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Le féminin radicalisé: Du lien à la mère à la haine du lien

O feminino radicalizado: o vínculo com mãe ao ódio desse vínculo

The radicalized feminine: from the bond to the mother to the hatred of the bond

Lo femenino radicalizado : del vínculo con la madre al odio de ese vínculo

Die weibliche Radikalisierung: von der Verbindung zur Mutter zum Hass auf die Verbindung

La radicalisation des femmes semble a priori opposés au féminin qui serait du coté de l'Eros. L'auteur cherche à montrer en quoi il y a, au contraire, un nouage structural entre féminité et radicalisation. Partant de l'étude de plusieurs cas cliniques, il montre comment la problématique centrale de ces femmes est la menace d'un retour au lien pré-oedipien à la mère.

Mots clés:
Radicalisation; terrorisme; féminin; haine; lien à la mère


Résumé

A radicalização das mulheres parece, a priori, oposta ao feminino, que estaria ao lado de Eros. O autor tenta mostrar que, ao contrário, existe um nó estrutural entre a feminilidade e a radicalização. Partindo do estudo de vários casos clínicos, mostra-se que a problemática central dessas mulheres é a ameaça de um regresso ao vínculo pré-edipiano da mãe.

Palavras-chave:
Radicalização; terrorismo; feminino; ódio; vínculo com a mãe

At first glance, women's radicalization seems to be opposed to the feminine, considered to be side by side with Eros. This paper seeks to show how, on the contrary, there is a structural link between femininity and radicalization. Based on the study of several clinical cases, it reveals how the central problem of these women is the threat of returning to the pre-Oedipal bond to the mother.

Key words:
Radicalization; terrorism; feminine; hatred; bond to the mother


La radicalización de las mujeres parece, a priori, opuesta a lo femenino, que estaría al lado del Eros. El autor intenta mostrar que, contrario a esto, hay un nudo estructural entre la femineidad y la radicalización. Partiendo del estudio de varios casos clínicos, se muestra que la problemática central de estas mujeres es la amenaza de un regreso al vínculo preedípico con la madre.

Palabras clave:
Radicalización; terrorismo; femenino; odio; vínculo con la madre


Die Radikalisierung von Frauen kontrastiert auf den ersten Blick mit der Weiblichkeit, welche traditionell mit Eros assoziiert wird. Gegen diese Auffassung versucht dieser Artikel aufzeigen, dass eine strukturelle Verbindung zwischen Weiblichkeit und Radikalisierung existiert. Verschiedene klinische Fälle wurden analysiert um aufzuzeigen, dass das Kernproblem dieser Frauen die Gefahr einer Rückkehr zur präödipalen Verbindung zur Mutter ist.

Schlüsselwörter:
Radikalisierung; Terrorismus; Weiblichkeit; Hass; Verdindung zur Mutter


«It's a Women!». Exclamation qui serait la une d'un journal islamique égyptien le lendemain d'un attentat suicide commis en janvier 2002 par une femme qui s'explose en pleine rue à Jérusalem et devient la première femme palestinienne kamikaze (Yadelin, 2006Yadelin, R. (2006). Female Martyrdom: The Ultimate Embodiment of Islamic Existence?. In Y. Schwitzer (Ed), Female Suicide Bombers: Dying for Equality? (pp. 51-62). Tel Aviv University: Jaffee Center for Strategic Studies., p. 51). Son acte marque le début d'une série importante de femmes palestiniennes qui commettent des attentats suicides. Cette exclamation qui interpelle, joue sur la formule d'annonce bien connue de la naissance d'un nouveau né «it's a boy». Ce titre, publié non sans jubilation, est de tonalité perverse: «Vous étiez sûr que c'est un homme, mais… non». Mais si nous l'évoquons ici, c'est parce qu'il semble toucher de plus près l'effet de perplexité — qui tombe comme par hasard, sur la question de la différence sexuelle — face à l'acte terroriste commis par une femme.

On constate en effet que la radicalisation des femmes produit un drôle d'effet médiatique. On sent tout de suite que ces cas ne sont pas perçus comme un de plus, mais qu'il s'agit ici de quelque chose d'autre. En effet, il y a une contradiction importante dans le fait clinique du terrorisme au féminin. Les femmes, selon Freud, sont du côté de l'Eros et non pas du côté de la mort. Elles ont «établi la base de la civilisation grâce aux exigences de leur amour. Elles soutiendront les intérêts de la famille et de la vie sexuelle (Freud, 1929/1971Freud, S. (1971). Malaise dans la civilisation. Paris: PUF. (Travail original publié en 1929)., p. 55). Elles sont porteuses de l'intrêt sexuel et de la continuité humaine. Ainsi, ce fait clinique semble donc a priori tout sauf féminin.

Or, l'hypothèse que nous aimerions développer ici est, qu'au contraire, il y a un nouage structural entre féminité et radicalisation. Ce nouage existe à plusieurs titres: d'abord, il y a moment radical dans le féminin qui est interne à sa propre logique. Mais aussi, la radicalisation, et, plus particulièrement l'acte terroriste, nous semble être un moment paradigmatique de la haine au féminin. Autrement dit, l'acte terroriste matérialise le style féminin de la haine de telle sorte que nous nous demandons si tout terroriste ne se féminise pas.

La clinique terroriste au féminin

Qu'est-ce qui est en jeu dans ces cas de radicalisation et attentats au féminin? Nous proposons d'esquisser, dans leurs grandes lignes, trois cas cliniques de femmes qui ont commis, ou qui étaient sur le point de commettre, des attentats. Nous nous appuierons plus particulièrement sur des témoignages et entretiens de femmes palestiniennes, car c'est sur ce terrain que l'état de la recherche actuelle a le plus de matériel clinique publié et accessible. Notre objectif sera de dégager une problématique commune dans cette diversité des cas publiés. Si nous faisons ce passage par les cas cliniques, c'est parce que cette thématique a quelque chose qui fascine et aveugle la scène. Les cas sont à la fois médiatiquement très connus, mais finalement très peu connus. Le sujet semble être effacé derrière son acte. Il nous a semblé donc important de ressortir le sujet de derrière l'acte pour pouvoir le penser.

Wafe était une femme de 27 ans, ambulancière de profession et première kamikaze femme palestinienne. Partons de cet énoncé de sa mère: «nous avons décidé de marier Wafa alors qu'elle était très jeune (…) mais nous n'avions ni argent, ni biens, ni même un animal à offrir. Le seul point qui donnait de la valeur à ma fille, c'était son jeune âge et le temps qu'elle avait devant elle pour avoir des enfants» (Victor, 2002Victor, B. (2002). Shahidas. Les femmes Kamikazes de Palestine, Paris: Flammarion., p. 21). Wafa alors épouse son cousin à l'âge de 16 ans, dont elle tombe amoureuse. Or, elle met sept ans pour attendre un bébé dont elle accouche prématurément. Le bébé est mort-né. Un médecin annonce à Wafa qu'elle ne pourra plus jamais mener une grossesse à terme. Cette perte fait sombrer Wafa dans la dépression. Son mari témoigne «qu'après la perte de l'enfant, elle cessa de s'alimenter et arrêta de parler. Elle restait au lit toute la journée, refusait de se lever pour faire le ménage ou lui préparer à manger» (p. 22). Au bout de quelques mois, son mari évoque la possibilité de prendre une autre femme. «Elle parle alors pour la première fois depuis des mois pour lui dire clairement qu'elle l'aimait et n'était en aucun cas disposée à la partager avec une autre femme» (p. 30). Quelques mois plus tard, son mari divorce et épouse une autre femme. Wafe est obligée de retourner à la maison de sa mère. Comme le formule M. Tzoreff, «elle ne pourra jamais se remarier et ses chances d'être financièrement indépendante étaient nulles» (p. 28). Wafe se retrouve donc de retour au point zéro, sans aucune issue pour pour s'en dégager. C'est dans ce contexte qu'arrive son acte suicidaire.

Un détail, évoqué en marge, semble être être cliniquement extrêmement intéressant et décisif. Peu avant son acte, elle a été blessée par une balle en caoutchouc tirée par les soldats israéliens, ce qui, selon sa mère, l'a mise en «colère» (p. 35). C'est peut être cet événement de blessure de corps qui a indiqué le chemin à l'affect intime du ravage et l'a fait basculer dans le champ politique.

Ahlam est une jeune femme incarcérée dans la prison pour avoir commis et participé dans deux attentats importants. Elle se décrit comme rebelle dès l'adolescence: elle refusait de se couvrir la tête, de porter les longues robes traditionnelles et voulait devenir un reporteur pour vivre loin de sa famille. Elle refuse de se marier avec un homme choisi par ses parents. Mais «les vrais problèmes, dit-elle, sont arrivés quand je suis tombée amoureuse d'un garçon originaire d'Egypte» (Victor, 2002Victor, B. (2002). Shahidas. Les femmes Kamikazes de Palestine, Paris: Flammarion., p. 81). Sa famille lui interdit de continuer cette relation. Son père refuse qu'elle poursuive ses études et ordonne à sa mère de l'enfermer dans sa chambre. Un mois plus tard, elle découvre qu'elle est enceinte de son amoureux. Or, quand celui-ci apprend la nouvelle, il quitte subitement la ville, ayant peur de sa famille. Sa mère finit par découvrir cette nouvelle et la famille décide de lui laisser garder le bébé, mais elle devra rester avec lui dans la maison familiale. «ma vie, dit elle, était finie» (p. 82). Après l'accouchement, sa mère et ses sœurs se montrent pleines d'affection pour le bébé, mais elles le lui retirent pour le confier à son frère aîné qui vivait dans une autre maison. «Il ne me restait rien. Je n'étais même pas autorisée à garder mon bébé avec moi. Il grandirait et serait élevé comme le fils de mon frère» (p. 83). Ahlam refuse alors de manger et l'ambiance à la maison devient intenable.

Sa famille lui propose alors de quitter la Jordanie pour aller en Palestine et participer dans la lutte palestinienne, ce qui lui permettra d'être «lavée de la honte» (p. 86) et de se libérer de sa condition. Elle aura le droit de s'inscrire à l'université. Elle accepte immédiatement la proposition. Elle s'inscrit à l'université et aide à la préparation de deux attentats qui ont échoués. Elle parle de cette période comme la première fois de sa vie où elle a été «libre» (p. 88). Elle se lie d'amitié et d'amour à un homme qui faisait partie d'une branche militaire radicale. A partir de là, elle dit vouloir aller plus loin, «faire mes preuves» dit-elle et même se «faire exploser pour réaliser un attentat». «Qu'est-ce que j'avais à perdre? J'avais déjà perdu mon bébé» (p. 90). Parlant de cet homme qui l'a branché sur le terrorisme, elle dit «C'était lui ma source d'inspiration (…). Il m'a ouvert les yeux sur la vie et sur les avantages que pouvait tirer une femme de sa condition, et ceci même dans un contexte religieux. C'était quelque chose que mon père ne m'avait jamais transmis. Tout à coup, j'avais le choix» (p. 91).

Ahlam accompagne un homme-kamimaz qui s'explose dans une pizzeria faisant 15 morts et 130 blessés.

Thouria a été interpellée à l'âge de 26 ans le soir même avant de partir pour un attentat suicide. Elle en parle dans l'après coup: «J'avais 25 ans et je n'étais pas mariée. J'étais mal à la maison. A 17 ans, je voulais me faire mal mais on m'a arrêté (…) Jusqu'à l'âge de 20 ans j'étais habillée normalement et même j'ai joué avec les enfants dehors, peu importait garçon ou fille. Un jour une amie m'a dit «c'est la honte ta manière de te comporter et de t'habiller. Retourne à la religion et tu trouveras un mari. A partir de 20 ans, je suis retrourné alors à la religion, à m'habiller avec des vêtements traditionels et me comporter comme une femme. Je voulais vraiement me marier»1 1 Notre traduction de l'hébru. (Berko, 2004Berko, A. (2004). The Path to the Garden of Eden. Tel-Aviv: Yedioth Ahronoth., p. 131). Elle arrête l'école en seconde et travaille de manière irrégulière. A la maison, elle décrit beaucoup de conflits avec les parents. Sa mère cherche à veiller sur elle pour la limiter et la garder à l'intérieur de la maison pourqu'elle ne fasse pas honte à la famille.

Un jour je suis sortie de la maison (…) et j'ai vu un homme avec une épaule plus basse que l'autre qui prend un taxi. Il était handicapé. Il m'a regardé et je l'ai regardé. A ce moment-là, je suis tombée amoureuse de lui. Je sais qu'il m'aimait aussi. J'ai demandé à mon père d'arranger qqch pour qu'on se marie. Mon père, au début, n'était pas d'accord, car il était handicapé et qu'il n'était pas beau. Son épaule était tordue. Après, il est allé voir sa famille pour voir si on peut nous marier. Il y avait un dispute avec les parents du mari sur la somme à payer à mon père. Ils n'étaient pas d'accord de payer ce que voulait mon Père. Tout a été annulé et on ne pouvait plus se marier. Je l'aimais, mais mon père n'a pas arrangé ce mariage. C'est à ce moment-là que je me suis dit que je vengerai mon père et que je deviendrai une shahida. (p. 130)

«Dès le moment où j'ai décidé de me suicider, je savais que je devais le faire. C'est peut être ainsi que mon père pouvait me comprendre» (p. 132). Par contraste, un autre entretien avec elle, réalisé par un autre chercheur, donne lieu à un discours de la haine politique qui est mise en avant. «Je voulais devenir une shahida et me sacrifier pour la Palestine en tuant beucoup de juifs. (…) J'ai fermé mes yeux et rêvé de blesser plus que 100 ou 200 juifs. Un grand nombre. Je n'ai pensé qu'à ça»2 2 Notre traduction de l'anglais. (Schwitzer, 2006Schwitzer, Y. (2006). Palestinian Female Suicide Bombers: Reality vs. Myth. In Y. Schwitzer (Ed.), Female Suicide Bombers: Dying for Equality? (pp. 25-42). Tel Aviv University: Jaffee Center for Strategic Studies., p. 33).

Le fil rouge commun qui se dégage de l'ensemble de ces cas, c'est l'impossibilité de ses femmes de se décolonialiser. Elle se retrouve toutes dans une situation de retour au point zéro. De nouveau nez-à-nez avec le point de départ dans l'impossibilité de s'en dégager. Quand nous pensons le complexe d'Oedipe au féminin et plus particulièrement sur le puissant Mutterbindung, ce lien de la fille à sa mère, s'impose l'hypothèse que, dans ces conjonctures singulières, ces femmes sont amenées à être à nouveau face à ce lien primaire et préœdipien à la mère. Freud a beaucoup insisté sur la puissance de ce lien, qui est fait d'amour et de haine, et qui «ravage» (Lacan, 1973/2001Lacan, J. (2001). L'étourdit. In Autre Ecrits. Paris: Seuil. (Travail original publié en 1973)., p.465) la petite fille. La fille se détourne alors vers le père ou l'homme et rentre ainsi dans l'Oedipe « comme dans un havre » (Freud, 1933/1995bFreud, S. (1995b). XXXIII leçon. la fémininté. In Sigmund Freud Oeuvres complètes XIX (pp. 195-219). Paris: PUF. (Travail original publié en 1933)., p.213). L'homme ou le père ont une fonction d’ «alternative» (Assoun, 1983Assoun, P. L. (1983). Freud et la femme. Paris: Calmann-Lévy., p.118) pacifiant qui permet un détachement. Or, l'aternative — dans ces trois cas — celle de se détourner de la mère vers un homme qui puisse les séparer de ce lien, s'effondre. Ces femmes se retrouvent de nouveau face à la mère et … sans autre alternative.

Les auteurs qui ont mené les entretiens soulignent que ces femmes avancent tantôt des arguments politiques, nationaux, tantôt des arguments subjectifs (Schwitzer, 2006Schwitzer, Y. (2006). Palestinian Female Suicide Bombers: Reality vs. Myth. In Y. Schwitzer (Ed.), Female Suicide Bombers: Dying for Equality? (pp. 25-42). Tel Aviv University: Jaffee Center for Strategic Studies.). Or ces deux séries d'arguments convergent dans la même problématique. Il faut entrendre comment les signifiants politiques résonnent dans l'inconscient. «Décolonialisation» «libération», «indépendance», quelle que soit leur vérité ou légitimité politique qu'il ne s'agit absolument pas de négliger, résonnent dans ce lien de dépendance à la mère et à son emprise. Il faut entrendre ce discours de la haine politique à la lettre car il métaphorise une bataille psychique. La décolonilisation est avant tout de la mère. La haine dans le champ politique trouve ses racines dans une haine bien plus précoce et intime. C'est le seul moyen de comprendre cette inflammation subjective. Le sentiment de préjudice qui, comme l'a souligné P.L Assoun, est tellement central dans la radicalisation (Assoun, 2015Assoun, P. L. (2015). Le préjudice radical: de l'idéal à la destruction. In F. Benslama (ss la dir.), L'idéal et la cruauté. Subjectivité et politique de la radicalisation (pp. 47-67). Paris: Lignes.), renvoie chez le sujet féminin à un préjudice, un tort originaire, un «grief» Vorwurfe, dont le vrai destinateur, selon Freud, est la mère. C'est ce lien préodipien à la mère qui conduit la femme radicalisée à une haine de tout lien.

Et quand elles disent vouloir «Épouser la mort» c'est une manière de renouer avec l'amour/haine du lien à la mère.

La fragmentation pré-oedipienne du lien à la mère

Freud en effet note une «haine» (Freud, 1933/1995bFreud, S. (1995b). XXXIII leçon. la fémininté. In Sigmund Freud Oeuvres complètes XIX (pp. 195-219). Paris: PUF. (Travail original publié en 1933)., p. 205) de la petite fille envers sa mère dans cette liaison préodipienne forte. Quand il cherche à saisir les motivations de cette haine, il constate, de plusieurs façons, la qualité hétérogène, chaotique de ce rapport préœdipien à la Mère. Il y a quelque chose dans ce lien qui est de l'ordre d'un multiple dépourvu de l'Un. Les relations à la mère, dit-il «sont fort variées (p. 203), la liste des plaintes envers la mère sont de «valeur très diverses» (p. 205) et l'hostilité envers la Mère prend sa source dans les «souhaits sexuels multiples» (p. 207) de registres différents: oral, anal et phallique. Ce lien à la mère est de l'ordre d'une hétérogénéité inorchestrable. Il nous semble que c'est cette qualité de non-orchestable qui a un effet de «ravage» sur la petite fille.

Le tournant vers le Père et l'entrée dans l'oedipe se fait dans un deuxième temps où les composantes du lien à la mère ont été, selon Freud, transférées sur le Père. Le Père apparaît comme le lieu du «transfert» du pré-odiepien maternel. L'hétérogénéité chaotique du lien à la mère se trouve orchestrée, agencée dans un point qui l'ordonne tout en représentant cette multiplicité. La version du Père n'est pas comme chez le garçon, un Père coupure, mais un Père qui organise et orchestre le mutiple. Un Père, pour une femme, est ce point qui permet d'agencer et de nouer le désordre hétérogène de son lien préoedipien à la mère. Freud dira que le Père «recueille l'héritage» (Freud, 1931/1995aFreud, S. (1995a). De la sexualité fémnin. In Sigmunf Freud Oeuvres complètes XIX (pp. 7-28). Paris: PUF. (Travail original publié en 1931)., p. 11) du lien à la mère. Il y a ici l'idée de «Recueillir» du latin recolligere «rassembler, réunir». Le Père est ce qui donne un contenant à un contenu chaotique et désorganisé. Il propose une forme organisée à un contenu multiple et fragmentaire. Il recueille et assemble dans sa figure la multiplicité choatique, impossible à systématiser du lien préœdipien à la mère.

La mère comme objet ne nomme pas cette multiplicité hétérogène. Elle ne la stabilise pas dans un nouage comme le fait la figure paternelle. La liaison à la mère est de la nature d'une déliaison, d'un fragmentaire impossible à lier. C'est le retour à ce fragmentaire ravagant qui menace ces femmes citées plus haut.

Le nouage entre fémininté et radicalisation

De ce lien à la mère découle deux propostions:

La première est que face au lien à la mère, le féminin est appelé à prendre des mesures radicales. On le voit dans la clinique quotidienne comment le sujet peut prendre des décisions radicales tranchantes pour déjouer ce lien à la mère. Il y a donc un noyau de radicalité au coeur même de tout feminin. Ce point nous semble important car il nous permet d'introduire une certaine continuité entre ces cas extrêmes hors du commun et la radicalité qu'on trouve dans la clinique féminine quotidienne.

Une deuxième proposition serait de saisir cette fragmentation du lien à la mère comme ce qui donne le trait de style caractéristique à la haine au féminin. C'est une haine qui œuvre pour la désagrégation. Ce lien ravageant à la mère conduit à la haine du lien. Autrement dit, le ravage que la femme terroriste produit est à l'image du ravage qu'elle connaît. Ainsi, elle donne à son ravage subjectif un visage et un nom dans le champ social et politique, ce qui donne à son acte la pespective d'une solution.

La haine du nom/La haine du lien

En effet, on pourrait problématiser la haine comme ce qui traverse différemment l'être sexué. Autrement dit, il serait intéressant de penser le style féminin de la haine dans sa différence d'avec un certain style masculin. Comment qualifier cette différence de style?

La haine du Nom

Du côté masculin, la haine du départ porte sur le Père. C'est le Père de la horde qui détient toutes les femmes et qui barre la route à une satisfaction pulsionnelle. Mais cette haine devient le fondement même du lien social. On se réunit ensemble autour de ce père qu'on aime et hait ensemble et au nom duquel on s'impose un renconcement pulsionnel.

Du coup, la haine au masculin est la haine de ce qui échappe au père et à ce qui résiste à l'homogénéisation sous sa coupe. C'est une haine qui vise l'affimation du nom et la démolition d'un particulier représenté par le nom de l'autre. Cette haine du particulier est une haine de la différence. Une haine normative de ce qui résiste à l'homogénéisation. C'est une haine qui travaille paradoxalement au service d'un lien social fut-elle fachiste car c'est une haine assimililassioniste. C'est une violence de conquête qui vise à homogénéiser. C'est une haine du nom de l'autre par l'amour d'un Père. L'histoire est faite des effets d'une telle haine du nom.

La haine du lien

Le terrorisme, par contre, révèle un style de haine qui recoupe le féminin de telle sorte que le sujet radicalisé se féminise. C'est la désagégration et la fragmantation — ce qui semble être une haine du lien. Il y a dans la terreur un travail qui vise à désarrimer le lieu même du nouage social. C'est une mise à nu de ce qui noue le social. Cette haine au féminin donne à voir la pulsion de mort à nu. C'est une haine du nouage de l'assemblage même, autrement dit une haine de la culture.

Rappellons que le mot de radicalisation vient de la «racine» qui, dans l'univers linguistique, est cet élément invariable qui ne change pas mais qui se compose, qui se conguge et qui peut se lier. Se radicaliser, c'est chercher à défaire la possibilité d'un lien. C'est retourner à une racine incongugable.

On comprend pourquoi, selon les experts (Schwitzer, 2006Schwitzer, Y. (2006). Palestinian Female Suicide Bombers: Reality vs. Myth. In Y. Schwitzer (Ed.), Female Suicide Bombers: Dying for Equality? (pp. 25-42). Tel Aviv University: Jaffee Center for Strategic Studies., p. 9), les femmes terroristes ont une place marginale dans les organisations terroristes. Elle ne font pas lien totémique soutenu par la haine d'un objet commun.

Terrorisme et la fragmentation du lien social et du pouvoir

En effet, le terrorisme vise à semer la panique et produire cet effet de fragmentation du lien. Le choix du site à exploser est particulièrement intéressant. Ce sont des lieux qui s'avèrent être des lieux très précis de nouage social, mais qui se découvrent tel dans l'après-coup et après leur destruction. Le terrorisme fonctionne en peu comme le cristal freudien dont les brisures révèlent la structure. C'est face aux éclats et aux brisures qu'on voit le mieux la structure du lien social. «Charlie» et les «Twin towers» se sont révélés comme ce qui fait lien au moment de leur destruction.

Mais plus encore, le terrorisme produit également une fragmentation du pouvoir lui-même. Cette caractéristique du terrorisme comme cette mulitiplicité et fragmentation au féminin nous permet de comprendre la perplexité de l'état dans la lutte contre le terrorisme. L'état est, dans des termes foucaldiens, de l'ordre du «pouvoir souverain» (Foucault, 2003Foucault, M. (2003). Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France (1973-1974). Paris: Gallimard.) c'est-à-dire un pouvoir centralisé et organisé que Foucault oppose à un pouvoir plus fragmentaire et multiple. L'état en effet est organisé à partir de l'opérateur paternel (souverain) et il sait mener la guerre d'un pouvoir souverain contre un autre. Cette fragmentation du terrorisme menace de manière inédite le pouvoir souverain qui se trouve, dès lors, démuni et peu efficace. Il semble que la réponse sécuritaire mise en place est une forme de framentation du pouvoir souverain lui- même. Le dispositif sécuritaire est précisément multiple, fragmentaire, incessant, dispersé, un pouvoir spatialisé dans la surface. C'est un pouvoir à mille éclats, bref un pouvoir dans son aspect imaginaire. Le terrorisme ne défait pas le lien social comme il le souhaite, mais pousse le pouvoir de l'état à se fragmenter et à s'imaginariser d'avantage.

  • 1
    Notre traduction de l'hébru.
  • 2
    Notre traduction de l'anglais.
  • Financiamento/Funding: O autor declara não ter sido financiado ou apoiado. The author has no support or funding funded to report.

References

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Editores do artigo/Editors: Profa. Dra. Ana Maria Rudge e Profa. Dra. Sonia Leite.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    Dec 2017

History

  • Received
    12 Jan 2017
  • Accepted
    05 Mar 2017
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