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Se construire en tant qu'auteure de langue française. L'exemple d'Assia Djebar* * Cet article fait suite à la réflexion amorcée dans “Ethos et voix narratives. Engagement et Histoire des femmes algériennes dans les écrits et les films d'Assia Djebar”, in COLIN, Claire; FEUILLEBOIS, Victoire (Dir.), Agon Rivista Internazionale di Studi Culturali, Linguistici e Letterari Figurations et ethos du conteur dans la littérature et les arts (XIXe-XXIe), 2017, p. 340-371.

Construir-se como autora de língua francesa. O exemplo de Assia Djebar

Self-building as a French-speaking feminine author. The example of Assia Djebar

Résumé:

Les débats autour du statut d'auteure cristallisent actuellement les tensions; en témoignent notamment la vive polémique autour du substantif féminin auteure. Ces interrogations quant au statut des créatrices apparaissent d'autant plus fortes et virulentes quand elles s'attachent aux femmes appartenant aux littératures de langue française. Les accointances entre la situation des femmes et celles des auteurs de langue française sont nombreuses et se retrouvent notamment autour de la question de la légitimité. Sur une scène littéraire majoritairement dominée par des écrivains, hommes donc, blancs et occidentaux, écrire en français en tant que femmes étrangères relève d'une double gageure et entraîne un besoin de justification. Pour la présente réflexion, nous nous attacherons à l'œuvre d'Assia Djebar, première écrivaine de langue française à avoir rejoint l'Académie française en 2005. Polymorphe, son œuvre, tant littéraire que filmique, tend à revenir sans cesse, tel un leitmotiv, sur son auctorialité, construisant ainsi sa propre représentation et l'image de soi (AMOSSY, 2010). C'est en cela que l'ethos de l'écrivaine participe d'une mise en scène tout à fait particulière, qui relève à la fois de la littérature féminine et de la littérature postcoloniale.

Mots-clés:
Assia Djebar; littérature postcoloniale; écriture féminine; engagement; voix

Resumo:

Os debates que envolvem o status de autora atualmente cristalizam as tensões, o que testemunha em particular a polêmica viva em torno do substantivo feminino autora. Essas questões sobre o status das mulheres criadoras parecem ainda mais fortes e mais ativas quando se trata de mulheres pertencentes às literaturas em língua francesa. As conexões entre a situação das mulheres e as dos autores francófonos são numerosas e concentram-se particularmente no que diz respeito à questão da legitimidade. Numa cena literária predominantemente dominada por escritores, homens, sobretudo brancos e ocidentais, escrever em francês como mulheres estrangeiras constitui um duplo desafio e implica uma necessidade de justificação. Para a presente reflexão, nos concentraremos no trabalho de Assia Djebar, primeira escritora de língua francesa a ingressar na Academia Francesa em 2005. Polimorfa, sua obra, tanto literária quanto fílmica, tende a retornar incessantemente, como um leitmotiv, por sua autoria, construindo assim sua própria representação e imagem de si (AMOSSY, 2010). É nisto que o ethos de escritora participa de uma encenação muito particular, que é ao mesmo tempo da literatura feminina e da literatura pós-colonial.

Palavras-chave:
Assia Djebar; literatura pós-colonial; escrita feminina; comprometimento; voz

Abstract:

Current debates on the status of feminine author crystallize tensions, and in particular the lively polemic on the use of the French feminine noun “auteure”. These questions about the status of women creators appear even stronger and virulent when they focus on women belonging to French-language literatures. Connections between the situation of women and French-speaking authors are numerous and they are found especially on the question of legitimacy. On a literary scene mostly dominated by writers (men, white and Western) writing in French for a foreign woman is a double challenge and entails a need for justification. For the present reflection, we will focus on the work of Assia Djebar, the first French-language writer to have joined the Académie française in 2005. Polymorph, her literary and filmic work tends to return incessantly, as a leitmotiv, on her authorship: thus she builds her own representation and “image de soi” (AMOSSY, 2010). The writer's ethos takes part in a very particular construction, which involve at the same time feminine identity and postcolonial literature.

Keywords:
Assia Djebar; postcolonial literature; feminine writing; commitment; voice

Les études portant sur l'accession des femmes à l'écriture sont aujourd'hui nombreuses et donnent à voir une scène littéraire qui reste majoritairement dominée par les hommes. Si de plus en plus d'écrivaines apparaissent sur les rayonnages des librairies, leur légitimité reste pourtant soumise à caution. La reconnaissance des productions artistiques féminines demeure fragile, le sexe de l'auteur.e induisant déjà des représentations et des discours qui préexistent à l'œuvre elle-même. Pour le formuler autrement, les constructions sociales devancent la découverte d'une œuvre, agissant à la manière d'un prisme qui l'influence et contribue à sa réception. Cette question a récemment été à nouveau soulevée à l'occasion de l'élaboration des programmes scolaires et des examens du baccalauréat en France. Le Centre Hubertine Auclert, dans son étude de 2013 portant sur la représentation des œuvres féminines dans les manuels scolaires, fait un constat alarmant quant à la place des créatrices dans l'enseignement secondaire: “Les femmes auteures (3,7%) et artistes (6,7%) sont très peu citées par rapport à leurs homologues masculins (96,3% et 93,3%)1 1 Centre Hubertine Auclert, Étude: Les manuels de français se conjuguent au masculin, 2013, p. 15, disponible sur <https://www.centre-hubertine-auclert.fr/…/synthese_etude2013_francais_cha_web.pdf> (page consultée le 12 juillet 2018). À titre d'exemple, les auteur.e.s précisent que “le manuel de la collection Bordas présente 50 pages sur l'histoire littéraire et culturelle du XVIIe au XXe siècle dans lesquelles seules 12 femmes sont citées contre environ 224 hommes, tous domaines confondus” (ibid., p. 22). ”. Seuls les hommes semblent avoir voix au chapitre et accéder au statut de créateurs reconnus, donc enseignés et transmis: cela pérennise non seulement leur réception, mais aussi l'idée selon laquelle l'Art serait d'abord affaire d'hommes. Cela revient finalement, et c'est bien connu, à scinder de manière sexuée le potentiel de création, les hommes accédant à la création là où les femmes se placeraient du côté de la procréation. Les débats autour du statut d'auteure qui cristallisent ces tensions; en témoignent notamment la vive polémique autour du substantif féminin auteure2 2 La féminisation du nom auteur reste polémique en France et les débats se font virulents et acerbes. Les termes désignant les créatrices littéraires se multiplient face à la nécessité de désigner l'accession des femmes au champ littéraire. Néanmoins, si tous cherchent à échapper à la désignation de femme auteur, ils ne recouvrent pas les mêmes enjeux. Le lecteur assiste donc à l'émergence d'autrice, d'auteuresse, d'autoresse, d'écrivaine, de femme de lettres, de littératrice et d'auteure. Si le gouvernement Jospin, par sa volonté de féminiser la langue avec la Circulaire du 6 mars 1998 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, avait proposé le terme de auteur ou auteure, l'Académie française reste quant à elle opposée à la féminisation de la langue et s'offusque d'une telle audace “écrivaine, autrice… L'oreille autant que l'intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales” (déclaration de l'Académie française du 10 octobre 2014, disponible sur <http://www.academie-francaise.fr/actualites/feminisation-des-noms-de-metiers-fonctions-grades-et-titres>). Les pays francophones ont, quant à eux, su dépasser ces oppositions, la Belgique walonne acceptant une auteure ou une auteur, le Québec et la Suisse romande encourageant vivement l'utilisation de la forme féminine une auteure. Pour notre part, nous faisons le choix d'utiliser le substantif auteure. . Ces interrogations quant au statut des créatrices apparaissent d'autant plus fortes et virulentes quand elles s'attachent aux femmes appartenant aux littératures de langue française, et non à la littérature française. Les accointances entre la situation des femmes et celles des auteurs de langue français sont nombreuses3 3 À ce sujet, on se tournera notamment vers les œuvres de Homi Bhabha, The Location of Culture, New York, Routledge, 2005 [1994]; Judith Butler, Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2005 [1990]; Etienne Balibar, Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe, Paris, La Découverte, 1988; Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought, New York, Routledge, 2000; Kimberlé W. Crenshaw, “Cartographies des marges: intersectionnalité, politique de l'identité et violences contre les femmes de couleur”, Cahiers du genre, n. 39, 2005; Christine Delphy, “Antisexisme ou antiracisme? Un faux dilemme”, Nouvelles Questions Féministes, n. 1, 2006. et se retrouvent notamment autour de la question de la légitimité. Sur une scène littéraire majoritairement dominée par des écrivains, hommes donc, blancs et occidentaux, écrire en français en tant que femmes étrangères relève d'une double gageure et entraîne un besoin de justification.

Pour la présente réflexion, le propos s'appuiera sur travaux menés par Ruth Amossy et Dominique Maingueneau dans une perspective d'analyse du discours. Il s'agira d'étudier la construction du statut d'auteure, au féminin donc, de la langue française au xxe siècle. Si la doxa et le post-féminisme laissent à entendre que l'égalité est atteinte entre femmes et hommes, entre auteures et auteurs, la question de la légitimité des écrivaines reste, à commencer pour elles, sujette à débat et à questionnement. Ainsi, nous nous attacherons à l'œuvre littéraire et cinématographique d'Assia Djebar4 4 Assia Djebar (1930-2015). De son vrai nom, Fatima Zohra Imalayenne. Née en 1930 à Cherchell, Assia Djebar écrit son premier roman, La Soif (1957), après son cursus à l'ENS de Sèvres. D'abord professeure d'histoire moderne en Algérie, elle enseignera par la suite les études francophones à l' Université d' Alger jusqu'en 1980, date à laquelle elle s'installera en France, pour y enseigner et poursuivre ses travaux d'auteure et de cinéaste. Depuis 1995, elle vivait aux États-Unis. Son œuvre, riche et vaste, a été traduite en vingt-trois langues et fait l'objet de nombreuses études. Elle fut la première auteure algérienne de langue française à rejoindre l'Académie française en 2005. Assia Djebar est décédée le 6 février 2015 à Paris. Nous nous intéresserons ici notamment à La Nouba des femmes du Mont Chenoua (1978), La Zerda ou les chants de l'oubli (1982), L'Amour, la fantasia (1985), Vaste est la prison (1987), , première écrivaine de langue française à avoir rejoint les Immortel.le.s de l'Académie française en 2005. Polymorphe, son œuvre, tant littéraire que filmique, tend à revenir sans cesse, tel un leitmotiv, sur son auctorialité; et l'auteure prend soin de construire dans ses œuvres sa propre représentation et l'image de soi (AMOSSY, 2010). L'écriture procède ainsi d'un pharmakôn, à la fois remède au déficit identitaire qui la ronge et douleur tant elle creuse ses souffrances. C'est en cela que l'ethos de l'écrivaine participe d'une mise en scène tout à fait particulière, qui relève à la fois de la littérature féminine et de la littérature postcoloniale telle que Jean-Marc Moura l'a mise en relation avec la notion de scénographie (MOURA, 1999MOURA, Jean-Marc. Littératures francophone et théorie postcoloniale. Paris: PUF, 1999., p. 153). Assia Djebar a fait montre d'un engagement politique fort, que ce soit dans la cause des femmes ou dans la reconstruction du passé algérien.

1 La question de la subjectivité

Commençons par faire un rapide excursus vers la notion d'auteur. Le Trésor de la Langue Française informatisé donne en sens premier qu'il s'agit de “celui ou celle qui est la cause première ou principale d'une chose5 5 <auteur>, Trésor de la Langue Française informatisé, disponible sur <stella.tlfi.fr> (dernière consultation le 22 juin 2018) ”; par extension, dans son acception littéraire, ce terme désigne “celui ou celle qui, par occasion ou par profession, écrit un ouvrage ou produit une œuvre de caractère artistique6 6 Ibidem .” Ainsi, le substantif auteur.e renvoie à une figure construite discursivement et qui est “le résultat d'opérations complexes7 7 Antoine Compagnon, “2. La fonction auteur”, Théorie de la littérature: qu'est-ce qu'un auteur?, disponible sur Fabula <https://www.fabula.org/compagnon/auteur2.php> (page consultée le 1er juillet 2018). ”. En cela, l'auteur.e et son œuvre sont intimement liés par le biais de l'ethos, car le discours tend à construire une image de soi afin de toucher et convaincre un public: il implique une “expérience sensible du discours, il mobilise l'affectivité du destinataire” (MAINGUENEAU, 2002MAINGUENEAU, Dominique. Problèmes d'ethos – l'ethos, de la rhétorique à l'analyse du discours. Pratiques, n. 113-114, p. 55-67, 2002., p. 1). Pour la présente réflexion, c'est l'ethos discursif qui nous intéressera et constituera notre fil conducteur, i.e. l'ethos qui se manifeste au cœur-même de l'énonciation, sans toutefois constituer le sujet du discours.

Dans le cas d'Assia Djebar, il nous paraît important de tenir compte de l'ethos pré-discursif (Dominque Maingueneau) ou l'ethos préalable (Ruth Amossy), car si l'œuvre djebarienne construit l'image de soi de la narratrice, sa personnalité discursive, la personne-même d'Assia Djebar influence nettement la manière dont est réceptionnée l'œuvre. L'effet de catalogage de l'œuvre est particulièrement persistant et marqué pour son œuvre, qui résulte bien évidemment d'un mouvement dialogique entre ethos prédiscursif et ethos discursif. “Prenant en compte la réputation du locuteur établie sur des paroles et des faits antérieurs au discours” (LEFF, 2009LEFF, Michaël. Perelman, argument ad hominem et ethos rhétorique. Argumentation et Analyse du Discours, n. 2, 2009. Disponible sur: <http://aad.revues.org/213>. Consultée le 5 juillet 2018.
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), il est difficile – voir impossible – d'aborder son œuvre en faisant abstraction des étiquettes de “littérature féminine” et “littérature algérienne de langue française” qui la précède. Ce sont donc des éléments constitutifs de l'ethos de l'auteur.e qui sont connus du lectorat avant la lecture de l'œuvre. À l'heure où les technologies de l'information et de la communication foisonnent, il paraît nécessaire d'en tenir compte dans l'analyse de l'ethos discursif. Si ce dernier renvoie au discours du narrateur, il n'en demeure pas moins indissociable du comportement ou de la réputation d'un écrivain. C'est pourquoi nous reviendrons sur les éléments qui précèdent l'œuvre d'Assia Djebar, à l'instar de son accession à l'Académie française en 2005.

Le premier élément à prendre en compte est le nom de plume d'Assia Djebar: le choix d'un pseudonyme marque déjà le positionnement de l'auteure par rapport à son œuvre, car il touche directement à l'identité qui est donnée à voir au lectorat. Philippe Lejeune affirme dans Le Pacte autobiographique (1975) que c'est:

Par rapport au nom propre que l'on doit situer les problèmes de l'autobiographie. Dans les textes imprimés, toute l'énonciation est prise en charge par une personne qui a coutume de placer son nom sur la couverture du livre, et sur la page de garde, au-dessus ou au-dessous du titre du volume. C'est dans ce nom que se résume toute l'existence de ce qu'on appelle l'auteur: seule marque dans le texte d'un indubitable hors-texte, renvoyant à une personne réelle, qui demande ainsi qu'on lui attribue, en dernier ressort, la responsabilité de l'énonciation de tout le texte écrit (LEJEUNE, 1975LEJEUNE, Philippe. Le Pacte autobiographique. Paris: Seuil, 1975., p. 22-23).

À cet égard, le pseudonyme fait partie intégrante de l'ethos, car il signe (littéralement) une volonté de communiquer sur soi et en cela représente un véritable discours (AMOSSY, 2010; MAINGUENEAU, 2002MAINGUENEAU, Dominique. Problèmes d'ethos – l'ethos, de la rhétorique à l'analyse du discours. Pratiques, n. 113-114, p. 55-67, 2002.). Sous le nom d'emprunt se cache Fatima-Zohra Imalayene, depuis ses débuts en tant qu'écrivain; elle a elle-même levé le voile sur son identité civile. L'auto-nomination est à mettre en lien avec la quête identitaire de l'auteure qui entrecroise Assia (consolation en arabe dialectal) et le nom Djebar (intransigeance en arabe littéraire). La “réfugiée linguistique”8 8 Expression empruntée à l'article d'Armelle Datin et d'Isabelle Collombat, “Assia Djebar: la réfugiée linguistique”, Nuit blanche, le magazine du livre, n. 92, p. 20-22, 2003. se sert ainsi de son nom pour réunir les langues qui alimentent son identité: l'arabe qu,i la constitue, tout en s'attachant à la langue française en tant que langue d'expression. Son premier roman La Soif, paru en 1957, porte déjà ce pseudonyme “de peur que son père s'imagine que sa fille puisse ressembler un tant soit peu aux protagonistes émancipées et scandaleuses de ses fictions”. Cette volonté de “pudeur”, inculquée dès l'enfance, ramène à son cheminement d'auteure: ses quatre premiers romans n'étaient que peu empreints d'autobiographie, mais cette part d'elle-même “une fois écrite noir sur blanc (l'avait) complètement perturbée”9 9 Conférence donnée à l'Université Paul-Valéry – Montpellier III, Montpellier (France), 3 mai 1995. . Cette dissimulation procède, comme toute entreprise pseudonymique, d'un véritable travail scripturaire de l'altérité, il s'agit d'incorporer à son statut d'auteure des identités autres, qui viennent alors supplanter son identité civile, pour donner à voir son rapport à l'écriture.

Aborder l'œuvre d'Assia Djebar consiste également à s'attacher à l'analyse de nombreux genres de la littérature. Quand on se penche sur sa biographie, il apparaît très vite qu'elle ne s'est pas limitée à une seule activité littéraire: elle est l'auteure de romans et de nouvelles, de pièces de théâtre10 10 Cf. Rouge l'aube (traduit de l'arabe au français) en 1969. , d'essais11 11 Cf. Ces voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie en 1999. , de poèmes12 12 Cf. Poèmes pour l'Algérie heureuse en 1969. . De plus, la grande intermédialité qui caractérise ses textes amène à envisager les liens qu'elle tisse entre les arts, et notamment entre littérature, arts visuels et musique. Sa réalisation de deux longs-métrages – chronologiquement La Nouba des femmes du Mont Chenoua en 1977 et La Zerda ou les chants de l'oubli en 1982 – a marqué l'ensemble de sa production artistique:

J'ai pensé sincèrement que je pouvais devenir écrivain francophone. Mais pendant ces années de silence, j'ai compris qu'il y avait des problèmes de la langue arabe écrite qui ne relèvent pas actuellement de ma compétence. C'est différent au niveau de la langue de tous les jours. C'est pourquoi, faire du cinéma pour moi ce n'est pas abandonner le mot pour l'image. C'est faire de l'image-son. C'est effectuer un retour aux sources du langage13 13 Entretien d'Assia Djebar avec Josie Fanon”, Des femmes en mouvement, n. 3, mars 1978. .

Et cette démarche esthétique a par la suite alimentée son écriture qui, elle aussi, tend à inclure voix et image dans son œuvre. De la grande richesse générique de son œuvre et de ses multiples formes émerge un type de discours stable qui apparaît en tant que langage prenant place dans la fiction, et en tant que genre qui relève de l'essai. En effet, la réflexivité de l'écriture d'Assia Djebar fait littéralement entendre un métadiscours qui analyse et explore la portée poétique de l'œuvre que ce soit dans ses romans autobiographiques, dans ses essais ou encore dans ces films, à l'instar de La Zerda ou les chants de l'oubli dans lequel l'auteure agence et commente des extraits issus des archives de la télévision française à l'époque coloniale:

Dans un MAGHREB totalement soumis et réduit au silence, photographes et cinéastes ont afflué pour nous prendre en images. La “Zerda” est cette “fête” moribonde qu'ils prétendent saisir de nous. À partir du hors champ de leur regard qui fusille nous avons tenté de faire lever d'autres images, lambeau d'un quotidien méprisé (DJEBAR, 1982DJEBAR, Assia. La Zerda et les chants de l'oubli. Production de la Télévision algérienne, 1982. 59mn.).

Ainsi, s'il est certain que l'ethos n'est pas immuable, l'image de soi d'Assia Djebar conserve toutefois des éléments stables qui lui permettent de construire une auctorialité pérenne. À cet égard, les paratextes des œuvres nous apportent des renseignements quant à l'horizon d'attente qui guide non seulement le lecteur dans sa découverte de l'œuvre, mais aussi dans sa (re)construction de l'image de l'énonciateur. En effet, le paratexte inclue des indications quant au genre littéraire, car il “indique comment on prétend que son texte soit reçu” (MAINGUENEAU, 2004MAINGUENEAU, Dominique. Retour sur une catégorie: le genre. Texte et discours: catégories pour l'analyse. Dijon: Editions Universitaires de Dijon, 2004. (Coll. Langage)., p. 109). Ce faisant, “on instaure de manière non négociée un cadre pour son activité discursive” (MAINGUENEAU, 2007MAINGUENEAU, Dominique. Genres de discours et modes de généricité. Le français aujourd'hui, n. 159, 2007/4, p. 29-35. Disponible sur: <https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2007-4-page-29.htm>. Consultée le 1er juillet 2018.
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, p. 29). Le décalage qui peut intervenir entre texte et paratexte devient ainsi fécond, construisant une image frappante et atypique de l'auteure. Deux exemples peuvent ici montrer la spécificité djebarienne. Tout d'abord, avec son roman autobiographique L'Amour, la fantasia (1985): le titre, “ce signe par lequel le livre s'ouvre: la question romanesque se trouve dès lors posée, l'horizon de lecture désigné, la réponse promise” (GRIVEL, 1973GRIVEL, Charles. Production de l'intérêt romanesque. Paris: Mouton, 1973., p. 173), marque l'écart existant entre le contenu de l'œuvre et son paratexte. En effet, ce premier opus du Quatuor algérien14 14 Ce projet autobiographique, initialement destiné à devenir une tétralogie, se compose de L'Amour, la fantasia (1985), Ombre sultane (1987) et Vaste est la prison (1994). Le Quatuor algérien demeurera inachevé. est sous-titré dès la page intérieure de titre “roman”, lui conférant ainsi une unité narrative stable, que Gérard Genette théorise comme une indication “ destinée à faire connaître le statut générique intentionnel de l'œuvre” (GENETTE, 1987GENETTE, Gérard. Seuils. Paris: Seuil, “Poétique”, 1987., p. 90), or l'épitexte explicite clairement l'appartenance de l'œuvre au genre autobiographique. Assia Djebar elle-même désignera L'Amour, la fantasia comme relevant de l'écriture de soi; pourtant, à la lecture, cette œuvre relève plus du recueil de nouvelles que du genre romanesque ou du genre autobiographique. Assia Djebar y mêle de nombreuses voix: celle de sa narratrice Isma – sur laquelle nous reviendrons – celles de témoins directs de la prise d'Alger en 1830 et celles des femmes du Mont Chenoua (qui se font entendre par ailleurs dans La Nouba des femmes du Mont Chenoua. Dans cet imbroglio générique, ne serait-ce qu'au niveau de la macrostructure de l'œuvre, directement accessible à l'ouverture du livre, et à la croisée de ces éléments a priori contradictoires, se trouve l'identité même de l'auteure: plurielle et en mouvement, refusant la clôture du texte et de sa lecture. Assia Djebar semble transgresser l'ensemble des normes inhérentes au genre: les nouvelles sont de longueurs variables, elles se situent entre le conte et le récit (l'Histoire s'y greffant comme élément fondateur) et enfin le parti pris de la narratrice sous-entend l'ensemble des narrations. Cela nous amène à notre second exemple, celui de La Disparition de la langue française (2003), œuvre elle aussi sous-titrée “roman”. Si le titre prêtait à attendre un essai portant sur l'usage de la langue française, il n'en est rien. Assia Djebar y dépeint le douloureux retour au pays de Belkrane qui, après vingt ans de vie en France, découvre l'Algérie en proie au fanatisme religieux:

Bien plus tard, j'a fini par voir en ce détenu qu'on frappait l'image de mon peuple tout entier refusant de se plaindre durant toutes ces années. Je ne peux m'empêcher de m'interroger: maintenant que je suis rentré, est-ce que le martyre va reprendre: les convulsions, la folie, le silence (DJEBAR, 2003DJEBAR, Assia. La Disparition de la langue française. Paris: Albin Michel, 2003.).

Ce faisant, il porte un regard neuf sur le pays et son Histoire: “Ombre sans mystère, se dit-il, je ne viens ni en étranger ni en touriste attardé, simplement en ould el houma, oui, moi, l'enfant du quartier à la mémoire soudain oblique” (DJEBAR, 2003DJEBAR, Assia. La Disparition de la langue française. Paris: Albin Michel, 2003., p. 68). Assia Djebar lie ici la violence du passé colonial avec celle de la montée de l'intégrisme. Ce titre de roman illustre bien à quel point l'identité générique influe sur la perception d'une œuvre: il sera facilement accordé plus de crédit et de sérieux à un.e auteur.e d'essai philosophique qu'à un.e auteur.e romanesque – la fiction restant, à tort, synonyme de divertissement. Ainsi, le titre, et à travers lui le genre romanesque qu'il préfigure, pose la première pierre de la construction de l'ethos discursif.

2 S'approprier la parole publique

Ainsi, se dire écrivain15 15 Cette locution est un clin d'œil à l'ouvrage de Pascale Delormas, Dominique Maingueneau et Inger Ostenstad (dir.), Se dire écrivain. Pratiques discursives de la mise en scène de soi, Limoges, Lambert-Lucas, 2013, “Linguistique”, 140 p. et instance narrative représente un acte complexe. Cela est d'autant plus vrai pour les femmes, car cela suppose une inscription réfléchie de l'auteure dans le corps-même de son œuvre, mais aussi une extériorisation, dans les faits, du discours par l'auteure elle-même. C'est par le biais d'une communication reposant “sur une confiance minimale entre les protagonistes” (AMOSSY, 1999AMOSSY, Ruth (Dir.). Images de soi dans le discours – La construction de l'ethos. Lausanne: Delachaux et Niestlé, 1999., p. 23) que le concept d'ethos permet d'aborder la question de l'autorité du discours de l'auteure. La parole d'Assia Djebar apparaît comme fiable à son lecteur et à son spectateur, et cela participe en plein à la construction de son auctorialité. Et effectivement, son œuvre s'appuie sur un réel travail d'historienne et de sociologue, qui en construit ainsi le sérieux et la crédibilité.

1911, le Maroc avec son sultan est encore indépendant pour quelques mois; 1912, en Tunisie le protectorat français est installé déjà depuis une génération… Le Caire à la même époque, les Anglais qui sont déjà là vont mettre fin à l'indépendance égyptienne en 1914…Au Maroc le protectorat français est installé. L'insurrection populaire éclate… (DJEBAR, 1982DJEBAR, Assia. La Zerda et les chants de l'oubli. Production de la Télévision algérienne, 1982. 59mn.).

Assia Djebar explicite à maintes reprises cet ancrage dans la réalité des faits et le travail d'historienne et d'archiviste auquel elle s'est livré pour élaborer ses œuvres littéraires et filmiques. L'ethos discursif, i.e. “les fragments du texte où l'énonciateur évoque sa propre énonciation” (MAINGUENEAU, 2002MAINGUENEAU, Dominique. Problèmes d'ethos – l'ethos, de la rhétorique à l'analyse du discours. Pratiques, n. 113-114, p. 55-67, 2002., p. 15), représente ainsi le produit d'un discours de l'auteur sur lui-même. Que ce soit en créant ses personnages fictifs ou en s'appropriant des éléments autobiographiques, l'auteur en vient à se dire lui-même.

Le premier élément qui s'impose au lecteur découvrant l'œuvre djebarienne est celui de la prise en charge de la narration. Le Quatuor algérien est à cet égard particulièrement intéressant, car c'est la permanence de la narratrice usant du je de la première personne qui en garantit l'homogénéité et la cohérence:

Appellerai-je à nouveau la narratrice Isma? “le nom”. Dans le cours si mêlé de cette évocation, par superstition ou par crainte des augures païens, je voudrais tant, à partir de son exaltation d'autrefois, après les émois qui la secouèrent, bourrasque attardée à l'approche de la quarantaine, je voudrais tant la conduire aux parages du lac de sérénité! […] (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 331).

Je ne possède plus ni voile ni visage: “Isma”, j'éparpille mon nom, tous les noms dans une poussière d'étoiles qui s'éteignent (DJEBAR, 1987, p. 23).

Encore maintenant, trois quarts de siècles après, je ne sais pas, moi, Isma, la narratrice, moi, la descendante (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 228).

Ces quelques exemples, issus respectivement de Vaste est la prison (1995)DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995. et Ombre sultane (1997), soulignent la volonté d'Assia Djebar de réunir ces œuvres sous une même poétique littéraire. Certes, il ne s'agit pas là d'autobiographies ou de romans autobiographiques au sens canonique du terme – les infractions au genre autobiographique tel que l'a pensé Philippe Lejeune16 16 À ce sujet, voir notamment: Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, “Poétique”, 1975; Philippe Lejeune, “Nouveau roman et retour à l'autobiographie”, L'Auteur et le manuscrit, Paris, PUF, 1991, p. 51-70; Philippe Lejeune, Brouillons de soi, Paris, Seuil, “Poétique”, 1998. étant l'essence même de l'écriture protéiforme d'Assia Djebar –, mais il y a bien une permanence de l'instance énonciative. Précisons d'ailleurs que l'auteure, tout en refusant la triade autobiographique “je = auteur = narratreur” joue de cette analyse: Isma se présente comme un prénom arabe féminin (en témoigne le -a final) construit sur la racine trilitère [ism, signifiant justement le nom. Isma apparaît donc comme le nom qui masque celui de l'auteure, n'ayant ni la neutralité d'un narrateur anonyme ni le visage d'un personnage. Et de fait, l'auteure la définit comme “perfection, fierté, murailles, protection17 17 <Isma>, in Abdallah Penot, Dictionnaire des noms et prénoms arabes, Paris, Alif, 1996, p. 152. ”, et se dévoile ainsi en soulignant l'aspect protecteur d'un anonymat, somme toute relatif, car elle prend soin de dresser les généalogies maternelles de la narratrice principale, qui correspondent à la sienne: les “Remerciements” de la thèse18 18 La soutenance de thèse sur son œuvre eut lieu à l'Université Paul-Valéry – Montpellier III, Montpellier (France), en 1999. d'Assia Djebar divulgue les prénoms des parents de l'auteure, Tahar et Bahia, que nous retrouvons dans le Quatuor algérien en tant que parents de la narratrice Isma. Ainsi, au niveau de la construction de l'ethos, se jouent deux phénomènes. Tout d'abord, ces textes d'Assia Djebar “mettent l'accent sur la permanence du narrateur” (HUBIER, 2003HUBIER, Sébastien. Littératures intimes: les expressions du moi, de l'autobiographie à l'autofiction. Paris: Armand Colin, 2003, p. 16., p. 16) et nécessitent une curiosité linguistique de la part du lectorat francophone. Cela contribue à renforcer le sentiment d'intimité du lien entre l'auteure et son lectorat, générant une proximité qui repose sur la voix d'Isma accompagnant la narration. Néanmoins, le je de la première personne ne renvoie pas systématiquement – de loin s'en faut – à la narratrice principale. Cette dernière cède la parole à de nombreuses “sœurs disparues” (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 229) et à “des voix ensevelies” (DJEBAR, 1985DJEBAR, Assia. L'Amour, la fantasia. Paris: Livre de poche, 1985.). De nombreux chapitres au discours direct dans le Quatuor algérien donne directement à lire, et à entendre selon la volonté de l'auteure, d'autres instances narratives. C'est un je plurimorphe qui caractérise l'écriture djebarienne, la parole est donnée à celles qui n'ont pas la possibilité de s'exprimer directement. Plus que de simples témoignages, l'auteure explore les différentes facettes de sa propre identité qui, complexe, se trouve à la croisée de l'individuel et du collectif, de l'occident et du maghreb. Ce ne sont pas des voix-autres qui émaillent le texte, mais des éléments constitutifs d'une identité plurielle. L'improbable adéquation entre récit historique, autobiographie et volonté de pudeur, qui est à l'origine de maintes œuvres d'Assia Djebar pose la question des discours qui y sont mis en scène. Comment rapporter son propre discours dès lors qu'il s'imbrique dans une construction stratifiée d'identités?] -

À mon tour, j'écris dans sa langue, mais plus de cent cinquante ans après. Je me demande, comme se le demande l'état-major de la flotte, si le dey Hussein est monté sur la terrasse de sa Casbah, la lunette à la main. Contemple-t-il en personne l'armada étrangère ? Juge-t-il cette menace dérisoire ? Depuis l'empereur Charles V, roi d'Espagne, tant et tant d'assaillants s'en sont retournés après des bombardements symboliques! (DJEBAR, 1985DJEBAR, Assia. L'Amour, la fantasia. Paris: Livre de poche, 1985., p. 16).

Dans cet extrait de L'Amour, la fantasia, plusieurs voix se font donc entendre dans l'œuvre et aucun indice linguistique ne permet de désigner à coup sûr l'identité véritable de la narratrice. Comment, dès lors, distinguer l'historienne de l'écrivaine? Au-delà des repères biographiques, Assia Djebar greffe dans son texte des éléments propres à l'autofiction: d'un point de vue générique, l'œuvre n'est plus une, authentique, mais relève de différentes catégories d'analyse littéraire. L'horizon d'attente du lecteur devient flou et il n'y a d'autre choix que de suivre les constantes ruptures qui émaillent l'oeuvre djebardienne. Cela en vient à construire ethos tout à fait singulier de l'auteure, car il est éminemment pluriel dans son unicité. La notion de polyphonie est ici nécessaire pour appréhender la poétique djebarienne: la narration principale, que ce soit dans ses deux long-métrages ou dans ses textes littéraires, se voit infiltrée par des voix qui s'entrecroisent et se répondent. L'auteure va d'ailleurs revenir sur ce phénomène de polyphonie à plusieurs reprises dans son œuvre, à l'instar de ce passage de Vaste est la prison: “Apprendre à voir, je l'ai découvert, c'est se ressouvenir certes, c'est fermer les yeux pour réécouter les chuchotements d'avant […] c'est rechercher les ombres qu'on croit mortes” (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 298). Écrire, tout comme filmer, revient pour elle à pouvoir saisir ces voix qui la constituent fondamentalement, à saisir ces “allées et venues de femmes fuyantes du passé lointain ou récent” (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 172) appartenant à ce “peuple des cloîtrées d'hier et d'aujourd'hui” (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 174). Je ne réfère donc pas à une narratrice unique, mais au contraire à une multitude de femmes qui tissent littéralement le texte djebarien et, à travers lui, les identités féminines algériennes. Cela provient d'une volonté de cerner des identités qui se trouvent à la croisée du collectif, le peuple algérien et plus spécifiquement les femmes, et de l'individuel, l'histoire de Fatima-Zohra Imalayenne. Pour l'auteure, se rapporter dans le Quatuor algérien signifie un entrelacs polyphonique de voix qui se répondent et se complètent, reproduisant finalement l'oralité, notamment du fait de la surabondance d'éléments hors-syntaxe, dont les points de suspension constituent un appel à la subjectivité du lecteur.

Un autre phénomène marquant au niveau de la prise en charge de la narration repose sur la mise en scène de la genèse des œuvres. Cela est particulièrement manifeste dans Vaste est la prison, dont la troisième et ultime partie relate le tournage de La Nouba des femmes du Mont Chenoua. Le lectorat y découvre un véritable journal qui narre et commente les journées de tournage, les interrogations de l'auteure quant aux prises de vue et son rapport à la caméra:

Le 18 décembre de cette année-là, j'ai tourné le premier plan de ma vie : un homme assis sur une chaise paralytique regarde, arrêté sur le seuil d'une chambre, y dormir sa femme. Il ne peut entrer : deux marches qui surélèvent ce lien font obstacle à sa chaise d'infirme. […] le lit est large, bas, entouré de multiples peaux de mouton blanches […], la dormeuse a serré ses cheveux dans un foulard rouge. L'époux immobilisé regarde de loin. Il a un mouvement du torse; sa main s'appuie au chambranle, une seconde avant que je finisse le plan (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 173).

En s'arrêtant sur quelques-uns des plans de son film, Assia Djebar donne à voir ce que la pellicule ne pouvait fixer: elle-même. Son regard sous-tend la création filmique, et c'est bien par le biais de son regard que le spectateur découvre l'Algérie et son Histoire. Regard de l'auteure qui cadre la scène à tourner, tout en posant “un regard intérieur sur [elle]-même, avant ce dialogue de travail qui s'annonce” (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 199). Ses réflexions seront donc livrées plus tardivement dans sa production artistique, au moment où l'exploitation de son expérience cinématographique fonde déjà son œuvre scripturaire.

Malgré mon effort de réminiscence, se brouille l'exact premier jour de la première rencontre, anodine ou importante, pour ces deux personnages que j'esquisse (il n'y a en moi nul désir de fiction, nulle poussée d'une arabesque inépuisable déployant un récit amoureux) – non ne m'enserre que la peur paralysante ou l'effroi véritable de voir cette fracture de ma vie disparaître irrémédiablement (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 50).

Dans cet exemple, le je du récit cadre se maintient à distance de sa propre narration en usant d'un procédé de démultiplication, les “deux personnages” qu'il s'agit d'esquisser sont, en fait, Isma elle-même et l'homme dont elle est amoureuse. La narratrice se trouve donc à la fois derrière le je et la première personne du singulier, elle ou il. Dans l'extrait suivant, la narratrice, qui est homodiégétique du fait qu'elle figure aussi en tant que personnage dans l'histoire qu'elle raconte (GENETTE, 1972GENETTE, Gérard. Figures III. Paris: Seuil, 1972., p. 256), contribue à construire une impression d'objectivité en décrivant la scène d'ouverture de l'extérieur:

Dès le premier jour où une fillette “sort” pour apprendre l'alphabet, les voisins prennent le regard matois de ceux qui s'apitoient, dix ou quinze ans à l'avance: sur le père audacieux, sur le frère inconséquent. Le malheur fondra immanquablement sur eux. Toute vierge savante saura écrire, écrira à coup sûr “la” lettre. Viendra l'heure pour elle où l'amour qui s'écrit est plus dangereux que l'amour séquestré.

Voilez le corps de la fille nubile. Rendez-la invisible. Transformez-la en étre plus aveugle que l'aveugle, tuez en elle tout souvenir du dehors. Si elle sait écrire? Le geôlier d'un corps sans mots – et les mots écrits sont mobiles – peut finir, lui, par dormir tranquille: il lui suffira de supprimer les fenêtres, de cadenasser l'unique portail, d'élever jusqu'au ciel un mur orbe.

Si la jouvencelle écrit? Sa voix, en dépit du silence, circule. Un papier. Un chiffon froissé. Une main de servante, dans le noir. Un enfant au secret. Le gardien devra veiller jour et nuit (DJEBAR, 1985DJEBAR, Assia. L'Amour, la fantasia. Paris: Livre de poche, 1985., p. 11).

Néanmoins, un brusque changement de focalisation vient rompre l'objectivité en usant de l'impératif. Se pose donc la question de l'identité de la narratrice: à qui attribuer ce passage? Le lecteur demeure dans l'expectative car, à ce stade du récit, il ignore encore qui prend en charge la narration. De fait, il y a là un dédoublement diégétique: plusieurs voix sont donc à l'œuvre et dans l'extrait ci-dessous, nous voyons que l'introduction de la narratrice ne renseigne nullement le lecteur quant à l'interprétation de ces voix:

À mon tour, j'écris dans sa langue, mais plus de cent cinquante ans après. Je me demande, comme se le demande l'état-major de la flotte, si le dey Hussein est monté sur la terrasse de sa Casbah, la lunette à la main. Contemple-t-il en personne l'armada étrangère? Juge-t-il cette menace dérisoire? Depuis l'empereur Charles V, roi d'Espagne, tant et tant d'assaillants s'en sont retournés après des bombardements symboliques! (DJEBAR, 1985DJEBAR, Assia. L'Amour, la fantasia. Paris: Livre de poche, 1985., p. 39).

Dans cet extrait déjà mentionné précédemment, deux discours sont donc à l'œuvre ici, l'un littéraire et l'autre historique. Assia Djebar joue ici de la citation en cela qu'elle est avant tout “ré-énonciation” (COMPAGNON, 1979COMPAGNON, Antoine. La seconde main ou le travail de la citation. Paris: Seuil, 1979., p. 54): l'auteure s'appuie sur des sources historiques attestées de la prise d'Alger en 1830, à l'image de Tabari ou encore Ibn Sa'ad. S'il s'agit ici de documents officiels qui viennent ancrer la véracité des récits djebariens, c'est le même processus qui préside à l'introduction de témoignages de personnages historiques, tel que Abu Bakr, Fatima, Ali, etc. – ces derniers se placant dans son écriture à la croisée de l'Histoire et de la fiction.

Soulever la question de l'ethos d'Assia Djebar amène de fait à interroger sa langue d'expression. L'auteure a maintes fois commenté les tensions qui naissent de l'utilisation de la langue de l'ancien oppresseur, car écrire en français ne va pas de soi: “À quoi me sert aujourd'hui ma langue française? Je me pose presque ingénument la question.” (DJEBAR, 2006DJEBAR, Assia. Ombre sultane. Paris: Albin Michel, 2006 [1987].) L'usage du possessif ma renvoie d'ailleurs à un rapport personnel et intime à la langue d'expression. Ce qui est intéressant ici repose sur la grande réflexivité dont Assia Djebar fait preuve quant à sa relation à l'écriture. L'autobiographie d'Assia Djebar a fait l'objet de nombreuses études, notamment par son rapport aux langues d'expression, l'auteure elle-même y revient à plusieurs reprises, explicitant le déchirement identitaire entre les cultures:

C'est dans la langue dite “étrangère” que je deviens de plus en plus transfuge […]. Ayant perdu […] ma richesse de départ […] celle de l'héritage maternel, et ayant gagné quoi, sinon la simple mobilité du corps dénudé, sinon la liberté (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 172).

La conscience aiguë de ce tiraillement, cette surconscience linguistique (GAUVIN, 2009GAUVIN, Lise. L'Écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens. Paris: Karthala, 2009., p. 5) qui fait d'elle un être d'exil et de frontière, sous-tend son écriture et marque la structure même d'un projet autobiographique atypique. Le choix du français n'est pas anodin et se voit explicité à maintes reprises dans l'œuvre de l'auteure algérienne. Assia Djebar, on le sait, se trouve à la croisée de trois langues, qu'elle maîtrisait différemment: berbérophone de naissance, elle a appris le français à l'école et, par la suite, l'arabe – qu'elle déplorait ne pas maîtriser. Le choix d'écrire en français se voit expliciter par le fait qu'il représente une “langue marâtre”. L'écriture d'Assia Djebar semble s'accorder avec les théories derridiennes montrant que le français n'est jamais constitué d'une seule langue (DERRIDA, 1996DERRIDA, Jacques. Le Monolinguisme de l'autre. Paris: Galillée, “Incises”, 1996., p. 37). Le “trouble d'identité” abordé par le philosophe se retrouve dans le Quatuor, tant le lien avec la langue d'expression se tisse sur des rapports flous et conflictuels:

Je pourrais dire: “nouvelles traduites de…”, mais de quelle langue? De l'arabe? D'un arabe populaire, ou d'un arabe féminin; autant dire d'un arabe souterrain. J'aurais pu écouter ces voix dans n'importe quelle langue non écrite, non enregistrée, transmise seulement par chaînes d'échos et de soupirs. Son arabe, iranien, afghan, berbère ou bengali, pourquoi pas, mais toujours avec timbre féminin et lèvres proférant sous le masque […]. Ne pas prétendre “parler pour”, ou pire “parler sur”, à peine parler près de, et si possible tout contre: première des solidarités à assumer pour les quelques femmes arabes qui obtiennent ou acquièrent la liberté de mouvement, du corps et de l'esprit (DJEBAR, 1980DJEBAR, Assia. Femmes d'Alger dans leur appartement. Paris: Des femmes, 1980., p. 7).

Il n'est pas possible d'envisager l'œuvre djebarienne, en dépit de l'usage nettement prépondérant du français, comme des romans écrits en français: le lecteur se voit placé face à une multitude de langues, d'idiomes, d'expressions de soi, qui tendent à faire de la langue véhiculaire un langage à part entière unifié par la notion de voix. C'est en effet l'oralité qui est donnée à entendre au lectorat, le commentaire djebarien qui accompagne le texte se définissant finalement comme une voix-in qui conduit l'histoire. Ainsi, le je de la première personne prend en charge le récit, mais la voix, elle, “ne s'exprime ni en français, ni en arabe, ni en berbère, [mais] une langue de l'au-delà, celle des femmes évanouies avant moi et en moi” (DJEBAR, 1995DJEBAR, Assia. Vaste est la prison. Paris: Livre de poche, 1995., p. 103).

3 Ethos et engagement

Engagée dans la quête de légitimité des minorités, qu'il s'agisse des femmes ou des colonisés, force est de constater l'engagement, au sens sartrien, d'Assia Djebar. En rendant une voix à celles qui étaient condamnées au silence, elle prend fait et cause pour les opprimé.e.s. Ce faisant, sa poétique peut être définie par une volonté de rassemblement et de cohésions; en cela elle est réparation et construction d'identités:

mon écriture ne s'alimente pas de la rupture, elle la comble; ni d'exil, elle le nie. Surtout, elle ne se veut ni de désolation, ni de consolation. En dépit de la déshérence en moi du chant profond, elle jaillit, gratuite; elle est de commencement (DJEBAR, 1999DJEBAR, Assia. Ces voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie. Paris: Albin Michel, 1999., p. 262).

Elle déclarera par ailleurs écrire “comme tant d'autres femmes écrivains algériennes avec un sentiment d'urgence, contre la régression et la misogynie19 19 Source de seconde main. Citée dans “Assia Djebar, voix et plume des “Femmes d'Alger”, n'est plus immortelle”, disponible sur <information.tv5monde.com> (page consultée le 2 juin 2018). ”. La création djebarienne se fait engagement et l'image d'auteure d'Assia Djebar se construit sur cette volonté affichée et revendiquée de (re)construire les identités. L'ethos se trouve, comme le rappelle très justement Ruth Amossy, “au carrefour des disciplines: rhétorique, pragmatique, sociologie des champs” (AMOSSY, 1999AMOSSY, Ruth (Dir.). Images de soi dans le discours – La construction de l'ethos. Lausanne: Delachaux et Niestlé, 1999., p. 127). À cela s'ajoute la nature profondément pluridimensionnelle de l'ethos, car “la construction discursive, l'imaginaire social et l'autorité institutionnelle contribuent donc à mettre en place l'ethos, et l'échange verbal dont il fait partie intégrante” (AMOSSY, 1999AMOSSY, Ruth (Dir.). Images de soi dans le discours – La construction de l'ethos. Lausanne: Delachaux et Niestlé, 1999., p. 148). L'élaboration de l'image de soi est donc toujours en perpétuel mouvement, il s'agit donc de prendre en compte les aspects sociaux qui président à la construction du statut d'auteure pour Assia Djebar. Dominique Maingueneau conçoit ce statut comme reposant sur trois instance, “l'inscripteur” ou narrateur, “la personne” qui renvoie à l'état civil, et enfin “l'écrivain” qui incarne la fonction. Dans le cas de notre auteure, l'écrivaine tient une place importante sur la scène littéraire contemporaine: non seulement elle a rejoint l'Académie française en 2005, mais elle fut également Professeure des Universités à l'Université d'Alger et son œuvre fut saluée par l'obtention de nombreux prix littéraires et de doctorats honoris causa (Université de Vienne et Université de Louisiane).

Particulièrement reconnue tant par le public que par la critique, son œuvre s'est vue décerner de nombreux prix littéraires. Ces marques de reconnaissance ont été l'occasion de nombreux discours, dont une partie a d'ailleurs été publié par la critique djebarienne. Parmi les allocutions publiques les plus significatives, citons le prix Literatur (Francfort, 1989), Maurice Maeterlinck (Bruxelles, 1995), International Literary (1996), Marguerite Yourcenar (Boston, 1997), et le Prix International de Palmi (1998)20 20 Cf. Hubert Nyssen, “ Discours de réception de Madame Assia Djebar à l'Académie Royale de Langue et Littératures Françaises de Belgique “, in Mireille Calle-Gruber (dir.), Assia Djebar. Nomade entre les murs, Paris, Maisonneuve & Larose, 2005, p. 17. . Comme le souligne très justement Catherine Milkovitch-Rioux, “les pratiques éditoriales de l'auteure favorisent les points de jonction entre les différentes acceptions des “discours”, et manifestent une évidente porosité entre les genres” (MILKOVITCH-RIOUX, 2016MILKOVITCH-RIOUX, Catherine. De la fiction au discours: écritures agoniques de l'histoire algérienne. In: DOTOLI, Giovanni; CANU-FAUTRÉ, Claudia; SELVAGGIO, Mario (Dir.). L'Algérie sous la plume d'Assia Djebar. Histoire d'une écrivaine, histoire d'un peuple. Cagliari: Edizioni Universitarie Romane, “Voix de la Méditerranée – Voci Dal Mediterraneo”, 2016., p. 69) – ce qui nous renvoie à une caractéristique importante, que nous avons déjà évoquée, de son œuvre. Le recueil intitulé Ces Voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie nous en offre sans doute l'exemple21 21 Par ailleurs, certains de ses discours ont également été édités par la critique: nous pensons ici notamment à Wolfgang Asholt, Mireille Calle-Gruber, Dominique Combe (dir.), Assia Djebar. Littérature et transmission, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2010; ou encore, Beïda Chikhi, Assia Djebar: histoires et fantaisies, Paris, Presses Paris-Sorbonne, 2007. le plus parlant:

La plupart de ces textes – où les genres se mêlent: poésie, courtes narrations, analyses – ont été soit improvisés, soit rédigés dans l'urgence, parfois juste avant ma prise de parole. L'attente d'un public, restreint ou important (à Montréal, en Seine-Saint-Denis, à Oslo ou Heidelberg, etc.), me poussait à “rendre compte” de mon écriture, de mon trajet, de mon pays. “Prise de parole”, donc, en amont de ce livre. Portée par “des voix qui m'assiègent”, ma propre voix, ici transcrite, a tenté, surtout au cours de ces années tumultueuses, et souvent tragiques, de mon pays, simplement de défendre la culture algérienne, qui me paraissait en danger (DJEBAR, 1999DJEBAR, Assia. Ces voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie. Paris: Albin Michel, 1999., p. 7-8).

La nature profondément orale de ces voix qui l'assiègent nous renvoie vers la prise en compte de l'interlocution de ces discours et, de fait, à la rhétorique. Ainsi, elle prend notamment soin de préciser la temporalité et la nature de “ces voix qui [l']assiègent”: articles, discours officiels ou interventions, lettres, conférences, etc. sont autant de matériaux qui constituent la poétique de l'auteure. Elle-même en vient à parler de tissage textuel pour évoquer cette œuvre; néanmoins cette définition pourrait être appliquée à nombre de ces œuvres, notamment La Nouba des femmes du Mont Chenoua. C'est probablement dans “LE CHANT DE L'INSOUMISSION” (DJEBAR, 1982DJEBAR, Assia. La Zerda et les chants de l'oubli. Production de la Télévision algérienne, 1982. 59mn.) que nous trouvons l'illustration la plus manifeste de la polyphonie djebarienne : les opéras occidentaux se superposent aux chansons populaires algériennes, ces deux mélodies chantant l'Émir Abdelkader (qui défendit Alger en 1830). À ce premier niveau sonore se surajoute deux voix parlées, arabe et française: la polyphonie procède ici de la confusion, les narrations sonore et vocale se complétant sans pouvoir signifier. Pour en revenir à Ces Voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie, c'est à la fin de l'œuvre que la voix de l'auteure viendra répondre à ses propres voix, instaurant un dialogue intérieur avec elles: “Non, rétorquai-je par scrupule dans ce dialogue intrinsèque qui m'habite, non…” (DJEBAR, 1999DJEBAR, Assia. Ces voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie. Paris: Albin Michel, 1999., p. 157). C'est la nature dialogique de l'œuvre qui nous donne ici un éléments d'analyse: l'ethos de l'auteure se construit dans cette polyphonie, instituant une grande richesse et une énonciation directe et présentée comme spontanée. Cette mise en scène des différents discours crée une impression d'accès privilégié aux monologues intérieurs de l'auteure.

Enfin, revenons sur son élection – qui ne s'est pas faite sans heurt – à l'Académie française. Il n'est en effet pas anodin d'avoir laissé une femme étrangère accéder à la prestigieuse et intemporelle institution garante, entre autres, de la langue française. Si le premier écrivain étranger de langue française22 22 Les Académiciens d'origine étrangère ont été pour la plupart naturalisés français avant leur accession à l'Académie française (et ce dès l'intronisation du Suisse Victor Cherbuliez en 1881). Le premier Africain à la rejoindre a d'abord été indigène français du fait de la colonisation du Sénagal, avant d'acquérir la nationalité française en 1933. Avec la libération, il devient citoyen sénégalais à partir de 1960. , Léopold Sédar Senghor, a été élu en 1983, il faudra attendre plus de 32 ans (2005) pour qu'une femme l'y rejoigne23 23 La première femme qui devint Immortelle fut Marguerite Yourcenar en 1980. . Ce discours d'intronisation, rappelons-le, a vocation à être non seulement prononcé au moment de l'accession au siège (le n. 8, précédemment occupé par Georges Vedel), mais aussi à être conservé et diffusé de manière pérenne – à l'instar de l' “Immortalité” qui caractérise désormais le/la membre de l'Académie française. Dès lors, le discours est nimbé d'une aura de légitimité et d'autorité, en fait d'un pouvoir qui trouve sa source dans les instances de légitimation et les rituels qui leur sont associés. En termes bourdieusiens, la parole repose donc sur “le capital symbolique accumulé par le groupe qui l'a mandaté et dont il est le fondé de pouvoir” (BOURDIEU, 1982BOURDIEU, Pierre. Ce que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques. Paris: Fayard, 1982., p. 109). S'ajoute ainsi à l'image de soi du discours (AMOSSY, 2010) l'autorité d'un discours institutionnel, ce qui hausse les propos d'Assia Djebar au rang de parole officielle. Néanmoins, elle incarne aussi une résistance forte face à l'hégémonie patriarcale de l'ancien colonisateur, sa culture et sa langue.

Dire, sans grandiloquence, que mon écriture en français est ensemencée par les sons et les rythmes de l'origine, comme les musiques que Bela Bartok est venu écouter en 1913, jusque dans les Aurès. Oui, ma langue d écriture s'ouvre au différent, s'allège des interdits paroxystiques, s'étire pour ne paraître qu'une simple natte au dehors, parfilée de silence et de plénitude.

Mon français s'est ainsi illuminé depuis vingt ans déjà, de la nuit des femmes du Mont Chenoua. Il me semble que celles-ci dansent encore pour moi dans des grottes secrètes, tandis que la Méditerranée étincelle à leurs pieds. Elles me saluent, me protègent. J'emporte outre Atlantique leurs sourires, images de “ shefa' “, c'est-à-dire de guérison. Car mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles (DJEBAR, 2006DJEBAR, Assia. Discours de réception à l'Académie française, 2006. Disponible sur: <http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-et-reponse-de-pierre-jean-remy>. Consultée le 10 janvier 2012.
http://www.academie-francaise.fr/discour...
).

C'est en tant que femme étrangère qu'elle s'exprime; ce faisant, sa parole apparaît de fait contestatrice. Gayatri Spivak nomme ce phénomène un “pattern of résistance24 24 Gayatri Spivak, “Assia Djebar Patterns of Resistance”, in Madeleine Dobie (Dir.), Assia Djebar: Patterns of Resistance, New York, “Romanic Review “, à paraître. La communication est disponible en ligne sur <https://www.youtube.com/watch?v=aNGfXl4WoCI> (1h30) [dernière consultation le 20 juin 2018]. Gayatri Chakravorty Spivak, théoricienne de la littérature, est l'auteure du fameuse Can the Subaltern Speak? (1988), l'un des textes majeurs du postcolonisalisme. Sa pensée s'intéresse à l'expression de “l'autre” tel que l'envisage l'Occident colonisateur et réfute toute vision totalisante. Elle insiste notamment sur le fait que, contrairement à ce qui était envisagé par la critique jusque dans les années 1990, les subalternes n'ont pas d'accès à la parole et n'ont pas une réelle connaissance de leur subalternité. ” qui prend pleinement place dans sa pensée des subaltern studies. En effet, nous l'avons vu, Assia Djebar a contribué activement – en tant qu'auteure et en tant que chercheure – à la réflexion quant aux études postcoloniales et féminines, mais elle n'en est pas moins demeurée hors du discours dominant. Se pose donc la question de savoir d'où parle Assia Djebar. “Où” dans le sens de la place à de laquelle s'exprime Assia Djebar. En étant écrivaine de langue française, elle relève d'une double marginalité dont elle est tout à fait consciente:

En France, je suis considérée comme trop nationaliste et je ne possède pas de partisans dans le milieu littéraire français. En Algérie, je craignais de paraître non pas comme écrivaine francophone mais plutôt comme écrivaine française (MESSAOUD, 2006MESSAOUD, Amar Naït. L'écriture: un moyen de quête identitaire. La Dépêche Kabylie, 5 février 2006, disponible sur <http://www.depechedekabylie.com/cuture/16142-lecriture-unmoyen-de-quete-identitaire.html>. Consultée le 14 juillet 2018).
http://www.depechedekabylie.com/cuture/1...
).

Cette déclaration commente son hésitation à accepter l'offre d'entrer à l'Académie, construisant dans le même mouvement sa spécificité d'auteure de langue française – et non française, donc. Il s'agit pour elle de définir sa relation à la langue d'expression, qui demeure celle de l'ancien colonisateur. Et effectivement, son discours d'entrée à l'Académie française revient à plusieurs reprises sur la période de la colonisation algérienne (1830-1962) et la douloureuse quête d'identités qui s'en suivie à la libération. C'est bien une volonté de revendication qui sous-tend tant l'œuvre artistique que ce discours qui rappelle que “le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres, sur quatre générations au moins, a été une immense plaie!” (DJEBAR, 2006DJEBAR, Assia. Ombre sultane. Paris: Albin Michel, 2006 [1987].). À travers sa parole ce sont les opprimé.e.s qui peuvent s'exprimer sur la scène publique.

Conclusion

Comme le souligne Dominique Maingueneau (1993MAINGUENEAU, Dominique. Le contexte de l'œuvre littéraire. Enonciation, écrivain, société, Paris: Dunod, 1993., p. 122), l'ethos se construit dans un processus en boucle: la parole émerge avec un ethos qui se valide au fur et à mesure de l'énonciation. L'œuvre artistique, tout comme ses discours officiels, font montre d'un discours qui bâtit une image d'auteure, femme et francophone, particulièrement stable et cohérente. Assia Djebar bâtit des fresques romanesques qui inscrivent une énonciation collective, phénomène que l'on retrouve également dans ses deux longs-métrages qui participent d'une même visée esthétique. Le projet, qui sous-tend aussi bien son écriture autobiographique que ses œuvres fictionnelles, vise à œuvrer pour la reconnaissance des littératures mineures auxquelles appartient sa production artistique. Dès lors, l'enjeu pour elle est d'inscrire au cœur même de ses textes une volonté de retrouver une Histoire et, par là, les identités des femmes.

  • *
    Cet article fait suite à la réflexion amorcée dans “Ethos et voix narratives. Engagement et Histoire des femmes algériennes dans les écrits et les films d'Assia Djebar”, in COLIN, Claire; FEUILLEBOIS, Victoire (Dir.), Agon Rivista Internazionale di Studi Culturali, Linguistici e Letterari Figurations et ethos du conteur dans la littérature et les arts (XIXe-XXIe), 2017, p. 340-371.
  • 1
    Centre Hubertine Auclert, Étude: Les manuels de français se conjuguent au masculin, 2013CENTRE HUBERTINE AUCLERT. Étude: Les manuels de français se conjuguent au masculin. 2013. p. 15. Disponible sur: <https://www.centre-hubertine-auclert.fr/…/synthese_etude2013_francais_cha_web.pdf>. Consultée le 12 juillet 2018.
    https://www.centre-hubertine-auclert.fr/...
    , p. 15, disponible sur <https://www.centre-hubertine-auclert.fr/…/synthese_etude2013_francais_cha_web.pdf> (page consultée le 12 juillet 2018).
    À titre d'exemple, les auteur.e.s précisent que “le manuel de la collection Bordas présente 50 pages sur l'histoire littéraire et culturelle du XVIIe au XXe siècle dans lesquelles seules 12 femmes sont citées contre environ 224 hommes, tous domaines confondus” (ibid., p. 22).
  • 2
    La féminisation du nom auteur reste polémique en France et les débats se font virulents et acerbes. Les termes désignant les créatrices littéraires se multiplient face à la nécessité de désigner l'accession des femmes au champ littéraire. Néanmoins, si tous cherchent à échapper à la désignation de femme auteur, ils ne recouvrent pas les mêmes enjeux. Le lecteur assiste donc à l'émergence d'autrice, d'auteuresse, d'autoresse, d'écrivaine, de femme de lettres, de littératrice et d'auteure. Si le gouvernement Jospin, par sa volonté de féminiser la langue avec la Circulaire du 6 mars 1998 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, avait proposé le terme de auteur ou auteure, l'Académie française reste quant à elle opposée à la féminisation de la langue et s'offusque d'une telle audace “écrivaine, autrice… L'oreille autant que l'intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales” (déclaration de l'Académie française du 10 octobre 2014, disponible sur <http://www.academie-francaise.fr/actualites/feminisation-des-noms-de-metiers-fonctions-grades-et-titres>). Les pays francophones ont, quant à eux, su dépasser ces oppositions, la Belgique walonne acceptant une auteure ou une auteur, le Québec et la Suisse romande encourageant vivement l'utilisation de la forme féminine une auteure.
    Pour notre part, nous faisons le choix d'utiliser le substantif auteure.
  • 3
    À ce sujet, on se tournera notamment vers les œuvres de Homi Bhabha, The Location of Culture, New York, Routledge, 2005 [1994]; Judith Butler, Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2005 [1990]; Etienne Balibar, Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe, Paris, La Découverte, 1988; Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought, New York, Routledge, 2000; Kimberlé W. Crenshaw, “Cartographies des marges: intersectionnalité, politique de l'identité et violences contre les femmes de couleur”, Cahiers du genre, n. 39, 2005; Christine Delphy, “Antisexisme ou antiracisme? Un faux dilemme”, Nouvelles Questions Féministes, n. 1, 2006.
  • 4
    Assia Djebar (1930-2015). De son vrai nom, Fatima Zohra Imalayenne. Née en 1930 à Cherchell, Assia Djebar écrit son premier roman, La Soif (1957), après son cursus à l'ENS de Sèvres. D'abord professeure d'histoire moderne en Algérie, elle enseignera par la suite les études francophones à l' Université d' Alger jusqu'en 1980, date à laquelle elle s'installera en France, pour y enseigner et poursuivre ses travaux d'auteure et de cinéaste. Depuis 1995, elle vivait aux États-Unis. Son œuvre, riche et vaste, a été traduite en vingt-trois langues et fait l'objet de nombreuses études. Elle fut la première auteure algérienne de langue française à rejoindre l'Académie française en 2005. Assia Djebar est décédée le 6 février 2015 à Paris.
    Nous nous intéresserons ici notamment à La Nouba des femmes du Mont Chenoua (1978)DJEBAR, Assia. La Nouba des femmes du mont Chenoua. Production de la Télévision algérienne, 1978. 1h55min., La Zerda ou les chants de l'oubli (1982), L'Amour, la fantasia (1985)DJEBAR, Assia. L'Amour, la fantasia. Paris: Livre de poche, 1985., Vaste est la prison (1987),
  • 5
    <auteur>, Trésor de la Langue Française informatisé, disponible sur <stella.tlfi.fr> (dernière consultation le 22 juin 2018)
  • 6
    Ibidem
  • 7
    Antoine Compagnon, “2. La fonction auteur”, Théorie de la littérature: qu'est-ce qu'un auteur?, disponible sur Fabula <https://www.fabula.org/compagnon/auteur2.php> (page consultée le 1er juillet 2018).
  • 8
    Expression empruntée à l'article d'Armelle Datin et d'Isabelle Collombat, “Assia Djebar: la réfugiée linguistique”, Nuit blanche, le magazine du livre, n. 92, p. 20-22, 2003.
  • 9
    Conférence donnée à l'Université Paul-Valéry – Montpellier III, Montpellier (France), 3 mai 1995.
  • 10
    Cf. Rouge l'aube (traduit de l'arabe au français) en 1969.
  • 11
    Cf. Ces voix qui m'assiègent… en marge de ma francophonie en 1999.
  • 12
    Cf. Poèmes pour l'Algérie heureuse en 1969.
  • 13
    Entretien d'Assia Djebar avec Josie Fanon”, Des femmes en mouvement, n. 3, mars 1978DJEBAR, Assia. La Nouba des femmes du mont Chenoua. Production de la Télévision algérienne, 1978. 1h55min..
  • 14
    Ce projet autobiographique, initialement destiné à devenir une tétralogie, se compose de L'Amour, la fantasia (1985)DJEBAR, Assia. L'Amour, la fantasia. Paris: Livre de poche, 1985., Ombre sultane (1987)DJEBAR, Assia. Ombre sultane. Paris: Albin Michel, 2006 [1987]. et Vaste est la prison (1994). Le Quatuor algérien demeurera inachevé.
  • 15
    Cette locution est un clin d'œil à l'ouvrage de Pascale Delormas, Dominique Maingueneau et Inger Ostenstad (dir.), Se dire écrivain. Pratiques discursives de la mise en scène de soi, Limoges, Lambert-Lucas, 2013, “Linguistique”, 140 p.
  • 16
    À ce sujet, voir notamment: Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, “Poétique”, 1975; Philippe Lejeune, “Nouveau roman et retour à l'autobiographie”, L'Auteur et le manuscrit, Paris, PUF, 1991, p. 51-70; Philippe Lejeune, Brouillons de soi, Paris, Seuil, “Poétique”, 1998.
  • 17
    <Isma>, in Abdallah Penot, Dictionnaire des noms et prénoms arabes, Paris, Alif, 1996, p. 152.
  • 18
    La soutenance de thèse sur son œuvre eut lieu à l'Université Paul-Valéry – Montpellier III, Montpellier (France), en 1999.
  • 19
    Source de seconde main. Citée dans “Assia Djebar, voix et plume des “Femmes d'Alger”, n'est plus immortelle”, disponible sur <information.tv5monde.com> (page consultée le 2 juin 2018).
  • 20
    Cf. Hubert Nyssen, “ Discours de réception de Madame Assia Djebar à l'Académie Royale de Langue et Littératures Françaises de Belgique “, in Mireille Calle-Gruber (dir.), Assia Djebar. Nomade entre les murs, Paris, Maisonneuve & Larose, 2005, p. 17.
  • 21
    Par ailleurs, certains de ses discours ont également été édités par la critique: nous pensons ici notamment à Wolfgang Asholt, Mireille Calle-Gruber, Dominique Combe (dir.), Assia Djebar. Littérature et transmission, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2010; ou encore, Beïda Chikhi, Assia Djebar: histoires et fantaisies, Paris, Presses Paris-Sorbonne, 2007.
  • 22
    Les Académiciens d'origine étrangère ont été pour la plupart naturalisés français avant leur accession à l'Académie française (et ce dès l'intronisation du Suisse Victor Cherbuliez en 1881). Le premier Africain à la rejoindre a d'abord été indigène français du fait de la colonisation du Sénagal, avant d'acquérir la nationalité française en 1933. Avec la libération, il devient citoyen sénégalais à partir de 1960.
  • 23
    La première femme qui devint Immortelle fut Marguerite Yourcenar en 1980.
  • 24
    Gayatri Spivak, “Assia Djebar Patterns of Resistance”, in Madeleine Dobie (Dir.), Assia Djebar: Patterns of Resistance, New York, “Romanic Review “, à paraître. La communication est disponible en ligne sur <https://www.youtube.com/watch?v=aNGfXl4WoCI> (1h30) [dernière consultation le 20 juin 2018].
    Gayatri Chakravorty Spivak, théoricienne de la littérature, est l'auteure du fameuse Can the Subaltern Speak? (1988), l'un des textes majeurs du postcolonisalisme. Sa pensée s'intéresse à l'expression de “l'autre” tel que l'envisage l'Occident colonisateur et réfute toute vision totalisante. Elle insiste notamment sur le fait que, contrairement à ce qui était envisagé par la critique jusque dans les années 1990, les subalternes n'ont pas d'accès à la parole et n'ont pas une réelle connaissance de leur subalternité.

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    » https://www.youtube.com/watch?v=aNGfXl4WoCI

Publication Dates

  • Publication in this collection
    Jul-Sep 2018

History

  • Received
    17 May 2018
  • Accepted
    24 Sept 2018
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