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DÉFIS DE LA CIRCULATION À LA FRONTIÈRE ENTRE LE BRÉSIL ET LA GUYANE FRANÇAISE (FRANCE)

Abstract

Brazil and France share a long border across the Oiapoque river, located in the Amazon. This paper tries to evaluate how actions undertaken since the establishment of the international limit, in 1900, have shaped and re-shaped systems of regional circulation and trade in this river basin. Using both a bibliographical review and information derived from fieldwork, we conclude that three major changes have occurred recently: (i) the previously hegemonic fluvial circulation is now in competition with terrestrial circulation; ii) previously dominant local informal rules have been downplayed in favor of international rules; and iii) a contradiction has appeared in bilateral relations: the official discourse focused on “integration” values an increase of the interface between the two river banks while in practice a decrease in interactions and a tightening of the rules of circulation seems to be happening.

Keywords:
Regional Circulation; Brazil; French Guiana (France)

Resumo

Brasil e França compartilham uma larga fronteira na Amazônia. Nosso intuito neste texto é avaliar quais foram as ações empreendidas pelas quais o sistema de circulação da bacia do Rio Oiapoque foi alvo de re-desenhos desde o estabelecimento do limite internacional em 1900. A partir da utilização de bibliografia específica sobre o tema, bem como da realização de trabalho de campo em diferentes momentos, concluímos que os re-desenhos impuseram ao menos três grandes mudanças até hoje: i) a circulação líquida (fluvial), anteriormente hegemônica, é hoje posta em concorrência pela circulação dura (terrestre); ii) vê-se a substituição de acordos (ou normas informais) locais pela prevalência de regras internacionais; e iii) nota-se uma contradição nas relações bilaterais: o discurso oficial de integração valoriza o aumento da interface entre as duas margens do Rio enquanto a prática aponta para uma diminuição e um endurecimento das regras de circulação.

Palavras-chave:
Circulação Regional; Brasil; Guiana francesa (França)

Resumen

Brasil y Francia comparten una larga frontera en la Amazonia. Nuestro objetivo en este texto cuáles fueron las acciones en las cuales el sistema de circulación de la cuenca del Rio Oiapoque experimento un rediseño desde el establecimiento definitivo de los limites entre Brasil y Francia en 1900. Con el uso de bibliografia específica del tema así como la realización de trabajo de campo en diferentes momentos, concluimos que el rediseño ha marcado por lo menos tres grandes cambios hasta hoy i) La circulación liquida (fluvial) anteriormente hegemónica, se encuentra hoy en competencia con la circulación firme (tierra); ii) se ve la sustitución de acuerdos locales (o normas informales), por predominante uso empleo de reglas internacionales ; iii) se nota una contradicción en la relación bilateral: el discurso oficial de integración, valora el aumento de la interfazentre los dos márgenes del rio, sin embargo la practica señala una disminución de esta, así como el aumento en la rigidez de las reglas de circulación.

Palabras-clave:
Región de circulación; Brasil; Guayana francesa (Francia)

INTRODUCTION

Le Brésil et la France partagent une frontière de 730 kilomètres en pleine Amazonie, qui court le long du fleuve Oyapock, de son estuaire à sa source, puis suit la ligne de partage des eaux du bassin amazonien jusqu’au point de tri-jonction avec le Suriname. Plus longue frontière terrestre de France, cette ligne de séparation, définie au début du XXe siècle, permet de s’interroger sur l’écart entre les représentations des gouvernements et l’espace vécu des populations locales. De fait, bien qu’elle marque une limite entre deux pays, la frontière internationale n’a jamais séparé les peuples indigènes ou les communautés riveraines du fleuve, ni même empêché la migration contemporaine de travailleurs brésiliens vers le littoral ou les placers de l’intérieur de la Guyane française.

Sans avoir nécessairement conscience des pratiques spatiales opérées au quotidien par les populations autochtones, les administrations des deux pays ont d’abord considéré la frontière comme une barrière solide entre les deux entités politiques, avant que, dans les années 1990, celle-ci devienne moins rigide grâce à des accords officiels de coopération qui lui ont attribué de nouvelles significations, amenant paradoxalement une augmentation significative des activités de contrôles de routine des personnes et des marchandises qui y circulent.

La valeur symbolique de cette frontière s’est également accrue lors de ces dernières décennies. Elle n’est plus seulement une zone de confluence entre la Guyane, une collectivité française d’Outremer, et l’état d’Amapá, une unité fédérée du Brésil, mais aussi le lieu de rencontre de deux des plus importantes alliances politico-commerciales du monde, l’Union européenne et l’Unasul/Mercosul, bien que cette dernière soit en cours de reformulation depuis 2019, dans un nouveau schéma d’intégration régionale sud-américain nommé Prosul. Ce nouveau schéma s’intègrera aux récents accords commerciaux entre les blocs, bien que leur concrétisation soit encore dans le champ de la psychosphère et manque encore de précision, tout en étant soumise à l’accord du Congrès national brésilien et du Parlement européen, ce qui n’est pas tâche facile.

Afin de mieux appréhender la relation entre le contexte politique, diplomatique et administratif de la frontière et la réalité vécue par les populations locales, nous avons privilégié la question de la circulation comme thème permettant d’analyser les actions entreprises par les gouvernements et leurs conséquences concrètes. Pour illustrer les différentes phases concernant l’espace étudié, nous nous sommes servis tant de la recherche documentaire et bibliographique que du travail de terrain. Dans ce dernier cas, nous avons réalisé -conjointement ou de manière séparée - des missions de terrain sur deux décennies aussi bien dans la zone frontalière que dans les capitales régionales Macapá et Cayenne, dans l’intérieur de la Guyane où l’orpaillage illégal est significatif, ainsi que des recherches à Brasilia et à Paris.

Dans cet article, nous analyserons en premier lieu le contexte historique et politique de la zone frontalière jusqu’aux années 1980, caractérisé par un certain isolement entre le Brésil et la Guyane en dépit de leur proximité physique. Nous montrerons ensuite comment, vers la fin du XXe siècle, le bassin du fleuve Oyapock s’est transformé en un élément stratégique autant à l’échelon régional (Amapá et Guyane) que national (Brésil et France) et même supranational (Unasul et Union européenne). Ce changement a impacté de façon très importante la première redéfinition de cette frontière, en faisant apparaître, en même temps, les aspects de contrôle et de coopération. Puis une deuxième redéfinition s’est mise en œuvre avec l’inauguration du pont binational sur le fleuve Oyapock. Cela a permis l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les interactions locales, où la superposition, sinon la contradiction, entre intérêts locaux et nationaux, symbolisés par la circulation dans la région de l’Oyapock que ce soit par le pont ou par le fleuve, ouvre de nouvelles perspectives pour l’usage du territoire par ce système de circulation régional.

L’Oyapock comme frontière : entre la limite oubliée, la séparation et la circulation régionale (1900-1980)

Les contours frontaliers de la Guyane française avec le Brésil résultent d’une série de litiges qui s’étendent sur plus de trois siècles (XVIIe au XIXe). Face à la menace d’un conflit armé, aggravée par la découverte d’or dans la région de Calçoene en 1894 (CHAGAS, 2019CHAGAS, M A. A Geopolítica do Garimpo do Lourenço, Norte do Amapá: Trajetória, Contradições e Insustentabilidade. Boletim Goiano de Geografia, v. 39, 2019.), le Brésil et la France acceptèrent le principe d’un arbitrage international de la Confédération helvétique pour résoudre le litige. Après avoir étudié les dossiers respectifs des deux parties, l’arbitrage suisse s’aligna en 1900 sur la thèse brésilienne et choisit le fleuve Oyapock comme limite internationale entre les deux pays, mettant un terme définitif au fameux Contesté franco-brésilien (Carte 1, JORGE, 1999JORGE, A. Rio Branco e as fronteiras do Brasil. Brasília, Senado federal, 1999. Disponível em: . Acesso em: 03 de abr. de 2019.; GRANGER, 2012GRANGER, S. La Guyane et le Brésil, ou la quête d’intégration continentale d’un département français d’Amérique. Thèse de doctorat de géographie – IHEAL, Université de Paris 3, 2012.; SILVA, 2013SILVA, G.V.A cooperação transfronteiriça entre Brasil e França:ensaios e expectativas neste século XXI.Thèse de doctorat de géographie, Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), 2013.). Après le verdict, le Brésil et la Guyane française entrèrent dans une période d’indifférence réciproque alliée à une certaine méfiance du fait des mutuelles suspicions de volonté d’invasion. Il est ainsi très symbolique que les deux pays aient attendu plus de cinquante ans pour cartographier et fixer la localisation exacte de leur limite internationale, alors que le Brésil avait délimité sa frontière avec les autres voisins amazoniens dès les années 1930 et 1940. C’est seulement dans les années 1960 que ce travail fut finalisé et que sept bornes de frontières furent érigées à des points stratégiques (Voir Carte 2, LE TOURNEAU, 2013LE TOURNEAU, F.M., 2013, Le Jari, géohistoire d’un grand fleuve amazonien, Rennes: PUR; 2017LE TOURNEAU, F.M., 2017. « Peut-on traverser les TumucHumac ? Réflexions autour de la configuration historique et géographique de l’extrême sud de la Guyane », Confins, 33, article 12476, doi :10.4000/confins.12476.
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).

Carte 1
Géographie de la circulation du bassin du fleuve Oyapock (XVIIe siècle à 1980)

Carte 2
Géographie de la circulation dans le bassin du fleuve Oyapock (1980-2010)

La vision des gouvernements centraux sur la frontière fut de la considérer comme une limite étanche pendant pratiquement tout le XXe siècle. Aucune tentative de rapprochement par des échanges ne se concrétisa. Au Brésil, un programme de contrôle des frontières se mit en place dès la première constitution républicaine de 1891. Dans ce document fondamental, toute la portion territoriale frontalière nécessaire à la défense du pays relevait ainsi d’intérêts stratégiques nationaux; puis le président Getúlio Vargas militarisa, en 1934, la Commission de démarcation des limites, et détermina une bande frontalière de 150 kilomètres comme relevant de la «sécurité nationale». Cette bande fut confirmée par les constitutions ultérieures (Carte 1, MIYAMOTO, 1995MIYAMOTO, S. Geopolítica e poder no Brasil. Editora Papirus, Campinas, 1995., M.I., 2005M.I (Ministério da Integração Nacional/Brasil). Proposta de reestruturação do Programa de Desenvolvimento da Faixa de Fronteira. Ministério da Integração Nacional, Secretaria de Programas Regionais, Programa de Desenvolvimento da Faixa de Fronteira. Brasília: Ministério da Integração Nacional, 2005. Disponível em http://www.integracao.gov.br/publicacoesz.
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), alors que la France jusqu’à aujourd’hui ne dispose pas de telles formes de sécurisation de ses frontières.

Avec une telle perception de la sécurisation de leurs limites, les Brésiliens considérèrent commemenaçantes les frontières dans les endroits peu peuplés, comme c’était le cas avec la Guyane (RAIOL, 1992RAIOL, O. A utopia da terra na Amazônia (a geopolítica no Amapá). Macapá: Gráfica Ltda. 1992.; ROMANI, 2003ROMANI, C. Clevelândia-Oiapoque: aqui começa o Brasil!” Trânsitos e confinamentos na fronteira com a Guiana francesa (1900-1927). UNICAMP, Campinas, 2003.). La situation atypique de cette frontière, mettant le Brésil en contact avec un territoire européen, éveilla très tôt la méfiance de l’Armée brésilienne, comme le montra la mission du général Cândido Rondon en 1927RONDON, C. Inspeção de fronteiras, relatório do General inspector. Rio de Janeiro, Ministério da Guerra, 1927.. Lors de sa tournée d’inspection, le général nota une forte influence culturelle et économique de la rive française sur la brésilienne qui du coup faisait craindre un risque d’émigration de la part des Brésiliens de l’Oyapock, coupés du reste du pays. En même temps, le général évoquait les possibilités de commerce entre le Pará et la Guyane par l’estuaire du fleuve Amazone pour la circulation des produits (Carte 1, RONDON, 1927RONDON, C. Inspeção de fronteiras, relatório do General inspector. Rio de Janeiro, Ministério da Guerra, 1927.). En réponse, le gouvernement créa le Centre Agricole de Clevelândia do Norte, à Oyapock, pour tenter d’y affirmer son influence.

L’approvisionnement de la Guyane par l’état brésilien du Para pendant la 2ème Guerre mondiale ne se poursuivit pas après celle-ci. Il y eut au contraire un renforcement de son intégration à la France par le nouveau statut de 1946, qui la transforma en département d’outre-mer. Le renforcement des relations entre la Guyane et sa «métropole» avec la départementalisation fut perçu par le Brésil comme le prolongement d’une relation coloniale, bien qu’il s’agît d’une assimilation législative totale, mettant sur un pied d’égalité la Guyane avec n’importe quel autre territoire de la métropole d’un point de vue administratif. Une des conséquences fut qu’elle ne fut pas invitée à participer au Traité de Coopération Amazonien (TCA), signé en 1978, ce qui compromit, même de manière indirecte, les possibilités d’accords de circulation frontalière entre le Brésil et la France.

La méfiance continua de prévaloir à travers différents faits comme, par exemple, la migration d’une partie du peuple Wayãpi depuis les environs du fleuve Cuc (Carte 2), au Brésil, pour s’établir du côté français dans les années 1960, en vue de bénéficier d’une aide sanitaire au moment où il était menacé de disparition du fait d’épidémies répétées provenant du contact avec des chasseurs de peaux et des orpailleurs (HURAULT, 1972HURAULT, J. Français et Indiens en Guyane, 1604-1972. Population, 28ᵉ année, n°4-5, p. 987, 1973.). Cela fut perçu par les autorités du Brésil, qui craignaient une fuite des indigènes de l’Amapá en direction de la Guyane, comme une captation de «ses» Amérindiens. Cependant, en dépit des menaces concernant leur souveraineté sur la région, les deux pays se lancèrent peu dans des actions de contrôle effectif de leur territoire, à tel point que la frontière était réputée comme oubliée.

Circulation locale et ébauche de rapprochement

La première configuration du bassin du fleuve Oyapock, ou ce que nous qualifions ici de «définition», a été marquée par l’extrême isolement de son système régional jusqu’aux années 1980, conséquence directe de l’inexistence d’une route aussi bien vers Oyapock, du côté brésilien, que vers Cayenne, du côté de la Guyane (Carte 1). L’approvisionnement en produits variés vers la frontière était fait par des navires qui transitaient rarement, ainsi que par des avions bimoteurs qui se posaient sur deux petits terrains d’aviation. Les avions ont aussi permis aussi le va-et-vient des autorités et fonctionnaires envoyés par les capitales régionales, Macapá et Cayenne. De plus, un seul bateau reliait Cayenne à Saint-Georges toutes les trois semaines, ce qui laissait la commune française très dépendante du commerce avec la ville d’Oiapoque pour les produits de première nécessité. Pour celle-ci, de son côté, les produits arrivaient également par bateau depuis Macapá, toutes les semaines.

Pour contourner les difficultés provenant de leur mutuel isolement, les deux communes, promurent une forte intégration locale informelle. Elles étaient liées par une intense circulation, également renforcée par les nombreuses communautés autochtones, qui utilisaient les deux marges du fleuve pour leurs habitations et la chasse, comme c’est toujours le cas aujourd’hui (DAVY, TRITSCH & GRENAND, 2013DAVY, D. ; TRITSCH, I. ; GRENAND, P. «Construction et restructuration territoriale chez les Wayãpi et Teko de la commune de Camopi, Guyane française.«Confins, 2012. . Consulté le 20 février 2013.). La population du bassin du fleuve Oyapock était à l’époque peu développée, et majoritairement concentrée dans les noyaux urbains et les communautés en bordure du fleuve. Ainsi, les gouvernements centraux des deux pays pouvaient fermer les yeux sur le fait que ces villes frontalières constituaient de fait une espèce de système local intégré.

Bien que la région de frontière fût laissée dans l’oubli, les relations entre le Brésil et la Guyane s’intensifièrent dans les années 1960. La principale raison fut la construction du Centre Spatial Guyanais (CSG), à partir de 1964, quand de nombreux Brésiliens furent embauchés comme maçons en Guyane, faisant de cette population durant les deux décennies suivantes l’une des principales communautés étrangères résidentes1 1 - Le statut français de la Guyane, qui en fait une partie intégrante de la France (et de l’Union européenne), lui fait bénéficier de ses salaires, de la sécurité sociale et de la législation sociale, en dépit du manque d’équipements publics par rapport aux critères français. Elle connait ainsi un des indices de développement humain (IDH) parmi les plus élevés de la Caraïbe et du nord du sous-continent sud-américain (GRANGER, 2014). .Ensuite, à partir de la fin des années 1980, la ruée vers l’or alluvial s’accrut fortement, amenant une nouvelle vague migratoire mais cette fois à l’insu des autorités françaises. En prenant cela en compte, des géopoliticiens brésiliens comme MeiraMattos (1977)MATTOS, C de M. Uma geopolítica pan-amazônica. Biblioteca do Exército, Rio de Janeiro, 1980. etGolbery do Couto e Silva (1981)COUTO E SILVA, G. Conjuntura Política Nacional o Poder Executivo & Geopolítica do Brasil. 3° Ed, J. Olympio, Rio de Janeiro , 1981. ont proposé des visions géopolitiques en faveur de l’établissement de liaisons physiques stratégiques à cette frontière.

Au début des années 1970, cependant, outre l’inexistence de connexions physiques internationales, l’Amapá se trouvait encore sans liaison terrestre avec le reste du pays, comme c’est toujours le cas actuellement2 2 - Pour aller de l’Amapá vers les autres états de la fédération, même les plus proches comme le Pará, il faut prendre un bateau pendant près de 20 heures, en traversant l’archipel de Marajó, ou bien un avion pendant environ 45 minutes. Au sud de cet état existe une liaison physique avec le Pará, cependant, il n’existe aucun pont pour traverser des cours d’eau conséquents. . En 1976, le Brésil entama la fin des travaux d’ouverture de la route fédérale BR 156 reliant Macapa à Oiapoque (Carte 2), commencés dans années 1930. La conclusion de cet axe routier en latérite se fit en 1982, ce qui constitua une avancée significative pour l’occupation et la connexion du nord de l’Amapá, en plus de favoriser la circulation dans le bassin du fleuve Oyapock avec un nombre accru de Brésiliens.

Les premiers pas de la coopération et la nouvelle fonctionnalité de la circulation régionale (1981-2010)

Changements de statut et coopération régionale

À partir des années 1980, la France et le Brésil impulsèrentune première redéfinition leur frontière amazonienne commune depuis l’établissement de leur limite internationale. Ils commencèrent peu à peu à mettre en place une collaboration institutionnelle au moment où plusieurs nations dans le monde programmaient également de nouvelles initiatives afin de stimuler la coopération internationale transfrontalière (KOLOSSOV, 2005KOLOSSOV, V. Border Studies: Changing Perspectives and Theoretical Approaches. Geopolitics, n.10, 2005, p. 606-632.; NEWMAN, 2006aNEWMAN, D. Borders and Bordering Towards an Interdisciplinary Dialogue. European Journal of Social Theory 9(2), 2016a. p, 171-186.; SILVA & GRANGER, 2016SILVA, G.V, e GRANGER, S. “Desafios multidimensionais para a cooperação transfronteiriça entre França e Brasil 20 anos depois (1996-2016)”, Revista Geographia, Rio de Janeiro, ano 18 n° 38, 2016, p. 27-50. http://www.uff.br/geographia/ojs/index.php/geographia/article/view/1055.
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), en s’appuyant sur les acteurs non-étatiques avec comme référence la coopération au niveau régional.

La perception et les usages économiques et politiques du territoire frontalier se transformèrent aussi avec les changements de statuts qui touchèrent les deux pays : la réforme territoriale de la France, connue comme lois de Décentralisation en 1982, a fait de la Guyane une unité administrative supérieure appelée Région d’Outre-mer, se superposant, mais ne remplaçant pas le département. Elle bénéficia ainsi de pouvoirs élargis concernant la planification territoriale et les possibilités de coopération régionale avec des territoires étrangers voisins. Quelques années plus tard, en 1988, l’élaboration de la nouvelle constitution du Brésil (dite de la Nouvelle République) transformait les derniers Territoires fédéraux, l’Amapá et le Roraima, en états de la fédération brésilienne avec un gouverneur et une assemblée locale élus, en même temps que l’archipel de Fernando de Noronha était rattaché comme district à l’état de Pernambouc.

L’Amapá put ainsi, comme la Guyane quelques années auparavant, obtenir un statut plus autonome, permettant des initiatives politiques locales, etnotamment d’établir de meilleures relations d’un point de vue institutionnel avec le territoire français d’Amérique du Sud. Ces modifications statutaires facilitèrent leur rapprochement initial (SILVA & GRANGER, 2016SILVA, G.V, e GRANGER, S. “Desafios multidimensionais para a cooperação transfronteiriça entre França e Brasil 20 anos depois (1996-2016)”, Revista Geographia, Rio de Janeiro, ano 18 n° 38, 2016, p. 27-50. http://www.uff.br/geographia/ojs/index.php/geographia/article/view/1055.
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) et permirent dès lors des usages du bassin de l’Oyapock plus stratégiques pour la coopération régionale, ce qui eut un impact sur le système de circulation régionale.

Après quelques initiatives plus ou moins sans lendemain3 3 - En 1991et 1992, des tentatives de rapprochement d’initiatives franco-guyanaises entre politiciens et hommes d’affaires de Guyane et d’Amapá, puis plus tard du Pará, ne se concrétisèrent pas faut d’une implication mutuelle expliquée par les différences de langue et de culture politique et entrepreneuriale. , le rapprochement définitif lançant la coopération fut permis par l’élection d’Antoine Karam à la tête de la Guyane en 1992, et de João Capiberibe à celle de l’Amapa, en 1994. Ce dernier, alors gouverneur, adopta mesures et directives dont l’objectif central était un partenariat avec la France autour de différents thèmes, ce qui accrut la crédibilité de l’Amapá en tant qu’unité fédérale brésilienne (RUELLAN, CABRAL & MOULIN, 2007RUELLAN, A; CABRAL, M; MOULIN, N. Desenvolvimento sustentável no Amapá: uma visão crítica. Brasília, ed. Abaré, 2007.), ainsi que ses compétences géopolitiques, grâce principalement au lancement du Programme de Développement Durable de l’Amapa (PDSA4 4 - Le gouverneur João Capiberibe (1994-2002) voulait faire de l’Amapá un état pilote pour une politique de développement social et économique avec une ambition environnementale et dans le respect des populations autochtones. Le programme qu’il présenta dans divers pays européens, notamment au Parlement européen de Strasbourg, fut suivi avec une grande attention de la part des gouvernements. Mais le PDSA ne survécut pas à la fin de son mandat. ). Ce programme qui fut reçu avec enthousiasme par Antoine Karam, lequel était également demandeur d’une plus grande ouverture vers son environnement régional pour des raisons identitaires, géopolitiques et économiques5 6 - Il est important de souligner que, du fait de son appartenance à la République Française, la Guyane relève encore aujourd’hui de la compétence du département Europe du Ministère brésilien des Affaires étrangères. (GRANGER, 2012GRANGER, S. La Guyane et le Brésil, ou la quête d’intégration continentale d’un département français d’Amérique. Thèse de doctorat de géographie – IHEAL, Université de Paris 3, 2012. ; SILVA & GRANGER, 2016SILVA, G.V, e GRANGER, S. “Desafios multidimensionais para a cooperação transfronteiriça entre França e Brasil 20 anos depois (1996-2016)”, Revista Geographia, Rio de Janeiro, ano 18 n° 38, 2016, p. 27-50. http://www.uff.br/geographia/ojs/index.php/geographia/article/view/1055.
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).

Les deux gouverneurs firent pression sur leurs exécutifs nationaux pour renforcer le partenariat dans leur espace frontalier, avec comme principal argument la volonté de capter plus de ressources financières et d’obtenir plus d’autonomie. Finalement, quand le président brésilien Fernando Henrique Cardoso se rendit en voyage officiel en France en 1996, accompagné par Capiberibe, il signa un accord-cadre bilatéral de coopération entre les deux pays, dont l’article 6 mentionnait, pour la première fois, l’établissement d’une coopération transfrontalière impliquant les autorités nationales et locales. Pour le Brésil, la Guyane peu à peu perdait sa perception métaphorique d’anomalie coloniale, qui résultait de sa condition de département d’outre-mer français alors que le processus de décolonisation était pratiquement achevé, pour se transformer en une interface possible de futurs partenariats économiques la mettant en relation avec l’Europe via l’Amapa6 6 - Il est important de souligner que, du fait de son appartenance à la République Française, la Guyane relève encore aujourd’hui de la compétence du département Europe du Ministère brésilien des Affaires étrangères. .

Suite à la signature de l’accord-cadre, un protocole officiel de coopération fut signé entre l’état d’Amapa et le Conseil régional de Guyane autour des thèmes de l’infrastructure, de l’économie, du tourisme, de l’environnement, de la recherche, de l’éducation, de la culture, des sports, de la sécurité, de l’immigration et du développement durable, ce dernier étant l’axe principal. Le document abordait le thème très sensible des migrations des Brésiliens vers la rive française, en donnant un cadre juridique au retour des migrants illégaux, et montrait qu’il s’agissait là un des principaux défis concernant les nouvelles relations transfrontalières (GRANGER, 2012GRANGER, S. La Guyane et le Brésil, ou la quête d’intégration continentale d’un département français d’Amérique. Thèse de doctorat de géographie – IHEAL, Université de Paris 3, 2012.; SILVA, 2016SILVA, G.V.“France-Brazil Cross-border CooperationStrategies:Experiences and Perspectives on Migration and Trade“. Journal of Borderlands Studies, 2016. http://dx.doi.org/10.1080/08865655.2016.1197788.
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).

Vers la connexion physique : la décision de construire un pont binational

Le rapprochement institutionnel transfrontalier prit un nouvel essor au cours de la seconde moitié des années 1990, surtout à partir de septembre 1997 quand se réunit à Brasilia la première commission mixte de coopération transfrontalière, puis, en novembre de la même année, avec la rencontre à Saint-Georges des présidents Fernando Henrique Cardoso (Brésil) et Jacques Chirac (France).

Reprenant une idée initiale du gouverneur Capiberibe, les deux présidents décidèrent officiellement la construction d’un pont binational, redéfinissant une fois de plus la circulation dans le bassin du fleuve Oyapock. Désormais, il ne s’agissait plus seulement du fleuve Oyapock comme connexion, mas également d’un ouvrage d’art qui, en théorie, devait faciliter le transport des personnes et des marchandises. Ce changement dans l’approche de cette frontière s’intégrait dans la recomposition stratégique que connaissaient ces territoires particuliers depuis au moins la dernière décennie du XXe siècle (NEWMAN, 2006aNEWMAN, D. Borders and Bordering Towards an Interdisciplinary Dialogue. European Journal of Social Theory 9(2), 2016a. p, 171-186.). Les frontières et les limites internationales commencèrent dès lors à être interprétées comme des territoires d’opportunités de coopération, même si la fonction traditionnelle de protection, de défense et de la perception de l’autre comme étranger garda son importance (KOLOSSOV, 2005KOLOSSOV, V. Border Studies: Changing Perspectives and Theoretical Approaches. Geopolitics, n.10, 2005, p. 606-632.; NEWMAN, 2006bNEWMAN, D. The lines that continue to separate us: borders in our ‘borderless’world. Progress in Human Geography, 30, 2, 2016b. p. 143-161.; FOUCHER, 2009FOUCHER, M. L’obsession des frontières. Perrin, Paris, 2019.), à l’image des actions de constructions de murs dans le monde comme celui que le président Donald Trump propose pour la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique.

Ainsi, au long des années 2000, le contexte frontalier de l’Oyapock connut une modification radicale comparé à celui de deux décennies antérieures. Le goudronnage de la route fédérale BR 156 entre Macapá et Oiapoque (Carte 3), même s’il reste encore 110 kilomètres à terminer, et le prolongement de la route nationale RN 2 de Cayenne jusqu’à Saint-Georges, à la fin de 2003 (200 kilomètres), facilitèrent l’accès aux villes frontalières du bassin de l’Oyapock.

Carte 3
La géographie de la circulation du bassin du fleuve Oyapock (actuellement) Immigration illégale et contrôle des flux

La liaison terrestre amena vers la frontière un nombre important de Guyanais et d’Européens, désireux désormais de connaître le Brésil depuis sa frontière avec un territoire français ou même d’utiliser Macapá comme point de départ vers diverses destinations. Oiapoquevit également arriverplus facilement les clients venus de Cayenne et du littoral guyanais, attirés par les prix attractifs des marchandises brésiliennes. Ainsi, la circulation dans cet espace géographique ne se limita plus à celle des habitants natifs et connecta le système de circulation local à une logique réticulaire élargie par les connexions routières.

Immigration illégale et contrôle des flux

Le problème de l’immigration irrégulière brésilienne en Guyane s’aggrava sérieusement, lorsque s’accrut de façon explosive l’orpaillage à l’intérieur du département français, essentiellement pratiqué par des Brésiliens. L’augmentation significative du nombre de garimpeiros (orpailleurs illégaux) dans le bassin du fleuve Oyapock augmenta progressivement l’activité dans cette région, et permit l’apparition d’un nouveau noyau de population à proximité de l’Oyapock, appelé Ilha Bela (Carte 3). Ainsi la géographie de la circulation régionale activa un nouveau point de connexion dans son système régional. La région de l’Oyapock eut une importance fondamentale au début de cette phase, puisque les migrants brésiliens partaient de la ville d’Oiapoque et pénétraient en Guyane soit par le fleuve Sikini, un affluent de la rive occidentale, soit en affrontant la haute mer et pénétrant par le fleuve Approuague.

La fièvre de l’or attira des dizaines de milliers d’orpailleurs brésiliens et causa de graves dommages environnementaux dans la région d’exploitation et ses alentours (DEZÉCACHE et al., 2017). Une des conséquences fut de rendre la coopération et le projet de pont sur le fleuve Oyapock très impopulaires auprès des Guyanais. Afin de contrôler le flux d’orpailleurs, un poste de contrôle permanent de Gendarmeriefut érigé à mi-chemin de Saint-Georges et Cayenne (Photo 1), à Bélizon puis à Regina au bord du fleuve Approuague, officiellement pour lutter contre les braquages commis sur cette route, mais qui fonctionne en vérité comme un check-point, puisque tous ceux qui y passent doivent présenter un document d’identité ou un passeport avec un visa en cours de validité. Ce poste continue de fonctionner actuellement, mais sans réussir à contrôler le flux d’orpailleurs brésiliens. Selon Maillarbeaux (2018)MAILLARBEAUX, F. La Guyane et la diplomatie française. Master de Relações internacionais, Universidade de Lyon, Lyon, 2018., la Police Fédérale brésilienne à Oiapoque, confirmée par la Gendarmerie, estimait à 10.000 le nombre d’orpailleurs en 2018 en Guyane.

Photo 1
Postes de contrôle à Bélizon et Regina

Paradoxalement donc, c’est au moment où la construction d’un ouvrage d’art commençait à permettre une connexion physique entre le Brésil et un territoire français, que se renforcèrent significativement les contrôles de circulation de personnes dans le bassin de l’Oyapock. En prévision de cette nouvelle infrastructure, la France installa en 2005 un détachement de la Police aux Frontières (PAF) à Saint-Georges, et rendit obligatoire l’obtention d’un visa officiel pour les Brésiliens.

Cette mesure mit fin à la tolérance dont ils bénéficiaient jusqu’alors pour circuler du côté français de la zone frontalière, laquelle constituait la colonne vertébrale de la circulation des personnes et des marchandises dans la région. De nombreux Brésiliens vivant à Saint-Georges sans attestation de résidence furent expulsés, ce qui amena à la création en 2001 de Vila Vitoria, un nouveau quartier de l’autre côté du fleuve, en territoire brésilien (Carte 3 et SOUZA OLIVEIRA, 2011SOUZA OLIVEIRA, B. Dinâmicas sociais na fronteira entre o estado do Amapá e a Guiana francesa: um estudo sobre Oiapoque, Vila Vitória do Oiapoque e Cayenne. Mestrado UNIFAP, Macapá, 2011.), comptant aujourd’hui près de 3000 habitants. Aujourd’hui y vivent autant des migrants venus principalement du Maranhão, cherchant à se rendre à Cayenne ou dans les placers guyanais, que des fonctionnaires français à la recherche d’habitations aux prix inférieurs à ceux pratiqués du côté français de la frontière. En conséquence, les flux réguliers des taxis-pirogues entre Vila Vitoria et Saint-Georges devinrent quotidiens et fondamentaux dans la géographie de la circulation régionale.

Conflits dans les zones protégées

Tant au Brésil qu’en Guyane, le Haut-Oyapock (Carte 3) a été consacré à partir des années 2000 à la protection de l’environnement, avec la création du Parc National des Montagnes du Tumucumaque (PNMT) en 2002 et du Parc Amazonien de Guyane (PAG) en 2007. La région était de fait peu peuplée, en dehors de la petite commune française de Camopi et de la communauté brésilienne de Vila Brasil (Carte 3), également impliquées dans un système local fortement intégré, et dont la connexion centrale pour l’arrivée des marchandises était toujours constituée par la ville d’Oiapoque. La première est encore aujourd’hui presque entièrement peuplée d’indigènes Waiãpi et Teko, lesquels bénéficient d’un certain pouvoir d’achat grâce aux allocations sociales garanties par l’Etat français. La seconde connait une activité économique quotidienne orientée vers la vente de marchandises diverses, en euro, aux habitants de Camopi.

En 2007, l’Etat brésilien décida d’y renforcer la surveillance, en créant un second détachement militaire de frontière à côté de Vila Brasil. Ce détachement faisait également partie d’un programme destiné à officialiser cette communauté qui, étant localisée à l’intérieur des limites du PNMT, ne pouvait, en théorie y demeurer. Aucune solution définitive n’a encore été trouvée pour résoudre ce problème, en dépit des diverses tentatives pour y remédier.

La période actuelle : le paradoxe d’un pont qui divise ?

L’aspect le plus symbolique de cette période actuelle fut la construction du pont binational sur le fleuve Oyapock (photo 2), dont l’ouverture provoqua une seconde redéfinition de la frontière. Le projet de ce pont s’intégrait totalement au programme d’investissements sud-américains en infrastructures de l’IIRSA (Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-Américaine, voir www.iirsa.org) et sa conclusion mit 14 ans (1997-2011). Après l’achèvement, six ans furent encore nécessaires pour son ouverture, en 2017. De plus,cette ouverture ne fut que partielle, du fait de l’absence significative de représentants du gouvernement fédéral brésilien lors de l’inauguration et du manque d’effectifs de la Police Fédérale, des Douanes et des Services Sanitaires du côté brésilien.

Photo 2
Pont binational (2019)

Avec l’ouverture du pont, le système de circulation du bassin de l’Oyapock fut l’objet d’une intense transformation par l’apparition d’un système double et asymétrique. Le pont capta ainsi la circulation légale, mais en imposant de façon renforcée les normes de la France continentale, dans un processus d’affirmation renforcé de l’échelle nationale dans un contexte local. Les habitants de la Guyane, surtout ceux de Cayenne et de Kourou, utilisent le pont pour se rendre à Oiapoque dans le but d’y faire des achats.

En dépit du prix élevé des marchandises par rapport à d’autres régions du Brésil, en raison du transport depuis Macapá jusqu’à la frontière, la valorisation de l’euro par rapport au real (au moins 4,30 reals pour 1 euro aujourd’hui) et les salaires élevés de la Guyane par rapport au Brésil, permettent aux visiteurs de bénéficier d’un très fort pouvoir d’achat. Cependant, du fait que le Brésil et la Guyane appartiennent à deux blocs économiques distincts ayant chacun sa logique protectionniste et sanitaire, une bonne partie des marchandises, comme la viande brésilienne ou les produits frais produits ou vendus en Guyane comme les fruits et les fromages, ne peuvent passer légalement la frontière. Malgré la volonté de coopération régionale, les règles pour dépasser ces obstacles n’ont pas encore définies, montrant à quel point le développement des échanges est difficile alors qu’il ne semble pas y avoir dans un horizon proche une modification significative d’une telle configuration, même si en juillet 2019 deux douzaines de poids-lourd ont été autorisés à traverser le pont binational (Photo 2) pour transporter les équipements nécessaires à la construction d’une usine de biomasse en Guyane.

Si le pont permet le passage des voyageurs de la Guyane vers le Brésil, l’inverse se vérifie peu du fait de la législation. L’obligation du visa pour les Brésiliens et le coût de l’assurance française pour les véhicules automobiles (obligatoire pour entrer en Guyane), font que le fleuve reste le principal moyen de déplacement des Brésiliens, ce qu’illustre le fait que sur les 2000 véhicules par mois qui transitent par le pont (88 par jour), seuls 1% ont été enregistrés au Brésil (CORNOU, 2018CORNOU A. Etude préfiguratrice Observatoire International des Transports de l’Oyapock, Rapport Final. Caiena: Labex DRIIHM/DEAL/LEEISA, 2018.).

Les autorités franco-brésiliennes ont tenté une réponse pertinente au problème des entraves à la circulation locale des personnes, en créant une «carte transfrontalière». Celle-ci devait permettre la mobilité des citoyens d’Oiapoque du côté français dans un périmètre plus important, alors qu’il s’établissait auparavant à quelques mètres à peine à partir du fleuve, de manière à ce que les taxis-piroguiers puissent embarquer et débarquer passagers et marchandises sur leurs embarcations.

Établi en 2015, fruit de l’accord signé l’année précédente et d’une validité de deux ans, cette carte a constitué une première étape vers la reconnaissance institutionnelle de l’existence d’un système local intégrant les deux rives du fleuve. De façon contradictoire, les limites aux déplacements autorisés pour les détenteurs de cette carte en ont réduit la portée initiale. La carte permet tout juste la circulation dans Saint-Georges et pour une durée de 72 heures maximum, en plus de n’être accordée qu’aux habitants du noyau urbain d’Oiapoque.

Une circulation informelle par le fleuve

Les flux légaux passant par le pont, le fleuve continue d’être très utilisé pour la traversée informelle des personnes et des marchandises. Quand les voyageurs de Guyane viennent chercher à Oiapoque des marchandises souvent interdites à l’importation (tels que les produits frais, viandes, fruits, légumes, etc.), ils les passent sous le manteau toujours par le biais des pirogues, puisque le risque d’y être contrôlé est infime comparé à celui de passer en voiture par le poste de frontière. Dans le but de freiner cette circulation irrégulière, les autorités françaises effectuent des contrôles volants réguliers et vérifient de manière sporadique les véhicules au barrage de Régina (Photo 1). De leur côté, les Brésiliens qui se rendent en Guyane le font souvent à la recherche d’un emploi, généralement informel car ne possédant pas de document pour entrer légalement, ou parfois pour être soigné à l’hôpital de Cayenne. Les pirogues constituent là encore la meilleure option. Ainsi, les piroguiers gèrentun flux informel ou illégal du point de vue des Douanes ou de la PAF.

Le pont binational semble ainsi permettre, contrairement à ce que l’on imaginait, la continuité sans grand changement de l’activité des taxis-piroguiers : seuls 20% des usagers auraient changé leur mode de transport avec l’ouverture du pont (CORNOU, 2018CORNOU A. Etude préfiguratrice Observatoire International des Transports de l’Oyapock, Rapport Final. Caiena: Labex DRIIHM/DEAL/LEEISA, 2018.), même si certaines sources locales évoquent une perte de 30 à 40% du flux de passagers en semaine, justement aux horaires de fonctionnement du pont. Il serait intéressant de voir dans un futur proche si l’élargissement des horaires de fonctionnement du pontaura un impact négatif sur les piroguiers ou si, au contraire, par la coexistence des flux montrée plus haut, leur activité restera relativement stable.

Il est opportun de souligner que le pont binationalest à l’origine d’une situation très paradoxale : au lieu de fonctionner comme un maillon pour le rapprochement et un catalyseur pour la circulation régionale, l’ouverture partielle de cet ouvrage d’art a donné en fait une plus grande visibilité aux problèmes et aux contradictions propres à cette frontière. Les restrictions illustrent d’autant plus la méfiance des Guyanais envers le pont binational. Ils craignent que celui-ci ne facilite une invasion de produits et de migrants brésiliens, alors que les directives institutionnelles en cours d’implantation renforcent au contraire le contrôle de la circulation.

Le renforcement de ce contrôle, au centre de la contradiction exposée ci-dessus, n’empêche pas cependant que l’Oyapock demeure un point de passage des drogues provenant essentiellement de Colombie, au point que la Police Fédérale brésilienne reçoit des ressources supplémentaires pour effectuer plus intensément ses missions dans cette région, même si ces mesures sont encore insuffisantes. Les agissements français n’empêchent pas les nombreux candidats à l’émigration d’affronter la haute mer pour se déplacer illégalement entre Oiapoque, Cayenne, Albina et Paramaribo, ces deux dernières étant des villes situées au Suriname. Le fait nouveau est que, en plus des importants flux de Brésiliens, ce sont maintenant des Haïtiens, des Africains de diverses régions et des Syriens7 7 - Du fait de la guerre civile qui touche la Syrie, le Brésil a accueilli de nombreux réfugiés originaires de ce pays. Attirés par les possibilités d’obtenir l’asile politique dans la Guyane voisine, nombre d’entre eux tentent de migrer vers ce territoire français en passant par l’Oyapock, pour tenter de rejoindre ensuite Paris ou la France métropolitaine après leur régularisation. qui cherchent à entrer en France par le Brésil.

CONCLUSION

La frontière partagée par le Brésil et la France est passée par au moins trois types de configuration au cours de ces 119 ans, depuis l’établissement de la limite entre les deux Etats. La première phase fut celle de l’isolement-éloignement. Les administrations des deux pays ont considéré la frontière comme une barrière solide entre deux entités politiques, ce qui a ainsi davantage renforcé la forte interaction dans le système de circulation local, puisque même si elle sépare les deux pays, la limite juridique n’a jamais séparé les peuples indigènes ou les communautés vivant au bord du fleuve, qui bien avant la création de la dyade circulaient déjà sur les bords du fleuve Oyapock.

La seconde fut marquée par le début du désenclavement terrestre des villes frontalières et des accords officiels de coopération. Le bassin du fleuve Oyapock devint alors un pilier stratégique à diverses échelles, faisant émerger en même temps les dimensions de contrôle et de coopération. Les changements statutaires qui ont concerné les deux pays ont permis d’accroître les compétences institutionnelles de l’Amapá et de la Guyane, donnant un support juridique au début de leur coopération officielle. Dans la mesure où ce rapprochement définitif dans le cadre de la coopération s’effectuait au moment où les garimpeiros venus du Brésil se multipliaient dans l’intérieur de la Guyane, la frontière vécue dans cette seconde configuration offrit une double perspective de coopération et de contrôle.

La troisième et actuelle définition de la frontière est marquée par la construction et la mise en activité du pont binational, qui implique des changements décisifs sur la circulation locale. L’impact du pont se mesure sur trois grandsaxes. En premier lieu, la circulation «liquide» (fluviale), autrefois hégémonique, est concurrencée aujourd’hui par la circulation «dure» (terrestre). Nous assistons en second lieu à la substitution des accords ou des normes informelles locales par de nouvelles règles internationales s’adaptant difficilement au contexte local, ce qui provoque frustration ou conflit. Finalement, on observe une contradiction dans les relations bilatérales: le discours officiel d’intégration valorise une meilleure position d’interface entre les deux rives du fleuve quand dans la pratique on assiste à sa diminution et à un durcissement de la législation.

Dès lors, c’est par l’existence simultanée du transport terrestre légal et des pirogues non officielles que se caractérise la circulation sur le bassin du fleuve Oyapock. Bien que le pont et la construction de routes semblent annoncer une possible domination de la circulation terrestre dans les prochaines années, l’informalité de la circulation fluviale tout comme le fait que des noyaux de peuplement isolés comme Vila Brasil, Ilha Bela, Camopi ou Ouanary en dépendent pour leur approvisionnement continueront probablement à faire du fleuve Oyapock la principale voie de communication entre les deux rives, ou entre les centres urbains et leur périphéries éloignées.

Un autre aspect de la définition actuelle de la frontière est que l’échelon national s’impose désormais davantage dans l’établissement des règles de circulation, provoquant ainsi un raidissement. Ce qui pourra également entraver les nouvelles adaptations dans le contexte local, puisque, malgré l’accord Mercosul-Union européenne, d’ailleurs suspendu à l’accord des parlements européens, les relations entre le Brésil et la France se sont refroidies avec l’élection de JairBolsonaro à la présidence du Brésil, du fait principalement de ses actions à l’encontre de la protection environnementale, surtout em Amazonie, et de la menace de retirer le Brésil de l’accord de Paris. Ce froid diplomatique entre les deux Etats, même s’il n’est pas officiel, a été visible lors de la cérémonie d’investiture du présidentBolsonaro, où aucun représentant du gouvernement français n’était présent, ce qui était alors une tradition jusqu’ici. Le refroidissement des relations entre les deux pays éloigne pour le moment les possibilités d’établissement d’une véritable circulation formalisée entre les deux côtés de la frontière, qui passe principalement par la suppression de l’exigence de visa pour les Brésiliens, ce qui constituerait une étape fondamentale dans la normalisation bilatérale de la frontière.8 8 - La France et le Brésil ont un accord de réciprocité qui supprime la nécessité d’un visa de tourisme. Cependant, la France exige des Brésiliens voulant pénétrer en Guyane Française l’obtention d’un visa à au prix élevé, alors que les voyageurs de Guyane vers le Brésil en sont exemptés du fait de l’accord de réciprocité.

REMERCIEMENTS

Ce travail a pu bénéficier du financement de l’Observatoire Homme-Milieu (OHM-Oyapock/ LABEX DRIIHM), antenne Guyane. Nous en profitons pour remercier leDr. Raimundo Nonato Junior, du département de Géographie de l’Université Fédérale du Rio Grande do Norte (UFRN), qui collabora à l’élaboration de la version initiale de ce texte. La traduction française a été réalisée par Miguel Patrice Philippe Dhenin, doctorant en géographie à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), et révisée par Stéphane Granger.

  • 1
    - Le statut français de la Guyane, qui en fait une partie intégrante de la France (et de l’Union européenne), lui fait bénéficier de ses salaires, de la sécurité sociale et de la législation sociale, en dépit du manque d’équipements publics par rapport aux critères français. Elle connait ainsi un des indices de développement humain (IDH) parmi les plus élevés de la Caraïbe et du nord du sous-continent sud-américain (GRANGER, 201417 GRANGER, S. «L’Amazonie brésilienne, nouvelle interface migratoire entre les Caraïbes et l’Amérique du Sud?»Mercator, Fortaleza, vol. 13 n°1, p. 7-17, 2014.).
  • 2
    - Pour aller de l’Amapá vers les autres états de la fédération, même les plus proches comme le Pará, il faut prendre un bateau pendant près de 20 heures, en traversant l’archipel de Marajó, ou bien un avion pendant environ 45 minutes. Au sud de cet état existe une liaison physique avec le Pará, cependant, il n’existe aucun pont pour traverser des cours d’eau conséquents.
  • 3
    - En 1991et 1992, des tentatives de rapprochement d’initiatives franco-guyanaises entre politiciens et hommes d’affaires de Guyane et d’Amapá, puis plus tard du Pará, ne se concrétisèrent pas faut d’une implication mutuelle expliquée par les différences de langue et de culture politique et entrepreneuriale.
  • 4
    - Le gouverneur João Capiberibe (1994-2002) voulait faire de l’Amapá un état pilote pour une politique de développement social et économique avec une ambition environnementale et dans le respect des populations autochtones. Le programme qu’il présenta dans divers pays européens, notamment au Parlement européen de Strasbourg, fut suivi avec une grande attention de la part des gouvernements. Mais le PDSA ne survécut pas à la fin de son mandat.
  • 5
    - Désireux de s’affirmer tant sur le plan culturel que sur le plan économique, en s’opposant à la domination culturelle et au monopole économique de la France, plusieurs politiciens guyanais, à partir des années 1990, voulurent assumer plus fortement leur identité amazonienne et entamèrent un rapprochement avec les pays de la région, principalement le Brésil, ce que permettait le nouveau statut politique de la Guyane.
  • 6
    - Il est important de souligner que, du fait de son appartenance à la République Française, la Guyane relève encore aujourd’hui de la compétence du département Europe du Ministère brésilien des Affaires étrangères.
  • 7
    - Du fait de la guerre civile qui touche la Syrie, le Brésil a accueilli de nombreux réfugiés originaires de ce pays. Attirés par les possibilités d’obtenir l’asile politique dans la Guyane voisine, nombre d’entre eux tentent de migrer vers ce territoire français en passant par l’Oyapock, pour tenter de rejoindre ensuite Paris ou la France métropolitaine après leur régularisation.
  • 8
    - La France et le Brésil ont un accord de réciprocité qui supprime la nécessité d’un visa de tourisme. Cependant, la France exige des Brésiliens voulant pénétrer en Guyane Française l’obtention d’un visa à au prix élevé, alors que les voyageurs de Guyane vers le Brésil en sont exemptés du fait de l’accord de réciprocité.

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Publication Dates

  • Publication in this collection
    11 Nov 2019
  • Date of issue
    2019

History

  • Received
    01 June 2019
  • Accepted
    11 July 2019
  • Published
    15 Aug 2019
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