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Faire de l'impossible un métier

To make from the impossible a work

Lollo, Paolo. Passagens secrets de la psychanalyse. Paris: Érès, 2017. 220 págs

Que le métier de psychanalyste soit un métier impossible, selon le mot célèbre de Freud dans Analyse terminée et analyse interminable, n'empêche pas certains d'exercer un tel métier, ni d'y consacrer leur passion, leur pratique et leur réflexion. Cela est un fait qui ne devrait pas cesser de nous étonner. Cela nous interroge aussi sur «comment faire de l'impossible un métier?», titre justement du premier passage du livre de Paolo Lollo.

Son livre, Passages secrets de la psychanalyse, témoigne de ce qu'une telle impossibilité, prise au sérieux, engage comme style dans la pratique analytique, mais aussi de ce que l'on peut en dire lorsqu'on exerce un tel métier et de ce que l'on peut en faire émerger comme réflexion et comme théorisation.

Que le métier de psychanalyste soit un métier impossible signifie qu'il n'existe pas de formations pré-établies permettant au terme d'un supposé cursus de s'autoriser à être analyste. Lacan a là-dessus fortement insisté, ce qui d'ailleurs lui a valu les foudres de l'Association Psychanalytique Internationale (l'IPA). Cela signifie aussi qu'il n'existe pas de technique ou de «recette» toute établie qu'il s'agirait d'appliquer pour conduire une analyse, mais que l'analyste a sans cesse à réinventer à son tour son métier. Cela signifie également que l'analysant désirant devenir analyste a lui-même à construire son propre parcours singulier, non seulement dans son analyse mais aussi dans son rapport aux autres psychanalystes, à la culture psychanalytique et à la culture en général. A travers la procédure de «la passe», Lacan a cherché à établir que l'on puisse témoigner après-coup d'un tel passage entre cette position d'analysant et celle d'analyste.

Les différents passages présentés dans ce livre de P. Lollo sont différentes manières de montrer ce qui «se passe» à travers une psychanalyse : qu'est-ce qui peut passer? par où peut-on passer? quels sont les passages qui peuvent avoir lieu à travers une analyse?

L'auteur a d'ailleurs organisé son livre non pas autour de chapitres, mais autour de passages, de 10 passages, précédés d'un passage zéro. Il s'agit de proposer ici des traversées, des passerelles, des chemins de travers, des voies à travers «différents versants de la psychanalyse, en passant par les territoires de l'art, de la littérature et de la politique.» (p. 10).

Pourquoi donc présenter un livre sous la forme de «passages», qui plus est de «passages secrets», plutôt que sous la forme plus traditionnelle de chapitres? On a là ici une des singularité intrigante de ce livre. P. Lollo cherche ici non pas à montrer une vérité totalisante à travers laquelle l'on pourrait regarder d'un point de vue définitif et synthétique — tache impossible — ce qu'est la psychanalyse et ce qu'elle permet d'entendre, de voir et de traverser, mais ce livre porte ce désir généreux de montrer comment l'on peut passer d'un point de vue à un autre, et permettre, par l'analyse, de traverser des passerelles et de ne se pas se laisser figer, ni dans son existence, ni dans ses théorisations parfois mortifères.

Un passage permet justement un tel déplacement. Comment sortir de l'impasse quand celle-ci prend un sujet? Quand ça ne passe pas, quand ça reste au travers de la gorge, quand le «mal à dire» se fait maladie?

Permettre que l'impossible laisse place à un possible, que le silence angoissant qui précède la parole laisse surgir des mots de passe, que les secrets enfouis et sidérant se dégèlent pour que le désir «dé-sidère» enfin un sujet par les mots qui se disent, voilà une manière vivante de penser et de pratiquer la psychanalyse, que l'auteur cherche ici à mettre en lumière dans son livre Passages secrets de la psychanalyse.

Passer. Passages. Passages secrets. Mots de passe. Passerelle. Pont. Déplacement. Métaphore. De quel passé sommes nous faits? De quels mots passés sommes nous faits? Peut-on s'en défaire et passer à autre chose, enjamber le fleuve par d'autres mots, d'autres contes et d'autres comptages? Et passer d'un mot à l'autre, pour que la phrase fasse passage y compris pour nos existences.

Les titres des passages du livre sont en eux-mêmes éloquents. Donnons-en quelques uns. Le 2e passage s'intitule «De la souffrance à l'espérance»; le 3e, «Vers le bonheur»; le 5e, «Du savoir à sa transmission»; le 10e, «De la passe à l'instance d'une insist-ution». A lire simplement et rapidement ainsi le sommaire de cet ouvrage, on peut entendre déjà quels sont les passages que P. Lollo cherche à présenter, à décrire, à rendre visible. Ce sont des «passages» qui permettent des déplacements, des ouvertures, des modifications de soi là où on en est dans son être en devenir.

Les chapitres/passages du livre sont non seulement présentés à travers un titre, un ordre, mais également une lettre hébraïque. Aleph pour le premier passage, Beit pour le deuxième, Gimel pour le troisième, et ainsi de suite. Et ce n'est point par élégance que l'auteur a désiré désigner ainsi ces différents chapitres. Il s'agit ici pour lui de montrer que «raconter», particulièrement venir raconter son histoire dans le cadre d'une analyse, signifie non seulement conter une deuxième fois son histoire avec des mots qui permettront justement d'en modifier le sens et les conséquences, mais aussi de re-compter ce qui a pu se passer dans l'histoire d'un sujet. Au conte du conteur, s'ajouterait ainsi le compte du comptage, qui ensemble, permettraient de reformuler autrement une histoire, et de passer ainsi à autre chose. Les désordres du comptage se manifestent de manière exemplaire dans l'inceste où l'ordre de ce qui vient après et de ce qui vient avant se trouve être altéré de manière désastreuse. Conter, ra-conter, et re-compter permettraient justement une nouvelle mise en ordre et un nouveau passage.

Plus d'un siècle de théorisation psychanalytique, avec ce que cela a produit d'écrits et de grandes œuvres, pourrait nous laisser croire que le savoir analytique est enfin établi, et qu'il suffirait ainsi de se l'approprier pour permettre à ce qu'une transmission de la psychanalyse puisse être accomplie. C'est être bien naïf sur ce que signifie l'inconscient que de croire en une telle puissance du savoir. Le livre de P. Lollo ne cesse pas de redonner toute son importance au non-savoir, et à ce que celui-ci permet de maintenir ouvert dans le travail analytique comme dans le désir de théorisation. Le 5e passage, «Du savoir à sa transmission», comme le 8e passage «Du malentendu à la littérature» s'engagent particulièrement sur cette importante question. Si le non-savoir de l'analysant, comme celui de l'analyste, peuvent apparaître d'abord en négatif, ce non-savoir est regardé dans ce livre au contraire comme point d'appui essentiel de ce qu'il y a encore à découvrir et à dévoiler. Le non-savoir est ainsi l'horizon ouvert d'un passage, sur lequel on pourra certes avancer, mais sur lequel il ne pourrait y avoir de résultat définitif et total. Ce non-savoir ouvre à l'inédit, à l'inouï, à l'improbable, au contingent, qui sont autant d'espaces permettant encore et encore d'avancer.

Si ça passe, ce n'est jamais pour autant totalement ou définitivement. C'est encore à traverser. Il n'y a pas de clairière définitive. L'inconscient est encore à découvrir, à re-découvrir. Si nous passons, s'il y a passage, ceci ouvre, pour chacun d'entre nous, et aussi pour la théorisation que nous essayons d'en faire, des voies et des voix, qui n'aboutissent nullement à un point final, sinon celui de la mort, mais à des dévoilements qui ouvrent et cachent encore. Les vérités conquises se présentent ainsi comme en un clair-oscur.

En dévoilant ce qu'il en est de l'inconscient, Freud en fin de compte ouvre une voie, dans laquelle nous cherchons et chercherons encore nos passages, nos secrets, en vue d'autres styles de vie que ceux mortifères de la répétition. Le passage ouvre, mais ne se referme pas. Il ouvre à d'autres passages et permet ainsi à ce qu'une vie, à ce que des vies, à ce que ce que l'on en théorise, permettent de passer à autre chose. L'avenir dure longtemps est le titre d'un ouvrage célèbre d'Althusser, mais il pourrait être aussi l'intitulé de ce qui s'est ouvert par la mise en lumière de ce qu'est l'inconscient, et de ce qui reste encore et encore à explorer. Le livre de P. Lollo cherche généreusement à en ouvrir des voies et des pistes, et par là il porte le désir de maintenir encore ouvert la transmission de la psychanalyse et la transmission d'un métier impossible.

Editores do artigo/Editors: Profa. Dra. Sonia Leite

Publication Dates

  • Publication in this collection
    Mar 2018

History

  • Received
    07 Feb 2018
  • Accepted
    25 Feb 2018
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