Résumé
Cet ouvrage prend un texte littéraire de l'écrivain cap-verdien Germano Almeida comme les anthropologues prennent les faits de la culture. J'examine la complexe intrigue développée dans le roman Os Dois Irmãos, centrée sur un cas de fratricide survenu sur l'île de Santiago, pour comprendre comment la tradition est localement vécue. En analysant les actions tragiques des personnages principaux de ce roman, je cherche à révéler certaines des tensions puissantes qui imprègnent les pratiques des paysans cap-verdiens ainsi que les valeurs primordiales qu’ils éprouvent comme une sorte de destin œdipien.
Mots clés : Cap Vert; fratricide; famille et parenté; tradition
Abstract
This work takes a literary text from Cape Verdean writer Germano Almeida as anthropologists analyze cultural facts. I examine the complex plot developed in the novel Os Dois Irmãos, centered around a case of fratricide occurred on the island of Santiago, seeking to understand how the idea of tradition is locally experienced. Analyzing the tragic actions of the main characters of this novel, I seek to unveil some of the powerful tensions that permeate the practices of the Cape Verdean peasants as well as the primordial values that they experience as a kind of Oedipal fate.
Keywords: Cape Verde; fratricide; family and kinship; tradition
Resumo
Esse trabalho toma um romance do escritor caboverdiano Germano Almeida como os antropólogos analisam os fatos culturais. Examino a trama do romance Os Dois Irmãos, centrada num caso de fratricídio ocorrido na ilha de Santiago, buscando compreender como a ideia de tradição é localmente vivida. Ao analisar as ações trágicas dos principais personagens do romance, eu procuro desvelar algumas das poderosas tensões que permeiam as práticas dos camponeses caboverdianos e os valores primordiais que eles vivenciam como uma espécie de destino edipiano.
Palavras-chave: tradição; destino; mundo camponês
L’intention expresse de ce texte est de réaliser une analyse du roman Os Dois Irmãos (1998) de l'écrivain cap-verdien Germano Almeida. Derrière elle, cependant, se cache la tentation de faire une réflexion anthropologique sur la culture populaire cap-verdienne, en particulier sur le poids de la tradition dans la culture créole à partir d’un matériel littéraire. Je suis anthropologue de formation, et ceci est mon premier effort pour naviguer dans l’océan turbulent des analyses d’œuvres littéraires et, je dois le dire, je n’apprécie guère le tournant littéraire en anthropologie de la moitié des années 1980.1 En conséquence, le lecteur trouvera certainement ici une série de méprises et de trivialités propres à l’aventure interdisciplinaire qui conduit l’anthropologue à se déguiser en critique littéraire. Outre les inexactitudes de fond de l'analyse, je suis particulièrement préoccupé par le manque d'équilibre entre le style rigide et esthétiquement sans intérêt des textes anthropologiques traditionnels,2 dans lesquels abondent les notes de bas de page, les citations savantes et les tentatives obstinées mais généralement infructueuses de maintenir un dialogue symétrique avec la théorie anthropologique établie et avec ce qui est considéré comme l'état de l’art, surtout en ce qui concerne le domaine ethnographique, et l’écriture ou l’essai de la critique littéraire - un style qui se rapproche de celui de la littérature, qui est le sujet de son regard, dépeuplé des attributs qui, selon la perspective adoptée, identifient ou stigmatisent les textes scientifiques.
Tout d'abord, je dois souligner que ma compréhension de la culture populaire ne correspond pas au traitement standard que ce concept a parfois reçu en sciences sociales. Comme je l'ai déjà argumenté à une autre occasion (Trajano Filho, 2018), je ne la vois pas comme un ensemble de produits stockés sur une étagère ainsi nommée, quelle que soit la valeur attribuée à ces éléments de la production humaine - libertaire ou aliénante, démocratique ou élitiste, conservatrice ou rebelle. Je la vois comme une dimension de la culture dans laquelle la contradiction, l'incohérence et le paradoxe ne sont plus étonnants, ne méritent pas une attention particulière et ne sont donc pas évités ou traités avec un soin tout particulier parce qu'ils sont simplement des événements vulgaires et prosaïques de la vie sociale. Il peut donc s'agir d'un domaine qui déclenche ou repousse le changement, qui est marqué par la créativité et la nouveauté, ainsi que par l'imitation la plus grossière de modèles et de clichés qui sont déjà banals en soi. A cet égard, j'ai soutenu que c’est une dimension de la vie dans laquelle la culture accuse la culture de tricheries pour cacher ses éventuelles pertes d’authenticité (2018 : 337).
Celui-ci est encore un des concepts problématiques qui habitent la demeure des sciences sociales et des humanités. À l'instar de l'identité, la mimesis, la résistance, entre autres, l'authenticité a été un opérateur conceptuel essentiel dans les domaines de la philosophie, de la littérature, de l'art, des études culturelles, religieuses, ethniques et du genre, ainsi que dans des travaux sur la culture populaire ayant pour thème la gastronomie, la mode, les sports, la musique populaire, le cinéma et les arts de la performance.3 Comme ces concepts, elle aussi soufre du mal de l’obésité conceptuelle causée par l’inflation sémantique qui les amène à porter de nombreuses significations.
Les sujets qui l’utilisent le font comme si l’authenticité était une essence qui caractérise les choses et personnes du monde. Pour eux, elle est vécue comme le trait distinctif de ce qui est unique et original, le lien constitutif de l'identité de soi. En d’autres termes, ils la prennent très au sérieux. Elle est vécue et célébrée comme une configuration historique de présupposés qui semble hégémonique, par rapport à d’autres configurations, en revendiquant une autorité morale pour établir ce qui doit être reconnu comme constituant du rapport d’identité entre une partie et la totalité de la culture. C'est une configuration dynamique, en constante transformation, même si elle se présente généralement sous la forme d'un état permanent. Dans certains cas, elle peut avoir les contours d’une totalité unique, dans d’autres, insister sur son caractère non imitatif, à un troisième moment, prétendre être constituée de tensions et de contradictions, dans d’autres, être une force qui s'approprie et digère ce qui est en son extérieur, ou même prendre des dessins différents. Malgré ses expressions matérielles et sensibles, le noyau de l’authenticité est de nature morale. D'une manière que je ne peux pas explorer ici, je pense qu'en tant que configuration revendiquant une autorité morale et un trait sacré, l'authenticité est en quelque sorte équivalente aux configurations qui génèrent des revendications ou des demandes de présupposés moraux incarnés sous la forme d'honneur et/ou de dignité. Ainsi, l’authentique, l’honorable et le digne auraient une substance morale équivalente, qui se présente sous des formes historiquement différenciées.4 Tous, cependant, s'expriment à travers le même langage : celui de la déférence. Cela vaut tant pour la déférence implicite dans les rituels d’interaction produisant le consensus du travail qui sous-tend tous les rapports sociaux (Goffman, 1967), que pour celle qui exprime la substance morale de l’honneur et de la dignité, qui exigent toujours une reconnaissance (Cardoso de Oliveira, 2004), ainsi que pour celle qui produit et évoque l'authenticité de la culture.
Toutefois, au-delà des célébrations de l’authenticité, généralement sous la forme d’une aura mystifiante qui lui attribue une nature morale et sacrée (comme dans le culte de l’authenticité), on constate qu’il s’agit, après tout, d’un jargon, un registre, une langue dans la langue qui, selon Adorno (1973: 7), utilise la désorganisation comme principe organisateur. Grâce à cette aura sacrée, les termes qui le composent (authenticité, identité, mimesis, etc.) sonnent comme s'ils disaient quelque chose de plus élevé que ce qu'ils disent lorsqu'ils sont utilisés en dehors de ce jargon. C'est pourquoi ils peuvent être utilisés de manière transcendante par opposition aux significations primaires qu'ils ont dans d’autres registres. Nous sommes ici devant un langage qui crée un monde de sujets absolus qui ne se sentent pas contraints par les déterminations objectives des relations sociales. Un tel monde, cependant, n'abrite pas tous. Issu d'une mystique d'exclusivité guidée par la logique de la séparation et de la distinction, il n'accueille que les authentiques, c'est-à-dire les sujets qui le parcourent grâce à la connaissance qu'ils ont de ce jargon.
Un peu plus terre à terre, mais aussi marqués par une sorte de transcendance mystique, il y a des mouvements d'authenticité culturelle déclenchés par des processus politiques de construction nationale. Ces mouvements ont été très importants dans les pays d'Afrique de l'Ouest entre les années 1960 et 1970. Caractérisés par un fort rejet des éléments culturels considérés comme des influences étrangères, ils ont favorisé un retour au passé précolonial à la recherche des valeurs et des coutumes d'une Afrique « authentique ». Ils sont devenus une véritable doctrine dans des pays comme la Guinée et le Mali, mais ont également servi d'inspiration aux penseurs et aux dirigeants nationalistes des autres pays comme en témoigne le titre du livre de A. Cabral, Return to the Source (1973).5
Adorno appelle la marque déposée (trademark) les liens qui caractérisent la relation entre le jargon de l'authenticité et les sujets choisis qui le parlent. Cela me semble être une description très révélatrice, car elle nous renvoie immédiatement au monde de la production industrielle de masse et aux forces objectives des relations sociales. Ainsi, d’une manière apparemment paradoxale, le langage qui crée un monde de sujets absolus (authentiques), sans contraintes structurelles, est lui-même un produit des relations sociales constitutives d’un moment historique, une période qui a produit l'idéologie artistique de l'unique en tant que rare, vrai et réel. Selon cette idéologie, l’authentique serait alors la vraie chose (the real thing) que nous cherchons tous avidement jusqu'à ce que nous trouvions terrifiés son véritable visage : celui d’un liquide sombre, sucré, gazéifié artificiellement, produit pour nous donner du plaisir et des ulcères.
Au fond, la culture populaire est ce coin de la culture dans lequel la notion même d'authenticité n'est plus une expression authentique de l'authentique, mais presque un outil de marketing maintes fois utilisé dans divers conflits, presque toujours associé à la conquête de niches dans le marché des biens culturels. Dans cette dimension sociale prédomine la logique de l’improvisation fondée sur l’utilisation répétitive (mais parfois créative) de formules pratiques (clichés) et de schémas qui guident la manière dont les individus attribuent des significations au monde, à leurs actions et à celles des autres et font face aux difficultés et aux obstacles de la vie quotidienne.
Je suppose dans cet article qu'une telle manière de comprendre la culture populaire peut apporter de nouvelles couleurs à l'univers rural de la vie paysanne au Cap-Vert. C’est dans cette scène que se déroulent les actions du roman de Germano Almeida, exemple représentatif de cette dimension du populaire.6
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Le livre est inspiré d'un cas réel de fratricide survenu à l'intérieur de Santiago au cours des années 1970, dans lequel l'auteur avait agi en tant que membre du Bureau du Procureur général, dans la mise en examen de l'accusé. Le roman raconte une tragédie familiale survenue autour d’André, un jeune émigré cap-verdien au Portugal. Après avoir reçu une lettre de son père, qui dit avoir surpris João, son frère cadet, allongé dans la botte de foin avec Maria Joana, la femme qu’il avait laissée quand il avait décidé de partir, André retourne dans son village et, vingt-et-un jours et vingt-deux nuits plus tard, il tue son frère.
Le récit reconstruit les événements qui ont conduit au meurtre à partir du jugement d'André. Le texte qui cherche à dévoiler les différentes vérités du fratricide est centré sur les actions de la cour et de ses principaux agents. En tant que professionnel du droit connaissant les techniques de production de preuves et de témoignages, de négociation de la vérité des faits et les outils rhétoriques utilisés pour encadrer les événements dans un cadre juridique au sens du terme, l’auteur crée un texte polyphonique dans lequel chaque voix cherche à établir sa vérité sur les événements qui se sont produits au cours des trois semaines écoulées entre le retour d'André et l'issue tragique prévue avant son arrivée. Tous les personnages parlent à travers une troisième personne : ceux qui sont directement impliqués dans la production de la tragédie - André, son père, sa mère, João, Maria Joana, oncle Doménico et les villageois - ainsi que les personnages directement impliqués dans l'interprétation des événements - le juge, le procureur et l'avocat. Et c’est ce narrateur impersonnel qui, pour ainsi dire, édite les perspectives ou les lectures des différents personnages en les transformant en une sorte de narrateurs subordonnés.
Comme il est courant dans le travail de fiction de Germano Almeida, le récit remet toujours en question ce qui est pris pour certain, en soulignant les incertitudes qui habitent les vérités les plus vraies et en suggérant l’impossibilité de connaître toute réalité qui se veut absolue et plate. Et avec les nombreuses versions concurrentes qui apparaissent dans ce tribunal improvisé d’une école de village à la recherche de ce sceau qui fait autorité et qui est la « vérité des faits » exprimée dans le procès, l'auteur dessine le paysage du monde paysan de Santiago, ses valeurs les plus enracinées et ses contradictions les plus perverses.
Os Dois Irmãos n’est pas le roman qui représente le mieux le style sarcastique de Germano Almeida, dans lequel abondent les parodies et les multiples perspectives. Et pourtant on aperçoit à un degré moins accentué le même effort de subversion des canons réalistes, le même dédain caustique pour les traits qui ont été soulignés pendant des décennies comme ceux qui traduisent plus adéquatement la « vérité » de la mentalité cap-verdienne : la force tellurique, le nativisme, les liens irrémédiables avec le pays insulaire et isolé. Tous encadrés par les deux cadres qui se sont consolidés comme les meilleurs qui identifient le pays : la sécheresse et l’émigration. Les réalités sociales décrites dans le livre sont moins des réalités que des interprétations fébriles de formes de vie sociale vraisemblables et contemporaines. En dépit de cela, le roman a du réalisme, dans la mesure où le procureur Germano Almeida, présent au procès, est confondu, après des années, avec l'auteur Germano Almeida, qui est le narrateur des événements présentés dans le livre. La tension latente dans le livre entre réalité et invention, entre meurtre et délire, me semble bien représenter l'ambivalence qui caractérise l'univers de la culture populaire tel que je le comprends. Et le centre de tout cela réside dans la tension entre le procureur, l'auteur et le narrateur de l'intrigue dans la figure de l'écrivain Germano Almeida, qui mélange intentionnellement et de manière créative l'histoire (history: la séquence des faits tels qu'ils ont été appréhendés au cours de l’instruction, qui est la dimension la plus institutionnalisée de ce qui s'est passé, encadrée et figée par un style d'écriture spécifique, le texte juridique), propre à la culture officielle, lexicographique et autoritaire de l'État (Herzfeld, 1986), avec une histoire (story: récits à plusieurs visages, variables selon les yeux de ceux qui les racontent, sans porter le tamis de la seule vérité), une forme narrative typique de la culture vivante et ambivalente de la vie quotidienne.7
Avant que les erreurs typiques de l'aventure transdisciplinaire qui amène ici l’anthropologue à assumer le rôle de critique littéraire ne s'accumulent, je tiens à préciser que je considère les événements relatés dans le roman comme une représentation de la vie sociale dans un village paysan, selon le point de vue natif - il est vrai qu’il s’agit d’un natif éclairé. Le matériel que je vais analyser ne fait pas référence à ce qui est réellement arrivé, au sens de réalisme naïf et terrestre, mais concerne ce qui aurait raisonnablement pu se passer. En d'autres termes, je prends ce texte de fiction comme les anthropologues prennent les faits de la culture.8 Dans ce cas, il convient de mentionner que l'ethnographe n'est pas moi, mais un Cap-verdien beaucoup plus qualifié que l'anthropologue pour sa connaissance et sa familiarité avec le monde badiu de Santiago, sa sensibilité à percevoir les détails les plus subtils de l'âme paysanne, chose rare chez les étrangers, pour son insertion particulière dans l'univers de la culture populaire, qui l'immunise contre les peurs générées par les contradictions, incohérences et paradoxes qui y résident et, enfin, pour le talent qu’il possède de raconter des histoires que pas même les plus beaux princes de notre anthropologie ne rêvaient d'avoir.9 Cependant, je n'analyserai pas la rhétorique de Germano Almeida, ses stratégies narratives et son pouvoir magique de créer des mondes dans lesquels nous pouvons tous vivre. Son écriture, ses figures de style, son usage artisanal du langage, bref, sa signature personnelle sera délibérément laissée sans examen. Cela n’est pas dû à mon malaise face au tournant littéraire en anthropologie, mas simplement au fait que, en tant qu’anthropologue, je ne dispose pas des outils analytiques nécessaires pour accomplir cette tâche. En tout cas, ce texte de Germano Almeida a fait l’objet de l’intérêt de plusieurs critiques littéraires comme Ferreira (2015), Pires (2015) et Costa (2017).
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Il faut maintenant expliquer un peu plus en détail l'intrigue enchevêtrée du roman pour la soumettre à l'analyse anthropologique.
André vivait au Portugal depuis trois ans lorsqu'il a reçu une lettre de son père l'informant très sèchement d'une tragédie vécue par sa famille. Il avait surpris João allongé sur Maria Joana dans la botte de foin près de la maison et avait demandé le retour immédiat de son fils. André avait épousé Maria Joana environ un an avant de partir au Portugal. Le mariage avait été traité entre les parents des jeunes, comme une forme de réparation de la « faute » que les jeunes gens avaient commise. Nous ne savons rien des motivations qui ont poussé André à émigrer. Il aimait les nouveautés et un jour, il a simplement fait part à son père de son désir de partir. Celui-ci, après réflexion, n'a pas mis d'obstacles, car il savait que le fils, malgré ses 19 ans, était déjà chef de famille et devait donc savoir ce qui était mieux pour lui et sa femme (p. 189).
Comme dans la vie sociale au Cap-Vert, le désir d'émigrer dans le roman est naturalisé et semble être le sort commun de presque tout le monde.10 Nous ne connaissons pas les détails du processus de migration d'André, mais il convient de noter que, loin d'être un choix individuel, l'émigration au Cap-Vert est un processus qui implique les efforts de la famille élargie et d’une partie substantielle du réseau social de ceux qui émigrent pour amasser les ressources financières nécessaires pour acheter le billet international et obtenir le visa d'entrée, ainsi que l'organisation du déplacement (fournir des informations et des aides dans les lieux où passe le migrant). A l'exception des familles les plus aisées, il s'agit d'un processus complexe qui exigera de toutes les personnes concernées une grande capacité de se débrouiller et une bonne connaissance des pratiques d'improvisation pour faire face aux obstacles imprévus de toutes sortes afin de rendre possible le rêve de s'embarquer et de vivre au loin. Ces qualités sont généralement très appréciées localement, en particulier parmi les plus pauvres.
Au début, André avait du mal à s’adapter au nouveau pays. Le travail différent et intense, le froid, la nourriture et la distance des parents (surtout de la mère) et de sa femme lui ont fait subir les douleurs de la nostalgie. Cependant, avec le temps, la coexistence avec les nouveaux amis, l'adaptation à la vie urbaine portugaise troublée et, plus particulièrement, la relation avec une Cap-verdienne de Santo Antão ont balayé les souvenirs des premiers temps vers les coins cachés de la mémoire. Au bout d'un moment, André ne parlait presque plus de son village, de sa famille et de sa femme. Il ne pensait plus revenir et écrivait à cette dernière comme on écrit, par obligation, à un parent. En fait, il est allé jusqu'à déclarer au tribunal qu'il ne lui était jamais venu à l'idée de la faire venir au Portugal. Il se sentait éloigné d'elle et de sa vie dans son pays d'origine et ne pouvait pas l'imaginer face à l’hiver européen ou en train de travailler au Portugal (p. 227).
On sait peu de choses sur ce qu'André faisait au Portugal. Nous déduisons, à partir d’informations recueillies ici et là dans le roman, qu’il provenait d’une famille paysanne relativement aisée. Dans son pays d'origine, il a vécu chez ses parents, même après son mariage, comme il est d'usage dans le monde paysan de Santiago. Sa famille avait quelques têtes de bétail et sa chambre était meublée d'articles qui suggéraient une distinction sociale et économique, tels qu'une commode, une armoire, un grand miroir et une lourde chaise doublée de velours (p. 53). Ces deux derniers articles auraient été les premiers de son village, situé à environ quinze kilomètres d'une ville dont nous ignorons le nom. La nouveauté du miroir était telle que tous les villageois avaient rendu visite à André pour se voir intégralement de la tête aux pieds. En plus d’une relative aisance économique, nous savons également que son père était une personne très respectée et influente dans la communauté et disposait de ressources financières, notamment pour payer l'avocat qui prenait soin de sa défense.
La richesse relative des familles paysannes a une expression très appréciée dans l’exposition d'objets de consommation dans les coins publics des maisons, tels que les salons et les cuisines. En fait, ces dernières ne sont, pour la plupart, que des pièces décoratives, puisque presque toute la transformation des aliments se fait dans la cour intérieure ou dans la cour arrière des maisons, la cuisine elle-même étant réservée à des activités mineures et exceptionnelles telles que la préparation du café ou une soupe de nuit pour les invités considérés illustres. Dans les salons de ces maisons il y a une profusion d'objets décoratifs. Les fleurs en plastique et en tissu aux couleurs très vives contrastant avec l'environnement aride de l'île, où la palette de couleurs varie du gris au sable, font une forte impression sur le visiteur. Une variété de cadres photo contenant des photographies de mannequins professionnels, tirées de magazines américains et européens, plutôt que de membres de la famille comme on pourrait l'imaginer, sont également enregistrés dans la mémoire de l'ethnographe qui a vécu dans cet environnement.11 L'exposition publique de l'abondance se complète par la présence de pièces génératrices de distinction sociale comme de grands miroirs, des fauteuils en velours et des réfrigérateurs qui embellissent des maisons construites dans des villages où il n'y a pas d’électricité. La plupart de ces biens sont généralement associés à la vie dans l'émigration : parfois ce sont des cadeaux offerts par des parents émigrés, parfois ce sont des acquisitions des membres de la famille eux-mêmes quand ils vivaient à l'étranger, parfois ce sont des produits achetés avec des revenus obtenus à l’étranger.
Nous savons que, au Portugal, André partageait une chambre louée avec quatre compatriotes (p. 16). L'un d'eux, Pedro Miguel, était né et avait grandi dans le même village qu'André. Il était aussi rentré à Santiago le jour fatidique où André tua son frère. À propos des deux autres colocataires, nous sommes informés seulement qu’ils étaient compatriotes. Nous savons aussi que pour aller au travail, André prenait quatre autobus, puis il marchait encore un bon bout de chemin (pp. 25-26). Au total, cela lui prenait environ deux heures de route. Son travail était lourd, ce à quoi il n'était pas habitué (p. 23). Tout cela renforce ma suggestion selon laquelle, bien qu'il vienne d'une famille de paysans aisés de Santiago, il a vécu à Lisbonne comme quelqu'un qui possédait peu de biens, parce que sa faible scolarité ne le qualifiait pas pour un travail bien rémunéré dans ce nouvel endroit. Probablement, comme tant d’autres compatriotes de pays et de continent, il vivait une vie serrée et peu confortable dans un quartier périphérique de Lisbonne. Ses trois années passées au Portugal ne lui ont probablement pas permis d’accumuler le capital social (compétences et connaissances liées au travail, à l’éducation formelle, à l’emploi qualifié), économique (épargne substantielle) et culturel (valeurs, idées, styles de vie) qui aurait profondément transformé sa vie. En fait, comme beaucoup de ses compatriotes, André travaillait sur le chantier, vêtu d'une salopette, « accroché à la voiture à mortier ou portant des briques » (p. 115).
Ce fait est très pertinent pour l'argument qui va suivre. En tout état de cause, les cas de personnes relativement aisées dans leur pays d'origine, de familles influentes localement, respectées et reconnues pour leurs capacités et leurs talents, de personnes intellectuellement sophistiquées, d'artistes ayant un certain prestige local, avec un niveau d'éducation qui diffère du commun dans leur pays, mais qui vivent de façon précaire en émigration, sont très courants. À l'étranger, ils occupent des emplois non qualifiés dans le secteur de la construction et d'autres emplois mal rémunérés, peu prestigieux et avec un réseau de protection sociale réduit, comme les gardiens de nuit, les employés de nettoyage public, les serveurs dans les bars et les restaurants, etc.
Je dois insister sur le fait que je ne me réfère pas à une élite urbaine instruite, mais à des familles paysannes relativement aisées, comme celles que je décris dans Trajano Filho (2009, 2011 et 2014), dont les chefs ne descendent pas directement des anciens morgados. Dans le cas d'André, malgré l'aisance relative de son groupe de parenté, c'était une famille paysanne dont tous les membres étaient engagés dans la production de la vie matérielle à plein temps. Le dévouement de ses jeunes membres aux études n'était pas une priorité dans cet environnement social. Au moment des événements relatés dans le roman, il n'y avait pas d'établissements d'enseignement supérieur au Cap-Vert, ce qui m'amène à conclure qu'André n'aurait fait que des études secondaires, et même cela était peu probable.
Je remarque que les personnages du roman, à l'exception du juge, de l'avocat de la défense et du procureur, sont des paysans qui habitent le monde rural de Santiago. Cependant, les dimensions physiques de l’île font que même le village paysan le plus reculé n’est pas si déconnecté du monde urbain. L'isolement est donc relatif au Cap-Vert. Le village où résidait la famille d'André n'était qu'à quinze kilomètres d'une ville ; le procès s'est déroulé dans un tribunal improvisé à l’école d’un village voisin : les distances physiques et institutionnelles n'étaient pas abyssales. Ceci suggère un état de correspondance mutuelle entre les mondes rural et urbain. Le monde rural se projette dans le monde urbain et ce dernier pénètre le rural.12 En réalité, la correspondance mutuelle entre l'ancien et le nouveau et la coexistence tendue entre des valeurs vécues comme primordiales et des valeurs considérées comme perturbant la tradition constituent le fond de la tragédie survenue. C'est un thème récurrent dans les études sur la culture populaire en Afrique. Les paroles des chansons et les textes des récits populaires traitant des relations entre hommes et femmes, en particulier de la perte et de la séparation, des promesses non tenues et des trahisons dans des contextes de changement social intense, sont très courants dans la musique, le théâtre et la littérature populaires sur le continent africain.13 Dans le monde urbain africain, les chansons populaires qui évoquent les relations amoureuses soulignent à plusieurs reprises la souffrance et la douleur qui découlent de la rupture d'un vœu d'amour. Et dans de nombreux pays, la relation entre la douleur et l'alcool est un fait culturel (Akyeampong, 1996: 153). Le roman de Germano Almeida, curieusement, utilise les mêmes éléments - souffrance, douleur et alcool - mais les place dans le contexte d'un mariage sans liens romantiques profonds et d'une supposée infidélité conjugale. La conséquence n'est pas la souffrance amoureuse mais le fratricide. Je souligne, cependant, que ces thèmes constituent, plus que des sujets chers à la culture populaire, la dimension de la vie sociale dans laquelle nous observons le choc entre l'ancien et le nouveau. C'est dans ce domaine du social que l'on trouve le plus souvent la coexistence insouciante avec la contradiction. Au Cap-Vert, par exemple, il n'est pas rare d'observer des attitudes de respect inflexible du plus jeune envers le plus âgé en même temps que l'on enregistre des attitudes et des paroles dans des situations publiques de moquerie qui bordent l'offense du premier envers le second. Ce qui est curieux, c'est que les deux formes sont attendues.
La fatidique lettre télégraphique du père a dit sans ambages « ton frère se met à sortir avec ta femme » (p. 19). André a soudainement décidé de revenir sur terre « mais c’était un André joyeux et ludique qui avait dit au revoir à ses amis » (p. 16), juste pour savoir ce qui se passait réellement dans la famille.14 Il est revenu dans son village sans but défini et sans aucune volonté de vengeance. Le père le reçut avec bénédiction et très peu de mots ; la mère, à une certaine distance, sans oser s’approcher, avait l’esprit chargé par le sort annoncé et tragique qu'elle voyait venir irrémédiablement. Le frère, João, fut le seul à l’accueillir avec affection transparente et chaleureuse, avec poignées de main et conversation. Personne du village ne s’est approché de la maison pour voir le voisin qui était parti trois ans auparavant, même pas l'oncle Doménico, si proche et enjoué, n’est venu le saluer. C’est comme s'il n’était jamais revenu.
Au cours des jours suivants, André commença progressivement à prendre conscience de la tension dans la vie du village et du fait que, même de loin, il était au centre de ce tourbillon. Les premiers jours, il eut le sentiment qu'il n'appartenait plus à cet endroit et se sentit heureux d'être libre « de ce monde entouré de ces rochers agressifs et de ces valeurs immuables » (p. 114). Au fil des jours, a-t-il même déclaré dans le dossier, il a commencé à percevoir une hostilité à son encontre, « une sorte de critique distillée aux yeux de tous les voisins et de la famille ». Le regard de ses parents lui a fait se sentir « beaucoup moins qu’un chien errant » (p. 18). De son père, toujours sec et silencieux, il n'entendait que des imprécations envers João, et de sa mère, des excuses rares sur la distance et l'invisibilité avec lesquelles il était traité par les habitants du village. Le père pensait que João avait dépassé les limites de la décence et du respect en continuant de manger et de dormir sous le même toit que son frère, après l'avoir déshonoré. Il aurait dû fuir pour ne jamais revenir (p. 61). João défiait le père devant les yeux d’André. Un embarras mortel régnait au sein de la famille.
Au début, João et Maria Joana furent les seules personnes à qui André parla. Il demanda à João une réponse à propos de l'accusation de son père. Son frère a non seulement nié avec véhémence, mais il a aussi suggéré que son père devenait fou. De Maria Joana, André recevait chaque après-midi, dans une grotte voisine, son corps et des mots sur son innocence et la méchanceté de son beau-père. Tout cela lui faisait éprouver intensément le sentiment d'être un étranger dans son village, une énorme envie de partir et de reprendre sa nouvelle vie au Portugal.
Ainsi, André prit conscience du fait que son inaction était une honte pour le village et sa famille, du sentiment qu'il avait été banni et qu'il était une non-personne, un mort-vivant pour son père, son oncle et ses voisins. Le texte suggère à divers moments que la passivité d'André était équivalente à sa mort. Son père, dorénavant vêtu de noir, « gardait la maison comme si une personne était décédée dans la famille et qu’il y était disponible pour recevoir les condoléances » (p. 208). Jusqu'à ce que le fils aîné décide de venger son honneur, le père était « réellement sourd à tous les sons d'André et également aveugle à sa présence ... », « se comportant comme si son fils n'existait plus » (p. 208). Lorsqu'il s'est rendu compte que le fils était rentré du Portugal mais n'avait pas réagi comme il s'y attendait, il a fermé les fenêtres et les portes de la maison, la laissant dans la « demi-obscurité du deuil » (p. 124). Et quand, quelques jours plus tard, André tua son frère, son père ouvra les portes et les fenêtres de la maison comme s'il s'agissait d'un jour de fête (p. 152).
Le sixième jour après son retour du Portugal, André eut pour la première fois en tête la vision de Maria Joana allongée dans la botte de foin sous João. Une telle vision lui vint quand, revenant d’une promenade à la campagne, il était passé devant l’étable où se trouvait sa vache, Bonita, et il avait commencé à la caresser. Sous l'impact de ce rêve fiévreux, André avait encore lutté contre une telle hallucination, mais il ne pouvait s'empêcher de voir la silhouette de sa femme dans la vache.
Se sentant traité comme un mort-vivant, André quitta le village pendant treize jours, au cours desquels il sombra dans l’ivresse des tavernes de Praia. Il ne revint que le vingt-et-unième jour, la nuit où il y avait un bal en l'honneur du retour de son colocataire d'émigration. Cette nuit-là, les sens enivrés, il se réveilla et alla au bal où il défia João qui était aussi présent.15 João n'était pas du genre à se soumettre à ce genre de pression en public, mais, mystérieusement, il le suivit dans la ruelle où la guerre entre les deux frères eut lieu. Ce qui a suivi fut contesté devant le tribunal.
Dans la culture cap-verdienne, les bals et la consommation excessive d'alcool sont souvent associés aux bagarres, aux désaccords et à la violence physique. Badju (bal) est le mot créole le plus couramment utilisé pour désigner les occasions de convivialité où l'on danse, mange et boit en hommage à une personne (vivante ou morte), une institution ou une occasion. Il peut prendre la forme de fêtes familiales, organisées dans des résidences privées (bals familiaux), ou de « bals nationaux », également appelés « bals de souscription », organisés par un ou plusieurs individus qui vendent des billets permettant à leurs porteurs d'accéder à la salle et, éventuellement, à de la nourriture et des boissons en quantité. Ceux-ci peuvent être faits dans des résidences privées ou dans des lieux non résidentiels. Il y a aussi des occasions de danser qui font partie de festivités plus importantes comme les fêtes religieuses (y compris celles des tabancas), les festivals civiques et culturels comme les batuques.16 Il n'a pas toujours été facile de distinguer une forme d'une autre. Pendant la période coloniale, beaucoup d'encre a été consacrée à l'élaboration de dispositions légales pour réglementer sa réalisation, distinguer les différents types de bals et régler les litiges entre leurs promoteurs et les agents de l'ordre, notamment en ce qui concerne la classification correcte du type de danse en question et le paiement des frais pour sa réalisation.
La législation coloniale est riche d'exemples de tentatives pour mettre un frein à ces festivités, à commencer par l'avis de l'administrateur de la municipalité de Praia, publié dans le Bulletin officiel n° 12 du 24 mars 1866, qui interdisait la tenue de batuques dans la ville pour être « un amusement qui s'oppose à la civilisation actuelle du siècle, car extrêmement gênant et inconfortable, contraire à la bonne morale et au calme public, » Le législateur a proposé de réprimer ces célébrations, surtout fréquentées par les esclaves, parce que, selon lui, le batuque « ne doit pas être vu par d'honnêtes gens de bonnes coutumes, qu'il appellerait au domaine de l'immoralité et de l'ivresse » (voir Trajano Filho 2006: 19). Il existe de nombreux autres exemples de législation visant à interdire et réglementer les bals nationaux, les fêtes de tabanca et les batuques. Presque tous ces textes légaux mentionnent la nécessité de réprimer le désordre, les bagarres, la violence, l'immoralité, la perturbation du sommeil et la tranquillité des honnêtes gens, le bruit excessif, le manque de respect pour les valeurs chrétiennes, l'ivresse et la lascivité.17
Outre les bals, la consommation d'alcool dans les zones urbaines est également associée à certains établissements commerciaux où sont vendues des boissons alcoolisées : les cafés, les bars et les tavernes. Les premiers, également connus sous le nom de pastelarias, sont clairement un héritage colonial. Ouverts pendant la journée (certains fonctionnent encore jusqu'aux premières heures de la soirée), les cafés sont des lieux de conversation et de sociabilité qui rassemblent des personnes (hommes et une minorité de femmes) autour d'un café, de sodas et de jus de fruits, de snacks et de bières. Les bars sont également des lieux de sociabilité, mais contrairement aux cafés, ils sont associés aux hommes et a la vie nocturne. La consommation de café et de jus de fruits y est possible mais peu probable. Les bières y sont consommées, mais la préférence va aux spiritueux (grogo et autres types d'eaux-de-vie, whiskies, etc.). Ces deux types d’endroits sont fréquentés par les classes moyennes urbaines. Les tavernas, quant à elles, sont de petites boutiques où l'on vend des objets liés à la vie domestique (bougies, allumettes, savon, maïs et haricots en vrac) et, surtout, du grogo produit localement. Les femmes et les enfants y passent très peu de temps : juste le temps d'acheter du maïs ou un paquet de bougies. Contrairement à eux, la présence d'hommes assis, courbés et fatigués sur de tabourets rustiques, en conversation bruyante ou en solitude silencieuse, est constante. Il y a toujours un verre ou une bouteille de grogo bon marché devant ou à côté d'eux pour leur tenir compagnie. Dans les tavernes, on ressent les douleurs les plus diverses du monde. Elles sont omniprésentes dans les villes du Cap-Vert, mais ne sont pas l'apanage du monde urbain. Elles font également partie du paysage des petits et grands villages de Santiago. C'est comme si elles étaient un médiateur entre le rural et l'urbain, entre le traditionnel et le moderne.
De nos jours, dans la zone rurale de Santiago, la forte consommation de grogo (eau-de-vie de canne à sucre) au son du funaná joué à la gaita et au ferrinho donne lieu à toute sorte de désaccords. Selon Dias (2004: 193), l'imaginaire local associe ces événements (badju di gaita) à l'occurrence de bagarres où le couteau a une présence remarquable. Avec des coups de poing, des coups de couteau, des pierres et, parfois, des coups de feu, l'effervescence, la chaleur et l'ivresse des sens générés par la danse et la musique font émerger ces formes populaires de règlement de comptes qui sont, au fond, des expressions locales d'honneur et de virilité.
André prétendit s'être défendu contre les menaces de João. On sait qu’André poignarda João, puis qu’il rentra chez lui où son père le salua chaleureusement. João, se vidant de son sang dans la ruelle, devint fou. Il prit la direction de la maison paternelle et, arrivé là, en présence de tous les habitants du village qui s'étaient réveillés avec les cris, commença à insulter son père et les villageois, les accusant de sa mort non encore survenue, et menaçant tout le monde avec de violents jets de pierres. Plus tard, il alla, toujours en colère, à l’étable et commença à relâcher les animaux au milieu d’imprécations contre la famille et les voisins. C'est quand il faisait fuir les derniers animaux qu'André, sorti de la torpeur de sa renaissance, sortit avec le fusil et tira.
La conforntation tragique et tant attendue d'André avec son frère a lieu après qu'il se soit immergé dans deux espaces de la culture populaire associés à l'effervescence des sens et à l'ivresse des corps dans le continuum rural-urbain de l'île de Santiago, à l'alcool et à la douleur : les tavernes et le bal rural. C'est après les avoir traversés qu'André, imprégné de l’alcool fort du grogo pendant des jours dans une taverne, finit par céder aux exigences de la volonté générale (les valeurs de la tradition) et par revendiquer son honneur terni par la cupidité de son frère.
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Le conflit entre frères (et sœurs) est un sujet cher à la pensée humaine et se révèle dans quatre cas paradigmatiques de notre « tradition mythologique » : les cas de Caïn et Abel, d’Ésaü et Jacob, d’Étéocle et Polynice, fils d'Œdipe, et de la tragédie de Hamlet. Ce conflit est également thématisé en dehors de notre mythologie fondamentale, trouvant sa place dans les littératures nationales non occidentales et les traditions orales des peuples les plus variés. Pour nous limiter à l'univers de la langue portugaise, outre le livre de Germano Almeida, je pense au magnifique roman de Milton Hatoum, Dois Irmãos (2000), au classique de Machado de Assis, Esaú e Jacó (1998), et, de façon moins directe, au beau texte de Mia Couto, Jesusalém (2009), et au déjà mentionné et stimulant roman de Paulina Chiziane, Niketche: uma história de poligamia (2002).
Dans la tradition littéraire occidentale, en particulier dans les textes susmentionnés, la relation entre les frères est assez différente, ce qui exige une certaine prudence pour ne pas faire une généralisation à la hâte. Dans certains cas, les frères sont jumeaux, comme dans les romans de Machado de Assis et de Milton Hatoum et dans le mythe biblique d'Ésaü et Jacob. Dans d'autres cas, ils ne le sont pas. À certaines occasions, la tension qui caractérise la relation est due à des causes extérieures à la relation entre frères, comme dans les cas bibliques de Caïn et Abel et d’Ésaü et Jacob, dont les rivalités sont dues aux préférences accordées à l’un par le père (à savoir Dieu, qui donne la préférence aux sacrifices d’Abel, le frère cadet) et par la mère Rebecca (qui a une nette préférence pour Jacob, également le dernier à naître). La préférence de la mère pour le fils cadet semble également être à la base de la rivalité entre Omar et Yaqub, les frères du texte de Milton Hatoum. Dans le cas du roman de Machado de Assis, la rivalité entre les frères n'a pas de cause précise, provenant de l'œuf, comme le suggère la discussion du narrateur sur le titre à donner au récit : roman ab ovo. Dans certains cas, la tension et le conflit aboutissent au fratricide, comme dans le texte en analyse et dans le mythe primordial de Caïn et Abel ou même dans le cas d’Étéocle et Polynice, qui s’entretuent. Dans d'autres, la tension trouve une certaine résolution grâce aux actions des personnages ou a simplement une continuité, sans résultat prévisible.
La tension caractéristique des relations entre frères (et sœurs) qui mène souvent à des conflits ouverts n’est pas exclusive à la tradition occidentale ni à ses formes narratives telles que le roman ou le drame. On la trouve dans la vie réelle de bien d’autres coins du monde. Elle est un sujet récurrent dans la littérature anthropologique classique qui a pour thème central les relations de parenté. Dans le monde africain, la littérature sur les jumeaux est vaste et indique généralement « l'embarras classificatoire » qu'ils représentent (Turner 1969: 45) et les tensions et ambiguïtés associées aux principes de base de la structure sociale. En fait, la littérature anthropologique classique sur le sujet en Afrique aborde essentiellement la question de la relation entre jumeaux et structure sociale, en insistant sur la cosmologie et la religion, les rituels et les arts visuels.18
En dehors des cas de jumeaux, des études de parenté ont montré que la relation entre frères (et sœurs) est marquée par deux tendances diamétralement opposées. D'une part, la propension à la proximité, à l'identification et à l'unité. Créés dans la même famille, qui est l’unité de la coopération et de l’éducation, les frères (et sœurs) s’identifient en partageant les liens de dépendance et d’affection qui les lient à la source de protection, d’éducation et d’approvisionnement que sont leurs parents. Cela est d'autant plus fort lorsqu'il s'agit de frères et sœurs de même sexe ayant le même père et la même mère. Dans l'alimentation, les soins du corps, l'inculcation de valeurs, on voit le fonctionnement d'une sorte d'éducation sentimentale partagée au sein de l'unité domestique. La proximité et l'identification vont au-delà des domaines de la cognition et de l’affection pour atteindre pleinement le domaine sociologique. Les coutumes selon lesquelles une veuve épouse un frère du défunt mari ou un veuf épouse une sœur de la défunte épouse sont courantes dans de nombreuses sociétés (y compris la nôtre, il n'y a pas si longtemps). Ces pratiques appelées respectivement lévirat et sororat traduisent, dans les sociétés où se forment des groupes de descendance unilinéaires, le principe sociologique de l'unité du groupe de siblings (Radcliffe-Brown, 1950). Ce n’est pas une question de similitude de nature psychologique ou subjective, mais une identification structurelle faite par un sujet positionné à l’extérieur, qui prend les frères et sœurs comme membres du même groupe. Plusieurs autres aspects de la vie en société, parmi lesquels certaines propriétés de la terminologie de la parenté et certaines règles de conduite en ce qui concerne les conjoints des enfants du même père, expriment également l'unité structurelle entre frères (et sœurs).
D'autre part, il y a aussi une tendance à la rivalité. Là où il y a des frères, il y a une rivalité, un sentiment qui semble émerger de la compétition primordiale au sein de la famille. Ils se disputent l’affection et l’attention des parents, l’obtention de la nourriture, les priorités de toutes sortes au sein du groupe familial. Dans de nombreux endroits, les rivalités et les différences qui s’y rattachent prennent des formes linguistiques différentes qui sont cristallisées dans la terminologie de la parenté. Dans ces cas, l’ordre de naissance et l’ancienneté qui y sont associés s’expriment par une différenciation terminologique. Le frère aîné est souvent désigné par un terme différent de celui utilisé pour le plus jeune. Je soupçonne que le cadre cognitif et expérientiel lui-même, la matrice de toutes les formes ouvertes de conflit, que nous appelons une lutte ou un combat, est appréhendé dans les manifestations de la rivalité fraternelle.19 En d'autres termes, nous savons ce qu'est un combat et nous apprenons à nous battre quand nous faisons semblant de nous battre avec nos frères. Au-delà de ce contexte psychologique, la rivalité fraternelle trouve aussi une expression sociale. Dans toutes les sociétés organisées en groupes de descendance unilinéaires, les lignes de clivage entre clans, lignages et segments de lignage traversent les frères et sœurs, en particulier les demi-frères et demi-sœurs. Dans ces cas, la structure de segmentation a une manifestation empirique dans les conflits, dans les séparations causées par des différends dans les processus de succession et d’héritage, et pendant les fissions des groupes de lignage liés de façon généalogique en tant que groupes de frères (et sœurs).
Les deux volets de la civilisation qui constituaient l'univers paysan de Santiago (les univers culturels de la côte africaine et du monde ibérique portugais) expriment la tension des relations entre frères et sœurs de différentes manières. Il convient de rappeler qu’en Afrique lignagère, les frères ne représentent pas seulement des points de segmentation potentiels des lignages. Ils sont également rivaux dans la compétition réelle pour le bétail utilisé comme monnaie dans les échanges matrimoniaux, pour l'accès à la terre à cultiver et pour les positions et les titres politiques et rituels. En général, le principe d'ancienneté, dont l'expression fondamentale réside dans l'opposition entre les générations adjacentes, oppose et subordonne les frères (et sœurs) plus jeunes aux aînés, qui se comportent à bien des égards comme des parents potentiels. L'unité tendue du groupe de siblings fait également que les frères dépendent fortement de leurs sœurs, car c'est traditionnellement par le mariage de ces dernières qu'ils obtiennent les ressources (souvent le bétail) utilisées dans les services qui font leurs propres mariages.20 Dans l'univers paysan de Santiago, c’est la subordination-rivalité entre les plus petits et les plus grands. Et autour de cette subordination-rivalité entre les cadets et les aînés émergent de nombreux conflits entre frères et sœurs, en particulier ceux liés à l'héritage de la propriété foncière. De l'univers portugais, un mode de propriété foncière institutionnalisé est né du principe de la transmission non divisée des terres par primogéniture. Le soi-disant système du morgadio, qui a prévalu formellement au Cap-Vert jusqu'au milieu du XIXe siècle, prônait que la propriété serait héritée en indivision par le fils aîné. Ce système de transmission a « expulsé » les frères et sœurs plus jeunes des terres familiales, les poussant dans le commerce ou d'autres activités et à l’émigration et provoquant diverses tensions au sein du cercle familial.
Le conflit fictif entre André et João n'est ni fortuit ni épisodique. Au contraire, il est grammatical et exprime des tensions et des valeurs de la culture ainsi que des attributs de la structure de la société cap-verdienne. Je remarque qu'il se manifeste non seulement sur le plan le plus évident de la supposée trahison de João, qui a conduit au fratricide, mais se manifeste également dans l'opposition entre les deux frères en ce qui concerne leurs traits constitutifs. Ainsi, André s’oppose à João en ce qui concerne son caractère : André est loquace, enjoué et plein d’humour (p. 33), mais il craint énormément son père (p. 43). Son antithèse, João, est provocant, rebelle, querelleur et courageux. Il n’a peur de rien et n’a jamais refusé un combat. Dès son plus jeune âge, son père ne le punissait plus physiquement, car il était parvenu à la conclusion qu’il était « ingouvernable » (p. 43).
Marquer l'opposition sociale entre frères par des paires d'opposition physique, psychologique, comportementale et professionnelle semble être une stratégie largement répandue dans la composition de textes. Caïn, l’aîné, était un fermier, tandis qu'Abel, le cadet, était un berger. Ésaü, qui est né le premier, était un chasseur, sanguin, avait la peau velue, et son mariage, au dégoût de ses parents, représentait une exogamie extrême. Jacob, le dernier à naître, était un berger, doux, sans poils, et épousa la fille du frère de sa mère, selon la volonté des parents, conformément à la coutume. Curieusement, c’est le gentil et docile Jacob qui, à l’aide d’une stratégie, a trompé son père avec l’appui de sa mère, modifiant ainsi le droit d’aînesse. Dans Machado de Assis, les deux frères (Pedro et Paulo) sont rivaux en tout et cela se voit clairement dans leurs personnalités, leurs occupations et leurs idéologies politiques. Paulo, avocat, est impulsif, ravissant et républicain ; Pedro, médecin, est déguisé, conservateur et monarchiste. Chez Milton Hatoum, Omar (le plus jeune) rivalise non seulement avec son frère, mais entretient également, comme dans le cas de João, une relation tendue et difficile avec son père. Leurs personnalités sont antithétiques, le plus jeune étant agité, indiscipliné, bohème et ivre, et le plus âgé (Yaqub), discipliné, rationnel, organisé et, ayant un talent particulier pour les mathématiques, devient ingénieur. Dans Jesusalém, de Mia Couto, les deux demi-frères sont également antithétiques, bien que la relation qui les unit soit moins de rivalité, mais de profonde affection, de tendresse et de soin. L'aîné est rebelle, extraverti, déterminé, pratique et lance un défi ouvert à son père (qui découvre plus tard qu'il n'est pas son père) ; le plus jeune est introspectif, rêveur, poétique et se révèle gardien du père sénile.
Dans la génération immédiatement ascendante, le père d'André semble être l'opposé de son frère cadet, Doménico. C’est le plus âgé maintenant qui est défini comme étant aride, en parole et en écriture, taciturne (p. 33), d’une franchise extrême, doctrinal et distant. Il prétend avoir toujours été un homme authentiquement religieux, précisant qu'il était « catholique, apostolique et romain » (p. 185), en ce sens qu'il ne partageait pas les (non)croyances des nouvelles religions chrétiennes néopentecôtistes qui commençaient à être présentes au Cap-Vert. La liste des livres qu'il aurait lus tout au long de sa vie ne fait qu'attester de sa religiosité normative et doctrinale : les hymnes et les prières de la Cartilha, le Compêndio da Doutrina Cristã, la Bíblia Sagrada, A Chave do Céu et A Prática da Oração Mental (pp. 187-188). À une autre occasion, la figure du père est dite revêtue d'un silence d'église (p. 33), car il ne sourit jamais (p. 34). À son tour, son frère cadet, Doménico, est sentimental, expressif, « un homme facile à vivre avec un sourire ouvert » (p. 34), « un grand conteur d’histoires » (p. 124).
Dans l'intrigue racontée par Germano Almeida, il y a une autre inversion qui souligne le champ d'opposition entre les frères. En raison de l'opposition entre les frères de la génération aînée, la relation entre les neveux et les oncles devrait être marquée par une extrême intimité, informalité et proximité, ce qui la différencie de la relation avec le père, marquée par le respect extrême, la déférence et la distance physique et sociale. C’est le cadre que l’on retrouve traditionnellement dans les sociétés lignagères de l’Afrique continentale et dans l’univers paysan patriarcal existant à Santiago. Cette différence est encore plus prononcée dans les sociétés qui mettent l’accent sur la filiation paternelle et où l’oncle en question est du côté maternel. Et en fait, bien que ce ne soit pas une société de lignage, on observe au Cap-Vert la coutume de traiter les oncles (dans ce cas, des deux lignées) avec plaisanterie.21 C'est ce qui s'est passé entre André et Doménico avant que le neveu n’émigre au Portugal. Mais la passivité de sa conduite dans les premiers jours de son retour était si offensante pour les mœurs locales qui exigeaient une revanche immédiate, que même l'oncle Doménico n'accepta pas qu'André le traite avec proximité, liberté et affection, et devint ensuite une sorte de père, un parent qui devrait être traité avec une distance et une formalité frisant l'évitement.
L'étrangeté d'André après trois ans passés au Portugal et son manque apparent d'adhésion aux valeurs traditionnelles agissent comme des éléments perturbant temporairement le système. Mais la source de la perturbation la plus intense réside dans les attitudes de João, qui enfreint les règles de la culture sans jamais avoir émigré. Le narrateur dit de lui :
André et João avaient été élevés dans le principe général selon lequel un membre plus jeune de la famille ne devrait en aucun cas être autorisé à oser réfuter un plus âgé, mais particulièrement dans le devoir spécial qu'un fils devrait toujours rester respectueux et obéissant envers le parent, n'osant jamais élever la voix devant lui ni se trouver dans le droit de contredire ses ordres. Or, dans tout le village, João était le seul fils à avoir ouvertement remis en question ces principes sacrés (pp. 43-44).
Si le conflit qui se présente à la surface de l’histoire est ce qui se déroule entre les deux frères et s’accentue jusqu’au fratricide, la tension sous-jacente réside dans la relation entre João et son père. Il est le seul dans tout le village à rompre avec le principe sacré de l'autorité de fer du géniteur et des anciens en général. C’est João qui en tout défie le père et les traditions ancrées de la vie villageoise. Il l’a toujours regardé avec une attitude provocante et avait grand plaisir à se disputer avec lui uniquement pour s'y opposer (p. 43). João disait clairement que son père était en train de perdre la raison en « voyant les démons de ses livres parmi les gens de la famille » (p. 43). Il a été le seul à avoir ouvertement réprimandé le mariage forcé d'André, lui conseillant même de ne pas se marier (p. 56). João a ouvertement manqué de respect envers son père, l'appelant publiquement « meurtrier de pute » et lui imputant la responsabilité de sa mort. Il compléta la bévue en disant : « c’est toi qui m’as tué, tu es un chien du diable qui doit encore mourir lépreux, mais je te verrai pourrir et te tourmenter dans la vie » (p. 164). Et ce n’est pas seulement en relation avec son père que João a renversé les principes de la culture paysanne de Santiago. Sa relation avec l'oncle Doménico n'était pas non plus attendue culturellement. L'oncle ne permettait aucune plaisanterie ou proximité de sa part, contrairement à ce qu'il faisait avec André. En outre, la tension entre le plus jeune fils et le père transparaît dans l'interprétation des agents publics chargés du procès. Il semble qu'ils aient vaguement partagé l’idée selon laquelle, dans tout le processus, il n'y aurait pas eu une seule mais deux victimes : João et André. Le père, et avec lui la voix publique du village, aurait incité le fratricide (p. 35).
Enfin, le prétexte même de toute la tragédie, la prétendue relation de João avec Maria Joana, a également ses contours d'inversion. Seulement, cette fois c’est sur le plan des relations entre les sexes. Dans tout le récit de Germano Almeida, il est suggéré que le contact avec Maria Joana déshumanise et bestialise les hommes. Le père dit qu'il a surpris les deux dans la botte de foin, l'espace du foyer plus proche de l'espace animal que de l'homme. Le père de Maria Joana, lorsqu'il vient négocier avec le père d'André en vue de leur mariage, déclare que la fille faisait le travail des hommes, lorsqu’elle apportait de la paille pour les animaux et les nourrissait (p. 54). Après son retour, les rencontres d'André avec sa femme ont eu lieu dans une grotte, un espace brut de la nature, non apprivoisé par la culture des hommes. La conscience ou la méfiance de la trahison lui parvient lorsque, sur une suggestion de bestialité, il caresse sa vache, Bonita. C’est en voyant sa femme dans sa vache et en faisant peut-être à sa vache ce qu'il était censé faire à sa femme qu'André commence à prendre conscience de son rejet, de sa honte et de son déshonneur. Enfin, dans la scène de la ruelle, peu avant d'être poignardé par André, João déclare qu'il « avait déjà monté sa femme et était sur le point de tuer André, afin qu'il puisse continuer à la monter » (p. 83),22 dans une claire animalisation de relation avec les femmes.
Il est très intéressant de noter que la conduite des deux femmes dans le roman est une inversion de leur comportement dans la vie réelle au Cap-Vert. Elles sont passives, sans le don de la parole et de toute autre décision. Toute tragédie est le sujet exclusif des hommes et il appartient aux femmes de prier (dans le cas de la mère d’André) ou d’être montées ou possédées par des hommes (dans le cas de Maria Joana). C'est comme si le roman matérialisait dans le plan narratif l'idéal jamais atteint de cette société patriarcale, où les femmes des hommes embarqués sont comme les femmes d'Athènes, veuves de maris vivants dans l'attente éternelle d'un retour qui ne viendra pas, souffrant quotidiennement de rumeurs malveillantes sur leurs péchés. Et ce n’est pas seulement une figure de style qui révèle la réalité dramatique construite par les rumeurs. Parmi ceux qui restent, la perception que les émigrants sont comme des morts est ancienne et, dans une certaine mesure, répandue. À la fin du XIXe siècle, il était courant chez les paysans cap-verdiens que toute personne qui se rendait en Guinée fût rayée du répertoire des êtres vivants, car sa mort était une certitude. Dès le départ de l'infortuné, ses proches commençaient à porter le deuil, faisant même célébrer une messe du défunt et à chanter des litanies chez lui (Trajano Filho, 2014: 49).23
Si nous étions dans un village isolé d'Afrique continentale, il ne serait pas du tout scandaleux pour André d’être remplacé par son frère comme mari de Maria Joana, compte tenu de son statut d'absent-mort. Et une fois confirmé qu'André n'était pas décédé et que celui-ci avait eu connaissance du mariage sous le lévirat de son frère, il aurait beaucoup de choix, sans avoir nécessairement besoin de la mort de son frère. S'il avait émigré en Europe ou en Amérique et y avait passé de nombreuses années, deux morales différentes agiraient pour éviter la tragédie : une morale primordiale et essentialisée, typique du monde des corporate groups de villages, dans laquelle le lévirat joue le rôle de force positive pour maintenir le pouvoir de reproduction du descent group; et une moralité individualiste et égalitaire qui met tout l'accent sur la liberté de choix des personnes. Voilà une situation paradoxale, bien au goût de la dimension que j'appelle culture populaire. Mais le village cap-verdien dont André était parti n’était pas l’Afrique continentale imaginée par les anthropologues ; il n’y avait plus de groupes fondés sur l’unifiliation qui étaient corporate, il y régnait un sentiment d’honneur (individuel et familial) qui exigeait qu’André affronte « avec la dignité de l'homme le résultat irréfutable que tout le monde savait inévitable » (p. 13). C’est un village qui a développé un sentiment de grande honte comme on peut déduire par les mots du narrateur : « dans une promiscuité dégradante, André continuait à vivre tranquillement avec son propre déshonneur et celui de sa famille » (p. 13). La défense du prévenu est même allée jusqu'à affirmer, au cours du procès, qu'André aurait été « un instrument d'exécution d'un mandat populaire irrévocable » et que le non-respect de ce mandat serait une atteinte aux valeurs qui sont au-dessus et au-delà de sa conscience, telle que la sentence serait le mépris éternel de la communauté (p. 13).24
Les rumeurs, en fait, empoisonnent les relations entre voisins et, d’une certaine manière, exercent un certain contrôle sur la conduite des femmes. Selon le modèle implicite de ces récits populaires, les hommes se voient idéalisés comme des chefs de famille dotés du pouvoir de vie et de mort sur les femmes et les enfants. Pour reprendre les mots de l'oncle Doménico, « c'était trop de langue pour rester comme ça » (p. 19). Cependant, la dure réalité de la vie paysanne est que les familles sont principalement matricentrées.
La littérature sur la famille cap-verdienne est volumineuse et marquée de polémiques, mais en général les familles paysannes de Santiago sont sous-représentées dans ces études.25 La famille représentée dans le roman est proche du modèle d'une famille nucléaire monogame d'inspiration chrétienne et européenne. Rien dans le roman ne suggère que le père d'André et João ait eu plus d'enfants avec d'autres femmes et encore moins que leur mère ait eu d'autres enfants avec d'autres pais de fidju que son mari, ce qui est très courant chez les paysans, qu'ils soient riches ou non.26 En fait, le modèle de famille et de conjugalité proposé dans le texte de Germano Almeida est très rare dans la société cap-verdienne, étant limité aux couches urbaines très européanisées des strates moyennes supérieures. Dans le monde rural, les hommes issus des familles de grands propriétaires fonciers n'aiment certainement pas les unions monogames. Bien qu'ils aient souvent une épouse principale avec laquelle ils contractent un mariage religieux, ils entretiennent plusieurs relations plus ou moins durables dont naissent des dizaines d'enfants. Les enfants nés hors mariage bénéficient rarement d'une reconnaissance légale, mais une partie d'entre eux sont socialement reconnus selon des pratiques culturelles telles que le parrainage ou toute autre forme d'incorporation dans la maison et l'entreprise du morgado. De telles pratiques produisent un large éventail de clients et d’adhérents qui s'ajoutent au patrimoine des grands propriétaires, augmentant ainsi leur prestige et leur pouvoir. Les paysans aisés, comme le père d'André, ont des enfants avec plusieurs femmes des couches inférieures, et peuvent ou non être liés à l'une d'elles de manière plus stable et durable, mais ils contribuent de manière très précaire à l'approvisionnement économique et social de leur progéniture. Les autres hommes sont en relation avec les mêmes femmes et ont des liens encore plus faibles avec leurs enfants et leurs compagnes. Ainsi, les enfants nés de ces relations grandissent dans des familles qui s'organisent autour de la mère (et de la grand-mère), la présence physique ou affective des figures paternelles étant pratiquement inexistante.
Le modèle de famille le plus répandu en milieu rural attribue l'autorité familiale à la figure du mari-père, mais à un coût social élevé, car l'autorité patriarcale générée par ce modèle n'est rien de plus qu'une chimère. Elle ne se laisse pas montrer en action et se consolide rarement dans des familles concrètes, car ces dernières ne peuvent pas compter sur ses membres masculins adultes. Au lieu du père ou du mari absent, le soutien familial est centré sur le lien mère-enfant, avec la particularité que la maternité sociale dans ces contextes de grande précarité économique nécessite presque toujours la conjonction de deux générations de femmes (mère et grand-mère). Cela tient en partie aux faits suivants : traditionnellement, c’étaient les hommes qui émigraient (une image qui a considérablement changé au cours des vingt dernières années), les unions conjugales avaient une nature procédurale et les hommes y étaient incorporés en tant que maris seulement dans la phase finale du cycle de développement du groupe familial (quand ils le faisaient), les pratiques polygyniques étaient courantes dans une société organisée territorialement dans des paroisses très dispersées. Cela faisait circuler les hommes dans les ménages, plaidant pour une autorité qu’ils n’exerçaient pas au quotidien, tandis que les femmes, dotées d’une grande autonomie économique, menaient la vie de famille et exerçaient un commandement qui, selon un idéal patriarcal jamais atteint, aurait dû être en d'autres mains.
Il est difficile de comprendre pourquoi un observateur si attentif de la vie sociale, comme le sont les auteurs de fiction en général, a décidé de dessiner la famille centrale de la tragédie de manière à ressembler au modèle eurocentrique et non aux couleurs arides du paysage paysan. C'est peut-être parce que la famille nucléaire monogame est le seul modèle disponible localement et que toutes les pratiques familiales en sont perçues comme une perturbation ou un éloignement. Une autre raison plausible et pas tout à fait inattendue serait la projection dans le monde paysan du modèle familial des groupes urbains éduqués et européanisés, dont fait partie le multiple Germano Almeida (auteur, narrateur, promoteur). Toujours dans les limites d'explications raisonnables, il se pourrait que la famille d’André soit en fait une exception dans ce milieu. Peut-être qu'un père-mari extrêmement chrétien, comme on l'a déjà observé, pourrait amener son groupe familial à différer de la plupart des familles, mais il y a de nombreux signes intratextuels qui nous informent que dans tout le reste le patriarche se conformait aux usages et coutumes de son village.27
Dans tous les cas, c’est dans cette société d’idéologie patriarcale et de structure matrifocale que le refus initial d’André d’assumer le rôle idéal d’homme qui porte l’honneur de la famille et qui a le pouvoir de contrôler la vertu des femmes (épouses et sœurs) a entraîné son bannissement et son traitement comme un chien par la communauté et sa famille. L’exercice fondamental de la nature humaine, qui est le don de la parole, lui a été refusé pendant vingt-et-un jours. Seuls João et Maria Joana, les perturbateurs de l'ordre social, ont échangé des mots avec le mort-vivant revenu de l'émigration. Et la sanction collective a été si intense que même les nouvelles valeurs incorporées dans les trois années d’expérience de la vie urbaine au Portugal n’ont pas été assez fortes pour éviter cette chronique de la mort annoncée. Même son éducation relative et son exposition à la modernité ne lui ont pas donné les moyens de résister au bannissement non déclaré (pp. 127-128). Cette sanction collective est si forte que même João, celui qui enfreignait toujours les règles locales, s’est subordonné à elle et s’est laissé conduire comme un mouton dans la ruelle où allait commencer son exécution. Et en se permettant d’être immolé par l’esprit collectif de vengeance d’honneur, João a engendré un André respecté et respectueux, un véritable enfant de la communauté.
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Cela nous amène à réfléchir au pouvoir de transformation de l'expérience migratoire dans l'univers social de ceux qui restent. L’agentivité et le potentiel de transformation des migrants ont été un sujet précieux pour les sciences sociales. En général, ils sont perçus comme des facteurs de changement et une cause de rupture dans la vie de ceux qui restent au pays. Ce n’est pas le lieu de discuter cette littérature, mais je dois rappeler que, dans la version traditionnelle des études sur les migrations internationales, le migrant est presque toujours un être liminal qui a rompu les liens avec sa communauté d’origine sans pour autant acquérir les compétences nécessaires pour opérer pleinement dans le nouveau lieu dans lequel il vit. Dans la version contemporaine des études transnationales, il est souvent représenté comme un voyageur hybride qui, divisé entre plusieurs appartenances à plus d'un territoire, subvertit les dogmes de l'État-nation et les valeurs primordiales des communautés locales.
Cependant, les évidences que j'ai rassemblées dans mon travail avec les paysans de Santiago suggèrent que le flux d'émigrants cap-verdiens et les choses qu'ils envoient dans leurs communautés d'origine contribuent davantage à encourager et à inciter au maintien des valeurs et des pratiques traditionnelles qu’à introduire des changements ou provoquer des ruptures dans leurs communautés d’origine (Trajano Filho, 2009, 2012). Quelque chose de similaire est présent dans l'histoire de Germano Almeida. Les nouvelles valeurs acquises dans l'émigration par André n'ont pas duré une semaine, avant de commencer à s'effondrer. Et en vingt-et-un jours, une tradition essentialisée dans la vision des agents publics qui ont présidé au procès d'André, pour le meilleur ou pour le pire, a fait valoir le poids de leur main. Cela me semble contredire les études transnationales qui soulignent le potentiel de changement apporté par les émigrants. Mais, si on suit la pensée de Lisa Åkesson (2015), on voit que la capacité des rapatriés à induire des changements économiques dans leur pays d'origine dépend de certaines contraintes sociales, ainsi que de certains traits de leur psychologie individuelle et enfin du hasard. En ce qui concerne les contraintes sociales, l'auteure note que les rapatriés doivent rentrer avec un certain capital économique accumulé qui, en raison de leur faible qualification professionnelle, nécessite beaucoup de temps d'émigration. En outre, ils doivent avoir acquis un certain capital social à l'étranger, comme l'apprentissage de nouvelles techniques, des pratiques professionnelles et des connaissances générales, ainsi qu'un certain capital culturel au-delà de ce qu'ils avaient lors de leur migration.
L'histoire racontée dans Os Dois Irmãos ne fait pas référence à la capacité d'entrepreneuriat économique du rapatrié André. Elle a pour thème la fragilité des valeurs modernes qui lui ont été inculquées au cours de ses trois années de vie à Lisbonne. Vingt-et-un jours, c’est le temps qu’il a fallu à André pour tuer le frère qu’il aimait tant, poussé par l’irrésistible force de l’opinion publique et enivré par l'alccol des tavernes de la ville de Praia. Ce mode de fonctionnement des valeurs dans l'univers paysan est pleinement compatible avec la structure de reproduction de la société créole qui a émergé dans l'archipel à partir de la rencontre entre Portugais et Africains. Il exprime une identité profonde entre la syntaxe culturelle créole et celle de la culture politique panafricaine. J’argumente que l’émigré qui revient ou qui envoie de l’argent et des cadeaux à ses proches représente, dans le domaine de la reproduction sociale, l’équivalent créole des hommes de la frontière dans les sociétés africaines (Kopytoff, 1987). Il est le produit des mêmes forces structurelles qui en Afrique, pour des raisons historiques et des motivations ethnographiques différentes, poussent les gens à quitter leurs communautés. Et là comme ici, selon le modèle des frontières, il cherche à reproduire un mode de vie préexistant. C’est pourquoi sa capacité à adopter de nouvelles valeurs dans son pays est limitée.
Inspiré par Meyer Fortes (1974), je pense que l’histoire racontée nous dit que la tragédie vécue par André est associée à une certaine conception du devenir qui a pour modèle primordial le mythe d’Œdipe.28 Cela a du sens grâce à la catégorie cosmologique Destin, qui opère presque partout dans le monde et pas seulement parmi ceux qui prétendent être des héritiers de la tradition grecque. La tragédie qui accable Œdipe ne résulte pas d'une faute ou d'une erreur de lui (le parricide). Son acte est commis par inadvertance, il est littéralement contraint de le commettre par une force dont le fonctionnement dépasse les connaissances et la volonté de l'homme. C'est « une puissance impersonnelle, supérieure à la fois aux hommes et aux dieux, image […] du pouvoir de la nature exerçant sa nécessité et sa loi » (Fortes 1974 : 44). Mais cela fait aussi partie de ce stock de biens et de maux qui lui a été réservé dans la vie. En ce sens, le destin d'Œdipe est aussi l'un de ses dons naturels, comme sa beauté et ses talents, et ce don est en partie déterminé par le destin de ses parents, car la vie du fils est un prolongement de la vie de ses parents.29 Comme dans la tragédie d'Œdipe, André ne pouvait rien faire pour se débarrasser de son devenir tragique et prédit. Tout le monde le savait : lui, João, Maria Joana, le père et la mère, tout le village. Le destin d'André le conduisait irrévocablement à remplir le mandat populaire et à tuer son frère, ce qui était en partie déterminé par le sort de ses parents, par le silence de sa mère et par la vie austère et intransigeante régie par la religiosité doctrinale de son père.
Cette vision fataliste du devenir et cette perception essentialisée et naturalisée de la culture et de la tradition, qui semblent à l’abri du changement, sont des caractéristiques chères à la dimension de la culture populaire dans sa lutte récurrente pour affirmer son authenticité dans un monde en perpétuelle mutation. Il s’agit d’un monde rempli de contradictions aiguës qui paradoxalement créent des banalités menaçantes et mettent en suspension, quand elles ne remettent pas en cause, toutes les authenticités dès qu'elles sont affirmées. Du point de vue de la culture populaire, il est courant de percevoir la culture et la tradition comme des entités statiques qui promeuvent des devenirs décrits comme des destins annoncés et irrémédiables, soulignent des valeurs jugées immuables, entraînent des résultats irréfutables et inévitables, créent des mandats populaires irrévocables et punissent avec un mépris éternel ceux qui ne s'inclinent pas devant elles. Ainsi, les meilleurs exemplaires de culture populaire (les plus « authentiques ») représentent et évoquent toute la culture d’une collectivité. Ces mondes imaginés, dotés d'une intense aura d'authenticité, sont tellement essentialisés et naturalisés que l'idée de culture (au pluriel) qui les sous-tend semble ressembler fortement à celle de race (également au pluriel) - une entité culturelle située en dehors de la culture. Dans ces mondes imaginés, les différences seraient pratiquement insurmontables. Du point de vue de la culture populaire, la race, la tradition et la culture elle-même sont des forces primordiales, immuables et fatalistes, dont les impératifs doivent être respectés. Les destins décrits dans le texte de Germano Almeida sont œdipiens, produits de dispositions situées au-delà des individus, sur lesquels ils n'ont aucun contrôle. Et les moments de liberté prévus par Fabian (1998) pour la culture populaire ne sont ici que de brefs moments. Dans le cas de Os Dois Irmãos, il a duré exactement vingt-et-un jours et vingt-deux nuits.
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Depuis le milieu des années 1980, l'anthropologie a connu tant de tournants que tout pratiquant qui a les pieds sur terre peut avoir vertiges et nausées. Ces tournants sont littéraires, linguistiques, réflexifs, existentiels, affectifs, ontologiques ... Il y en a eu plus d'un par génération, de sorte qu'il est improductif de les considérer comme l'expression de conflits intergénérationnels. Heureusement, le souvenir chaleureux et affectueux du bel album Turn, Turn, Turn, du groupe californien The Byrds, aide à faire face à la nausée.
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Certes, il y a des exceptions. Pour me limiter à la tradition francophone, je souligne que certains de nos ancêtres ont accordé beaucoup d’attention à leur qualité d’écriture. L’Afrique fantôme (1988) de Michel Leiris et Tristes tropiques (1955) de Claude Lévi-Strauss en sont, probablement, les exemples les mieux connus. Mais voir aussi L’Afrique ambiguë (1957) de Georges Balandier.
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Voir Martin (2000: 174), qui montre comment l’activité culturelle est ourdie par des fils qui joignent la production matérielle à la production du plaisir de créer et dont jaillissent la fierté, l’estime de soi et la dignité. Il faut dire, cependant, que Martin n’utilise pas la notion d’authenticité. En réalité, il me semble très réticent à l’égard de cette idée.
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Inutile de dire qu'avec cette remarque, je n'attribue ni ne retire de valeur esthétique au roman en l'associant à la littérature populaire, comme on pourrait s'y attendre lors d'une lecture plus conventionnelle de l'idée même de culture populaire. Malgré cela, je remarque que Os Dois Irmãos n’est certainement pas le roman le plus heureux de Germano Almeida.
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Sur la relation tendue entre les récits écrits du monde officiel, tels qu'ils se retrouvent dans les textes juridiques et les documents officiels, et les formes orales de récits populaires, les rumeurs et les proverbes, voir Trajano Filho (1993).
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Il n'y a rien de nouveau à ce sujet. Les exemples d'anthropologues utilisant les outils de la discipline pour examiner des textes littéraires ne manquent pas. Mary Douglas (1966) et son analyse des abominations du Lévitique peut déjà être considérée comme un classique. Da Matta (1979), et son essai sur Augusto Matraga, idem. Des exemples plus récents sont les textes de Muller (2008) sur Tristan et Iseut Isolde et El Far (2014) sur A Moreninha.
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Je ne crois plus qu'il soit nécessaire de dépenser de l'encre pour justifier une telle perspective. Depuis que Geertz (1983) nous a rappelé que nous sommes tous des indigènes maintenant et que Velho (1981) nous a exhortés de traiter sérieusement les interprétations des spécialistes du social qui ne sont pas liés aux sciences sociales (journalistes, poètes, romanciers, musiciens, cinéastes, etc.), il me semble qu'il n'est pas du tout controversé d'utiliser le matériel ethnographique d'autrui pour faire de nouvelles lectures sur le réel. Worsley (1956) et M. G. Smith (1956) ont remporté le prestigieux Curl Bequest Prize Essay ré-analysant le matériel Azande et Tallensi produit respectivement par Evans-Pritchard et Fortes. La différence est que dans ces cas, les sources originales étaient des personnes du panthéon anthropologique alors que dans mon cas, c'est un conteur professionnel.
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L'émigration réelle ou son désir imaginaire font partie d'une phase de la biographie culturelle des Cap-verdiens (Åkesson, 2004).
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Cela a été montré dans de nombreux travaux sur la culture populaire en Afrique. Voir, par exemple, Mallet (2009) sur le tsapiky, un genre musical qui a été développé dans le sud-ouest de l’île de Madagascar depuis les années 1970. Produit d’un tourbillon d’influences, ce genre est apparu dans un lieu qui a toujours été un centre d’échanges commerciaux historiques et qui représente bien la logique du métissage et de l’interpénétration entre le rural et l’urbain.
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Voir Fabian (1978, 1990, 1998), Collins (1992), Martin (1995), Gondola (1997), Akyeampong (1996), Cole (1997), Barber, Collins and Ricard (1997), Larkin (1997), Plageman (2012) et Trajano Filho (2018). Outre le travail des historiens et des spécialistes des sciences sociales, il est intéressant de noter que les écrivains traitent également de manière réflexive de la tension créée par l’interaction mutuelle entre le nouveau et l’ancien, le monde des villages et des villes. Pour rester dans la littérature africaine en portugais, je renvoie le lecteur au roman de Paulina Chiziane (2002) intitulé Niketche: uma história de Poligamia.
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Voici un autre indice de l'affluence d'André et de sa famille. Malgré le travail acharné de l'industrie de la construction, André ne manquait pas de ressources pour se procurer un billet d'avion, ce qui était très coûteux dans les années 1970. La décision de retourner au Cap-Vert pour découvrir ce qui arrivait à la famille et de reprendre ensuite la vie dans l'émigration suggère que André, contrairement aux émigrants les plus pauvres, qui sont illégaux et ne peuvent donc pas rendre visite à leurs parents dans leur pays d'origine, au risque de ne plus pouvoir rentrer à l'étranger, appartient à une famille avec des ressources.
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Dans la culture lexicographique et autoritaire de l’État, où la vérité matérielle et ultime des faits est recherchée, l'avocat de la défense affirme que ce serait João qui aurait, de façon préméditée et délibérée, défié André de le poignarder dans le but de le tuer pour voler sa femme (p. 41-42). Son argument, cependant, ne l’a pas emporté, et la vérité officielle de l’affaire est qu’André a affronté son frère, a commis le crime d’homicide et a été déclaré coupable. Curieusement, la vérité matérielle s’aligne ici parfaitement avec la volonté publique. En revanche, la culture populaire, dans le cas du texte en cours d’analyse, voit tout cela avec beaucoup de sarcasme, comme on peut le voir dans les constructions plutôt caricaturales du juge, du procureur et de l'avocat de la défense.
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Outre l'analyse de Turner (1969), voir aussi celles de Schapera (1927), Evans-Pritchard (1956), Lienhardt (1961), Brain (1969), Southall (1972) et Peek (2011). Il convient également de mentionner les travaux sur les jumeaux dans le contexte des arts visuels, en particulier de la sculpture africaine. Voir Houlberg (1973), Imperato (1975) et Drewal & Drewal (1983).
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Dans une monographie classique décrivant le système de parenté et la structure foncière d'un village ceylanais où la terre est rare, Leach (1961: 107) a montré que les frères coopéraient rarement les uns avec les autres en raison de rivalités concernant la propriété parentale. Là, le principe de l'unité du groupe de siblings n'aurait qu'une expression formelle et rituelle et il ne serait pas un fait de la vie quotidienne. Voir aussi Gluckman (1963: 185-186) pour la rivalité entre frères (et sœurs) parmi les Zoulous.
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Le cas Ndembu, analysé par Turner (1957), illustre très bien l’importance des liens qui unissent frères et sœurs dans une société divisée entre le principe matrilinéaire de la filiation et la règle virilocale de la résidence post-maritale.
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La littérature anthropologique sur les relations de plaisanterie est volumineuse. Je ne souligne que le classique article de Radcliffe-Brown (1940), qui sert encore aujourd'hui de référence à la discussion.
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« Monter une femme » ici est une expression péjorative pour désigner un rapport sexuel entre humains. Ainsi, on couche avec une femme comme on monte à cheval.
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La preuve textuelle indirecte et complémentaire de cette croyance se trouve dans un passage dans lequel le narrateur note que, tout au long du procès, le père appelle João « la victime », comme si son nom avait été « complètement effacé de sa mémoire » (p. 61), et dans le passage déjà mentionné où il est affirmé que le père s'est habillé en noir, gardant la maison « comme celle de quelqu'un dont une personne de la famille est décédée et qui est censé recevoir les condoléances » (p. 208).
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Comparer les événements de l'histoire racontée par Germano Almeida avec ceux du récit de Paulina Chiziane (2002) apporterait certainement des fruits analytiques intéressants. Dans le roman mozambicain, le mari de la protagoniste est déclaré mort (par erreur) et la famille du mari supposé décédé revendique ses droits à la veuve en la livrant au frère du défunt dont elle tombe enceinte. Du point de vue de la tradition, du groupe familial et même de la veuve, le lévirat est vécu comme prévu et avec force d’intégration. Du point de vue du mort supposé et, d'une certaine manière, de la veuve, le lévirat est vu comme une tension, un motif de conflit entre deux frères, sous la forme de jalousie qui monopolise des affections et qui est caractéristique de l'honneur dans les systèmes patriarcaux où règne une certaine forme d'individualisme, et, du point de vue de la veuve, une contrainte sur son autonomie individuelle, son pouvoir de choisir dans la dimension de l'affection.
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C’est le nom donné aux hommes avec qui les femmes ont des enfants sans se marier ni avoir de relations stables et durables avec eux.
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Je rappelle que, dans sa vie à Lisbonne, André attachait peu de valeur aux liens conjugaux. Il vivait avec une autre Cap-Verdienne et se souvenait à peine de la femme qu'il avait laissée à Santiago.
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En amenant Œdipe à l'analyse, je n'ai pas l'intention de reprendre des discussions anachroniques entre anthropologie et psychanalyse, comme pourrait le prétendre un lecteur peu attentif. Je m'intéresse à Œdipe moins pour les complexes psychologiques constitués autour des pulsions sexuelles et plus pour les possibilités d’inscrire le devenir dans les structures sociales. Ce n'est pas par hasard que ma source d'inspiration, Meyer Fortes, est un anthropologue social qui s'est consacré à l'étude des structures sociales et non pas de vedettes de l'anthropologie culturelle américaine telles que Ruth Benedict ou Margareth Mead.
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Tel que les destins tragiques d’Étéocle et de Polynice ont été partiellement déterminés par ceux de leurs parents : Œdipe et Jocaste.
Publication Dates
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Publication in this collection
11 Dec 2023 -
Date of issue
2023
History
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Received
08 Nov 2023 -
Accepted
16 Nov 2023