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Repenser le théâtre: Benjamin Fondane, pour une poétique existentielle

Rethinking theater: Benjamin Fondane, for an existential poetics

Résumé

Quelques traits dominants confèrent une certaine unité à la vision de Benjamin Fondane, alias B. Fundoianu, sur le théâtre. Raffinées sous l’emprise du milieu intellectuel et artistique français, notamment à la suite de la rencontre avec Artaud et Chestov (ce qui a accentué la prédisposition « existentielle » de la pensée de Fondane), ces dominantes se laissent découvrir des premiers articles de presse jusqu’aux pièces de théâtre contaminées par Nietzsche, Kierkegaard, Chestov, Gide, Bergson, Freud. Selon Fondane, les biographies intellectuelles des maîtres, de Nietzsche et de Kierkegaard, en premier lieu, obéissent aussi à une logique dramatique. Dès sa période roumaine, Fondane s’intéresse aux changements du mécanisme théâtral, de la tragédie grecque jusqu’au drame réaliste et symboliste. De telles réflexions vont trouver une suite dans le Faux traité d’esthétique qui entrecroise des directions importantes dans les arts performatifs du XX-ième siècle et plus tard.

Mots-clés:
Benjamin Fondane; drame; arts performatifs; XX siècle.

Abstract

A number of dominant features confer a dynamic unity on Benjamin Fondane's (alias B. Fundoianu) vision of the theater. Influenced by the French intellectual and artistic environment, and following a meeting with Artaud and Shestov (which accentuated the "existential" predisposition of Fondane's thinking), these constants can be traced back to his first press articles and to his plays, which were contaminated by readings of Nietzsche, Kierkegaard, Shestov, Gide, Bergson, Freud. The intellectual biographies of the masters, especially those of Nietzsche or Kierkegaard, are also placed by Fondane in a dramatic logic. Since his Romanian period, Fondane was already showing interest in the everchanging theatrical mechanisms, from the Greek tragedy to theater realism and symbolism. Such reflections will later find an organic continuation in his observations in Faux traité d’esthétique (False Treatise on Aesthetics), which straddles important directions from the performing arts of the twentieth century and beyond.

Keywords:
Benjamin Fondane; drame; performings arts; twentieth century.

Resumo

Alguns traços dominantes conferem uma certa unidade à visão do teatro de Benjamin Fondane, aliás B. Fundoianu, sobe o teatro. Refinados sob a influência do meio intelectual e artístico francês, especialmente após o encontro com Artaud e Chestov (que acentuou a predisposição “existencial” do pensamento de Fondane), esses elementos dominantes aparecem desde os primeiros artigos de imprensa até as peças de teatro, contaminadas por Nietzsche, Kierkegaard, Chestov, Gide, Bergson, Freud. As biografias intelectuais dos mestres, principalmente Nietzsche e Kierkegaard, também são colocadas em uma lógica dramática. Desde seu período romeno, Fondane se interessa pelas mudanças do mecanismo teatral, da tragédia grega ao drama realista e simbolista. Tais reflexões encontrarão continuidade em Faux traité d'esthétique, que convergem para importantes direções nas artes performáticas do século XX e mais tarde.

Palavras-chave:
Benjamin Fondane; drama; artes performáticas; séc. XX

La question autour de laquelle s’articule cet article est comment B. Fundoianu alias Benjamin Fondane, par ses écrits de la première période de création, passée en Roumanie - notamment par ses réflexions sur le drame comme texte et mise en scène1 1 Voir aussi d’autres articles parus dans les numéros 20 (2017): Fondane homme de théâtre - Au temps du poème, et 11 (2008): Benjamin Fondane et le théâtre - Relecture d'Ulysse, des Cahiers Benjamin Fondane, publiés par la Société d'études Benjamin Fondane. - nous laisse entrevoir ses affinités, dans ses années parisiennes, après 1923, avec une nouvelle poétique de la performance (MARTIN, 2008MARTIN, Mircea. Écrits de Fundoianu sur le théâtre. Cahiers Benjamin Fondane, v. 11, p. 45-54, 2008., pp. 45-54; OSZI, 2017OSZI, Carmen. Une île revisitée: „Insula”. Cahiers Benjamin Fondane, v. 20, 2017.; DEMARS, 2017DEMARS, Aurélien. Le théâtre du suicide selon Fondane. Cahiers Benjamin Fondane, v. 20, 2017. ). Après la Deuxième Guerre, de nouvelles expérimentations artistiques contribuent à rebâtir de façon novatrice la forme dramatique. Le Dada et la vision d’Antonin Artaud y mettent la main à l’oeuvre. Ils n’ont pas laissé indifférent Fondane. Un tel tournant dans l’histoire des arts du spectacle n’est que la manifestation d’un « potentiel de dissolution », de « déconstruction » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009.) qui se cache au plus profond du drame lui-même. La première étape, roumaine, de la poétique théâtrale de Fondane nous donne un avant-goût des affinités ultérieures de l’auteur avec l’avant-garde. Pourtant, cette étape initiale reste plutôt centrée sur la relation de l’ancienne tragédie avec le drame européen d’après 1880, plus précisément sur la grande époque du drame réaliste et symboliste. Celle-ci est marquée par les pièces de Tchékov, Ibsen, Maeterlinck, Claudel. Certaines d’entre elles retiennent particulièrement l’attention du jeune Fondane. On peut y ajouter le théâtre de Gide.

L’hypothèse d’une poétique fondanienne systématiquement articulée est peut-être exagérée. Quelques dominantes, pourtant, lui confèrent une certaine unité. Elles seront raffinées sous l’emprise du milieu intellectuel et artistique français, notamment à la suite de la rencontre avec Artaud et Chestov, qui a accentué la prédisposition « existentielle » de Fondane. Ces dominantes se laissent découvrir des premiers articles de presse jusqu’aux pièces de théâtre contaminées par Nietzsche, Kierkegaard, Chestov, Gide, mais aussi par Bergson, Freud ou Dostoïevski. La manière dont Fondane, dans ses pièces, lit et réécrit de vieilles histoires, se ressent de l’influence de ses maîtres à penser: l’histoire biblique de Balthazar et Nabuchodonosor, le mythe du Juif errant, les mythes grecs d’Oedipe et de Philoctète, ce dernier bien encadré par Ulysse et Néoptolème. En revanche, les biographies intellectuelles des maîtres, de Nietzsche et de Kierkegaard, en premier lieu, obéissent à une logique dramatique. À l’avis de Fondane, ceux-ci sont les protagonistes d’un « drame » existentiel menacé par la fatalité et, comme tout héros tragique, ce n’est que la mort qui peut les délivrer d’une « conscience malheureuse ». Cette odyssée existentielle est un pattern de l’oeuvre de Fondane (poésie, théâtre, essai), tout comme de sa biographie.

Tragédie de l’échec de la raison

Aussi collaterale qu'elle puisse paraître, j’aimerais tout d’abord faire une remarque qui vise à relier la biographie de Fondane à sa pensée esthétique et philosophique qui aspire, elle aussi, à l’authenticité du vécu. Sa relation avec le champ du drame, comme catégorie fictionnelle et existentielle à la fois, me semble être l’une des rarissimes - et d’autant plus significatives - inconséquences que le tandem de sa vie avec son œuvre nous laissent découvrir. Dans son volume Imagini şi cărţi din Franţa [Images et livres de France], paru à Bucharest, en 1922, Fondane remet en cause la catégorie fictionnelle - littéraire et théâtrale - du héros et de l’héroïsme sous-jacent. Pourtant, vingt ans plus tard, à Paris, pendant la guerre, le proscrit Fondane va la récupérer définitivement comme catégorie existentielle fortement inscrite dans son drame personnel. Il flâne dans les rues de Paris, pendant l’Occupation, et refuse hautainement de se cacher, en assumant tout risque au nom de la dignité et du droit de disposer de lui-même. Il refuse d’être mis en liberté et d’éviter ainsi le camp de concentration d’Auschwitz, en raison du fait qu’un tel départ ne serait qu’une ignoble fuite, abdication d’un devoir implacable - fort comme un destin, comme l’Ananké des Anciens. Il choisit la mort au lieu du sauvetage individuel qui lui exige d’abandonner sa soeur dans le camp. Il exclut une vie sans dignité et le statut de victime d’une volonté étrangère. Finalement, il préfère la disparition physique à une capitulation de conscience. De cette perspective, Fondane va revenir, dans ses années parisiennes, au Philoctète de Sophocle, dont il corrige le profil selon ses propres convictions. Menacé par des circonstances hostiles, le Philoctète de Fondane prend sa revanche, suicidaire et magnanime, en jetant le gant au souverain de l’Olympe : « Mais après, Zeus, à nous deux! » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 161).

Tout cela témoigne de l’auguste anachronisme d’un héroïsme, d’une prouesse qui sort de la (tragédie comme) littérature et se mêle à la vie, pour redonner à la pensée, même en dépit des conseils de la raison, sa vérité « existentielle ». Durant toute sa vie, cette vérité « existentielle » n’a cessé de hanter Fondane, prêt à tout sacrifier à son nom. Car, « derrière les mots, malgré les mots, la tragédie qui se passe est vraie », dira-t-il dans son Faux traité d’esthétique (1938), peu avant que la Deuxième Guerre ne se déchaîne (JUTRIN, 2011JUTRIN, Monique. Avec Benjamin Fondane au-delà de l’histoire ou Les Carnets d’Ulysse (1924 - 1944). Paris: Parole et Silence, 2011. ; JUTRIN, 2017JUTRIN, Monique (dir.). Cahiers Benjamin Fondane. Fondane homme de théâtre - Au temps du poème, v. 20, 2017. Disponível em: https://benjaminfondane.com/un_cahier-Fondane_homme_de_th%C3%A9%C3%A2tre___Au_temps_du_po%C3%A8me-35-1-1-0-1.html.
https://benjaminfondane.com/un_cahier-Fo...
). Pendant la guerre, Fondane imprime ainsi à sa vie une sorte de donquichotisme tragique, de panache héroïque à l’ancienne, que vingt ans auparavant, à Bucarest, tout jeune, il refusait fermement à la littérature. Tout d’abord, il le refusait à la tragédie grecque, au nom du « principe de réalité » (ou mieux de la réalité même) qui mine chez lui le principe aristotélicien de la vraisemblance. Celle-ci mesure le degré de fidélité de la représentation fictionnellement imitative à la réalité dont elle s’inspire. Esthétiquement pertinente, elle répond au principe de plaisir par le jeu de l’imagination. À l’opposé, Fondane emprunte à la psychanalyse freudienne le principe de réalité. Celui-ci désigne la possibilité de se soustraire à l’action compensatoire de l’imaginaire nourri par le principe de plaisir. En fait, le conflit entre le principe de réalité et celui de la mimesis - de l’imitation vraisemblable - se cache au cœur de toute l’histoire (et de la théorie) de l’art occidental, dès ses débuts platoniciens et aristotéliciens (BORIE, 2004BORIE, Monique. Antonin Artaud. Teatrul şi întoarcerea la origini. Traduction par Ileana Littera. Iaşi: Polirom, 2004. ; KUHNLE, 2007KUHNLE, Till R. Pereat manifestum - fiat ars! À propos de quelques Faux traités d’esthétique. Cahiers Benjamin Fondane, v. X, p. 57-74, 2007. , pp. 57 - 74). Ce conflit ouvre la voie à bien des innovations qui surgissent dans le théâtre du XX-ième siècle : la réforme artaudienne, Living Theatre, et toute la vague de la performance contemporaine qui ambitionne de supprimer la ligne de démarcation entre le spectacle et la vie qui l’entoure. Dans un certain sens, Fondane performe sa vie qu’il assume comme une tragédie à vif.

C’est le même conflit tragique qui offre à Fondane une clef de lecture de quelques biographies intellectuelles, voire existentielles, de l’histoire de la pensée occidentale, y comprises celles de Nietzsche et de Kierkegaard. Dans La conscience malheureuse (1936), il lit ces biographies presque comme des drames œdipiens, non pas dans le sens freudien, mais sophocléen, comme des drames de la connaissance, voire de l’autoconnaissance : drames de la fatalité, de l’aveuglement et d’une chasse à la vérité poussée jusqu’à ses fatales conséquences. « Comme dans toutes les tragédies », Kierkegaard « doit mourir » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 230). Sa pensée n’est que « l’expression mythique » d’une terrible « lutte intérieure », d’un « drame » affreux qui le déchire (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 228). Cela me semble être une tragédie multipliée, toujours la même, chez Œdipe, Nietzsche, Kierkgaard : tragédie inévitable de l’échec de la raison devant le mystère irrationnel, tremendum et fascinans, comme vérité ultime. Car certes, il y a une chose qui sera à jamais impossible : « être rationnel », tel que « parlait Zarathustra » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 224). La pensée est fatalement « vouée à l’échec », car « le rôle de l’existence » est de s’affirmer comme « impensable » et « d’offrir seulement du paradoxe et du scandale à la raison » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 217). De la même tragédie « sombre, intolérable » témoignent également les biographies de Baudelaire et Rimbaud (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 642).

À l’avis de Fondane, le « réel » nous est donné dans l’échec de toute tentative de le saisir : donné d’une manière dissonante, comme « existence », et, à la fois, comme « reflet » de l’existence, comme force de l’engagement existentiel et, en même temps, comme objet (et effet) d’une connaissance réflexive, contemplative (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 41). Par conséquent, l’existence ne peut « vaincre » définitivement la connaissance logique, tout comme la raison « ne peut tuer » l’existence, ni supprimer une manière de pensée « existentielle », irréductible au formalisme logique, particulièrement au principe de non-contradiction (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 41). C’est ici qu’on peut identifier l’origine de la « conscience malheureuse », comme dit Fondane, en empruntant la formule de Hegel (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 63) : elle naît de la cohabitation de ces « deux pensées » opposées, également « constitutives » de l’être humain - la pensée « existentielle », et, respectivement, « réflexive ». Celle-là fait l’« affirmation existentielle » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 41), elle est un « état vital », un « sentiment » d’être ce que l’on est (p. 39), voire même une « pensée naïve », « prélogique », apte à « réaliser spontanément l’existence ». Mais elle est, en même temps, une pensée « intuitive, imaginative », d’où émergent la fable, la poésie, le mythe (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 27). À l’opposé, la pensée théorique « nie » l’existence et la remplace par un « monde de structures idéales », de « vérités » imuables qui ignorent le devenir continuel de la vie souverainement indifférente aux formes préétablies, aux représentations figées (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 41). Juste ici vient s’insinuer le drame de tout penseur, le rationaliste Husserl ou l’existentialiste Chestov y compris, en dépit de tout ce qui les sépare : « l’adversaire le plus désagréable de Chestov est sa propre raison », tandis que l’ « adversaire le plus terrible de Husserl est sa propre existence » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 43). Comment s’en sortir de « l’île » de sa conscience, se demande Husserl, comment peut gagner une signification objective ce qui est vécu, dans la conscience, comme une évidence? (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 42) Pour Fondane, « la vérité » de ce monde est donc, sans doute, celle d’un conflit entre l’existence et la connaissance, entre la pensée « existentielle », et, respectivement, « réflexive », de sorte que les vérités de la raison seront vraies même si l’homme n’existe pas, tel que Husserl nous laisse comprendre (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., pp. 40 - 41).

Une telle conviction ne reste pas sans conséquences au niveau de la vision esthétique de Fondane. À son opinion, l’action de tout drame - avec son caractère fictionnel, d’accident de l’imagination fabulatrice - est naturellement devancée en importance par son conflit. Celui-ci trouve sa confirmation dans un modèle de l’existence comme tension, tout à fait symptomatique d’une génération entière : notre époque a « tout remis sous tension », l’esprit ne supporte plus les choses « indifférentes », constate Fondane dans son Faux traité d’esthétique (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 593). Le conflit, la tension, c’est quelque chose de « plus vrai » que « la fausse unité », que « la fausse paix de la connaissance » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 683). À partir de ce pattern du conflit tragique et de son attachement envers la pensée existentielle, Fondane signale, dans ses écrits de la période roumaine, les changements des principales composantes et catégories théâtrales (action, personnage, dialogue, etc.) de la tragédie grecque jusqu’au drame moderne d’Ibsen, de Maeterlinck, de Claudel.

La séparation d’Aristote: remise en question de la tragédie

Signalée dès la période roumaine, la dificulté de concilier la « connaissance » et l’ «existence », la « vérité » et le « réel » se précise, notamment dans les années parisiennes de Fondane, comme un noeud vital de ses réflexions. Sur le plan esthétique, cela se manifeste comme une tension entre le modèle et son imitation, entre le réel et le vraisemblable, entre la réalité telle quelle et le « principe » de réalité. La même relation préoccupe aussi Antonin Artaud et Luigi Pirandello, notamment dans Six personnages en quête d'auteur. Cette relation détermine Fondane à adopter une attitude assez réservée envers la tragédie grecque qui repose sur le schéma logique du conflit entre la « nécessité implacable » et la liberté subjective (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 51). En revanche, Fondane fait, comme Artaud, l’éloge de la manière dont les « primitifs » découvrent et représentent le monde. Leurs rituels, comme forme originaire du genre dramatique, et leur mentalité entière lui semblent exemplaires. Car les « primitifs » ne rendent pas la réalité abstraite, ne la force pas d’entrer dans des cadres formels. Ils vivent « dans la réalité », non pas dans le « principe de réalité » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 51). Ils sont « entourés » des « forces » qui peuvent être implorées ou contraintes, ils ne sont pas menacés par une « nécessité implacable », impossible à « convaincre » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 51).

En dissociant l’homme « tragique » et l’homme « théorique », Fondane semble avoir plus d’affinités avec Nietzsche (qui fait l’éloge de l’auto-destruction comme récupération de la plénitude de la vie) qu’avec Aristote et sa Poétique (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 61). Dans la tragédie grecque, Fondane dénonçait l’image agrandie, ennoblie, faussement embellie de l’homme qu’elle remplaçait - et le jeune commentateur ne peut que froncer les sourcils - par la statue d’un héroïsme douteux, invraisemblable : « l’homme exagéré jusqu’au mensonge » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 72). Sur ce point, Fondane est plus proche du nonconformiste Euripide que de ses aînés Eschyle et Sophocle. Le premier a subi les accusations de ses contemporains, Aristophane parmi eux, d’avoir trop « psychologisé » la tragédie, d’avoir trop humanisé le héros dont les cothurnes sont descendus des cieux d’un conflit plutôt abstrait sur la terre ferme des passions humainement vécues.

Comme tant de fois, Fondane défie ainsi le principe d’autorité et prend sur soi la responsabilité du jugement des faits éthiques autant qu’esthétiques. Il ouvre une polémique implicite avec Aristote, le Saint Père de la toute première Poétique européenne et avec sa théorie de la mimesis. Plus particulièrement, Fondane amène un regard frais et sagace sur le caractère exemplaire (ainsi prétendu) de l’ancienne tragédie, sur la séparation qu’elle suppose entre la vie (et l’homme) de tous les jours, d’une part, et son modèle idéalisant, que la tragédie se charge de mettre devant nous, d’autre part. Comme d’habitude, Fondane met tous les points sur les « i », se situe au noyau dur du phénomène théâtral occidental, et commence son analyse, sans ménagement, par une requête d’annulation de « l’exclusion du réel ». (« L’exclusion du réel » constituerait le « principe même » de la tragédie et la condition de sa catharsis.) (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 49).

La « crise de réalité » dans la représentation artistique - qui fera l’objet du Faux traité d’esthétique de Fondane, paru à Paris, en 1938 - s’annonce donc déjà comme son domaine de prédilection dès son volume Imagini şi cărţi din Franţa [Images et livres de France] (Bucarest, 1922), où il envisage une crise de l’effet du réel dans la mimesis propre à la tragédie. Cela constitue pour lui la prémisse d’une remise en question de la structure « logico-dramatique » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 49) de l’ancienne tragédie. Statuée par Aristote dans sa Poétique, cette structure est inscrite par Hegel dans une dialectique de la forme et du contenu - ce qui implique le caractère historique de la forme dramatique et son adaptation nécessaire à un contenu d’expérience humaine lui aussi historiquement variable. (Tout cela jusqu’à ce que l’ idée du Beau à l’ancienne - comme fusion de la sensibilité et de l’esprit - soit dépassée et que l’esprit tende vers une renonciation à la forme).

La Poétique d’Aristote nous présente la tragédie comme une « fiction théorique » qui essaie de « mettre en ordre le chaos » de l’existence, par l’équation implacable de la vie comme destin (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., pp. 44 - 45). Dans le système théâtral constitué du texte et de sa représentation sur la scène, le premier, invariable, assure l’identité de l’œuvre avec elle-même, grâce à la « structure ordonnatrice de la fable-logos » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 45). Par rapport à la stabilité de la forme dramatique, garantie par le texte, le spectacle (opsis) - transposition du texte dans le(s) langage(s) des analogies physiquement perceptibles - recouvre, chez Aristote, le domaine des « effets incidents », « purement sensoriels », « passagers », bref le domaine de l’« illusion » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 46). C’est donc en vertu de sa « structure logico-dramatique » que la tragédie peut résister comme texte et se passer de sa mise en scène. Ce pattern dramatique est à même d’organiser l’action selon les exigences de la raison. Tel « ordre intérieur » - éthique (reposant essentiellement sur l’idée du destin) autant qu’esthétique (articulé autour des fameuses « unités ») - ferme « hérmétiquement » l’unité de sens qui est « l’artefact de la tragédie par rapport à la réalité » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 44).. D’où « l’exclusion du réel », car le caractère « exemplaire » de la tragédie garde à distance la vie de tous les jours. C’est justement à cette « frontière entre le monde et son modèle » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 46) que le drame moderne va s’attaquer plus tard, prêt à concilier le tragique et le quotidien.

Où se situe Fondane dans ce processus de négociation de la légitimité des nouvelles formes théâtrales? Fondane remet en question la structure fermée - logiquement codifiée - de l’ancienne tragédie qui falsifie la situation existentielle de l’homme en proie à un mystère affreux, insondable. Au fatum - la moïra, le destin comme expression grecque de ce mystère - Fondane préfère la forme ouverte que lui prêtent le drame analytique d’Ibsen ou le théâtre « poétique », « lyrique » du symboliste Maeterlinck. Pour Fondane, la sévère codification formelle de la tragédie (la structure « apollinienne » qui, comme disait Nietzsche, s’empare de la substance « dionysiaque » des passions, l’idée de la grandeur tragique qui se passe de la vérité humble de la vie), tout cela n’est qu’une fausse victoire de l’orgueil de la raison sur l’irrationnel irréductible qui pèse sur la nature humaine. Ce n’est donc, ni plus, ni moins, qu’un « mensonge ». Car, dit-il, « la réalité ne commence que là où l’intelligible finit » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 634). Or, la manière dont Fondane lit le théâtre d’Ibsen, de Maeterlinck, de Claudel est une chasse à cette mystérieuse « réalité », à jamais inscrite dans le sort des humains, et aux moyens dont les dramaturges se sont servis afin de la capter dans leur théâtre. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, Fondane assume ouvertement son parti pris : Maeterlinck nous amène un théâtre de vision, et « devant cette vision », « tout le théâtre grec, même le plus pur, semble être fait d’une mauvaise matière » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 87).

Pourtant, Fondane retourne au Philoctète de Sophocle. Il transforme en tragédie ce « drame de la solitude », assez atypique chez les anciens Grecs, « peuple sociable par excellence » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 94). Pari d’autant plus risqué si l’on constate, avec Fondane, l’« impossibilité de ce thème pour une tragédie moderne », car « on ne croit plus aux dieux » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 96). En réfléchissant « aux conditions de la tragédie », Fondane observe que « Philoctète était un thème qui s’y prêtait mal; chez Sophocle lui-même » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 94). Dans son Philoctète, Gide remplace le conflit tragique entre le héros et les dieux, par une relation purement humaine. Chez lui, la tragédie devient ainsi un drame: « l’obéissance au divin du héros sophocléen tourne au renoncement humaniste. Ainsi s’évanouit la tragédie qui est un rapport de l’homme aux dieux - au profit d’un drame qui n’oppose plus que des hommes entre eux » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 95). À l’opposé du drame de Gide, Fondane récupère l’esprit de l’ancienne tragédie, avec son conflit constitutif, entre les mortels et leurs dieux. Vers la fin de la pièce, en attendant le départ d’Ulysse et de Néoptolème, Philoctète de Fondane promet au seigneur de l’Olympe: « Mais après, Zeus, à nous deux! » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 161). La piété du héros sophocléen lui épargne le malheur du dénoument spécifiquement tragique. Mais ce n’est que la mort qui peut délivrer Philoctète fondanien de ses souffrances. Chez Fondane, la fin du héros, prisonnier de son île et de sa destinée, ressemble plutôt au dénoument de la tragédie. Pourtant, comme Prospero de La Tempête shakespearienne, Philoctète de Fondane pardonne finalement à ceux qui l’ont trahi.

En dehors de la « crise du drame » : pour une nouvelle forme dramatique

Avec une fine intuition esthétique et une réelle ouverture d’esprit, Fondane remarque, dès ses premiers écrits, de la période roumaine, toute une série de symptômes de la modernisation du drame. Il saisit avec subtilité et apprécie les innovations qui font de Maeterlinck un avant-coureur du «théâtre post-dramatique» (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 73) de la fin du XX-ième siècle et du début du suivant : ses pièces « statiques », fragilisation de l’action par l’absence de l’intrigue et sa substitution par des « visions », affaiblissement de l’imitation, affaiblissement également du « temps linéaire » de l’action au profit d’un « temps-image » ou « espace-temps » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 71). En guise de confirmation de l’intuition du jeune Fondane, il faut noter qu’aujourd’hui encore, le « théâtre statique » de Maeterlinck passe pour la « première dramaturgie anti-aristotélicienne du modernisme européen » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 73).

D’ailleurs, l’intérêt de Fondane porte spécialement sur les changements subis par les composantes dramaturgiques - action, conflit, imitation, personnage, dialogue -, dans le drame de la seconde moitié du XIX-ième siècle, également revendiqué par le symbolisme et le réalisme. Dans ses formes les plus novatrices, le drame de cette époque se laisse disputer, à l’avis de Michael Kirby (1987KIRBY, Michael. A Formalist Theatre. Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1987.), par les deux branches de l’avant-garde - « l’hermétique » et « l’antagoniste ». La première va du théâtre « lyrique », « poétique » de Maeterlinck jusqu’à nos jours, au « théâtre magique » ou « théâtre d’images » de Robert Wilson. La seconde commence en 1896, à Paris, par le « scandal » d’Ubu Roi d’Alfred Jarry, très peu courtois envers la tradition classique et élisabéthaine. Elle va continuer par le long fil des « esthétiques de la provocation » (KIRBY, 1987KIRBY, Michael. A Formalist Theatre. Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1987.), du Dada au Living Theatre et à la performance post-moderne. Dans ses commentaires de la période roumaine, Fondane semble plutôt préoccupé de la première lignée, tout spécialement de la création de Maurice Maeterlinck. Mais son intérêt portera aussi sur Tzara et Dada, et, plus tard, sur le Surréalisme et les innovations d’Antonin Artaud (JUTRIN, 2015JUTRIN, Monique. Beyond the Avant-Garde: Benjamin Fondane. Dada/Surrealism, v. 20, n. 1, p. 1-12, 2015.).

Sans avoir établi un diagnostic explicite, mais en saisissant avec perspicacité les signes avant-coureurs, Fondane laisse l’impression d’avoir eu l’intuition d’une « crise » du drame (SZONDI, 1983SZONDI, Peter. Théorie du drame moderne, 1880 - 1950. Traduit de l’allemand par Patrice Pavis, avec la collaboration de Jean et Mayotte Bollack. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1983.) au tournant du XIX-ème siècle. C’est une crise surgie de la difficulté de mettre d’accord le tragique et le quotidien, l’ancienne idée du conflit dramaturgique et l’« univers domestique » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000.) où celui-ci aimerait se nicher, après avoir quitté la noble abstraction du monde de la tragédie. Quelques décennies plus tard, partant du principe hégélien de l'identité de la forme et du contenu, Peter Szondi va lui aussi constater (dans sa Théorie du drame moderne, publiée pour la première fois en Allemagne en 1956) qu’ à la fin du XIX-ième siècle, la forme dramatique a fait l'objet d'une crise de croissance due à l'assimilation d'éléments épiques en son sein. Peter Szondi passe en revue les tentatives de « sauvetage » de la forme ancienne débordée par les nouveaux contenus (naturalisme, pièce de conversation, pièce en un acte, etc.), et également les quelques tentatives de « solution » (littérature dramatique du moi, théâtre épique brechtien, drame pirandellien, etc.). Cette « crise » relève de l’impasse que le drame occidental s’efforce de surmonter vers la fin du XIX-ième siècle, en pleine époque de la « romanisation du drame » , de la « contamination du drame par le roman » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 254). Elle est issue de la « contradiction » entre le penchant des nouveaux dramaturges en faveur des thèmes sociaux, « foncièrement épiques », d’une part, et une « forme dramatique réduite à la plus complète abstraction », « incapable de supporter le poids du réel » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 255), d’autre part. Bref, entre une forme dramatique déjà périmée, « dégénérée », et le nouvel attrait pour « l’exploration de la vie quotidienne » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 255). Chez Ibsen, tout spécialement, « la perfection extérieure de la forme », la pièce bien faite, « cache une crise interne du drame » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 255).

Ce compromis difficile entre le genre tragique et le drame moderne, avec son « univers domestique » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 255), conduit naturellement à une remise en cause des éléments de l’ensemble théâtral dont se sert la mimesis: action, conflit, personnage, dialogue, langage dramatique, etc. « Pas de place, dans ce drame d’un type nouveau, pour la grande ‘scène à faire’, ni pour des personnages altiers aux voix retentissantes », constate Jean-Pierre Sarrazac (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 254). L’action y manque de précision : « toujours incertaine et inchoative », elle « n’arrête pas de se nouer et de se dénouer ». Le conflit devient « caduque ». Le trame reste « certainement tragique, mais d’un tragique diffus qui se révèle incompatible avec l’ancienne forme tragique » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 254). Pas une fois, comme chez Maeterlinck, des individualités fluides, évanescentes remplacent la forte présence du héros des Anciens. Leurs voix s’immergent « dans une certaine choralité », écho pressenti d’une « société en train de se massifier » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., pp. 257 - 258). Bon nombre des personnages de la Fin du siècle n’apparaissent que pour « jouer leur disparition », tels ceux de Maeterlinck. « Amortis», « neutralisés », ils ne sont plus « susceptibles d’aucune délivrance » (SARRAZAC, 2000SARRAZAC, Jean-Pierre. Drame moderne. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel , 2000., p. 260), à la différence de leurs devanciers qui s’affirmaient haut et fort dans l’ancienne tragédie. De plus en plus anti-mimétique, lyrique, le drame se laisse souvent confisquer par ses vertus essentiellement poétiques.

Fondane remarque une bonne partie de ces tendances et innovations du drame moderne, bien avant qu’elles soient largement reconnues comme symptomes de la modernisation du théâtre européen. Tout particulièrement, ce que Fondane retient du drame d’Ibsen ou de Maeterlinck offre à l’avance de bons arguments pour justifier pertinemment les conclusions formulées des années plus tard, après la Deuxième Guerre, par Peter Szondi et d’autres exégètes du théâtre.

Le héros

Méfiant envers l’excès discursif et l’exagération héroïque de la tragédie, Fondane est en revanche séduit par le théâtre silencieux, presque muet, de Maeterlinck, d’où le héros semble être banni : sa voix, sa forte présence et son individualité. Dans le théâtre de Maeterlinck, dit-il, « il n’y a pas de héros. Presqu’il n’y a pas d’hommes. Les sentiments courent sans corps ». Dépourvus de mots, réduits au cri et au silence, les personnages sont presque interchangeables : « les gens se différencient selon leurs mots », tandis que « ceux qui pleurent seulement ou s’écrient sont identiques » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 86). Les fantoches de l’absurde ne sont pas très loin des quasi-personnages de Maeterlinck, tels que les voit Fondane. Chez Maeterlinck, les dramatis personae sont remplacés par de simples actants, presque des objets théâtraux, présences spectrales, abstraites: « la Peur, le Pressentiment, le Désespoir, la Mort », remarque Fondane. Ils sont démunis de la complexité du caractère classique, réduits à des gestes stéréotypés. Invisible et omniprésente, la Mort les suit de près. Dans le silence qui les enveloppe, ils peuvent l’entendre s’avancer à petits pas. Ils la pressentent comme un destin. L’action est ainsi substituée par l’attente. D’ailleurs, Les Aveugles de Maeterlinck a été à juste titre vue comme une émouvante préfiguration de la pièce maîtresse beckettienne, En attendant Godot (PRÉVOT, 2000PRÉVOT, Gérard. Maeterlinck, Maurice. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 2000. ). La justesse de l’intuition permet donc à Fondane d’anticiper ce nouveau tournant que prend le théâtre occidental dans le sillage de Maeterlinck.

À leur tour, les personnages d’Ibsen ne sont autres que des « abstractions »: « la Passion », « le Devoir », « la Résignation », conclut Fondane, en forçant un peu l’interprétation, de telle manière qu’elle aille de pair avec l’analyse du drame de Maeterlinck. (Ce qui est vrai peut-être pour Brand ne l’est plus pour Nora ou La Dame de la mer). Pourtant, les personnages d’Ibsen sont d’une autre étoffe que ceux de Maeterlinck. Fondane ne peut ignorer leur profil fort, fait de volonté et droiture. Il tient cependant à marquer une certaine ambiguïté, une relativisation qui les distingue des « exagérations » de la tragédie. Le héros de l’auteur norvégien est « absolu » - n’admettant aucune limitation, sauf son idéal incontournable comme la fatalité -, et « voué à la foi de l’absolu ». Il est donc un « grand caractère », mais sa grandeur - met un bémol le jeune commentateur - le rend « un peu ridicule », d’un « triste, très triste ridicule » (PRÉVOT, 2000PRÉVOT, Gérard. Maeterlinck, Maurice. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 2000. , p. 271). Le héros ibsénien, nous laisse entendre Fondane, s’emprunte à Don Quichotte pour ne pas retourner, avec armes et bagages, à la tragédie tout court. (Brand en est peut être un bon exemple). Le héros du drame ibsénien pèche lui-même par « exagération », comme son très ancien devancier grec. Pourtant, à l’avis de Fondane - que je trouve un peu discutable - l’excès du héros ibsénien va dans un sens générique, et non pas dans celui de l’exception : « L’homme est exagéré » jusqu’à devenir « l’humanité ». Parfois, le commentaire s’installe dans le terrain de l’effet recherché, nourri du contraste, voire du paradoxe : « profondément matériels », les héros d’Ibsen sont en fait essentiellement « lyriques » (PRÉVOT, 2000PRÉVOT, Gérard. Maeterlinck, Maurice. In: Dictionnaire du théâtre. Avec l’introduction de Georges Banu. Paris: Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 2000. , pp. 270 - 271).

Mot et silence

Principe ordonnateur de la tragédie grecque, le mot - le texte, le dialogue, le logos - perd, chez Maeterlinck, de sa force conceptuelle. Pourtant, de Maeterlinck et Dada, jusqu’à Artaud et le « théâtre post-dramatique » (LEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009.), un autre côté du langage en ressortira renforcé, en dehors de sa signification notionnelle. Dans le nouveau théâtre, le signifiant physiquement perceptible gagnera du terrain en défaveur du signifié (ou du contenu conceptuel de la parole). La faiblesse du mot fragilise également la catégorie du héros, remarque Fondane. Entre la tragédie telle qu’il la voit et le théâtre « poétique » de Maeterlinck, il y a toute la distance d’entre la verbosité et un silence affreux, lourd de pressentiments. Chez Maeterlinck, « les paroles se sont enfuies comme des pigeons effrayés » (FONDANE, 1980, p. 86). C’est tout le contraire de la tragédie: « Le public athénien ne voulait pas la passion. Il voulait la passion qui parlait. […] la passion qui chantait. Pour qu’elle ne soit pas accablée par la fatalité, la tragédie évite le silence. Dans la tragédie grecque, il y a une immense peur du silence. Les voix du chœur sont inventées pour que le silence de la tragédie se taise ». Aujourd’hui encore, le spectateur qui « va au théâtre est, lui aussi, athénien, d’une certaine façon. Il veut des paroles inutiles plutôt que la passion qui se tait » (FONDANE, 1980, p. 86).

Le penchant de Fondane pour la remise en question de l’utilisation du mot sur scène mérite un peu plus d’attention. Il annonce déjà l’ouverture de Fondane vers des expérimentations théâtrales qui lui vont devenir plus familières pendant sa période occidentale, tout spécialement ses affinités avec les innovations artaudiennes. Fondane a rencontré Artaud en 1928 au Caffé Sélect à Montparnasse. Admirateur du Théâtre Alfred Jarry créé par Artaud, Robert Aron et Roger Vitrac, Fondane encourage le premier « à aller aussi loin que possible vers un ‘théâtre sans mots’ » (FREEDMAN, 2012FREEDMAN, Eric. Introduction. In: FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu , 2012. , p. 14 ; CARASSOU, 1984CARASSOU, Michel. Fondane - Artaud, même combat!. Europe, n. 667-668, p. 84-93, 1984. , pp. 84 - 93; FOTIADE, 1996FOTIADE, Ramona. Benjamin Fondane et le Théâtre Alfred Jarry. Revue roumaine, v. 327, n. 1, p. 46-59, 1996. , pp. 46 - 59). En effet, chez Artaud, le mot perd sa place de choix et devient un simple ingrédient parmi d’autres dans l’économie du spectacle, au même rang que la lumière, les sons, les mouvements, les gestes, les costumes, le décor2 2 Artaud se déclare fervent admirateur du théâtre balinais. Dans ce « théâtre pur », on « élimine les mots », on les remplace par « une utilisation nouvelle du geste et de la voix » (ARTAUD, 1985, p. 82); on considère « le langage sous la forme de l’Incantation » et on lui rend « ses possibilités d’ébranlement physique » (ARTAUD, 1985, p. 69). . L’inclination de Fondane à un théâtre du silence et de l’appauvrissement du texte, à la manière de Maeterlinck et d’Artaud, croise la voie qui mène à un théâtre du corps, danse-théâtre et Physical theatre, tant prisés dans les dernières décennies.

Action et conflit

Rejeter le héros tragique à la grecque, ne suppose point, selon Fondane, invalider le conflit d’où surgit toute tragédie, au théâtre comme dans la vie: le conflit irréductible entre l’existence et ses lois implacables, entre l’individu et la nécessité qui l’entrave à jamais. Fondane tire de ce conflit le fil rouge qui lui permet de traverser et commenter, dans sa période roumaine, quelques pages importantes de l’histoire du théâtre occidental, des Anciens Grecs à Ibsen, Maeterlinck, Claudel, et plus tard, à Paris, les tourments de la biographie et de la pensée de Nietzsche ou Kierkegaard. Issu d’une « tension » qui, à l’avis de Fondane, est la jumelle de l’existence, le conflit devance en importance l’action dramatique. « L’action, le but du drame? », se demande-t-il, pour se répondre tout de suite lui-même : « Ce postulat contemporain est une stupidité. C’est l’opinion du public sur le théâtre, et non pas celle de l’artiste » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 166). Il faut donc « tuer l’action: voilà le but de l’artiste ». Car l’action « tue l’art, tue la tragédie » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., pp. 166 - 167). Hamlet, par exemple, « tout au long de ses cinq actes, n’est autre que la fuite devant l’action ». La prééminence du conflit en défaveur de l’action est aussi une particularité des drames de Luigi Pirandello, et des pièces de Fondane lui-même, Le Festin de Balthazar et Philoctète y comprises. Pour finir sur une note (néo)romantique du dilemme entre la vie et l’esprit, rappelons le choix que fait le jeune Fundoianu et que plus tard, Fondane ne démentira pas : « tout drame doit être la tragédie de Manole », l’archétype du créateur qui, dans le mythe populaire roumain, sacrifie tout à sa vocation créatrice : « pas d’action, mais le conflit entre la vie et le poème, entre la vie et l’art », entre la vie et (ce qui fait) sa valeur, comme dans l’ancienne tragédie qui, à d’autres égards, déplaît au jeune Fondane (1980, p. 166).

La fatalité

Fondane est également intéressé à la mise en œuvre de l’idée de fatalité, comme héritage de l’ancienne tragédie et élément déclencheur, à la fois, du conflit dans le drame moderne. L’analyse comparative qu’il dédie aux aspects particuliers qu’emprunte ce concept chez Ibsen, Maeterlinck et Eschyle semble tout à fait juste. Dans les tragédies des Anciens, c’est l’homme devant la « fatalité extérieure », transcendante, « divine », absolue - constate Fondane (1980, p. 273). Chez Maeterlinck aussi, « la fatalité est extérieure. Le héros ne veut plus rien ; la fatalité impose ses gestes, détermine ses actes, étrangle sa volonté et sa raison ». Le monde est donc « en proie à une causalité aveugle, à la brutalité du hasard », à une obscure « finalité sans hésitation » (FUNDOIANU, 1980FUNDOIANU, B. Imagini şi cărţi. Anthologie par Vasile Teodorescu, avec la préface de Mircea Martin. București: Minerva, 1980., p. 273). Pourtant, chez le dramaturge norvégien, Fondane découvre et salue chaleureusement, avec un enthousiasme digne de la Quintessence de l’ibsénisme de G. B. Shaw, une innovation essentielle, apte à moderniser le conflit dramaturgique. Dans les pièces ibséniennes - dit-il -, la fatalité devient « intérieure », immanente à la vie. Elle surgit des tréfonds irrationnels de l’âme, comme dans Borkman, Les Revenants, La Dame de la mer. En réalité, cette remarque de Fondane, circonscrite au cas très particulier d’Ibsen, est à même de couvrir un phénomène beaucoup plus largement répandu dans le drame réaliste de la seconde moitié du XIX-ième siècle et du suivant - Ibsen, Tchekov, Strindberg, E. G. O’Neill y compris. La pensée shakespearienne de la fatalité, telle qu’elle se fait particulièrement voir dans Hamlet, précède de près la valeur immanente, intérieure que ces dramaturges lui vont conférer aux XIX-ième et XX-ième siècles.

Drame poé(ma)tique

Une fois l’action suspendue, le drame devient un ouvrage plutôt poématique. Tout particulièrement, Fondane partage avec Maeterlinck et ses confrères symbolistes cette conviction que le théâtre est, avant tout, de la poésie. « Mais où s’achève le poème, et où commence le théâtre? Une pièce de théâtre qui n’est pas de la poésie peut être n’importe quoi, mais pas de l’art », conclut Fondane (1980, p. 166). Son énoncé fait écho à un autre de Maeterlinck : « La pièce de théâtre doit être avant tout un poème » (apudLEHMANN, 2009LEHMANN, Hans-Thies. Teatrul postdramatic. Traduction par Victor Scoradeț. Bucarest: Unitext, 2009., p. 70). En tant qu’auteur, Fondane va cultiver lui-même, en défaveur du genre proprement dramatique, cette « théâtralité du poétique » (GUÉNOUN apudFREEDMAN, 2013FREEDMAN, Éric. Benjamin Fondane et le théâtre: le cri dans le texte. In: FINKENTHAL, Michael; GRUSON, Claire; SORESCU, Roxana (Dir.). B. Fundoianu - Benjamin Fondane: o nouă lectură. Iaşi: Editura Universităţii Al. I. Cuza, 2013., pp. 289 - 293) qu’il admire tant chez Maeterlinck et, plus généralement, chez l’avant-garde « hermétique » symboliste, telle que l’appelle Michael Kirby (1987KIRBY, Michael. A Formalist Theatre. Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1987.). Ses propres pièces, Philoctète (d’après Sophocle et Gide) et Le Festin de Balthazar (d’après Calderon) - commencées en roumain, continuées en français, jamais jouées ou éditées de son vivant (FREEDMAN, 2012FREEDMAN, Eric. Introduction. In: FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu , 2012. , p. 14) - Fondane les appelle « poème dramatique »3 3 « Les manuscrits de Yale montrent également son goût précoce pour le poème dramatique : la traduction d’une scène de l’opéra Lord Byron, d’après le texte de Heine (1912), des fragments de son travail d’adaptation pour la scène de Legenda funigeilor (La Légende des filandres) de D. Anghel et St. O. Iosif, la traduction en 1914 de la pièce Ahasver de l’écrivain hollandais Herman Heijermans, et particulièrement Tăgăduinţa lui Petru (Le Reniement de Pierre), drame métaphysique à thème biblique », cf. Carmen Oszi, « Une île revisitée : Insula », Cahiers Benjamin Fondane, 20 (2017). Voir aussi Eugen Simion (dir.), Dicționarul general al literaturii române, E-K, Bucureşti: Academia Română, 2005, pp. 213 - 216. et, respectivement, « auto-sacramental », « mystère » donc. À celles-ci s’ajoutent un Oedipe, resté inachevé, et une adaptation, Le Puits de Maule, d’après Hawthorne, écrit en 1943, peu avant la mort de l’auteur. Dans ces pièces, les personnages eux aussi sont plutôt des présences lyriques, symboliques, avatars du révolté, de celui qui « défie l’Ordre », de l’exilé: « le Juif exilé dans Le Festin de Balthazar », « Philoctète exilé sur son île, se comportant comme Job », Holdgrave, « l’étranger dans Le Puits de Maule » (FREEDMAN, 2012FREEDMAN, Eric. Introduction. In: FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu , 2012. , p. 15).

Hybris du (mal)croyant: Le Festin de Balthazar

« Connaissance » ou « existence », « vérité » logique ou « réel », « intelligence » ou « intuition », ratio ou fides, la « pensée » ou le « vécu », ce sont les apories presque interchangeables autour desquelles s’articule en bonne partie la réflexion de Fondane. « [U]ne vie est plus qu’une raison,/ le sang est plus qu’un théorème/ que vaut-elle la vérité/ la plus pure, la plus troublante,/ auprès d’une goutte de sang », se demande Philoctète (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 160). Le Festin de Balthazar revient au même. La pièce peut être lue comme un drame de l’affaiblissement d’une salutaire « faculté fabulatrice ». « Créatrice », « mystique », celle-ci s’avère apte à « produire » des dieux, selon Bergson. (Le héros, Balthazar, n’arrive pourtant pas à concevoir le dieu capable de le sauver.) Bergson en parle dans Les deux sources de la morale et de la religion (1932), et, dans une certaine mesure, dans L’évolution créatrice (1907). Fondane y renvoie dans son essai La conscience malheureuse (1936). À bien des égards, Le Festin de Balthazar fait écho au noyau problématique de La conscience malheureuse. Selon Bergson, la « faculté fabulatrice » est menacée par l’action « destructive » de l’intelligence orientée vers « l’action, le plaisir et le bien-être » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 134). L’intelligence seule peut s’avérer finalement néfaste. L’antidote en est la « fonction irrationnelle » de la faculté fabulatrice. Elle s’assigne la tâche de réparer les dégâts causés par la pensée « dissolvante » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 134). Particulièrement, la religion est « une réaction défensive de la nature contre le pouvoir dissolvant de l’intelligence », selon Bergson. Le conseil du philosophe vitaliste fera date: renforcer la faculté fabulatrice même au prix d’une mise dans l’ombre du travail de réflexion. Fondane y souscrit. Son Balthazar porte la peine d’y consentir difficilement.

De ce point de vue, Balthazar est, à mon avis, un proche du roi Penthée des Bacchantes d’Euripide. Les deux expient la faute d’avoir cru qu’ils pouvaient nier ou soumettre rationnellement un dieu indomptable, le sacré fascinans et tremendum. En payant de sa vie, Penthée, le roi de Thèbes, découvre péniblement la fragilité inguérissable de la raison devant les forces irrationnelles et divines qui se cachent au tréfonds de l’âme de la cité et de lui-même. La maïeutique raisonnée de Balthazar ne peut s’affranchir de ses limites. Elle est finalement vaincue par le mystère terrifiant du « vrai Dieu ». Pour Balthazar, celui-ci reste à jamais incompréhensible, Deus absconditus, un « dieu caché ». « Dieu est devenu opaque », Balthazar va « l’offenser, le provoquer, pour l’obliger à se montrer » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 17). Balthazar, Nietzsche, Kierkegaard sont de la même étoffe : ils « sollicitent la faveur d’être punis, pour, grâce à la punition, pouvoir forcer leur raison, l’incliner à la foi… et Dieu refuse cette faveur, il refuse cette punition adorable qui a cessé d’être ce qu’elle fut, étant devenu un moyen de croire, donc une grâce… » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 17). Inspiré du Livre de Daniel4 4 Voir aussi Elisabeth Stambor, « Annotations de Fondane dans sa Bible roumaine », Cahiers Benjamin Fondane, 18 (2015). de l’Ancien Testament, via La cena de Baltasar (1630) de Calderón de la Barca, Balthazar fondanien devient une figure générique : il sort du temps des Écritures, il est « d’aujourd’hui, du temps "de la grande apostasie" comme l’appelle Claudel… La grande seule ressource actuelle de Dieu est - semble-t-il - de ne pas montrer son visage » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 18). Le Festin de Balthazar est donc aussi le drame du besoin de croire et de l’impuissance intellectuelle à s’y abandonner. Y reviennent au même le drame d’Ivan Karamazov et celui du Grand Inquisiteur, tout comme la situation du Psalmiste de Tudor Arghezi, le poète moderniste roumain que Fondane a beaucoup admiré et traduit aussi en français. Pareille à la tragédie d’Oedipe, jusqu’à un certain point, celle de Balthazar est une tragédie de la raison, ou mieux, de l’esprit. L’hybris de Balthazar entrecroise celle d’Oedipe (qui oppose son propre jugement à la volonté rationnellement impénétrable des dieux): c’est « la concupiscentia invincibilis de l’Esprit, l’appétit de l’Esprit d’être Dieu... », tel que le précise Fondane à propos de son héros (FONDANE, 1982FONDANE, Benjamin. Rencontres avec Léon Chestov. Paris: Éditions Plasma, 1982., p. 52; FREEDMAN, 2012FREEDMAN, Eric. Introduction. In: FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu , 2012. , p. 20).

Balthazar suppose que le Dieu du prophète Daniel peut être celui qu’il cherche obstinément. Fondane y projette ses propres convictions dont il nous fait part aussi dans La conscience malheureuse: pour franchir la frontière entre la pensée et l’action, il faut absolument retrouver l’« élan » des anciens prophètes d’Israël, leur énergie intérieure, mise en mouvement par leur passion pour la justice (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 147). (L’« élan vital » a aussi des connotations bergsoniennes.) Pour Balthazar, le « vrai Dieu » n’est pourtant pas Jahvé, dieu de la « Grande Loi », dieu d’un ordre rationnel et éthique. Balthazar en prend ses distances, et à maintes reprises, La conscience malheureuse y fait écho : « le dieu éthique n’est pas Dieu » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 145) ; dans la « plus pure morale humaine », il n’y a pas de « communication » avec « l’absolu » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 148). Le dieu poursuivi semble être plutôt le Dieu des mystiques, au-delà de tout contrôle rationnel ou institutionnel sur l’acte de croire, irréductiblement intime: « Sors de moi, Jéhova! Je te l’ordonne! » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 58), « je vis…, je suis libre… et c’est moi à présent/ […] qui me dresse sans relâche/ pour vaincre Jéhova » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., pp. 42 - 43), « Qui osera gifler la Grande Loi? Et cependant il faut oser », « Détruire l’Ordre/ et de nouveau laisser flotter sur les eaux libres/ l’Esprit - tel que déjà il avait dû flotter/ avant que Jéhova n’eût enchaîné le monde/ par la Loi!… » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 31). Balthazar manque fatalement le rendez-vous avec le Dieu qu’il guette désepérément et qui lui échappe toujours. Incapable à ranimer sa faculté fabulatrice, Balthazar ne peut « produire » le Dieu apte à le sauver. (En tout cas, à l’opinion de Bergson, qu’approuve Fondane, l’humanité survivra autant qu’il y aura des gens qui « fabriquent des dieux ») (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 150). L’exercice de la Raison, l’orgueil démesuré de son Esprit, sa Folie aveugle, sa pulsion de Mort - la chorale des voix intérieures personnifiées - empêchent Balthazar à trouver la bonne voie vers le « vrai Dieu ». Grâce à celui-ci, on pourrait retrouver « la source des religions », pas seulement « des religions historiques », comme le remarquait Fondane (1993, p. 145). D’ailleurs, le « vrai Dieu » est l’un des motifs qui relient Le Festin de Balthazar à La conscience malheureuse.

Ce n’est que le « Dieu [qui] est mort » de Nietzsche qui pourrait être le « vrai Dieu » (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 145), « par delà le Bien et le Mal ». Il y a un inconvénient cependant: celui-ci garde encore le volet moral de la divinité. Balthazar est en même temps tenté et épouvanté par la condition de l’Homme-Dieu. Y incite le silence de Deus absconditus, « ce poète inconnu » d’un « livre parfaitement inepte » (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 34), la Création: « Que fera l’Homme s’il est forcé - forcé - de devenir un Dieu », autant que « Dieu ne répond plus »?, demande Balthazar (FONDANE, 2012FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu, 2012., p. 91). L’intelligence « dissolvante » (comme dit Bergson) de l’« homo philosophus » « détruit » Dieu (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., p. 172). Balthazar ne « nie froidement » celui-ci, mais l’« assassine passionnellement ». Balthazar le dévore et s’efforce à devenir un avec Lui, à la manière des « primitifs » qui mangent leur totem (FUNDOIANU, 1993FUNDOIANU, B. Conştiinţa nefericită. Traduction par Andreea Vlădescu. Bucarest: Humanitas, 1993., pp. 173 - 174). S’affranchir des tabous et boire des vases du Temple, comme Balthazar, c’est une façon de se nourrir de la force sacrée qui les imprègne. Le sous-titre de la pièce relie ainsi la transgression du tabou, qu’ose Balthazar, à la transsubstantiation et au sacrement de l’eucharistie. Celui-ci forme le noyau des autos-sacramentales, « pièces religieuses allégoriques jouées en Espagne ou au Portugal à l’occasion de la Fête-Dieu ». Elles « traitent des problèmes moraux et théologiques ». Elles se sont maintenues pendant le Moyen Âge et ont connu « leur apogée au Siècle d’or » (PAVIS, 1996PAVIS, Patrice. Dictionnaire du théâtre. Paris: Dunod, 1996., p. 31). L’oeuvre de Lope de Vega, Tirso de Molina, Calderón de la Barca en ressent l’influence. Interdit en 1765, l’auto-sacramental sera redécouvert au XX-ième siècle. Certains auteurs vont alors le transformer, voire même le séculariser. À sa façon, Fondane y met la main à l’oeuvre.

Pour faire le point

La poétique théâtrale de Benjamin Fondane reste profondément enracinée dans sa pensée existentielle. Elle y repose et en dégage le sens de son évolution, depuis les premiers commentaires concernant le phénomène théâtral - textes et mises en scènes -, publiés en Roumanie, jusqu’à la synthèse qui est son Faux traité d’esthétique, paru en France, peu avant la mort prématurée de Fondane.

Dans le théâtre mi-réaliste, mi-symboliste d’Ibsen, Fondane souligne avec justesse bon nombre des particularités qu’il découvre aussi chez Maeterlinck : absence du sujet, affaiblissement de l’action, jumelage du personnage avec un symbolisme lyrique qui, par sa portée générique, avoisine l’abstraction, en allant de pair avec son fanatisme de l’absolu: « la pièce n’a pas de sujet », « l’action s’écroule », « le mot est trop peu commun pour qu’il soit trop logique ». Nourries de sa « poésie viscérale » et de sa philosophie « existentielle » (FREEDMAN, 2012FREEDMAN, Eric. Introduction. In: FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu , 2012. , pp. 14 - 15), ses propres pièces sont elles aussi des « poèmes dramatiques » ou « mystères » dont les personnages perdent leur consistance réaliste et s’apparentent au symbole lyrico-dramatique.

Dans ses années parisiennes, très probablement sous l’emprise d’Antonin Artaud, qu’il connaissait personnellement, Fondane témoigne de sa disponibilité d’intégrer aux arts de la scène l’ancien héritage rituel. À son avis, le rituel peut aider les arts occidentaux à regagner leur capacité d’agir sur le réel, leur « efficacité », comme il le dit dans son Faux traité d’esthétique5 5 Au sujet de l’« efficacité » du rituel et des arts performatifs, Popa Blanariu, 2017; Popa Blanariu, 2019. . Ils ont perdu cette force agissante de la (re)présentation à cause de l’intronisation du principe imitatif - de la mimesis vraisemblable, de souche platonicienne et aristotélicienne - en défaveur du principe de réalité et d’intervention efficace sur le monde réel, qui règne dans la performance rituelle. Dans la performance post-moderne, cette exigence de l’efficacité de la (re)présentation conduira à l’idée du specta(c)teur dont parle Augusto Boal, et qu’envisagent les stratégies du spectacle interactif, qui font du public un collaborateur du performer.

Les rapports sont assez « forts entre Artaud et Fondane » (FREEDMAN, 2012FREEDMAN, Eric. Introduction. In: FONDANE, Benjamin. Théâtre complet. Le Festin de Balthazar, Philoctète, Oedipe, Le Puits de Maule. Établissement des textes, introduction et notes par Éric Freedman. Paris: Non Lieu , 2012. , p. 14). Les pièces de Fondane gardent l’esprit d’un « drame essentiel », tel que l’entend Artaud lui-même: c’est un drame du « Double, celui de la matière et de l’épaississement de l’idée ». « La raison d’être » du théâtre est « l’extériorisation » de ce « drame essentiel » (ARTAUD, 1985ARTAUD, Antonin. Le théâtre et son double suivi de Le Théâtre de Séraphin. Paris: Gallimard, 1985., p. 70) qui est « la base de tous les Grands Mystères » (ARTAUD, 1985ARTAUD, Antonin. Le théâtre et son double suivi de Le Théâtre de Séraphin. Paris: Gallimard, 1985., p. 77). Par son sous-titre auto-sacramental, la pièce fondanienne Le Festin de Balthazar se situe à proximité des « mystères ». On peut y voir une éventuelle filiation avec Artaud, notamment avec sa vision du théâtre comme « drame essentiel », tout comme un emprunt à la typologie de la performativité médiévale ou baroque, plus précisément les autos-sacramentales d’Espagne ou de Portugal. Le « drame essentiel » relève d’un « théâtre typique et primitif » qui « n’a rien à voir avec ce théâtre social ou d’actualité » (ARTAUD, 1985ARTAUD, Antonin. Le théâtre et son double suivi de Le Théâtre de Séraphin. Paris: Gallimard, 1985., p. 77). Il me semble qu’en recourant aux principes de la « métaphysique » d’Artaud, la mise en scène des pièces fondaniennes aurait à gagner.

Remerciements

De façon beaucoup plus restreinte, on a développé ces aspects dans une communication faite lors du Colloque Modernisme - Avant-garde - Antimodernisme dans l’oeuvre de B. Fundoianu - Fondane [Colocviul Modernism - Avangardă - Antimodernism în opera lui B. Fundoianu - Fondane], organisé à Bucarest, le 6 decembrie 2018, par le Musée National de la Littérature Roumaine, la Faculté des Lettres de l’Université Bucarest, et l’Association de Littérature Générale et Comparée de Roumanie. Mes remerciements vont particulièrement à Monsieur Mircea Martin de l’Académie Roumaine, initiateur et coordinateur du colloque. Je remercie également Madame Monique Jutrin, directrice des Cahiers Benjamin Fondane, pour avoir gentiment mis à ma disposition plusieurs articles de la publication qu’elle dirige. Un merci tout spécial à Monsieur Liviu Dospinescu de l’Université Laval de Québec, avec qui on a aussi discuté au sujet de l’article.

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  • SIMION, Eugen (dir.). Dicționarul general al literaturii române, E-K Bucureşti: Academia Română, 2005.
  • STAMBOR, Elisabeth. Annotations de Fondane dans sa Bible roumaine. Cahiers Benjamin Fondane, n. 18, 2015.
  • SZONDI, Peter. Théorie du drame moderne, 1880 - 1950 Traduit de l’allemand par Patrice Pavis, avec la collaboration de Jean et Mayotte Bollack. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1983.
  • VILLELA-PETIT, Maria. D'un Philoctète à l'autre. Cahiers Benjamin Fondane, n. 11, 2008.
  • Parecer Final dos Editores

    Ana Maria Lisboa de Mello, Elena Cristina Palmero González, Rafael Gutierrez Giraldo e Rodrigo Labriola, aprovamos a versão final deste texto para sua publicação.
  • 1
    Voir aussi d’autres articles parus dans les numéros 20 (2017): Fondane homme de théâtre - Au temps du poème, et 11 (2008): Benjamin Fondane et le théâtre - Relecture d'Ulysse, des Cahiers Benjamin Fondane, publiés par la Société d'études Benjamin Fondane.
  • 2
    Artaud se déclare fervent admirateur du théâtre balinais. Dans ce « théâtre pur », on « élimine les mots », on les remplace par « une utilisation nouvelle du geste et de la voix » (ARTAUD, 1985ARTAUD, Antonin. Le théâtre et son double suivi de Le Théâtre de Séraphin. Paris: Gallimard, 1985., p. 82); on considère « le langage sous la forme de l’Incantation » et on lui rend « ses possibilités d’ébranlement physique » (ARTAUD, 1985ARTAUD, Antonin. Le théâtre et son double suivi de Le Théâtre de Séraphin. Paris: Gallimard, 1985., p. 69).
  • 3
    « Les manuscrits de Yale montrent également son goût précoce pour le poème dramatique : la traduction d’une scène de l’opéra Lord Byron, d’après le texte de Heine (1912), des fragments de son travail d’adaptation pour la scène de Legenda funigeilor (La Légende des filandres) de D. Anghel et St. O. Iosif, la traduction en 1914 de la pièce Ahasver de l’écrivain hollandais Herman Heijermans, et particulièrement Tăgăduinţa lui Petru (Le Reniement de Pierre), drame métaphysique à thème biblique », cf. Carmen Oszi, « Une île revisitée : Insula », Cahiers Benjamin Fondane, 20 (2017). Voir aussi Eugen Simion (dir.), Dicționarul general al literaturii române, E-K, Bucureşti: Academia Română, 2005SIMION, Eugen (dir.). Dicționarul general al literaturii române, E-K. Bucureşti: Academia Română, 2005., pp. 213 - 216.
  • 4
    Voir aussi Elisabeth Stambor, « Annotations de Fondane dans sa Bible roumaine », Cahiers Benjamin Fondane, 18 (2015STAMBOR, Elisabeth. Annotations de Fondane dans sa Bible roumaine. Cahiers Benjamin Fondane, n. 18, 2015.).
  • 5
    Au sujet de l’« efficacité » du rituel et des arts performatifs, Popa Blanariu, 2017POPA BLANARIU, Nicoleta. Le signe agissant. D'une sémiologie de la mimesis vers une pragmatique de la performance. SIGNA: Revista de la Asociación Española de Semiótica, v. 26, p. 493-509, 2017.; Popa Blanariu, 2019POPA BLANARIU, Nicoleta. "Towards a Pragma-Semiotics of Ritual(ized) Gesture and Performance". Arte, Individuo y Sociedad, v. 31, n. 1, p. 41-54, 2019..

Publication Dates

  • Publication in this collection
    13 May 2022
  • Date of issue
    Jan-Apr 2022

History

  • Received
    12 July 2021
  • Accepted
    16 Nov 2021
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