Résumé:
Cet article traite de l’une des sources principales de l'Antiquité pour la reconstruction de la vie et des doctrines des femmes philosophes: Diogène Laërce. L'objectif est de montrer que Diogène nous présente des portraits de femmes qui méritent d’être incluses dans le canon philosophique antique et étudiées dans l’histoire de la philosophie.
Mots-clés:
Diogène Laërce; femmes philosophes antiques; canon philosophique
Abstract:
This article focuses on one of the primary ancient sources for reconstructing lives and opinions of women philosophers in antiquity: Diogenes Laertius. It aims to demonstrate that Diogenes provides portraits of women wich should be included in the philosophical canon and studied as part of the history of philosophy.
Keywords:
Diogenes Laertius; women philosophers; philosophical canon
Introduction
Depuis quelque temps, plusieurs chercheurs et chercheuses mettent en évidence le fait que de nombreuses femmes ont pratiqué la philosophie et ont été reconnues comme philosophes par le passé. Récemment, des chercheuses qui s’occupent de la philosophie moderne, tout en soulignant la présence et la valorisation des femmes philosophes de l’Antiquité et du Moyen Âge, se sont concentrées particulièrement sur la Querelle des femmes. La Querelle, en effet, qui débute au XIVe siècle, traverse la Renaissance et s’achève au début de l’époque moderne, constitue un moment clé de la prise de conscience des femmes quant à leur capacité et leur droit de pratiquer la philosophie.1 Si je ne peux pas suivre en détail tous les arguments et preuves avancés pour soutenir ces thèses,2 une remarque intéressante demeure : la redécouverte des Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce3 à la Renaissance et au début de l’époque moderne constitue le point de départ fondamental pour l’histoire des femmes philosophes anciennes et modernes. Selon Shapiro,4 le style de Diogène aurait peut-être inspiré certains auteurs et autrices impliqués dans la Querelle des femmes à dresser leurs propres catalogues des femmes célèbres, en voulant retrouver un pedigree illustre pour soutenir les capacités intellectuelles des femmes.5
Or, on sait que le texte de Diogène, essentiel pour la reconstruction de la vie et des doctrines des philosophes de l’antiquité jusqu’au IIIe siècle après J.-C., contient également des remarques fort intéressantes sur quelques femmes philosophes de l’Antiquité. C’est ainsi que l’apport du texte de Diogène réside avant tout dans la redécouverte des femmes philosophes antiques. En effet, c’est comme appendix à son travail sur Diogène Laërce publié en 16636 que Gilles Ménage, impliqué lui-aussi dans la Querelle, publie en 1690 et 1692 l’Histoire des femmes philosophes (Historia mulierum philosopharum), à imitation de l’ouvrage de Laërce et consacré uniquement aux femmes philosophes. Ce texte, largement ignoré jusqu’en 1984,7 date de sa traduction anglaise,8 inspire ensuite M. E. Waithe qui, en 1987, publie le premier volume de son History of Women Philosophers,9 entièrement dédié aux femmes philosophes de l’Antiquité.
Les femmes philosophes: status quaestionis
Dans son ouvrage Historia mulierum philosopharum, Ménage énumère soixante-cinq femmes philosophes mentionnées dans les sources antiques. Il ne précise pas les critères de sélection, mais, dans la plupart des cas, il considère celui de l’appartenance à une école philosophique renommée. On reconnaît facilement le critère adopté aussi par Diogène Laërce, qui structure ses dix livres autour de personnalités importantes et de leurs successeurs. C’est ainsi que, par exemple, dans le deuxième livre, nous trouvons Socrate et les socratiques, dans le troisième livre, Platon, dans le quatrième, l’Académie, dans le huitième, Pythagore et les pythagoriciens, et ainsi de suite.
De manière analogue, Ménage classe les femmes philosophes en fonction de leur affiliation à une école: les Pythagoriciennes (une trentaine), les Platoniciennes (Lasthénia, Axiothéa, Hypatie), les Cyrénaïques (Arété), les Cyniques (Hipparchia), etc.10 Bien que son ouvrage soit une contribution précieuse à l’histoire intellectuelle des femmes, il présente des limites : son style est souvent anecdotique (comme d’ailleurs celui de Diogène) et manque d’intérêt philosophique profond, ce qui explique pourquoi certains érudits de son époque l’ont jugé médiocre.11
Trois siècles plus tard, M. E. Waithe publie le premier volume de son History of Women Philosophers (1987), couvrant la période du VIe siècle av. J.-C. au Ve siècle après J.-C.. Waithe utilise deux critères pour sélectionner les femmes philosophes. D’abord, elle considère uniquement celles dont des écrits nous sont parvenus: les Pythagoriciennes, dont quelques lettres et fragments ont survécus, et Hypatie, qui aurait écrit deux travaux mathématiques (un commentaire sur l’arithmétique de Diophante et un commentaire sur le livre III de la syntaxe mathématique de Ptolémée).12 Ensuite, elle inclut les femmes à qui les sources anciennes attribuent des théories philosophiques, comme Aspasie, Diotime ou Macrina.
Si le travail de Waithe a joué un rôle crucial dans la renaissance des études sur les femmes philosophes de l’Antiquité, il présente certaines faiblesses.13 Son approche, bien que rigoureuse sur le plan philologique grâce à la collaboration de Vicki Lynn Harper, conduit parfois à des théories discutables et à des conclusions qui ne sont pas toujours partageables.14 L’ouvrage, certainement stimulant d’un point de vue philosophique, reste marqué par une orientation idéologique qui arrive à biaiser l’analyse historique.
Depuis les années 1990, mais de manière discontinue,15 plusieurs travaux tentent de réhabiliter la contribution des femmes à la philosophie antique, en opposition à leur marginalisation. Deux approches principales coexistent : i) l’analyse des considérations des philosophes anciens sur les femmes16 et sur leur capacité à pratiquer la philosophie;17 ii) la publication de monographies et de recueils mettant en lumière les contributions philosophiques des femmes antiques.18
Ces tentatives, louables et fort intéressantes, posent encore aujourd’hui de nombreux problèmes, que je n’aborderai pas ici, mais qui, me semble-t-il, affectent l’histoire des femmes philosophes et leur inclusion dans le “canon” philosophique.19 Ces problèmes sont dus essentiellement à l’état lamentable des données sur les femmes que nous possédons, mais qui, pourtant, sont tout ce que nous avons à disposition. Cet état de fait nous conduit en effet à constater souvent le caractère arbitraire de leur interprétation. Malgré la publication de travaux très sérieux du point de vue philologique et philosophique, des divergences importantes sur l’interprétation des doctrines des femmes philosophes demeurent. Un exemple intéressant concerne à mon avis les lettres attribuées aux Pythagoriciennes qui nous ont été transmises : pour certains savants, ce ne sont que des “moral platitudes” dépourvues d’intérêt philosophique,20 alors que pour d’autres, il s’agit de premières réflexions de femmes sur leur rôle et leur importance, comme une sorte d’éthique appliquée.21 En effet, la divergence d’opinions qui se manifeste à propos des thèses et des écrits des femmes dépend strictement de ce que l'on entend par philosophie. Ceux qui considèrent la philosophie comme une entreprise théorique de type platonicien-aristotélicien sont en effet amenés à considérer les témoignages sur les femmes philosophes comme non philosophiques ou peu intéressants.22
Le canon: doxographie et critères pour l’inclusion des femmes dans l’histoire de la philosophie antique
Que faire, donc, pour aborder ce sujet difficile de façon constructive et pas trop frustrante? Depuis quelques années, on réclame essentiellement une reconstruction du canon des femmes philosophes.23 L’idée est de rebâtir la liste des femmes philosophes de l’Antiquité en considérant à nouveau les sources qui en parlent, de la façon la plus honnête possible, mais avec un esprit et un intérêt philosophiques ponctuels et vivaces qui nous permettront de saisir leur contribution à la philosophie.
Ce travail devrait consister en deux volets. Le premier consiste à revenir aux sources, c’est-à-dire retrouver les notices sur les femmes philosophes anciennes afin de constituer un dossier complet. En effet, il y a des dizaines de sources anciennes à considérer (Ménage en mentionne environ cent-trente, dont les plus citées sont Diogène Laërce, Plutarque, Aténée, Cicéron, Clément d’Alexandrie, Cassius Dion, Jamblique, Photius, Stobée, la Suda, etc.). Cependant, il n’est pas fructueux de se limiter à “extraire” les notices sur les femmes philosophes, comme on l’a fait jusqu’à présent; il faudrait en revanche considérer aussi le contexte dans lequel ces notices se trouvent et les préjugés sexistes qui souvent accompagnent ces remarques et leur interprétation. Un travail de ce genre serait très utile pour construire une doxographie générale disponibles pour les chercheurs et les chercheuses qui s’intéressent du sujet.
L’autre volet consiste à repérer les critères permettant d’identifier les femmes philosophes. Autrement dit, il faut décider pourquoi les femmes mentionnées peuvent être considérées comme philosophes.
Dans le reste de cet article, je considérerai un exemple illustre de source ancienne pour la reconstruction de la pensée féminine: Diogène Laërce. Ensuite, je présenterai quelques remarques sur les critères utilisés par Diogène pour identifier les femmes philosophes. Dans mes conclusions, j’essaierai de montrer que Diogène nous fournit des portraits convaincants, et certainement dignes d’une inclusion dans le canon traditionnel.
Diogène Laërce: le “dossier femmes”
1. Cléobulinè “la sage”
La première femme que l’on rencontre dans les Vies de Diogène est Cléobulinè, fille de Cléobulos, l’un des sept sages:
Cléobulos, fils d’Évagoras, de Lindos … certaines font remonter sa famille à Héraclès; <on rapporte> qu’il se distinguait par la force et la beauté, et qu’il avait eu part à la philosophie égyptienne (μετασχεῖν τε τῆς ἐν Αἰγύπτῳ φιλοσοφίας); <on dit> qu’il a eu une fille, Cléobulinè,24 qui composa des énigmes poétiques en hexamètres (αἰνιγμάτων ἑξαμέτρων ποιήτριαν); elle est également mentionnée par Cratinos dans la pièce qui porte son nom, <en étant> le titre au pluriel (ἧς μέμνηται καὶ Κρατῖνος ἐν τῷ ὁμωνύμῳ δράματι, πληθυντικῶς ἐπιγράψας). (D.L. I 89.1-6, tr. Goulet-Cazé légèrement modifiée).
Dans ces quelques lignes émergent déjà des remarques particulièrement intéressantes. Tout d’abord, la conséquence que l’on peut tirer de ce que Diogène dit sur Cléobule: la philosophie ne serait pas exclusivement grecque.25 En effet, selon son témoignage, le père de Cléobulinè aurait participé à la philosophie égyptienne,26 ce qui remet en question la vision “occidentaliste” de son origine. Cette remarque est d’autant plus significative que, parmi les chercheurs et chercheuses qui s’intéressent aux femmes philosophes de l’Antiquité (et au-delà), nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui attribuent leur exclusion du canon à une conception traditionnelle de la philosophie, héritée principalement de Platon et d’Aristote.27 Il s’agirait donc d’élargir la philosophie au-delà de ses frontières occidentales.28
Une question centrale se pose: est-ce que Diogène mentionne Cléobulinè en tant que philosophe? Il la présente ici certainement en raison de sa descendance de Cléobule, en la considérant probablement, à cause de ses énigmes, comme une femme sage plutôt que comme une philosophe.29 En revanche, dans le cadre des réflexions sur l’importance d’élargir le champ de la philosophie antique, une autre tendance parmi les spécialistes des femmes philosophes consiste à reconnaître comme philosophiques certaines formes de savoir marginales par rapport à celles codifiées par la tradition. Dans cette perspective, les énigmes poétiques de Cléobulinè pourraient être envisagées comme une forme de savoir philosophique.30 Enfin, si l’on considère ce que Diogène dit de Cratinus, on peut conclure que Cléobulinè était connue et influente, car il a écrit une pièce de théâtre intitulée Les Cléobulinès au pluriel, pour définir un type qui devait paraître assez particulier à l'époque.31
2. Arétè “la cyrénaïque”
Puisque nous avons écrit la vie d’Aristippe, parcourons désormais ceux de sa lignée, les Cyrénaïques […] Voici comment se présente la succession. Disciples d’Aristippe : Arétè sa fille ainsi qu’Aithiops de Ptolemaïs et Antipatros sont de Cyrène ; disciple d’Arétè : Aristippe surnommé le Métrodidacte (Ἀρήτης δὲ Ἀρίστιππος ὁ μητροδίδακτος ἐπικληθείς) ; disciple d’Aristippe : Théodore l’Athée, dit ensuite ‘Dieu’ (D.L. II 86.17-86.6, tr. Goulet-Cazé légèrement modifiée).
Arétè est la fille d’Aristippe, fondateur de l’école socratique Cyrénaïque, ainsi nommée en référence à sa patrie d’origine. Selon Diogène Laërce elle fût son élève.
La philosophie cyrénaïque se distingue par une approche éthique prônant un hédonisme tempéré et “vertueux”, ce qui se montre dans les propos d’Aristippe sur l’éducation d’Arétè :
Il éduquait sa fille Arétè selon les meilleurs principes, l’entraînant à mépriser le superflu. Quelqu’un lui ayant demandé en quoi l’instruction rendrait son fils meilleur, il répondit : “A défaut d’autre chose, en ceci à tout le moins qu’au théâtre ce n’est pas une pierre qui s’assiéra sur une pierre”. (D.L. II 72.1-4, tr. Goulet-Cazé).
Il n’est pas évident, à la lecture de ces quelques mots, si Diogène distingue l’éducation de sa fille - l’entraîner à mépriser le superflu - de celle de son fils, centrée peut-être sur l’étude des auteurs classiques, y compris les pièces de théâtre. Ce qui me semble remarquable, c’est que, dans la succession d’Aristippe, son fils n’y figure ni comme élève ni comme maître, contrairement à Arétè. En effet, Diogène attribue à Arétè un élève: son fils Aristippe, dont le surnom, “le Métrodidacte”, témoigne du fait qu’il a reçu sa formation de sa mère. On ignore s’il s’agissait d’une éducation philosophique. Quoi qu’il en soit, Arétè est une femme philosophe en tant que fille et élève d’Aristippe.32 Elle adhère au mode de vie cyrénaïque et l’enseigne à son fils.33
3. Les disciples de Platon et de Spéusippe : Lasthéneia de Mantinée et Axiothéa de Phlionte
[Aux disciples de Platon] il faut adjoindre deux femmes: Lasthénia de Mantinée et Axiothéa de Phlionte, laquelle portait des vêtements d’homme (ἣ καὶ ἀνδρεῖα ἠμπίσχετο), comme le rapporte Dicéarque.34 (D.L. III 46.6-9, tr. Goulet-Cazé).
Diogène nous apprend que Lasthénia de Mantinée et Axiothéa de Phlionte furent élèves de Platon.35 Dicéarque est à l’origine d’une remarque curieuse, rapportée par Diogène Laërce, selon laquelle Axiothéa aurait porté des vêtements masculins, peut-être pour assister aux cours de Platon (bien que cela ne soit pas explicitement mentionné).
Deux interprétations ont été proposées à cette observation. Selon la première, Axiothéa aurait porté des vêtements masculins afin de dissimuler son identité de femme. Ce témoignage refléterait ainsi une forme de misogynie de la part de Platon, qui n’aurait pas accepté les femmes à l’Académie.36 Cependant, cette explication ne saurait rendre compte de la présence de Lasthénia dans son école, car Diogène attribue des vêtements masculins uniquement à Axiothéa. De plus, il convient de rappeler que Platon, dans le Ve livre de la République, envisage une éducation commune pour les hommes et les femmes gardiens de l’État, ce qui conduit certains savants à soutenir la thèse que les femmes peuvent également devenir philosophes et, par conséquent, gouverner l'État. Bien que cette conclusion ne fasse pas l’unanimité, la présence des deux femmes à l’Académie de Platon pourrait bien témoigner de la possibilité pour elles de devenir véritablement philosophes. L’autre explication est plus intéressante : Axiothéa aurait voulu montrer qu’elle s’habillait “en philosophe”, c’est-à-dire qu’elle portait le manteau typique des philosophes.37
Un peu plus tard Diogène nous apprend que les deux femmes ont été aussi élèves de Speusippe, le successeur de Platon à l’Académie:
On dit que Spéusippe avait comme disciples les platoniciennes Lasthéneia de Mantinée et Axiothéa de Phlionte. C’est à cette occasion que Denys, dans une lettre qu’il lui adressa, lui dit d’un ton moqueur : “par ton élève arcadienne il est possible d’apprendre la sagesse : Platon exempta d’honoraires ceux qui le fréquentait ; tandis que toi tu exiges un tribut et tu réclame <des honoraires>, que <tes élèves> le veuillent ou non”. (D.L. IV 2.1-6, tr. Goulet-Cazé légèrement modifiée).
Dans la lettre du tyran Denis (probablement un pseudépigraphe)38 et citée par Diogène, on retrouve une remarque ironique sur la valeur de la sophia de Spéusippe. Contrairement à Platon, Spéusippe exigeait un tribut de ses élèves, en l’occurrence de Lasthénia. Cette remarque semble l’associer aux sophistes, méprisés par Socrate et Platon précisément parce qu’ils faisaient payer leurs enseignements. Il existe toutefois une interprétation encore plus hostile, suggérant un paiement “en nature”.39 Quoi qu’il en soit, ce passage ne reflète aucun préjugé à l’égard de Lasthéneia. La lettre de Denys témoigne plutôt d’une hostilité qui imprègne, de manière plus générale, la tradition entourant le premier scolarque de l’Académie platonicienne.40
4. Hipparchia “la cynique”
La sœur de Métroclès, Hipparchia fut, elle aussi, captivée par les discours <de Cratès>. Les deux <Métroclès et Hipparchia> étaient de Maronée. Elle s’éprit des discours et <du genre> de vie de Cratès (καὶ ἤρα τοῦ Κράτητος καὶ τῶν λόγων καὶ τοῦ βίου), ne prêtant attention à aucun de ses prétendants, pas plus qu’à leur richesse, à leur haute naissance ou à leur beauté (οὐδενὸς τῶν μνηστευομένων ἐπιστρεφομένη, οὐ πλούτου, οὐκ εὐγενείας, οὐ κάλλους). Mais Cratès était tout pour elle; elle alla jusqu’à menacer ses parents de se tuer, si on ne la donnait pas à lui. Les parents demandèrent donc à celui-ci de dissuader leur fille. Il fit tout ce qu’il put; et finalement, ne parvenant pas à la convaincre, il se leva et enleva devant elle ses vêtements: “voici, dit-il, le jeune époux, voici sa propriété. Décide-toi en conséquence. Car tu ne seras pas <ma> compagne, si tu ne pratiques pas le même genre de vie <que moi>”. La jeune fille choisit et après avoir pris le même aspect <que lui> elle circula avec son homme (εἵλετο ἡ παῖς καὶ ταὐτὸν ἀναλαβοῦσα σχῆμα συμπεριῄει τἀνδρὶ), eu commerce avec lui en public (ἐν τῷ φανερῷ συνεγίνετο) et se rendit aux dîners. Ainsi elle alla chez Lysimaque aussi pour un banquet et là elle réfuta Théodore surnommée l’Athée, après avoir lui proposé le sophisme (σόφισμα) suivant : “l’acte qui, en le faisant Théodore, ne peut pas être appelé injuste, même si Hipparchia le fait, il ne peut pas être appelé injuste. Or Théodore, en se frappant lui-même, ne commet pas d’acte injuste; par conséquent Hipparchia, en frappant Théodore, ne commet pas d’acte injuste”. Théodore ne trouva rien à répondre à l’argument, mais il lui enleva son manteau (ἀνέσυρε δ᾽ αὐτῆς θοἰμάτιον):41 mais Hipparchia n’en fut ni frappée ni troublée, comme <eût dû l’être> une femme. [98] Mais aussi quand Théodore lui dit: “est-ce bien celle qui sur le métier a laissé sa navette ? ”,42 elle répondit: “c’est bien moi Théodore ; mais j’ai pris à tes yeux une mauvaise décision me concernant, si le temps que j’aurais dû perdre sur le métier je l’ai consacré à <mon> éducation ? ” (ἀλλὰ μὴ κακῶς σοι δοκῶ βεβουλεῦσθαι περὶ αὑτῆς, εἰ, τὸν χρόνον ὃν ἔμελλον ἱστοῖς προσαναλώσειν, τοῦτον εἰς παιδείαν κατεχρησάμην;). Et ces choses et d’autres à l’infini <on raconte> de cette philosophe (καὶ ταῦτα μὲν καὶ ἄλλα μυρία τῆς φιλοσόφου). (D.L. VI 96.2-98.7, tr. Goulet-Cazé modifiée).
Ce long passage est la seule biographie consacrée à une femme dans l’œuvre de Diogène Laërce, bien qu’elle apparaisse en appendice à celle de Cratès.43 Dans la première partie, Diogène raconte comment la jeune fille, séduite par la vie et les discours de Cratès, choisit de le rejoindre, malgré sa laideur et sa pauvreté. Le contraste entre les valeurs traditionnelles-beauté, richesse et noblesse de naissance, et celles du mode de vie cynique, affranchi des conventions et des normes sociales, de l’autre part, ne pourrait pas être plus clair.
La deuxième partie illustre l’adhésion d’Hipparchia à la vie cynique: elle s’habille comme son homme,44 entretient des relations sexuelles avec lui en public et assiste aux symposia, habituellement interdits aux femmes. Il apparaît qu’Hipparchia est une philosophe car elle adopte un mode de vie philosophique dont la principale source d’inspiration, tant pour les Cyniques que pour les Cyrénaïques, reste Socrate.45 Pourtant, elle n’est pas philosophe seulement du point de vue pratique. Dans la dernière partie du texte de Diogène Hipparchia fait également preuve d’ingéniosité philosophique en ridiculisant, lors d’un banquet donné par le diadoque Lysimaque, Théodore l’Athée (que nous avons rencontré comme disciple d’Aristippe fils d’Arété).46 Elle expose un sophisme - un raisonnement fallacieux mais frappant47 - que l’on peut formuler ainsi:
-
i) si Théodore accomplit envers lui-même un acte qui n’est pas injuste, alors ce même acte accompli par Hipparchia envers Théodore ne saurait être injuste non plus;
-
ii) or, si Théodore se frappe lui-même, il ne commet pas d’injustice;
-
iii) donc, si Hipparchia frappe Théodore, elle ne commet pas d’injustice non plus.
Déstabilisé, Théodore reste sans réponse et tente alors de l’humilier en lui arrachant son manteau,48 mais Hipparchia demeure impassible. Enfin, lorsque Théodore, citant un vers des Bacchantes, demande si c’est bien elle qui a abandonné l’art du tissage, elle revendique avec assurance une éducation philosophique en lieu de celle traditionnellement réservée aux femmes, faite de métiers à tisser et de bobines.
L’attitude de Diogène me semble remarquable: Hipparchia est la seule femme qu’il désigne explicitement comme “philosophe”, ce qui indique qu’il la considère comme telle aussi bien d’un point de vue pratique que théorique. Une question souvent posée est de savoir pourquoi Hipparchia est la seule à mériter une biographie à part et à être appelée “philosophe”. On pourrait répondre qu'elle est traitée comme son frère Métroclès, dont la biographie apparaît juste avant. Dans ce sens, ils sont présentés comme des disciples et des continuateurs du style de vie cynique de Cratès. De plus, la biographie d'Hipparchia est un très bel exemple de conversion philosophique, thème cher à Diogène Laërce.49
5. Les Pythagoriciennes50
Dans la vie consacrée à Pythagore et à ses élèves (Vit. VIII) nous trouvons les premiers renseignements sur les Pythagoriciennes anciennes au sujet de Thémistoclea :
Aristoxène dit aussi que Pythagore a emprunté la plupart de ces doctrines éthiques de Thémistocléa, la prêtresse de Delphes. (D.L. VIII 8.1-3, tr. Goulet-Cazé légèrement modifiée).
Le même auteur <= Aristoxène> affirme, comme on l’a dit, qu’il tient ses doctrines de Thémistocléa, prêtresse de Delphes. (D.L. VIII 21.1, tr. Goulet-Cazé).
La notice, répétée à deux reprises, vise à souligner la remarque, peut-être hostile, d’Aristoxène, élève d’Aristote, selon laquelle les doctrines de Pythagore seraient un emprunt.51 Concernant le premier passage, Ménage (s.v. Pytagoriciennes) note que, dans la Suda (s.v. Πυθαγόρας), on dit que Pythagore a reçu ses doctrines de sa sœur (παρὰ τῆς ἀδελφῆς), mais il s’agit probablement d’une erreur, le texte original étant en réalité παρὰ τῆς ἐν Δελφοῖς, comme le montre le deuxième passage de Diogène.52
Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse ici, c’est que ces doctrines - éthiques dans le premier passage, non spécifiées dans le second - proviennent en grande partie, voire entièrement, de Thémistocléa, prêtresse de Delphes. Cela constitue un parallèle intéressant avec Diotime de Mantinée, la célèbre prêtresse du Symposium de Platon, qui enseigna à Socrate le savoir érotique.
Un peu après, on retrouve des renseignements sur Théanô et Damô :
Pythagore avait une femme, du nom de Théanô, la fille de Brontinos de Crotone ; d’autres disent que Théanô était la femme de Brontinos et une disciple de Pythagore. Il avait aussi une fille, Damô, comme le dit Lysis dans la lettre à Hippase, lorsqu’il parle de Pythagore en ce terme: “Beaucoup de gens racontent que tu parles de philosophie en public, ce que Pythagore refusait comme indigne, <Pythagore> qui, lorsqu’il confia à sa propre fille, Damô, la garde de ses notes (ὑπομνάματα), il lui défendit de les communiquer à quiconque qui n’était pas de la maison. Et, même si elle pouvait vendre les écrits (τὼς λόγως) pour une importante somme d’argent, elle s’y refusa, et elle estima que la pauvreté et les injonctions de son père étaient choses plus précieuses que l’or. Et c’est ce que fit une femme ! ”. Pythagore et Théanô eurent aussi un fils, Télaugès <…> Aucun écrit de Thélaugès ne circule, alors que de sa mère, Théanô, il en reste quelques-uns. On rapporte encore que, un jour qu’on lui demandait au bout de combien de jours une femme redevenait pure après avoir eu des relations sexuelles avec un homme, elle répondit : “Avec son mari sur-le-champ, avec un autre homme, jamais”.53 À la femme qui allait avoir des relations sexuelles avec son mari, elle conseillait de se dépouiller de sa pudeur en même temps que de ses vêtements, et, lorsqu’elle se relèverait, de se revêtir de nouveau de pudeur en même temps que de ses vêtements. Et comme on lui demandait “Quels vêtements ? ”, elle répondit : “Ceux qui font que je suis appelée une femme”. (D.L. VIII 42.1-43.8, tr. Goulet-Cazé légèrement modifiée).
On remarquera d’abord l’imprécision concernant Théanô, qui, selon certaines sources, serait la femme de Pythagore et la fille de Brontinos, tandis que d’autres la décrivent comme l’épouse de Brontinos et une disciple de Pythagore.
Juste après, Diogène mentionne la fille de Pythagore (et peut-être, mais sans certitude, de Théanô), Damô, en faisant référence à une lettre de Lysis adressée à Hippase,54 dans laquelle figure une anecdote quelque peu étrange. Il s’agit évidemment ici des doctrines pythagoriciennes, qui, comme on le sait, étaient secrètes et probablement transmises uniquement de manière orale (les sources nous indiquent en effet que Pythagore n’a rien laissé d’écrit).55 En ce qui concerne Damô, on trouve, pour une fois, une remarque légèrement sexiste (“et c’est ce qu’a fait une femme!”), exprimant l’étonnement face à une conduite si rigoureuse et forte, malgré la faiblesse supposée des femmes. Toutefois, cette réflexion doit être attribuée à Lysis.56
Pour ce qui est de Théanô,57 deux remarques de Diogène me semblent particulièrement intéressantes. La première est que, selon Diogène Laërce, des écrits de Théanô circulaient à son époque, contrairement à ceux de son fils Thélaugès. Or, des textes attribués à Théanô ont survécus, notamment huit lettres et le fragment d’un ouvrage intitulé Sur la dévotion. Cependant, il s’agit de pseudoepigrapha, c'est-à-dire de textes faussement attribués à Théanô, mais vraisemblablement rédigés à une époque postérieure. Néanmoins, la remarque de Diogène demeure fort intéressante, étant donné la rareté des écrits attribués aux femmes dans l’Antiquité.
Quant aux paroles de Théanô, elles témoignent d’une sagesse que Diogène lui reconnaît. Les deux remarques portent sur le sexe pour les femmes et la deuxième, concernant le sexe dans le mariage, semble véhiculer une idée joyeuse que l’on n’attendrait peut-être pas d’une femme pythagoricienne. La question se pose donc de savoir si ces sentences peuvent être considérées comme philosophiques.58
Conclusion
Les portraits de femmes philosophes de Diogène Laërce sont parfaitement encadrés dans les lignes directrices de ses Vies. Il s'intéresse à la transmission de la philosophie de maître à disciple et de père (ou mère) à fils, et s'intéresse non seulement aux théories philosophiques, mais aussi (et peut-être surtout) à la vie philosophique, c'est-à-dire aux changements que la philosophie produit dans la vie de ceux qui la pratiquent.59 Ses Vies sont riches en citations attribuées aux philosophes, qui témoignent précisément de leur pensée et de leur vie.
En ce sens, Diogène esquisse le portrait de femmes célèbres et les met en valeur. Comme nous l’avons vu, il n’est pas sexiste: il ne donne pas son opinion personnelle et rapporte des points de vue sur les femmes exprimés par d'autres, qui peuvent être misogynes (voir par exemple VI 52, la triste sortie de Diogène le cynique sur les femmes pendues), sexistes (voir supra, VIII 42), ou non sexistes (voir par exemple VI 12, où Diogène le cynique affirme que la vertu est la même pour les hommes et les femmes). Les femmes philosophes sont notamment présentées parce qu'elles sont des élèves ou des descendantes célèbres de philosophes. Presque toutes ont adopté un mode de vie philosophique qui les éloigne d’une vie conventionnelle.
Une question se pose : les femmes mentionnées par Diogène sont-elles donc des philosophes? Elles le sont toutes, à l'exception peut-être de Cléobulinè, qui, aux yeux de Diogène, peut probablement être davantage qualifiée de sage. Arétè était la fille et l’élève d’Aristippe, à son tour la maîtresse de son fils. Les platoniciennes étaient admises à l’Académie de Platon, qui, dans la République, envisage pour les femmes la possibilité d’être philosophes. Hipparchie eut une conversion philosophique retentissante, Théano était une célèbre pythagoricienne connue pour ses célèbres anecdotes (voir D.L. VIII 50, où il affirme que Théano et Télaugès sont parmi les pythagoriciens les plus célèbres).
Quant au savoir attribué par Diogène à nos philosophes, il se compose d'énigmes, de sophismes et de préceptes d'ordre éthique et pratique concernant le comportement des femmes dans le mariage. Il s’agit d’un savoir qui, à l’exception partielle des énigmes, a été considéré et traité par l’antiquité comme philosophique.60
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1
Voir Deslauriers, 2022, et en général le fascicule de la revue XVIIe siècle 3, dont l’article fait partie.
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2
Pour cela je renvoie à la section extrêmement stimulante sur les femmes philosophes au XVII siècle (Repenser la philosophie du XVIIe siècle. Canon et corpus) du fascicule de la revue XVIIe siècle (voir supra, note précédente), qui présente des réflexions sur le canon philosophique et sur les critères d’inclusion des femmes, qui s’avère utile pour les philosophes de l’Antiquité aussi.
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3
Cette redécouverte est principalement due au fait que des éditions imprimées de cet ouvrage commencent à circuler à partir de 1472, et culminent avec l’editio princeps publiée à Bâle en 1533 par Frobenius. Voir à ce sujet Shapiro, 2022, p. 421-22.
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4
Shapiro, 2022, p. 422.
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5
Voir à ce sujet les ouvrages tels que La noblesse et l’excellence des femmes de Lucrezia Marinella (1601), L’égalité des hommes et des femmes de Marie de Gournay (1622/1641), Le cercle des femmes sçavantesde Jean de la Forge (1663) ; ou encore les Eloges des illustres Sçavantes anciennes et modernesqui se trouvent dans lesNouvelles observations sur la langue francaisede Marguerite Buffet (1668), De l’égalité des deux sexes de Poulain de la Barre (1673).
-
6
G. Ménage, 1663.
-
7
Voir à ce sujet Snyder, 1981, n. 1, p. 71. Il existe toutefois une exception qui demeure encore ignorée : il s’agit de l’ouvrage Mulierum Graecarum quae oratione prosa usae sunt Fragmenta et Elogia Graece et Latine, publié par J. Ch. Wolf à Hambourg en 1735. Cette œuvre est très importante, car Wolf prend comme point de départ l’œuvre de Ménage (voir la préface, p. v). Il s’agit d’un travail dans lequel les femmes sont classées par ordre alphabétique. Parmi elles, nous trouvons plusieurs femmes philosophes, dont les témoignages sont traduits en latin par Wolf. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Wolf présente lui aussi un catalogue des femmes illustres.
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8
Zedler, 1984.
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9
Waithe, 1987, p. IX-X.
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10
Cependant, toutes les philosophes n’appartiennent pas à une école : Ménages en énumère une vingtaine en utilisant des critères implicites et peu clairs. Voir à ce sujet Bonelli, 2021, p. 7-8.
- 11
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12
À vrai dire cette attribution n’est pas évidente car ces écrits ont été transmis sous le nom de son père, Théon.
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13
Voir à ce propos Bonelli, 2021, p. 9-10.
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16
Sur ce sujet voir O’Reilly ; Pellò, 2023, p. 5-7.
- 17
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18
Voir O’Reilly-Pellò, 2023, p. 6-7. Ce volume élargit le champ de la philosophie antique occidentale, ne se limitant pas à l’Antiquité gréco-romaine, mais en considérant également des femmes philosophes chinoises, indiennes et arabes. Je reviendrai sur ce sujet.
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19
Les problèmes sont essentiellement les suivants: i) l’absence quasi totale d’œuvres écrites attribuables aux femmes; ii) le fait que les peux d’œuvres transmises sous leurs noms sont considérées comme inauthentiques par plusieurs savants; iii) la difficulté en général de reconstituer les doctrines des femmes, toujours rapportées par des sources masculines; iv) la difficulté d’établir l’existence de certaines d’entre elles. Pour une discussion de ces problèmes je me permets de renvoyer encore une fois à Bonelli, 2021, p. 7-14, et à O’Reilly, 2021, p. 19-26.
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20
Deslauriers, 2012.
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21
Jufresa, 1995.
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22
Voir à ce sujet l’intéressante contribution de Twomey, 2023.
- 23
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24
Selon Plutarque (Septem sapientium convivium, 3, 148d) elle s’appelait Eumètis, mais elle était surnommée Cléobulinè, évidemment à cause du prénom du père.
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25
Voir ce que Diogène dit dans le Prologue 1-11 sur la prétendue naissance “barbare” de la philosophie. Diogène défend l'origine grecque, mais son témoignage est intéressant, car il mentionne Aristote parmi ceux qui discutent de l'origine non grecque de la discipline. La question était manifestement débattue (voir à ce propos Warren, 2009, p. 141).
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26
C’est pour cette raison que je ne peux pas être d’accord avec Elisabetta Matelli qui, dans son article fondamental sur Cléobulinè, nie que le père Cléobulos était philosophe (Matelli, 1997, p. 12, n. 2).
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27
Voir par exemple Gardella Hueso, 2021, p. 42, n. 47.
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28
Voir supra, note 18.
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29
Voir à ce propos D.L. I (le livres sur les sept sages), où Diogène opère une distinction entre eux et les philosophes. Voir à ce propos Warren, 2009, p. 142.
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30
Voir à ce propos Gardella Hueso, 2021, p.31-45. On remarquera que Diogène Laërce lui-même nous apprend que les philosophes barbares tels que les Gymnosophistes et les Druides “font de la philosophie en prescrivant dans des énigmes d’honorer les dieux, de ne rien faire de mal et de s’entraîner au courage”. (D.L. I 6 tr. Goulet-Cazé).
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31
Quelques fragments sont conservés de cette pièce de Cratinos qui s’intitulait Cleobulinas (fr. 1 Kassel; Austin). Alexis avait lui aussi écrit une comédie portant ce titre (Goulet-Cazé, 1999, p. 127). Sur la valeur du pluriel, voir Kassel, iPCGi, t. IV, 1983, p. 121 : sed numerus pluralis ut in Κλεοβουλίναις…ut…ad chorum potius spectat…Cleobulinam sociasque mulieres…significat. Matelli (1997, p. 31) semble soutenir une thèse semblable, losrqu’elle affirme que le pluriel se refère probablement “al coro delle donne, a meno che il nome di Cleobulina al plurale non sia un modo per indicare una certa caratterizzazione femminile creata dal comico, prendendo spunto da un personaggio famoso”.
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32
Sur le devenir philosophique par descendance des philosophes, voir Warren, 2009, p. 144.
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33
Sur l'importance d’Arétè en tant que lien dans la transmission du savoir philosophique par lignée, ainsi que sur son rôle d'enseignante voir O’Reilly, 2023, p. 96-113.
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34
Ce témoignage de Dicéarque (IV avant J.C.) se trouverait dans sa Vie de Platon: cf. Dorandi, 1989, p. 54-56.
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36
Waithe, 1987, p. 205-206, et avant elle Themistius: voir à ce propos Dorandi, 1989, p. 55-57.
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37
Voir à ce propos Dorandi, 1989, p. 55. En ce cas on aurait ici un joli parallèle avec Hipparchia (voir infra, témoignage sur Hipparchia).
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38
Voir Dorandi, 1999, p. 490, n. 3.
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39
Athénée donne des détails qui vont dans cette direction (VII, 279E ; XII, 546D). Cf. Dorandi, 1989, p. 58-59.
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40
Voir Dorandi, 1999, p. 468-69.
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41
Lapini, 2003, p. 225, propose une autre traduction: “le sollevò la veste”. Pour la justification de cette traduction, voir p. 225-228 et infra, note 48.
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42
Euripide, Bacchantes 1236.
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43
Pour un beau portrait de la philosophe voir Izzo, 2023.
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44
Elle porte le τρίβων (cf. D.L. VI 93). S’agit-il du manteau du philosophe, portée aussi par Axiothéa ? Voir supra, note 37.
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45
Pour la mise en valeur de la philosophie en tant que pratique de vie, il est presque superflu de mentionner les travaux de Pierre Hadot, comme par exemple ses Exercices spirituels et philosophie antique, 1993.
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46
Voir supra, p. 10.
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47
Il semblerait qu'Hipparchia se moque de Théodore pour sa propre manière d'argumenter: voir D.L. II 99 (l’argument de la femme grammairienne et le sexe).
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48
Selon une autre interprétation, Théodore essaye de soulever le manteau d’Hipparchia pour contrôler qu’elle soit véritablement une femme (voir à ce propos Izzo, 2023, qui reprend l’interprétation de Lapini, voir supra, note 41).
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49
Warren (2009, p. 144-145) explique de manière très convaincante l'intérêt de Diogène pour la conversion philosophique, qui conduit précisément à une vie philosophique. Il prend comme exemple l’attraction érotique d'Arcesilas pour Crantor, mais la biographie d'Hipparchia en est un autre, tout aussi magnifique.
- 50
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51
Voir à ce propos l’opinion négative d’Héraclite sur Pythagore (DL Vit., VIII 6).
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52
Sur ce sujet voir Migliorati, 2020, p. 80-81.
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53
Jamblique dans sa Vie de Pythagore, 121, 55, attribue ces mots à Pythagore lui-même.
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54
Cette lettre est citée par Jamblique aussi dans sa Vie de Pythagore, paragraphes 75-78.
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55
Selon Jamblique (Vie de Pythagore, 199), Philolaos de Crotone serait le premier pythagoricien à avoir laissé des notes écrites (ὑπομνήματα) sur les doctrines de Pythagore. Cela contredit toutefois les dires de Diogène Laërce.
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56
Dans les Vies de Diogène, on ne trouve aucune phrase sexiste qui lui soit attribuée. Comme cela a souvent été remarqué (voir par exemple Warren, 2009, p. 138), il n'exprime presque jamais son opinion et sa contribution se limite presque exclusivement à plusieurs poèmes peu impressionnants dédiés à des philosophes. Lorsqu'il exprime des opinions sexistes ou misogynes (voir par exemple I 33; VI 52), il s'agit toujours de citations d'autres philosophes.
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57
Sur Théanô existe une littérature vaste et fort intéressante : il suffit de mentionner le très beau livre de Dutsch, 2020.
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58
Il y a d'autres anecdotes attribuées à Théanô concernent la relation entre les femmes et leurs enfants ou leurs maris, et les lettres transmises sous son nom vont dans le même sens. On a justement remarqué que ce savoir fait effectivement partie de la discipline philosophique développée par Platon, Xénophon et Aristote, à savoir l’oikonomia (voir Twomey, 2023). Cela dit, les phrases attribuées à Théanô par Diogène sont quelque peu particulière, dans la mesure où, dans les autres textes, la pythagoricienne conseille la modération et la mesure.
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59
Sur cela Warren, 2009.
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60
Sur l’origine et le développement du sophisme, qui dérive des sophistes et qui, chez Aristote, coïncide avec le syllogisme éristique, voir Fait, 2007, p. XL-XLIX. Sur l’importance du savoir des anecdotes en Diogène Laërce, voir Kindstrand, 1986 ; sur l’importance des anecdotes en Théano voir Dutsch, 2020, p. 70-82. Sur le traitement philosophique des énigmes de Cléobulinè voir Gardella Hueso, 2021. Je tiens à remercier les réviseurs de mon article, qui m’ont permis de clarifier certains points essentiels.
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BONELLI, M. (2025). Diogène Laērce et les femmes philosophes. Archai 35, e03523.
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Disponibilité des données
Sans object.
Edited by
-
Éditrice:
Beatriz de Paoli
Data availability
Sans object.
Publication Dates
-
Publication in this collection
21 Nov 2025 -
Date of issue
2025
History
-
Received
26 Feb 2025 -
Accepted
08 Aug 2025
