressage de celui-ci afin d’extraire et d’augmenter au maximum ses potentialités et aptitudes au moyen de procédés de pouvoir qui caractérisent les disciplines. La seconde (biopolitique de la population) qui s’est formée un peu plus tard, centrée sur le corps-espèce, implique toute une série d’interventions et de contrôles régulateurs. La biopolitique se constitue exactement comme une « technologie de prévoyance » et, en tant que telle, elle cherche à contrôler et éventuellement à modifier, à travers la production de savoirs spécialisés et de statistiques, la probabilité de ces évènements et, si possible, de contrôler leurs effets (Foucault, 2002FOUCAULT, Michel. 2002. “Aula de 17 de março de 1976”. In: Em Defesa da Sociedade. São Paulo: Martins Fontes: 285-315.).
  • 8
    Centre d’études du troisième âge - Universidade Federal de Santa Catarina.
  • 9
    Dans ce travail, on emploie le care dans sa version politique, comme le suggère Joan Tronto et il désigne un type spécifique d’activité « that includes everything we do to maintain, continue, and repair our world so that we may live in it as well as possible ». Le care nous parle de « meeting needs » et est par conséquent toujours relationnel (Tronto, 2015TRONTO, Joan C. 2015. Who Cares? How to Reshape a Democratic Politics. Ithaca (EUA)/ Londres: Cornell University Press.). Le contexte pandémique renforce et rend encore plus évident ce qui avait été dit par Tronto, à savoir que nous sommes tous bénéficiaires du care. « L’idée de vulnérabilité et d’hétéronomie prend alors un autre sens: si tous sont vulnérables à un moment ou à un autre de leur vie, l’autonomie est relative parce qu’elle a comme contrepartie la dépendance par rapport aux travailleurs et surtout travailleuses qui rendent cette autonomie possible ». (Hirata, Molinier, 2012: 9HIRATA, Helena; MOLINIER, Pascale. 2012. “Les ambiguïtés du care”. Travailler, 28: 9-13. Disponible sur: Disponible sur: https://www.cairn.info/revue-travailler-2012-2-page-9.htm Consulté le 15 octobre 2021.
    https://www.cairn.info/revue-travailler-...
    ).
  • Traduit par: Bertrand Borgo

Publication Dates

  • Publication in this collection
    13 June 2022
  • Date of issue
    2022

History

  • Received
    01 June 2021
  • Accepted
    22 Sept 2021
Associação Brasileira de Antropologia (ABA) Caixa Postal 04491, 70904-970 Brasília - DF / Brasil, Tel./ Fax 55 61 3307-3754 - Brasília - DF - Brazil
E-mail: vibrant.aba@gmail.com