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Le retrait et l'action: (Marx et Hölderlin)

Abstracts

Dans une discussion qui s’établit à partir de Hölderlin, Hegel et Marx, l’auteur réfléchit sur les liens entre la poésie, la pensée et le langage dans leur rapport au problème de la réalité.

Poésie; Pensée; Hölderlin; Hegel; Marx


In a discussion established through Hölderlin, Hegel and Marx, the author reflects on connexions between poetry, thinking and language in its relationship with the problem of reality.

Poetry; Thinking; Hölderlin; Hegel; Marx


Em uma discussão estabelecida a partir de Hölderlin, Hegel e Marx, o autor reflete sobre os laços entre a poesia, o pensamento e a linguagem em sua relação com o problema da realidade.

Poesia; Pensamento; Hölderlin; Hegel; Marx


Le retrait et l'action (Marx et Hölderlin)1 1 Ce texte est un extrait d'un gros ouvrage à paraître en 2008, intitulé La Démonstration de la poésie.

André Hirt* * É doutor em filosofia, professor de filosofia de cursos preparatórios para as a École Normale Supérieure e Grandes Écoles. É tradutor de Walter Benjamin (Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, 1985, em colaboração com Sybille Muller) e tem vários livros publicados, entre os quais Baudelaire, l’Exposition de la poésie (Kimé, 1998); Versus, Hegel et la philosophie à l’épreuve de la poésie (Kimé, 1999); Il faut être absolument lyrique, une constellation de Baudelaire (Kimé, 2000); L’Universel reportage et sa magie noire (Karl Kraus, le Journal et la philosophie) (Kimé, 2002); Musil, le feu et l’extase (Kimé, 2003); L’Étoilement de l’existence (Kimé, 2005); L’Idiot musical, Glenn Gould, contrepoint et existence (com Philippe Choulet) (Kimé, 2006); Le poème de la raison - Descartes (Kimé, 2006) e Le Lied, la langue et l’histoire (La Nuit Sulliver Editions, 2008).

RÉSUMÉ

Dans une discussion qui s’établit à partir de Hölderlin, Hegel et Marx, l’auteur réfléchit sur les liens entre la poésie, la pensée et le langage dans leur rapport au problème de la réalité.

Mots-clés: Poésie; Pensée; Hölderlin; Hegel; Marx.

RESUMO

Em uma discussão estabelecida a partir de Hölderlin, Hegel e Marx, o autor reflete sobre os laços entre a poesia, o pensamento e a linguagem em sua relação com o problema da realidade.

Palavras-chave: Poesia; Pensamento; Hölderlin; Hegel; Marx.

ABSTRACT

In a discussion established through Hölderlin, Hegel and Marx, the author reflects on connexions between poetry, thinking and language in its relationship with the problem of reality.

Key words: Poetry; Thinking; Hölderlin; Hegel; Marx.

La poésie ne fait plus un monde, encore moins le monde. Elle est devenue inconsistante. Il faut toutefois se garder de penser que cette situation est radicalement nouvelle. Car cela fait à présent des siècles que l'on peut porter ce constat. Il est étrange de noter qu'à la fin du XVIIIème siècle et au début du suivant la poésie faisait toutefois l'objet d'une attention très soutenue et de tous les moments, de Hölderlin à Hegel en passant par les Romantiques d'Iéna et Schelling. On se trouvait pourtant dans une période que l'on peut appeler "politique", juste après la Révolution et au moment où, par le truchement de Napoléon, une nouvelle Europe se dessinait, des nations voulaient se constituer et une nouvelle époque économique et sociale était en train de s'installer.

Ainsi, pourquoi, à un moment donné de l'Histoire et de l'histoire de la pensée, la poésie apparaissait-elle avec autant de sérieux, d'évidence et de nécessité à la pensée? Pourquoi constituait-elle l'affaire de la pensée? Si ce n'est qu'elle portait, dans sa venue à la parole et au discours comme dans ce qu'ils ne parvenaient pas à imposer plus fortement, une urgence, une perspective et même une sorte de salut promis à la situation que l'Histoire venait de produire en défaisant complètement un ancien monde.

La poésie devait donc, en quelque sorte, recomposer un monde, refaire autrement ce qui avait été défait, faire ce qui n'avait jamais été fait. La poésie devait devenir une "action". Plus étrange encore, cet investissement d'une tâche de configuration endossait au même moment des formes différentes, parfois même très contradictoires: ainsi la définition hégélienne de la philosophie comme pensée de la scission et du déchirement ne s'harmonise guère avec l'oeuvre de Hölderlin, beaucoup plus discrète, moins sonore et en voie progressive d'extinction et de dérangement au moment même de sa plus haute affirmation. Ce que la philosophie de Hegel parvenait à surmonter dans la pensée et dans la perspective historique par le truchement de la dialectique, la poésie le suspendait encore en marquant toutes ses réserves à l'égard d'un tel surmontement, comme s'il y avait dans la philosophie et dans la seule philosophie un point d'insuffisance ou de réduction de ce que la poésie seule pouvait embrasser. Ainsi se reconstituait une nouvelle fois l'"immémorial différend" de la poésie et de la philosophie, par la victoire de cette dernière sur la parole devenue sinon inaudible du moins très problématique de la poésie.

Pourtant, à la lecture conjointe du poète et du philosophe, on ne peut s'empêcher de constater que l'ambition philosophique de réconciliation des oppositions (individu/société, passé/présent, sujet/objet, sensible/idée, nature/culture, nature/art, imagination/pensée, corps/esprit, etc.) dans une totalité harmonieuse et libre, maîtrisant ses différences internes - c'est au demeurant le projet explicite de Hegel - reprend à sa manière, au grand jour, en tentant de rejoindre le langage de tous, comme sa vérité en somme, la vision très ample de la poésie, elle aussi en désir d'absolu et de totalisation. En somme, l'ambition poétique ne quitte pas la conscience philosophique, parfois sur le mode même de la dénégation (Hegel: la poésie est pensante, mais elle n'est pas la pensée), de la mauvaise conscience (le style et la virtuosité conceptuelle de Hegel, jusque dans ses énoncés tardifs les plus ardus en porte encore la trace, comme des freins que le concept se donne pour contrôler ses énergies). Puissance de la philosophie, on disait à l'époque de "la Science", impuissance de la poésie. La poésie ne serait donc qu'un média moindre pour un même contenu, celui de l'absolu (qu'il s'agisse de la totalité hegelienne ou de la "nature" de Hölderlin, cette dernière désignant moins la nature naturelle que précisément le tout). Plus exactement, la poésie sera registrée à un simple moment de la conscience, celui de l'immédiat et de l'ineffable, celui encore du préconceptuel mystérieux dans le concept (comme dans la "Certitude sensible" de la Phénoménologie de l'Esprit); de même, elle appartiendrait encore et selon une limite infranchissable à la représentation, c'est-à-dire à une connaissance qui ne se serait pas appropriée et intériorisée comme savoir, à une conscience qui ne se reconnaîtrait pas spéculativement dans ce qui se présente à elle, dans ce qui lui apparaîtrait encore comme son autre. En somme, la poésie substantialiserait la différence ou se bloquerait sur ce qui n'est qu'un moment. Inversement, l'opération du concept, qui en vérité est de pénétration de soi dans le moment même de la différence, ne pourra être celle de la poésie. D'où, selon les différentes manières de la considérer, l'impuissance de la poésie, ou bien sa passivité féminine, ou bien encore son immaturité, sa période de latence sexuelle prolongée, son trait enfantin si ce n'est pas sa nature infantile. Il convient donc de remarquer cette victoire de la virilité philosophique, qui signifie aussi sa parenté et son homogénéité avec le cours de l'Histoire.

Du côté de la poésie, comme la confirmation de ce registre d'impuissance qu'on lui impute, on pourrait suivre tout au long du XIXème siècle, pour en rester à cette période, le lexique du manque, du défaut (ce que Hölderlin condense dans le terme de "dürftig", à propos des "temps de détresse" qui seraient ceux de la poésie), de l'impossibilité de la pénétration, à même le désir de la pénétration. Il est vrai que dans l'énoncé de Hölderlin, Pourquoi des poètes en des temps de détresse?, manque et défaut sont imputés aux temps et non directement aux poètes. Toutefois, et selon une logique que partage la philosophie, celle du "besoin de philosophie" comme dit Hegel, là où la philosophie parvient à la réconciliation et à l'abolition de la détresse, la poésie ne serait jamais que la détresse de la détresse, le manque même qui ne saurait combler ce que la situation désire, à savoir la réconciliation. En réalité, la poésie ne saurait consister dans la médiation capable de remédier au trouble, aux manques et aux défauts de l'époque.

Le "manque" est pour la philosophie contemporaine une conditionnalité. C'est ainsi que la Critique de la raison pure s'ouvre sur l'ouverture conditionnée au monde. Les formes de l'espace et du temps seront à cet égard moins à registrer à une finité (par rapport à l'infinité divine) qu'au cadre de la finitude, c'est-à-dire à ce dont la pensée est justement, par-delà la stricte connaissance, l'affirmation et le déploiement infini. Le "manque" est manque à soi, par rapport à sa propre factualité ou facticité, c'est-à-dire absence de raison de cette situation. Toutefois, ce manque, qui est chez Kant une herméneutique de la facticité, est retourné en une nouvelle conditionnalité, qui est cette fois-ci celle du sens. C'est ainsi que la Dialectique transcendantale marque beaucoup moins un désespoir devant ce manque que l'ouverture, et même la révélation à la vérité de la raison qui est de se découvrir comme d'essence pratique, comme ressort de l'investigation du sens. Le manque se retourne non en plénitude réelle, mais en consistance et en énergie de pensée et d'action. La critique hégélienne de Kant, effectuée au nom de l'infini effectif, enchaîne en réalité sur la structure de ce manque en faisant remarquer qu'il n'est que l'écart infini du sujet à lui-même, infinité qui produit dès lors toute sa consistance, sa plénitude et sa vérité. Cet autre qu'est l'infini est le contenu même du sujet. Ainsi, le manque n'est plus que l'espacement même du plein, le plein qui s'espace pour éprouver sa plénitude à travers ses moments de différences nécessaires, dont le défaut n'est tel que si l'on exerce une pensée d'entendement qui immobilise et hypostasie le manque. En somme, le manque se retourne philosophiquement et dialectiquement d'une réalité de moment, certes nécessaire, en une illusion à l'égard du tout du processus. En vérité, il n'y a pas ontologiquement de manque, il n'y a que des différences et des médiations nécessaires d'advenue du Soi à soi. Le manque "philosophique" parcourt la distance qui le mène d'une conscience de sa réalité à son effacement dans une thématique du sens, évalué comme chez Kant, et du plein se déployant comme chez Hegel en sa consistance totale. La raison, finalement, a horreur du manque, comme elle a horreur de points ou de zones qui ne feraient pas sens.

À cet égard, le "manque" de la poésie est d'un ordre tout autre. Son ressort est différent. En effet, en elle le manque est structurel. Il est à la naissance de la poésie et comme sa source. La poésie, en son infinité, si l'on veut bien entendre par là ses élancements, son désir et sa tension vers l'absolu, ne perd jamais contact avec sa naissance, avec son défaut constitutif. La poésie reconnaît toujours en elle son point d'inintelligence, d'impuissance et de désarroi. Ce dont elle se charge et s'estime porteuse est trop grand pour elle. Ce trait psychique de la poésie, dont il serait facile - ce serait en effet une facilité - d'exhiber la dimension pathologique, sauf que cette "pathologie" est constitutive d'un réel, celui-là même qui fait la récurrence de la poésie, son insistance et sa répétition dans l'Histoire, ce trait, donc, est la conscience de la différence, la différenciation indéfectible de la pensée, de l'existence et de la vie. Cette différence va jusqu'à son épuisement dans encore plus de différence. Le devenir moderne de la poésie ne cesse de creuser cette différence. Différence dans l'identité, cela est encore philosophiquement maniable et traitable; mais différence de la différence, ceci, donc, qu'il n'y a que de la différenciation et que cette différenciation est la vie du tout, qui ne se laisse pas totaliser - Hölderlin le nommera "nature", sans doute en mémoire des Grecs, mais peut-être surtout en raison d'une lecture affûtée de Spinoza - dégage la voie à une pensée radicale de la finitude en son infinité finie. Si la philosophie en effet avance une finitude infinie, de manières diverses mais guère si dissemblables que cela, de Kant à Hegel, la poésie, en revanche, se situe dans l'infinité finie. L'infinité du manque, l'infinité de ces points de manques et de défauts. Or l'infinité du fini est la vérité du réel, la vérité du tout et de la "nature". Dès lors "fini" veut dire "infini" (c'est aussi bien l'infini dans le fini que le fini dans l'infini). Et la poésie invente le langage de cette infinité-là, comme Baudelaire et Proust le feront d'une sensation par exemple. Ce qui veut dire, au plus simple de l'expérience et de l'expérience de tout un chacun, qu'il n'y aura d'infini, donc de perception du réel, qu'à la condition de ce langage-là, ce qui constitue déjà une manière de dire, comme ce le sera plus tard, que la "littérature" est "la vraie vie". En d'autres termes, la présence d'une sensation, d'un événement, d'un quelconque qui arrive n'est en rien une illusion, une vanité, mais la poésie est, ainsi que le réel par conséquent, dans le déploiement en puissance de leur résonance, de leur mise en forme sur un plan autre que celui de la temporalité chronologique commune, de la représentation en général et des significations. Lorsque la poésie est engagée, elle déplace ce qui est là, le déforme, le fait éclater comme un bourgeon, l'arrache à sa banalité en en extrayant à chaque fois la merveille dont on ne peut jamais prétendre que ce soit la dernière. Le "manque" de la poésie est celui de la réalité à son réel. Il énonce que le fini n'est pas fini et surtout que l'infini n'existe pas hors du fini, que le fini n'existe pas sans l'infini. La poésie est une thèse sur le réel. C'est cela qu'elle aimerait, si cela se pouvait, démontrer.

Il est à noter que cette période de l'Histoire, disons celle qui s'inaugure avec l'Idéalisme allemand, conçoit dans la pensée la dimension principale de l'offensive et de l'action. Il s'agit d'oeuvrer, de construire, de figurer, de résoudre. Il s'agit en somme du sens qu'il faut recourber sur lui-même et dévoiler en sa signification. Le réel, chez Hegel, est pénétré de part en part par le concept en un acte sexuel qui doit se révéler en fin de compte comme un geste ultime et une preuve d'amour. Toutefois, cet amour est de raison et son lieu propre ne peut être que dans le mariage. Dans la poésie, au contraire, le coïtus interruptus marque l'impuissance, le retrait, le barrage. La scène du IIème acte de Tristan, scène de l'interruption, scène de la venue du jour et du roi Marke, se désole d'un monde de la poésie, de l'harmonie et de la totalité fusionnelle qui ne peut s'effectuer et que le réel force à s'évanouir. A cet égard, Tristan est le constat défait d'un siècle, constat que Wagner cherchera encore et toujours à corriger, avec une obstination admirable et une fidélité à la reconfiguration poético-politique dans le Ring. Mais, plus amplement, l'affaire de la poésie chez Baudelaire n'est-elle pas d'extraire de son temps sa beauté propre, ce qu'il nomme sa modernité, n'est-elle pas de reconnaître dans son temps son désir de beauté (et donc de bonheur), n'est-elle pas d'inscrire l'Idéal dans le réel, n'est-elle pas enfin de sortir la poésie de sa séparation, de ses manques pour la faire entrer sur la scène du Moderne? Toutefois, ce désir d'avancée de la poésie, ce coup de rein que Baudelaire désire lui donner et lui faire porter s'effectue par l'élaboration d'une autre chronologie historique ("les jours heureux" dont parlera encore Proust), par un déplacement de monde, voire par une inversion de ce que le monde de la réalité propose. Et cette tentative d'affirmation, d'avancée et de percée se retourne en impuissance, celle du dandy, en pure contemplation de soi. Mallarmé, quant à lui, parlera d'"action restreinte" dans l'espoir que la jouissance solitaire et la pensée fassent à elles seules le monde. Enfin, Rimbaud placera l'action au coeur de la poésie, mais la "poésie" de l'adulte n'est plus celle de l'enfance; elle est l'action pure, dépassement de la poésie, virilité enfin détachée de ses marques féminines.

Pourtant, c'est comme si en vérité, et malgré tout, la poésie, en sa recherche d'une conjonction sororale de l'action et du rêve, désirait reconstituer un "genre", une "humanité" sexuellement non dissociée et finalement distribuée en vainqueurs et en vaincus. À cette fin, elle ne pouvait plus s'inscrire de manière réformiste dans la continuité historique; elle devait faire rupture par l'essai d'un autre commencement, en retournant l'Histoire.

* * *

La poésie moderne, depuis Hölderlin, n'a pas pu ne pas rencontrer, en son ressort le plus intime, "la politique". Certes, de ce point de vue radical, cette politique est encore infra-politique, une sorte de sentiment de la politique, mais peut-être la poésie s'est-elle ressentie, davantage que voulue, comme une essence agissante de la politique. Cette politique non-positive, plus effective que toute politique mais aussi moins apparaissante, plus secrète, plus fondamentale dans sa puissance événementielle réelle, est perceptible et agissante jusqu'aux détails de l'entreprise théorique et pratique de Marx. Celle-ci, en vérité, est incompréhensible sans la prise en compte de sa charge "poétique". Et sans le moindre doute cela est le plus manifeste s'agissant de l'horizon que Marx se donne, à savoir, par-delà l'Histoire, un déploiement total de l'existence de l'individu générique (Marx la nomme "propriété individuelle", en ce que cette propriété n'est justement ni privée ni collective).

On pourrait en effet repérer et considérer de biens des manières et sous bien des aspects la vérité de cette inspiration. Quant à l'essentiel, il faut noter que tout le registre marxien de l'aliénation - dans la courte période des Manuscrits de 1844 jusqu'à l'Idéologie allemande - est mû par ce qu'on pourrait nommer "le retrait de la poésie". Ce retrait est inhérent et parallèle à l'Histoire moderne. Autrement dit, l'accomplissement de l'aliénation de la subjectivité moderne et de sa dépossession majeure signifie ce retrait "poétique". Les subjectivités sont en effet retirées du monde qui apparaît et s'effectue sans elles, elles sont devenues, à leur corps défendant, totalement passives et malheureusement contemplatives (peut-on dire, au demeurant, purement "philosophiques", si la philosophie est d'une part, selon Marx, contemplative et interprétative comme les Thèses sur Feuerbach le soulignent et y insistent, et, d'autre part, une rumination aporétique du malheur de la conscience face à l'objectivité impénétrable du monde?). La "poésie" ne signifiera, par contraste, rien d'autre que le désir, et finalement la volonté, ce qui suppose une conscience aiguë, d'un mode d'existence actif. Le paradoxe est, à cet égard, que la réactivation marxienne de la poésie reprend précisément la poésie là où elle-même était devenue purement contemplative, en sa réflexion infinie, là où Hegel l'avait abandonnée comme l'Histoire elle-même se défait de ses agents une fois qu'elle les a utilisées, là donc où Hegel l'avait reléguée, comme du reste tout l'art dont elle constituait la fine pointe, soit comme "une chose du passé" qui n'a plus désormais la puissance de constituer un monde.

Dire que la subjectivité est d'essence poétique, c'est dire pour Marx qu'elle est d'essence pratique. Cela suppose qu'elle ne soit plus en extériorité surplombante devant un monde comme une objectivité étrangère, qui procède selon son fatum propre, mais qu'elle rentre dans son essence, à savoir dans son appartenance au monde. En somme, et selon le langage de Marx, qui communique encore avec celui de Hölderlin, la subjectivité appartient à la nature objective, à son processus et à son économie. C'est à sa nature comme à cette nature que la subjectivité a été arrachée. Et lorsque l'on sait que la nature est chez Marx, mais déjà chez Hölderlin, le tout dans l'unité de sa différenciation interne, c'est-à-dire dans son être comme activité, alors on comprend également que la subjectivité est en son essence, c'est-à-dire dans le réel de sa réalité, une puissance productive, poïétique et poétique. Qu'est-ce à dire sinon que la production est autoproduction, c'est-à-dire déploiement de l'existence en son intensité maximale. À cet égard, l'ontologie de la finitude qui est celle de Marx, à travers l'exhibition de toutes les chicanes de l'aliénation, est celle de l'infinité de l'existence. La poésie, devenue la "production" chez Marx, n'est que l'appropriation infinie d'une puissance infinie au sein de la finitude. Et cette appropriation n'est pas celle d'un propre, qu'au reste on ignore, elle est la surprise et la joie même de cette appropriation inépuisable en chacun, en chacun comme tous et en tous comme chacun. Il convient de le dire tout net: si l'existence n'est pas cela, alors elle doit sans fin et sur tous les modes ruminer sa chute, sa condition, sa facticité, interpréter sa finitude finie; alors aussi, elle est en dépendance d'un autre (le tyran, un autre, le Capital...) et cette condition déchue sera le dernier mot de toute philosophie et de toute politique. En un mot, l'impuissance archi-ontologique.

La poésie est autoproduction, dépliage et étoilement de soi, de tout soi comme poïésis praxique, c'est-à-dire comme existence ou être objectif, appartenant à la totalité naturelle par ses besoins. Et tout ce qui est objectif - n'est réelle, au demeurant, que cette objectivité - est un soi qui a à se produire soi-même. Il n'est pas jusqu'à la marchandise inerte, juste en circulation, entassée et proposée au "bonheur des dames", qui ne veuille prononcer les mots de sa production, parole que le Capital ravit en son fétichisme, en sa signification ignorante de tout sens, comme une lettre ayant perdu son esprit, comme une allégorie indéchiffrable. Car sans cette opération de puissance productrice, poïétique, que les vivants humains ont la possibilité de réfléchir, les choses, les besoins n'ont d'être que de nécessité, mais guère d'existence, par conséquent de déploiement de leur contenu ou de leur virtualité.

Cela signifie, en vérité, que chaque soi, chaque subjectivité (ce qui n'exclut guère les choses et même les événements!) n'existe que relationnellement. L'ontologie de la relation, qui est celle de Marx, reprend la différenciation interne de la nature ou du tout de Hölderlin, cet Un qui est dans et qui n'est que dans la différence à soi, de soi et comme soi. Mais cette différenciation est surtout la manière de briser en chaque être l'écorce qui l'individualise et qui le rend proprement impropre, précisément parce qu'il l'écarte, l'expulse même du tout et par conséquent de tout être relationnel. Il n'existe donc pas d'existant qui ne soit étoilé en lui-même, relations dans la relation et relation dans ses relations, cordes tendues comme une lyre, cordes plus ou moins tendues et accordées, sur tel ou tel ton. Et la relation interne de et en chacun est déjà la relation externe, avec les autres êtres. Mais c'est qu'il n'y a guère de soi comme soi, de relation interne ou externe: il y a les relations sur un registre ontologique d'immanence pure. Lorsque Marx dit que "l'essence de l'homme est l'ensemble des rapports sociaux" (Thèses sur Feuerbach), il n'entend pas le social au sens positif, il l'entend au sens fondamental, ontologique et générique. Il l'entend comme étoilement, comme lignes se croisant, comme branchements, comme addictions multiples, comme originarités (mémoires, histoires et traces) et destinalités multiples (productions, devenirs et congruences), relationnelles. Le point décisif est qu'il n'existe d'individuation réellement existante qu'à la mesure de l'intensité de la désindividuation, c'est-à-dire du relationnel et de l'étoilement. Et, surtout, il n'y a d'existence, à son faîte, que par cette intensification dont la possibilité ne réside que dans le relationnel comme seul réel. Marx: "la véritable richesse spirituelle de l'individu dépend entièrement de la richesse de ses relations réelles".*1 *1 (MARX, Karl. L'Idéologie allemande. In: Œuvres complètes, t. III. Paris: Gallimard, 1982. Coll. Bibliothèque de la Pléiade: 1070. ) Et cette richesse, dont il faut noter la nature toute spirituelle, est celle du monde, du monde comme horizon, soit encore du tout de ce que Hölderlin nommera pour sa part "la nature". Il y a là en effet une politique, cette fois-ci une hyper-politique, à la dimension immanente du monde, de la totalité du monde et du seul monde, sans autre monde possible par conséquent qui serait ailleurs ou au-delà, ce qui du reste inscrit cette action dans une infinité finie, dans une ontologie toute nouvelle de la finitude. En vérité, "la politique", toute politique qui échappe à l'arbitraire s'inaugure sur cette puissance d'étoilement qui fait qu'un individu n'est qu'à la condition de sa reconnaissance de son être étoilé. La plus haute existence subjective est celle qui porte le tout dans sa différenciation interne. Cela est poésie, cela exige un langage, cela exige le poète comme l'existant le plus haut.

Si la poésie en sa généricité est entendue ainsi, alors elle est d'ordre matériel: autoproduction, intensification qualitative, richesse, étoilement, tissage... C'est l'existence tout entière, soit l'existence tout court, qui se définit par l'auto-activation. Car, dès lors qu'il y a dépendance, identification et qualification par un autre, depuis un point de transcendance qui assigne et distribue les significations et régule l'action, il n'y a pas d'existence: il y a des choses, précisément le contraire d'une existence. Solitude, isolement, dépossession, pure subjectivité sont les marques de l'aliénation. L'être s'y trouve tellement réduit et rabougri qu'il ne s'ouvre ni ne se délivre plus comme existence, si ce n'est comme existence empêchée, entravée ou détruite. En vérité, l'aliénation n'est jamais qu'une destruction de l'être ou son évanouissement au profit d'une sphère fantastique de choses, d'instruments et d'objets dont les significations ont perdu le sens. Ce dépérissement de l'existence est pour Marx le devenir de l'Histoire. Et celle-ci, à son tour, est le creusement d'une passivité qui enfonce la subjectivité générique, en son appartenance naturelle au tout, dans une subjectivité sans relation, une subjectivité morte.

C'est pourquoi, l'auto-activation, l'action tout court, ou encore l'activité poïétique, enfin la poésie forment l'index d'un réveil de l'Histoire, d'un réveil d'autre chose que l'Histoire, d'un réveil pour une tout autre Histoire. Dans cette mesure, la conscience poétique peut porter le nom marxien de "révolution". Il est vrai que Marx accompagne ce geste, qui est de besoin, puis de désir et finalement de volonté, comme en un parcours de l'élémentaire vital vers l'existence, d'une conscience de la vérité de l'Histoire. Celle-ci est ce qu'elle est devenue, c'est-à-dire un déploiement à l'échelle du globe, de la circulation des marchandises ou du "marché". Cette globalisation est aussi une mondialisation, c'est-à-dire en son infinitisation (Hegel dirait un mauvais infini, car il s'agit d'un processus indéfini sans actualisation de l'infini); elle est aussi, et même surtout une mondanisation, soit une finitisation, une conscience prise de l'inscription finie du monde comme seul monde.2 2 Pour un développement sur ce point, cf. le texte décisif de Jean-Luc Nancy, "Urbi et orbi". In: La Création du monde. Paris: Galilée, 2002. C'est la raison pour laquelle, la révolution marxienne retourne ce devenir historique sur son autre face, celle d'une vérité. Car là où le processus historique et mondial est dirigé par la Capital et constitue une circulation globale des choses et des êtres, mais sans raison autre que sa propre reproduction, la mondialisation doit se révéler comme production humaine, le monde comme travail des hommes, l'existence comme autoproduction. Le point d'inversion d'une reproduction par la contrainte d'un autre en une production de soi par soi réside dans la plus extrême douleur, dans l'aliénation la plus critique. Là où, en somme, le besoin vital est en train de s'épuiser et d'être nié dans un nihilisme généralisé, celui du processus de la reproduction pure, la conscience ne peut émerger que du besoin naturel lui-même, autrement dit depuis la marque d'appartenance des êtres au tout de la nature, qui n'est pas une objectivité, mais l'être en sa seule présence, comme enveloppant tout être singulier et toute existence. Ce qui n'est qu'une autre manière de dire l'inséparabilité de l'homme et de la nature, donc la condamnation de la philosophie comme subjectivisme représentationnel et interprétatif, comme technique extérieure et surplombante de connaissance qui vise à élaborer un dehors en objectivité.

L'inséparabilité des hommes et de la nature, qui, pour Marx, constitue l'index du réel, avait été formulée, à sa manière, par Hölderlin, et dans le même souci d'exhiber la vérité du réel. A celui-ci ne convient pas le terme de substance; de même, il n'est pas possible de le dévoiler en sa pure identité. Le réel est la différence dans l'unité, ce qui exclut d'un côté l'indifférenciation, le clapotis de l'être en tant qu'être indéterminé, de l'autre une représentation objectivée par la puissance de la subjectivité. Marx, comme Hölderlin, rejette l'objectivisme spinoziste hypostasié comme l'idéalisme transcendantal radical. C'est que le réel, ou l'être, est en vérité besoin, relation, c'est-à-dire rapport nécessaire. Il est en quelque façon besoin de nourriture, manque à soi, pure négativité dès lors qu'on en perçoit seulement un pôle. La nature manque à soi comme la subjectivité manque à soi. Il s'agit en somme d'abstractions, de polarités dont la prise en compte exclusive conduit aux catastrophes de la pensée et de l'existence: soit, donc, à une fusion suicidaire dans le grand tout - une sorte de tentation spinoziste qui estime que la subjectivité n'est pas le réel, mais que l'éternité du flux naturel de la puissance est seule consistante; soit à un subjectivisme psychotique qui enferme le monde dans la seule représentation. Dans les deux cas, le réel se soustrait à lui-même. Dans les deux cas, l'infini est logé dans une instance, alors qu'il n'a lieu que dans la circulation qui, en passant, est constituante des pôles. C'est pourquoi non seulement les hommes ont besoin de la nature, mais encore la nature a besoin des hommes. La vérité est dans la tension d'une instance vers l'autre; l'infini est dans l'expression et la manifestation de chaque instance, hors de son caractère substantiel fini, vers l'autre. C'est donc de la plus extrême finitude, pensons aux besoins, que se tire le fil de l'infini, en un immense tissage, en une grandiose énergie. Baudelaire parlera de Dieu comme d'un "immense réservoir d'énergies" au début de ses Fusées, Hölderlin, à un moment donné, a appelé ce tissage très simplement le "divin" ou la "religion".*2 *2 (Hölderlin, Friedrich. De la religion. In: Œuvres complètes. Paris: Gallimard, 1982. Coll. Bibliothèque de la Pléiade: 645-650. )

La spiritualité du divin est manifestée depuis la matérialité des êtres et des choses. Lorsqu'ils se tissent ainsi, lorsque se produisent les étoilements, les êtres et les choses ne s'auto-suffisent plus dans leur stricte identité et leur matérialité, mais produisent en vérité l'esprit. Mais à ce tissage, il faut une parole, une parole de réel et un réel qui soit parole: il faut la poésie. Si la spiritualité la plus intense s'appelle le divin, si par ailleurs elle s'événementialise depuis la plus profonde matérialité, alors il convient de remarquer que le tracé et le phrasé du réel ainsi manifesté n'ont lieu que dans le cadre de la finitude. La finitude dit l'infini qui constitue son réel. Le réel se dit depuis son inscription finie. Et ce dire est celui de la beauté en ce que celle-ci se révèle dans les images, en vérité dans l'événement de l'infini dans et sur le fini, événement incorporel dans le corporel, événement corporel dans l'incorporel.

Qu'est-ce qu'une image, sinon ce qui a beaucoup moins à faire avec l'imagination, au sens strict, qu'avec ce qu'un point de réel devient dans les modalités de ses manifestations? À cet égard, l'image contient la circulation du réel relationnel, la manière chaque fois singulière dont les êtres et les choses se nouent comme s'il s'agissait d'une liaison nécessaire, la manière dont elles s'étoilent et élaborent leurs toiles, la manière dont elles sécrètent et leur manifestation pour elles-mêmes et les mains qu'elles offrent à d'autres mains. En ce sens, une image est une poignée de mains, un baiser, une adresse et un langage. Il y a image lorsque les choses, dans leur solitude et isolement muets se parlent. Si les êtres et les choses sont devenues muettes, si la nature est en effet triste, comme Benjamin l'a souvent fait remarquer, après d'autres, à l'occasion de ses études sur le langage, c'est évidemment parce qu'ils ont été isolés par la représentation, la connaissance et le souci des significations ou des identités. Une image est une parole rendue, la joie de découvrir qu'il y a un autre être à qui parler et qui lui-même entend à sa manière, parle et répond. La vérité de la douleur poétique, inscrite dans la factualité historique de la séparation, réside dans la joie, celle inégalable d'une solitude rompue. Toutefois, cette façon de concevoir une image non imaginaire ou imaginative, ne supprime pas la solitude. Car elle est la finitude indéfectible. Plus précisément, la beauté, puisqu'il s'agit d'elle, non seulement est le lot bienheureux dans le malheur de la finitude - y a-t-il du reste une beauté concevable pour le divin tel que l'entend le monothéisme? Sa beauté réside entièrement dans ses traits de finitude: la peinture catholique, les icônes orthodoxes - mais encore la joie éprouvée, exprimée et dite de la dilatation et de l'extension de l'être sur sa toile. La beauté est dans les nerfs. Toute beauté est la manifestation d'une nervure. Une manifestation de cette sorte n'est au demeurant pas seulement ou essentiellement un apparaître, mais bien plutôt un ébranlement, un branchement dont l'électricité peut fournir le modèle. L'arc, l'éclair et la foudre figés dans leurs mouvements. La beauté nous met dans tous nos états. Justement, tous nos états.

Une telle poésie de la beauté n'est pas si ancienne ou surannée que cela. Le fait, pourtant, que la beauté ne soit plus mise en circulation dans le langage des arts est en lui-même, on le sait bien, un symptôme. C'est pourquoi, il faut voir dans ce retrait de la beauté une opération de la beauté elle-même plutôt que sa mise de côté ou son anéantissement. Certes, il s'agit de la pudeur, de celle qui n'ose même plus se désirer tellement l'étoilement est devenu difficile. Notre temps, sans le moindre doute, connaît un élargissement plus abyssal encore de la scission que celui de Hölderlin. Mais la poésie, si elle existe, est à la mesure de ces gouffres. Du moins doit-elle en être capable, au risque de mentir, de dénier la vérité. La poésie est belle si elle est vraie et elle est vraie si elle est belle, belle jusque dans son voilement ou son retrait. A défaut d'être "belle", la poésie, si elle existe, l'est dans sa sensation et son sentiment, dans son âme et dans son corps, comme ce qu'elle en train de faire et, peut-être, d'effectuer.

Sa beauté tient à la décharge relationnelle, à la puissance de sécrétion dont elle est capable. Car, ce n'est pas le seul concept, ni le volontarisme politique qui sont en mesure de nouer les êtres et les choses, les êtres aux êtres, les choses aux choses. La poésie est souterraine et sidérale, elle fait l'arc entre les profondeurs de la terre et les horizons les plus lointains du ciel. Elle secoue, ébranle les assignations, elle remodèle l'espace et le temps. À ce titre, finalement à l'aune de cette nature, la poésie devient de plus en plus finie, voire ténue, et de plus en plus infinie. Ce qui tient un monde, notre monde qui ne tient plus et ne se tient plus, ravagé de toutes parts par les scissions, externes autant qu'internes, c'est la tenue de la poésie. Elle tient ce qu'elle ne peut tenir, elle tend ce qui ne se peut pas se tendre, elle étend ce qui ne peut s'étendre. Mais, précisément, en cet impouvoir, elle le peut et elle le doit. Elle le doit d'elle-même, depuis elle-même, comme son impératif dont il n'y a nulle autre raison. Il n'existe pas, en effet, d'ordre que l'on pourrait donner à la poésie; nous n'avons aucun moyen ni la moindre légitimité de lui registrer une fonction. Si malgré tout, envers et contre tout, la poésie tient encore, si elle tient encore ne serait-ce qu'à un faible fil, c'est en vertu de son injonction propre, qu'elle ne peut elle-même s'approprier. Bref, c'est parce qu'elle est encore, un peu, et qu'elle veut être, tout, l'existence.

* * *

La poésie est ce que l'on comprend sans le savoir. C'est un de ses traits enfantins fondamentaux. Cette pensée et ce langage de l'enfance, qu'ils soient exprimés en quelque façon ou qu'ils restent informulés, ne sont jamais qu'un régime d'espace et de temps pour le sens et la représentation que le langage des adultes, devenu commun, dévalorise. André Markovicz rapporte que la poésie de Pouchkine avait permis à certains, pendant la période stalinienne, de rester humains, qu'il s'agissait en l'occurrence de la langue de l'enfance, de la possibilité de l'humain alors même que le langage en circulation déformait jusqu'à la monstruosité les choses, les êtres et la vérité. Il faut comprendre que la seule assise à la fois terrestre et spirituelle ne pouvait guère être trouvée dans une réalité autre, plus assurée que celle, cauchemardesque, que le stalinisme imposait, mais dans une ouverture du sens, de la plus élémentaire sensation comme de la pensée, offerte par la poésie.

En contraste, on sait que la poésie n'a sous nos latitudes plus la moindre autorité, si ce n'est celle inquiète, très légèrement culpabilisée, qu'on confère encore à une sorte d'aura mystérieuse, en vérité très crédule et superstitieuse. Le poète et sa figure contiennent peut-être un rapport secret avec la vérité qui nous serait, à nous, profanes, inaccessible. L'enfant, le fou et l'idiot conservent encore une sorte de réserve d'autorité sacrée. Mais ce n'est là qu'une pensée d'un instant, dont le dérangement ne dure pas. C'est qu'en vérité l'affaire de la poésie est plus grave, plus insistante et plus profonde, dans la mesure où l'on doit considérer que notre langage de la signification, qui façonne la réalité, constitue précisément cette réalité comme imaginaire. Cette réalité ou ce monde sont en eux-mêmes, pour nous et en nous, selon l'expression de Kafka, "une mer gelée". À cet égard, le dérangement poétique est moins un dérangement de la poésie que celui qu'elle opère, ou peut opérer de la réalité. La folie est moins ce qu'on regarde que ce qui nous regarde, au point qu'on ne sait pas au juste sur quel pôle elle réside. Lorsque les enfants, les idiots, les animaux ou même les choses nous font face et nous regardent, ils font défaillir les fondements et les règles de notre langage depuis la présence d'un autre langage. Celui-ci n'a pas même besoin de la formulation pour être tel. N'ayant pu faire que le langage soit celui du réel, nous avons fait en sorte que la réalité soit notre seul langage.

Lorsque Hölderlin demande "Pourquoi des poètes en des temps de détresse?", il parle des temps, de l'époque, il parle certes aussi et encore de notre temps qui est dans la détresse (le défaut, la défaillance, les manques de toutes sortes), mais il parle également des poètes eux-mêmes, dont il perçoit avec lucidité le statut plus que problématique. Ce qu'il perçoit, en tout premier lieu, c'est la figure désinvestie du poète: désinvestie comme autorité (pourquoi être attentif ou à l'écoute de sa parole, au nom de quoi? Pourquoi y aurait-il un privilège singulier de cette parole?), désinvestie encore par les autorités qui n'accordent à cette parole aucune autorité (et qui sont ces autorités, si ce ne sont celles incarnées par les adultes, les institutions, la politique, la raison et la philosophie? Dans sa question, Hölderlin adresse bien ses mots, il les prononce dans une interlocution. A qui parle-t-il? Aux pouvoirs, aux autorités, à Hegel surtout, dans une moindre mesure à Schelling?). Reste que la question requiert pour la parole poétique une autorité. Dans tous ses manquements propres, avec la conscience de toute sa faiblesse et de son impuissance, Hölderlin songe à un recouvrement de l'autorité par la parole poétique.

Le désinvestissement dont la parole poétique est l'objet signifie qu'elle est soustraite à une fonction, à un rôle. Peu importe au fond la nature de cette fonction ou de ce rôle, car l'essentiel n'est-il pas que la question portant sur ce qu'il y a de plus faible et ténu requiert pour cet état de défaillance le statut le plus haut, le plus décisif, même et parce qu'il est le plus imperceptible?

Il y aurait donc encore au fond de l'époque, sans trait remarquable, visible ou palpable, une autorité de la poésie. Une autorité malgré les autorités, une autorité sans autorité. Une autorité, en somme, sans ses moyens, pour ainsi dire castrée, sans pouvoir d'institution. Car, en principe, une autorité n'est telle que si elle s'en donne les moyens; c'est la forme de sa contradiction interne. À la manière de la force qui ne peut durer, ni même s'imposer, sans recourir au droit, qui la prolonge et lui confère son efficace, une autorité se doit de posséder un degré minimal de puissance, au moins une arme. Socrate ne possédait rien de cette sorte, mais il avait cependant l'allant, l'énergie d'apostropher et d'inquiéter les pouvoirs en place par son ironie. Son autorité, il la tenait de sa capacité à réveiller le langage, de la force de sa singularité, donc exclusivement de lui-même et de sa puissance d'apparition. Il la tenait plus exactement, en cette puissance, d'une autre puissance ou d'une contre-puissance d'effacement personnelle. C'est ainsi qu'il ne fut pas, comme les sophistes, producteur de langage ou d'institution, mais qu'il s'est mis en situation d'être traversé par le contenu du langage. Avec Socrate, ce n'est pas le langage qui fait autorité, mais ce que porte le langage. En vérité, l'autorité de Socrate lui vient de ce qu'il porte ce qui ne lui appartient pas, à savoir la vérité. Sans doute, sa figure apparut-elle aussi à la fin d'une Histoire, à la fin de la tragédie, comme un déplacement radical de l'Histoire. Le propre des moments de fins est d'ouvrir une béance dans laquelle un commencement pourra s'engouffrer et apparaître. Socrate est une force dans une époque d'affaiblissement. Socrate met fin au Poème grec, à une Histoire transie de part en part par le Poème.

À cet égard et à l'inverse, la figure du poète moderne apparaît au commencement d'une Histoire, dont elle estimait et voulait être le prophète. Mais son apparition est indissociable du mouvement de sa disparition. Elle est une faiblesse dans cet immense commencement de l'Histoire moderne dont elle n'écrira pas le Poème, mais dont elle sera, pour ainsi dire, l'inversion. Son temps est celui, commençant, de la prose du monde (de l'Empire et des Empires, des nations, du Capital, de la science et de la technique, de la marchandise, de la massification, du roman, du journalisme...). Cette prose du monde, celle du Marché, portera toujours en elle une mémoire trouble de son commencement lorsqu'elle s'est démarquée de la poésie. Hegel, en particulier, fut celui qui trancha la question de la vérité et de la réalité, peut-être à son corps défendant, en pensant d'une certaine manière au moins contre lui-même. Car, pour lui, la vérité est la réalité effective de l'Histoire. C'est l'Histoire qui doit trancher dans la pensée. D'une manière analogue, le parcours de Goethe, bien que saisi jusqu'à la fin de sursauts purement poétiques, confie ces faiblesses ainsi que le dernier mot à la grande synthèse de la connaissance, de la science et de l'Histoire. C'est en toute logique que ce parcours a discrédité Kleist, Hölderlin (et même Beethoven), qu'il a sans doute déclaré poétiquement, donc existentiellement morts bon nombre d'autres poètes...

On l'a compris, poésie et poète ne s'assujettissent pas à l'Histoire, mais à la pensée. Si Socrate, au moment de sa mort, se met à écrire des poèmes, ce n'est pas dans un acte de reniement de lui-même (écrire, poétiser), c'est pour objecter pensée et vérité aux exigences de la réalité. Le Phédon est le poème de la pensée. Il n'y a rien, dans cette oeuvre, qui soit assimilable par une quelconque réalité sensible, empirique ou historique. La mélèthè thanatou, la "bonne" mort, celle qu'il faut "apprendre" - s"philosopher, c'est apprendre à mourir" - consiste à mourir à la vie, c'est-à-dire aux représentations de la vie comme elle va, avec ses peurs, à mourir à l'Histoire comme elle va aussi, pour retisser les fils de l'âme, égarés, effilochés et détachés dans l'empirie confuse. Cet apprentissage est celui d'un autre tissage de l'âme. De ce point de vue, Socrate est en vérité poète, c'est-à-dire pensant la vérité plus que la réalité, dès lors qu'il n'y a de poésie que de la pensée et de la vérité. Le discrédit de la poésie est porté depuis le critère de la réalité et de l'Histoire. Le critère goethéen comme celui de Hegel n'est plus la poésie. Il s'agit du critère de l'autorité instituée, institutionnelle, donc désormais d'un pouvoir. La poésie n'est plus qu'un moment de la pensée et de l'existence, moment imputé à l'enfance ou à la jeunesse. Si ce moment perdure ou insiste en et pour lui-même, il sera définitivement registré, par le jugement commun de Goethe et de Hegel, à la maladie, à la pensée vide ou délirante.

En revanche, le seul grand penseur qui ait conjugué, en le sachant, ce mouvement irrésistible de la prose du monde et du souci poétique, fut Marx. Car le Marché mondial, l'œuvre même du Capital, ne doit-elle pas encore, aux yeux de Marx - cette affaire est notre présent et notre avenir proche, bien que nul ne sache comment elle se résoudra - se retourner en mondialité non plus subie, comme sous la contrainte d'un Autre, le Capital, mais réalisée dans la jouissance de tous, de chacun, dans la conscience d'appartenance à l'Humanité et au Monde, l'Humanité et le Monde formant une seule et même valeur absolue?

Il reste que le Capital est effectif et que la poésie ne l'est pas, que l'un fait autorité puisqu'en son anonymat il ordonne et inspire le monde, et que l'autre est sans efficace. Aux yeux du Capital qui a corrigé la vision des hommes pour engendrer les Temps Modernes, la poésie ne peut apparaître que monstrueuse. Ce n'est pas la poésie en tant que telle qui lui apparaît monstrueuse, elle l'ignore bien plutôt, mais c'est paradoxalement sa faiblesse qui l'inquiète. Cette inquiétude - qui, on le sait, n'est pas un souci, puisque le Capital ne cesse de produire faiblesse et misère, en écartant les hommes d'eux-mêmes, en les écartelant de et dans leur essence même, qui est d'être des individus auto-actifs, producteurs libres d'eux-mêmes comme du monde - serait en quelque sorte motivée par la présence insistante de ce qu'il reste des hommes en leur dépossession, par la présence récurrente de la poésie que rien ne parvient à éradiquer. Bref, la présence de la poésie apparaît, aux yeux du Capital qui, telle est sa caractéristique majeure, à la fois configure et déforme et déchire le monde, en toute sa pathologie (hystérie de la poésie dirait Freud, schizophrénie et paranoïa dirait encore le libéralisme pour en pointer le danger). Est en effet possible pour le Capital ce qui est reproductible. La reproduction, c'est la nouveauté reconnaissable. Il y a une image dogmatique de la pensée inhérente au Capital qui se donne et se pré-donne ce qui est à faire et tous les moyens pour le faire. Le possible du Capital n'est que sa réalité. Sa vérité est celle du mauvais infini, qui ne s'actualise jamais. Il désire le possible comme la marque de sa réalité. L'impossible, en revanche, est pour lui l'irréalité, fût-il la présence de ce qu'il y a de plus réel, de plus inconcevable en termes signifiants dans l'homme. L'impossible est à cet égard la monstruosité, à commencer par celle d'une présence qui ne (se) répète pas, ne se reproduit jamais, mais qui, tel un diable, surgit toujours en nouveauté. Au fond, l'inquiétude porte sur le silence, les apparences de la bouffonnerie. Ce qui l'inquiète encore davantage, c'est la force qui peut surgir de la faiblesse et de la dépossession. En fin de compte, la poésie inquiète parce que la faiblesse est ce qui s'expose le plus, en son silence. Comme ce qui est fragile est toujours le plus précieux, de même la poésie recueille une force qui est d'autant plus dangereuse que sa puissance est faible. La révolte ne provient jamais des forts et des puissants. Ce qu'il reste de lucidité au Capital se concentre dans la conscience d'une force de la faiblesse. C'est en ce sens qu'il y a une autorité de la poésie.

La poésie n'est pas, comme on l'imagine à tort, sous prétexte d'une réalité qui n'en est que d'autant plus imaginaire, constituante, au sens d'une performativité. La poésie ne fait rien être. Plus avant, elle ne constitue pas même une "réalité" imaginaire (un monde imaginaire). En somme, le déplacement qu'elle incarne et opère ne relève ni de la fuite ni de l'oubli. La poésie est, au contraire, un réglage de l'existence et du langage sur un réel, dont le mode de présence et de consistance ne se laisse pas substantialiser. Ce réel tient dans ses traces, des traces qui ne sont pas d'un passé mais d'un présent si présent qu'il ne l'est jamais, des traces qui précèdent dans une autre logique temporelle toute présence substantielle, des traces enfin qui sont les marquages des ramifications de l'existence en ses transactions, comme autant de désirs affirmés, de liens découverts et d'attaches sensibles. La trace est le réel de l'existence en ce qu'elle en constitue la structure aussi bien formelle que matérielle et corporelle. Exister n'existe pas sans nouages, sans liens perdus ou retrouvés. La liaison ou l'étoilement constituent au demeurant ce qui conditionne l'existence même. Si bien que parler de "trace" ne signifie pas trace de quelque chose, mais trace de ce que l'existence n'est que dans le réel même du traçage, qu'il n'y a de réel que du tracer et du tracé. Et même, le Dasein n'est pas seulement en présupposition constituante d'un Mitsein, d'un être-avec, mais plus amplement d'un être-avec-avec, "homme" avec "homme", certes, mais aussi avec les animaux, les choses, avec la nature et les objets techniques, avec les sensations et les êtres, avec les idées et les réalités, les pensées et les événements...

Il faut bien comprendre en quel sens la poésie est "individuelle". Son individuation active, motivée et par l'insistance du souci de pensée et de vérité, et par le retrait qu'implique sa pratique, ne se détermine pas en fonction de la société. En celle-ci s'est progressivement imposée une individualisation, une sorte d'atomisation qui n'est, en sa contradiction apparente, qu'une figure de la massification. Individualisation et massification sont des figures de la fermeture et de la clôture. Autrement dit, de la déliaison. Inversement, l'individuation poétique est négative. En sa radicalité soustractive, cette négativité est encore une faiblesse, pour ainsi dire sa preuve. En effet, la poésie forme le négatif de l'individualisation démocratique. Elle contredit le jeu combiné de l'individuel et du sociétal. C'est ce que signifie son retrait. Plus individuelle que l'individu, la poésie se veut en même temps plus sociétale que la société. Un de ses modèles, si l'on peut s'exprimer ainsi, serait le jeu solitaire de l'enfant qui fictionne un monde à partir de quelques objets. Ce jeu n'est pas seulement une sphère d'illusion, ce qui le séparerait encore de la réalité, il est au contraire l'élaboration de la pensée, pensée que la réalité va abandonner au profit de la factualité et de sa loi. La pensée n'est possible que comme retrait. Et ce retrait est une ouverture de la pensée et du monde à eux-mêmes bien plus qu'une fermeture ou une régression.

En ce retrait, en cette zone où l'espace et le temps ne possèdent pas encore ou plus leur scansion publique, où rien n'est plus réel que la pensée et plus irréel que la réalité, la poésie se montre en se dérobant à la démonstration. Disons qu'elle existe, qu'elle découvre l'existence, qu'elle en tisse les liens sans autre règle que celles qu'elle tire d'elle-même. On ne contraint pas davantage un enfant au jeu qu'aux attitudes matures. Au jeu de l'enfant, rien n'est impossible, pas même l'impossible. Le monde du jeu et de l'enfant n'est pas un monde d'oubli ou de refuge. Il n'est tel qu'eu égard à l'interprétation, qui reconstruit à partir de ses critères ce qu'elle ignore. C'est le monde de l'esprit. Là où il n'est pas disjoint de l'existence, mais l'existence même, à l'inverse de la philosophie et de ce qu'elle nomme pensée, cette activité pour adultes que Calliclès, en sa naïveté d'homme mûr, a pris en contresens pour un jeu d'enfant.

Il devient de plus en plus difficile - mais cela l'a toujours été - d'exister comme un enfant. Nous avons assurément perdu la pensée dans le pays étranger des adultes. Nous ne savons plus ce que contiennent les mots. La poésie s'est retirée dans le langage, mais elle sait à sa façon, qui ne peut être la nôtre, que ce retrait est conditionnel de l'ouverture du monde. Elle sait, d'un savoir absolu dont nous ne possédons pas la mesure, que le monde est grand lorsqu'il existe, qu'il trébuche et s'éteint lorsqu'il devient une réalité. Alors, nous n'existons plus.

Le savoir de la poésie, ce savoir qu'elle sait chez les poètes, ce savoir qui existe chez les enfants, est que ce qui est impossible dans la réalité, il convient de le réaliser par le langage. Cette réalisation n'est pas proprement imaginaire. Car le langage est la solution au problème de la réalité, qui est ce qu'elle est, c'est-à-dire têtue. La réalisation n'est pas davantage un quelconque refoulement de la réalité, car la réalité, c'est ce qui résiste à elle-même, ce qui se résiste et par conséquent résiste à tout changement. Le langage fraye la voie du réel dans la réalité. Il est "le plus vrai" comme dit Hegel. Dans le langage, l'impossible s'ouvre pour lui-même, il devient le réel. La réalité se laisse juste réformer, comme une concession qu'elle se fait à elle-même. Le langage, à l'inverse, pénètre la réalité, la distend et la brise. Il ouvre le réel. À cet égard, il n'y a pas de politique qui vaille pour la réalité; il n'y a de politique que du réel, donc de la poésie. Il y a une politique de la poésie, celle qui noue la pensée, le langage et l'existence.

Recebido em 02/06/2008

Aprovado em 30/06/2008

  • *1 (MARX, Karl. L'Idéologie allemande. In: uvres complètes, t. III. Paris: Gallimard, 1982. Coll. Bibliothèque de la Pléiade: 1070.
  • *2 (Hölderlin, Friedrich. De la religion. In: uvres complètes. Paris: Gallimard, 1982. Coll. Bibliothèque de la Pléiade: 645-650.
  • 2 Pour un développement sur ce point, cf. le texte décisif de Jean-Luc Nancy, "Urbi et orbi". In: La Création du monde. Paris: Galilée, 2002.
  • *
    É doutor em filosofia, professor de filosofia de cursos preparatórios para as a École Normale Supérieure e Grandes Écoles. É tradutor de Walter Benjamin (Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, 1985, em colaboração com Sybille Muller) e tem vários livros publicados, entre os quais Baudelaire, l’Exposition de la poésie (Kimé, 1998); Versus, Hegel et la philosophie à l’épreuve de la poésie (Kimé, 1999); Il faut être absolument lyrique, une constellation de Baudelaire (Kimé, 2000); L’Universel reportage et sa magie noire (Karl Kraus, le Journal et la philosophie) (Kimé, 2002); Musil, le feu et l’extase (Kimé, 2003); L’Étoilement de l’existence (Kimé, 2005); L’Idiot musical, Glenn Gould, contrepoint et existence (com Philippe Choulet) (Kimé, 2006); Le poème de la raison - Descartes (Kimé, 2006) e Le Lied, la langue et l’histoire (La Nuit Sulliver Editions, 2008).
  • *1
    (MARX, Karl. L'Idéologie allemande. In:
    Œuvres complètes, t. III. Paris: Gallimard, 1982. Coll. Bibliothèque de la Pléiade: 1070. )
  • *2
    (Hölderlin, Friedrich. De la religion. In:
    Œuvres complètes. Paris: Gallimard, 1982. Coll. Bibliothèque de la Pléiade: 645-650. )
  • 1
    Ce texte est un extrait d'un gros ouvrage à paraître en 2008, intitulé
    La Démonstration de la poésie.
  • 2
    Pour un développement sur ce point, cf. le texte décisif de Jean-Luc Nancy, "Urbi et orbi". In:
    La Création du monde. Paris: Galilée, 2002.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      05 Feb 2009
    • Date of issue
      Dec 2008

    History

    • Accepted
      30 June 2008
    • Received
      02 June 2008
    Programa de Pos-Graduação em Letras Neolatinas, Faculdade de Letras -UFRJ Av. Horácio Macedo, 2151, Cidade Universitária, CEP 21941-97 - Rio de Janeiro RJ Brasil , - Rio de Janeiro - RJ - Brazil
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