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Sur la lysis dionysiaque

On Dionysian lysis

Résumé :

Cet article est une étude sur la lysis, la « libération » dionysiaque. On commence avec la suggestion que dans la description de la mania telestike dans le Phèdre 244d-245a, le meilleur candidat parmi les pratiques cultuelles dionysiaques à l’opération de soustraction résultante de la rhétorique socratique c’est la transe ménadique (I). Les références ménadiques accompagnent également les témoins sur Dionysos Lysios à Corinthe, Sicyone et Thèbes (II), mais ici les sources nous invitent à élargir l’horizon des pratiques cultuelles dionysiaques pour regarder les cultes à mystère en l’honneur du dieu, notamment aux renseignements des lamelles d’or trouvées dans des sépultures des initiés (III). Puis, on entreprend de proposer une lecture exclusivement dionysiaque (i.e. non-orphique) de la lamelle de Pélinna (OF 485 Bernabé). Cette lecture prend appui sur: une analyse du texte de la lamelle (IV); une critique des interprétations qui mettent la lysis en rapport avec l’expiation du crime des Titans (V); un examen du rôle de Perséphone (VI) ; la signification de lysis dans l’OF 350 Bernabé (VII); l’articulation des célèbres passages de la République où il est question des initiations (2. 363a-366b) avec les dynamiques de la punition différée dans les représentations grecques anciennes de la justice divine (VIII). Puis, l’article suggère que la lysis dionysiaque porte sur une délivrance non seulement après la mort, mais aussi pendant la vie des initiés (IX). En conclusion, l’étude revient au Phèdre 245a pour mettre en contraste les transes ménadique et mystique (X).

Mots-clé :
Dionysos; transe; libération; cultes dionysiaques; cultes à mystère

Abstract:

This paper is a study of Dionysian lysis, “liberation”. We begin with (I) the suggestion that in the description of the mania telestike in Plato’s Phaedrus 244d-245a, the best candidate among Dionysian ritual practices abstracted by Socrates’ rhetoric is maenadic trance. The maenadic references also accompany the testimonies on Dionysos Lysios in Corinth, Sicyon and Thebes (II), but here the evidence invites us to widen the scope of Dionysian cult practices and look at the god’s Mystery cults (III), notably at the evidence provided by the golden leaves founded in initiated sepultures. We propose then an exclusively Dionysian (i.e. non-Orphic) reading of the Pelinna leave (OF 485 Bernabé). This reading leans on: (IV) an analysis of the leaf’s text; (V) a critique of the interpretations associating lysis with the expiation of the Titans’ crime; (VI) an examination of Persephone’s role; (VII) the meaning of lysis in OF 350 Bernabé; and (VIII) the linking up of the famous passages of Plato’s Republic dealing with initiations (2. 363a-366-b) with the dynamics of postponed punishment in ancient Greek representations of divine justice. Finally, the article suggests that (IX) Dionysian lysis is concerned with liberation not only after death, but also during the life of the initiated. In conclusion (X), it goes back to Plato’s Phaedrus 245a, in order to contrast Dionysian maenadic and mystic trance.

Keywords:
Dionysos; trance; liberation; Dionysian cults; mystery cults

I. Mania rituelle et lysis dans Phèdre, 244d-245a

ἀλλὰ μὴν νόσων γε καὶ πόνων τῶν μεγίστων, ἃ δὴ παλαιῶν ἐκ μηνιμάτων ποθὲν ἔν τισι τῶν γενῶν ἡ μανία ἐγγενομένη καὶ προφητεύσασα, οἷς ἔδει ἀπαλλαγὴν ηὕρετο, καταφυγοῦσα πρὸς θεῶν εὐχάς τε καὶ λατρείας, ὅθεν δὴ καθαρμῶν τε καὶ τελετῶν τυχοῦσα ἐξάντη ἐποίησε τὸν [ἑαυτῆς] ἔχοντα πρός τε τὸν παρόντα καὶ τὸν ἔπειτα χρόνον, λύσιν τῷ ὀρθῶς μανέντι τε καὶ κατασχομένῳ τῶν παρόντων κακῶν εὑρομένη.

Par contre, ces maladies et peines très graves, celles qui, résultats d’anciennes colères divines, surgirent chez certaines familles, la mania, en apparaissant et en prophétisant à ceux qu’il fallait, découvrit le moyen de les repousser, en recourant à des prières aux dieux et à des cultes. C’est ainsi que, étant parvenue à des purifications et initiations, la mania rendit sain celui en proie à elle-même, pour ces temps-là et pour les temps suivants, car elle découvrit, pour qui délire et éprouve la possession de la forme correcte, le moyen de le libérer des maux présents. (Pl. Phdr. 244d-245a)

On le sait bien : les dialogues de Platon sont très éloignés du sens commun des gens dans l’Athènes classique. Les idées que fait circuler Platon entre ses personnages, par leur propre radicalité, peuvent être aisément rangées comme marginales dans leurs contexte d’origine (Ober, 1998OBER, J. (1998). Political Dissent in Democratic Athens. Intellectual Critics of Popular Rule. Princeton, Princeton University Press., p. 158-162 ; Rowe, 2006ROWE, C. (2006). The Literary and Philosophical Style of the Republic. In: SANTAS, G. (ed.). The Blackwell Guide to Plato’s Republic. Malden, Blackwell, p. 7-24., p. 10). Si j’ouvre cet article avec des observations sur le passage du Phèdre qui décrit la telestike mania, la « transe initiatique », ce n’est pas, bien entendu, pour l’évoquer comme témoin des pratiques cultuelles dionysiaques. Par contre, les idées en circulation dans les dialogues platoniciens ne laissent pas d’avoir dans ce sens commun duquel elles s’éloignent, leur point de départ. Ce qu’on propose ici, c’est de suggérer quelles pratiques cultuelles dionysiaques sont à la base de l’abstraction qui résulte de la personnification de la mania dans le Phèdre, stratégie discursive par laquelle l’appropriation platonicienne se met en œuvre.

Notre manque de références rend sans doute difficile la lecture du texte. Dans un article fondamental pour l’interprétation de ce passage, Linforth (1946LINFORTH, I. M. (1946). Telestic Madness in Plato, Phaedrus 244. University of California Publications in Classical Philology 13, p. 163-172.) a mis en évidence son caractère étiologique : la récurrence du verbe heurisko et, d’une manière plus significative, l’expression hothen de établissant une relation explicative entre les découvertes de la mania au passé et son action au présent, montrent bien que le personnage de Socrate est en train d’offrir une théorie des origines de la mania rituelle qui rend compte de ses effets bénéfiques actifs dans le présent de l’énonciation. Quant à l’événement au passé qui a donné à la mania l’occasion de découvrir tels effets, Linforth souligne que l’imprécision du langage dans sa description (ποθὲν ἔν τισι τῶν γενῶν) ne nous permet pas de le mettre en rapport avec aucune légende particulière, bien que l’expression palaion gene et une probable citation d’un vers d’Euripide (Phoen. 934 : παλαιῶν Ἄρεος ἐκ μηνιμάτων) puissent le situer dans les temps héroïques. En effet, pour Linforth, le passage évoque les pratiques rituelles du corybantisme; ainsi, selon l’auteur, l’indétermination, qui caractérise tout le passage où aucun culte spécifique n’est nommé, ferait partie d’un projet de dignifier cette mania rituelle, vu que les rites frénétiques offrant la cure d’affections mentales, tels le corybantisme, ne jouiraient pas d’une bonne réputation parmi les citoyens d’Athènes.

Quoi qu’il en soit, la principale objection que suscite l’interprétation de Linforth réside dans le fait que les références platoniciennes au corybantisme le caractérisent toujours comme pratique cultuelle individuelle (Bremmer, 2014BREMMER, J. N. (2014). Initiation into the Mysteries of the Ancient World. Berlin/Boston, de Gruyter., p. 48-53). Même si les pratiques corybantiques se servaient de la mania initiatique pour traiter des états de mania-maladie, la localisation volontiers vague de l’origine des maladies et peines semble échapper à la dynamique de cure individuelle des pratiques corybantiques. Plus récemment, Johnston (1999JOHNSTON, S. (1999). Restless Dead. Encounters between the Living and the Dead in Ancient Greece. Berkeley/Los Angeles, University of California Press., p. 144-145), suivie par Graf (2010GRAF, F. (2010). The Blessings of Madness. Dionysos, Madness, and Scholarship. Archiv für Religionsgeschichte 12, p. 167-180., p. 1875-177), note que menima ferrait plus fréquemment référence à la colère d’un mort et, tout en rapprochant cet passage du Phèdre de celui de la République sur les purificateurs et charlatans (364b-c), fait équivaloir les colères anciennes (palaia) aux colères des ancestraux (ton progonon). Et pourtant, menima a des emplois homériques où le mot désigne la colère divine (Il. 22.258 ; Od. 11.73), outre le vers d’Euripide que citait Linforth. Ces anciennes colères divines semblent renvoyer plutôt au passé héroïque.

Or si la mention des gene appartenant aux temps anciens sans localisation spécifique n’autorise l’identification d’aucune légende particulière qui pourrait établir un lien entre la mania initiatique et une pratique cultuelle, elle peut bien renvoyer simultanément à plusieurs récits : aux « mythes de résistance » à Dionysos dans son ensemble (Privitera, 1970PRIVITERA, G. A. (1970). Dioniso in Omero e nella poesia greca arcaica. Roma, Edizioni dell’Ateneo., p. 14-19 ; Massenzio, 1970MASSENZIO, M. (1970). Cultura e crisi permanente: la “xenia” dionisiaca. Roma, Edizioni dell’Ateneo., p. 49-98 ; Detienne, 1998DETIENNE, M. (1998b). Dionysos mis à mort. Paris, Gallimard.a, p. 11-12, 25-36), fréquemment liés aux pratiques cultuelles du ménadisme, célébrées tous les deux ans par les femmes au nom de leurs cités par toute la Grèce (Henrichs, 1978HENRICHS, A. (1978). Greek Maenadism from Olympia to Messalina. Harvard Studies in Classical Philology 82, p. 121-160. ; Bremmer, 1984BREMMER, J. N. (1984). Greek Maenadism Reconsidered. Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 55 p. 267-286. ; Jeanmaire, 1970JEANMAIRE, H. (1970). Dionysos : Histoire du culte de Bacchus. Paris, Payot., p. 202-204 ; Burkert, 1983BURKERT, W. (1983). Homo Necans: The Anthropology of Ancient Greek Sacrificial Ritual and Myth. Berkeley, University of California Press., p. 170-179 ; Calame, 1997CALAME, C. (1997). Choruses of Young Women in Ancient Greece: Their Morphology, Religious Role, and Social Functions. Trad. D. Collins & J. Orion. Lanham, Rowman & Littlefield., p. 134-135 ; Schachter, 1981SCHACHTER, A. (1981). Cults of Boiotia 1: Acheloos to Hera. London, Institute of Classical Studies., p. 173-192 ; Manieri, 2009MANIERI, A. (2009). Agoni Poetico-musicale nella Grecia antica. Vol. 1: Beozia. Pisa, Fabrizio Serra Editore., p. 175-179, 184-186, 283-287, 290-291 ; Bernabé, 2010BERNABÉ, A. (2010). Las Agrionias y el mito de las Miníadas. Razones de un ritual. In: TOBIA, A. M. G. (ed.). Mito y Performance: De Grecia a la Modernidad. La Plata, Universidad de La Plata, p. 361-383.). La pluralité des versions et traditions locales de cet culte dionysiaque permettrait le mouvement de généralisation et abstraction des figures divines et humaines que le personnage de Socrate effectue par la personnification de la mania. De fait, la transgression initiale étant impliquée par les colères anciennes, ce passage du Phèdre nous offre le même schéma narratif des récits racontant les arrivées de Dionysos : colère divine - maladie - recours à la divination - rétablissement de l’ordre par la transformation de la maladie en rituel commémoratif. Linforth (1946LINFORTH, I. M. (1946). Telestic Madness in Plato, Phaedrus 244. University of California Publications in Classical Philology 13, p. 163-172., p. 169 ; suivi par Scullion, 1998SCULLION, S. (1998). Dionysos and Katharsis in Antigone. Classical Antiquity 17, p. 96-122., p. 108) réfute les propositions d’une référence aux légendes ménadiques (comme celle des Proïtides ou des Minyades) en supposant que les palaia menimata ont pour point de repère le passé de l’énoncé, de sorte que les colères seraient anciennes pour avoir duré longtemps, ne pouvant pas renvoyer à ces offenses féminines à Dionysos. Il me semble cependant que, surtout dans un contexte étiologique, palaios a pour référence plutôt le présent de l’énonciation, s’opposant à paronton kakon, qui clôt le passage du Phèdre. Certes, dans le vers 934 des Phéniciennes d’Euripide, les menimata d’Arès contre Cadmos ont attendu plusieurs générations pour être réparés, mais l’ancienneté de la colère concerne plutôt le repérage temporel de l’acte qui l’a suscité (le meurtre du dragon né de la terre) que l’intervalle entre cet acte et sa réparation : ici encore palaios fait référence à un temps passé par rapport au moment où Tirésias parle du ressentiment divin à Créon. Pour citer un parallèle chez Platon, dans le discours d’Aristophane racontant la coupure des humains androgynes, les plis de la peau qu’Apollon laisse subsister au nombril sont un μνημεῖον τοῦ παλαιοῦ πάθου (Pl. Smp. 191 a 4-5), c’est-à-dire un souvenir d’une expérience ancienne, parce que vécue dans un temps révolu, et non à cause de sa durée dans le passé. Bref, palaios dit l’antériorité temporelle sans référence à un aspect duratif.1 1 Sur la signification de palaios, voir notamment Calame, 2006b, qui montre justement que surtout les formes τὸ παλαιόν ou τὸ πάλλαι renvoient à un « autrefois » révolu, à un passé héroïque, étant ainsi à peu près l’équivalent grec ancien du concept moderne de « mythe ».

Or en admettant l’hypothèse d’une référence socratique aux « mythes de résistance » à Dionysos, tout comme les réexamens du ménadisme excluent de cette pratique extatique les rapports avec un état pathologique réel dans le présent du culte (Henrichs, 1978HENRICHS, A. (1978). Greek Maenadism from Olympia to Messalina. Harvard Studies in Classical Philology 82, p. 121-160. ; Bremmer, 1984BREMMER, J. N. (1984). Greek Maenadism Reconsidered. Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 55 p. 267-286.), la fonction de soigner les affections mentales qu’on attribue à la mania téléstique dans ce passage du Phèdre mérite d’être reconsidérée. Car la vraie guérison dont il y est question s’effectue dans le passé (ἐξάντη ἐποίησε) ; que l’expression « pour ce temps-là et pour le temps suivants » puisse renvoyer moins à une action ponctuelle qu’à une réitération ne change rien à ce propos ; tout au contraire, dès que la mania se ritualise avec les purifications et initiations, il n’y a plus de risque de maladie. D’autre part, l’effet bénéfique de la mania rituelle au présent est la « libération (lysis) des maux présents », expression qui, de par sa généralité même, semble se référer moins à des pratiques thérapeutiques répondant à un état individuel d’affliction qu’à l’action libératrice des rites collectifs dionysiaques intégrant la religion civique, notamment les pratiques ménadiques. Rites qui, d’ailleurs, ne menaceraient pas la « dignité » de la mania téléstique.2 2 Dans la mise en revue des références de Platon aux pratiques initiatiques qui intègre un article sur la mania divine du Phèdre et sa place dans l'œuvre du philosophe, Brisson (1974, p. 247) remarque que le seul passage des Lois où l’on fait vraiment de place aux initiations dionysiaques est 666b3-5 ; ce n’est peut-être pas un hasard si cette autre, et rare, attitude positive de Platon devant les rituels dionysiaques renvoie à une pratique qui n’a rien de marginal comme le banquet. À propos de la mania dans l’œuvre de Platon, voir Vogt (2014).

II. Lysios et Bakcheios à Corinthe et Sicyone

En effet, Lysios est une épiclèse de Dionysos (Casadio, 1999CASADIO, G. (1999). Il vino dell’anima: Storia del culto di Dioniso a Corinto, Sicione, Trezene. Roma, Il Calamo., p. 122-143 ; Graf, 2010GRAF, F. (2010). The Blessings of Madness. Dionysos, Madness, and Scholarship. Archiv für Religionsgeschichte 12, p. 167-180.). Comme dans le cas de mainte études sur les pratiques religieuses en Grèce ancienne, c’est la Périégèse de Pausanias qui nous procure les principaux renseignements sur le contexte cultuel de l’épiclèse Lysios. En décrivant les choses dignes d’un récit sur l’agora de Corinthe, il fait mention de :

Διονύσου ξόανα ἐπίχρυσα πλὴν τῶν προσώπων· τὰ δὲ πρόσωπα ἀλοιφῇ σφισιν ἐρυθρᾷ κεκόσμηται· Λύσιον δέ, τὸν δὲ Βάκχειον ὀνομάζουσι. τὰ δὲ λεγόμενα ἐς τὰ ξόανα καὶ ἐγὼ γράφω. Πενθέα ὑβρίζοντα ἐς Διόνυσον καὶ ἄλλα τολμᾶν λέγουσι καὶ τέλος ἐς τὸν Κιθαιρῶνα ἐλθεῖν ἐπὶ κατασκοπῇ τῶν γυναικῶν, ἀναβάντα δὲ ἐς δένδρον θεάσασθαι τὰ ποιούμενα· τὰς δέ, ὡς ἐφώρασαν, καθελκύσαι τε αὐτίκα Πενθέα καὶ ζῶντος ἀποσπᾶν ἄλλο ἄλλην τοῦ σώματος. ὕστερον δέ, ὡς Κορίνθιοι λέγουσιν, ἡ Πυθία χρᾷ σφισιν ἀνευρόντας τὸ δένδρον ἐκεῖνο ἴσα τῷ θεῷ σέβειν· καὶ ἀπ' αὐτοῦ διὰ τόδε τὰς εἰκόνας πεποίηνται ταύτας.

Deux idoles de Dionysos, couverts d’or sauf au visage ; leur visage est orné avec du vernis rouge. Ils [les Corinthiens] les appellent l’un Lysios, l’autre Bakcheios. Ce qu’on raconte à propos de ces idoles, moi aussi je vais l’écrire. Ils racontent qu’après avoir outragé Dionysos, Penthée eût en outre d’audace de finalement aller au Cithéron épier les femmes, montant sur un arbre pour assister à leurs actes. Et pourtant, lorsqu’elles le prirent sur le fait, ces femmes firent aussitôt descendre Penthée et, vivant, lui déchirèrent le corps, une partie chacune. Enfin, comme le racontent les Corinthiens, la Pythie leur ordonna de trouver cet arbre et de le vénérer comme si c’était le dieu. C’est pourquoi ils fabriquèrent ces images-là avec cet arbre. (Paus. 2.2.6-7 ; trad. Musti & Torelli, 1986MUSTI D.; TORELLI, M. (1986). Pausania: Guida della Grecia. Libro II: La Corinzia e l’Argolide. Milano, Arnoldo Mondatori Editore., p. 220-221)

Sur l’agora de Corinthe, on rend donc honneur à la fois à Dionysos Lysios et Bakcheios. D’après Pausanias, ces deux épiclèses qualifient également deux statues abritées ensemble dans le kosmeterion à Sicyone :

μετὰ δὲ τὸ θέατρον Διονύσου ναός ἐστι·χρυσοῦ μὲν καὶ ἐλέφαντος ὁ θεός, παρὰ δὲ αὐτὸν Βάκχαι λίθου λευκοῦ. ταύτας τὰς γυναῖκας ἱερὰς εἶναι καὶ Διονύσῳ μαίνεσθαι λέγουσιν. ἄλλα δὲ ἀγάλματα ἐν ἀπορρήτῳ Σικυωνίοις ἐστί· ταῦτα μιᾷ καθ' ἕκαστον ἔτος νυκτὶ ἐς τὸ Διονύσιον ἐκ τοῦ καλουμένου κοσμητηρίου κομίζουσι, κομίζουσι δὲ μετὰ δάδων τε ἡμμένων καὶ ὕμνων ἐπιχωρίων. ἡγεῖται μὲν οὖν ὃν Βάκχειον ὀνομάζουσιν - Ἀνδροδάμας σφίσιν ὁ Φλάντος τοῦτον ἱδρύσατο -, ἕπεται δὲ ὁ καλούμενος Λύσιος, ὃν Θηβαῖος Φάνης εἰπούσης τῆς Πυθίας ἐκόμισεν ἐκ Θηβῶν. ἐς δὲ Σικυῶνα ἦλθεν ὁ Φάνης, ὅτε Ἀριστόμαχος ὁ Κλεοδαίου τῆς γενομένης μαντείας ἁμαρτὼν δι' αὐτὸ καὶ καθόδου τῆς ἐς Πελοπόννησον ἥμαρτεν.

Après le théâtre, il y a un temple de Dionysos. Le dieu est en or et ivoire, et à son côté il y a des Bacchantes en pierre blanche. On dit que ces femmes sont sacrées et qu’elles délirent inspirées par Dionysos. Mais il y a aussi chez les Sicyoniens des statues gardées en secret. Dans une nuit à chaque an, ils les transportent de ce qu’ils appellent le kosmeterion au temple de Dionysos, et ils le font accompagnés des torches allumées et d’hymnes locaux. Alors, en tête du cortège, on amène celle qu’ils nomment Bakcheios - érigée par Androdamas, fils de Phlias -, puis celle appelée Lysios, que le Thébain Phanès amena de Thèbes suivant les mots de la Pythie. Phanès arriva à Sicyone lorsqu’Aristomaque, fils de Cléodès, parce qu’il avait manqué le sens de l’oracle qui lui avait été donné, manqua aussi le retour au Péloponnèse. (Paus. 2.7.5-6 ; trad. Musti & Torelli, 1986MUSTI D.; TORELLI, M. (1986). Pausania: Guida della Grecia. Libro II: La Corinzia e l’Argolide. Milano, Arnoldo Mondatori Editore., p. 241-242)

La configuration commune de ces deux épiclèses permet deux interprétations. Soit elle renvoie à deux moments successifs : Dionysos est Bakcheios quand il suscite la mania et Lysios quand il délivre de la mania (Rohde, 1925ROHDE, E. (1925). Psyche: The Cult of Souls and Belief in Immortality among the Greeks. New York/Trench, Kegan Paul/Trubner & Co., p. 287 ; Dodds, 1977DODDS, E. R. (1977). Les Grecs et l’irrationnel. Paris, Flammarion., p. 268 ; Jeanmaire, 1970JEANMAIRE, H. (1970). Dionysos : Histoire du culte de Bacchus. Paris, Payot., p. 198) ; soit elle fait appel à deux aspects coexistants, plus précisément aux vertus de la mania elle-même : l’action libératrice du dieu s’accomplit par la transe (Detienne, 1998DETIENNE, M. (1998b). Dionysos mis à mort. Paris, Gallimard.a, 40-43 ; Seaford, 2006SEAFORD, R. (2006). Dionysos. New York, Routledge., p. 71-72). Ces deux lectures ne s’excluent pas mutuellement. D’une part, considérer mania et lysis comme deux états consécutifs semble avoir pour corollaire l’attribution d’un effet thérapeutique à la lysis et donc d’un caractère morbide à la mania (Rohde, 1925ROHDE, E. (1925). Psyche: The Cult of Souls and Belief in Immortality among the Greeks. New York, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., p. 282-285 ; Jeanmaire, 1970JEANMAIRE, H. (1970). Dionysos : Histoire du culte de Bacchus. Paris, Payot., p. 106, 119-138 ; Dodds, 1977DODDS, E. R. (1977). Les Grecs et l’irrationnel. Paris, Flammarion., p. 26). Dans ce cas, la mania en question serait plutôt celle, punitive, des légendes. D’autre part, envisager mania et lysis comme deux facettes d’une même médaille semble impliquer davantage que l’objet de la « libération » ait une portée plus générale, comme les contraintes quotidiennes. À ce propos, on peut penser à la remarque de Bremmer (1984BREMMER, J. N. (1984). Greek Maenadism Reconsidered. Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 55 p. 267-286., p. 286) sur le ménadisme comme « a Saturday Night fever avant la lettre ». Alors, la mania suscitée par Dionysos Bakcheios ferait référence à la pratique rituelle de la transe, sans aucune dimension spécifiquement thérapeutique : elle est, avant toute chose, une forme de rendre honneur au dieu, qui assume une fonction apotropaïque, assurant que la colère divine ne reviendra jamais.

La première lecture de la configuration des épiclèses Bakcheios et Lysios (celle qui envisage deux moments successifs) devient possible justement par le contexte légendaire « ménadique » évoqué par ces deux passages de Pausanias. Les deux statues corinthiennes, fabriquées avec le bois de l’arbre sur lequel est monté Penthée, ont une origine thébaine, tout comme la statue de Lysios à Sicyone ; aussi, dans les deux cas la présence de ces idoles est-elle le résultat d’une intervention de l’Oracle de Delphes. La référence ménadique est renforcée à Sicyone par les bacchantes en transe entourant le Dionysos en or et ivoire qui n’est pas gardé en secret dans le kosmeterion, mais reste visible dans son temple. À Sicyone encore, d’après la légende, la Proïtide Iphioné a été tuée durant la poursuite menée par Mélampous, et sa tombe était signalée sur l’Agora.3 3 L’inscription (SEG 15.195) est, cependant, liée à la version de la légende des Proïtides qui attribue la mania que voulait guérir Mélampous à Héra. Outre cet encadrement ménadique, l’on remarquerait les endroits où sont placées, et auxquels sont transportées, ces statues de Dionysos dans les deux villes : en pleine Agora à Corinthe et dans le temple à côté du théâtre à Sicyone. Il s’agit donc, dans les deux cas, d’espaces liés à des cultes « officiels » des cités. Car même à Sicyone, où Bakcheios et Lysios sont gardés en secret pendant l’année, la procession nocturne accompagnée de torches et d’hymnes n’est pas décrite comme exclusivement féminine et ne suit pas une périodicité triétérique. Ainsi, on pourrait s’interroger si ces statues n’étaient liées aux actes cultuels « publics » desquels participent par surcroît les collèges de ménades.

Et pourtant, d’autres renseignements nous obligent à ouvrir l’éventail de possibilités concernant les rites dionysiaques associés à l’épiclèse Lysios à Corinthe et à Sicyone. L’origine thébaine de ces idoles dionysiaques va peut-être plus loin que l’évocation du « foyer du ménadisme ». Car à Thèbes on trouve également un temple de Dionysos Lysios, près du théâtre et pas loin du portail des Proïtides (Paus. 9.16.6). Le Lysios thébain est abrité avec une statue de sa mère, Sémélé,4 4 Casadio (1999, p. 125), en reprenant une interrogation formulée par Nilsson, propose que l’idole de Sémélé fût en vérité une image très efféminée de Bakcheios que, par pudeur, avait été identifié à la mère mortelle du dieu ; cependant, outre l’anachronisme de cette pudeur, l’épiclèse Bakcheios n’est pas attestée à Thèbes, où le Dionysos qui inspire la transe est le Kadmeios (Schachter, 1981, p. 185). et son sanctuaire n’est ouvert qu’à certains jours de l’année. L’étiologie de l’épiclèse Lysios chez les Thébains rapportée par Pausanias n’a cependant aucune liaison avec la transe rituelle : ce Dionysos est libérateur pour avoir affranchi à Haliarte les Thébains prisonniers des Thraces. Cette étiologie, en général déconsidérée par les études sur le dionysisme,5 5 Casadio (1999, p. 124, n. 76) énumère les avis négatifs sur l’étiologie rapportée par Pausanias. a été mise en parallèle avec un décret d’Érétrie (IG 12.9.192) par Jaccottet (1990JACCOTTET, A.-F. (1990). Le lierre de la liberté. Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 80, p. 150-156.). Le décret établit que tous les habitants de la ville porteront une couronne de lierre lors de la procession des Dionysies parce que c’était à cette occasion qu’une garnison ennemie avait quitté la cité et le peuple avait été libéré (eleutherothe).6 6 IG 12.9.192.4. Jaccottet (1990, p. 153), à la suite d’Holleaux, identifie ces troupes avec celles de Polémaios et date l’inscription de la fin du IVe siècle avant notre ère. À Érétrie donc Dionysos, sans pourtant porter l’épiclèse Lysios, est associé à un affranchissement militaire et politique célébré lors des Dionysies. Or le temple thébain de Lysios fait partie du sanctuaire de Dionysos Kadmeios, auquel on rend honneur pendant les Agrionies. Cette fête, dont l’origine semble associée au ménadisme, était l’occasion de spectacles dramatiques au moins à partir du IIIe siècle avant notre ère. Schachter (1981SCHACHTER, A. (1981). Cults of Boiotia 1: Acheloos to Hera. London, Institute of Classical Studies., p. 191) a même suggéré que l’ouverture annuelle du temple de Dionysos Lysios à Thèbes serait liée à la célébration de ces spectacles. À ce propos, il est remarquable que, d’après Hérodote (5.67.9), des chœurs tragiques fussent offerts à Dionysos dès le VIe siècle à Sicyone, où le kosmeterion mentionné par Pausanias n’était également ouvert qu’une fois par an. Évidemment, tout cela fait penser à l’idole de Dionysos Eleuthereus à Athènes, qui était annuellement sortie de du temple au théâtre lors des Grandes Dionysies (Bacelar, 2019BACELAR, A. (2019). Dioniso Eleutereu: o deus vindo de Eleutera. In: SANTOS, G. C. (org.). Liberdade e escravidão na antiguidade clássica. Campinas, Pontes, p. 207-234., p. 211-215).

Ces parallèles liés aux célébrations en honneur de Dionysos comportant des spectacles dramatiques sont, cependant, très loin d’épuiser les possibilités cultuelles de la paire Bakcheios et Lysios à Corinthe et Sicyone, ainsi que Kadmeios et Lysios à Thèbes. Car il y a d’autres textes manifestement liés à des contextes rituels où il est question d’une lysis, d’une libération dionysiaque. Une lysis qui, d’ailleurs, s’associe plutôt à la deuxième lecture de l’appariement des épiclèses, c’est-à-dire une lysis qui s’effectue par la transe. Mais ici on ne reste pas limité au cadre des cultes « officiels » célébrés par les collèges ménadiques et par les fêtes comportant des concours musicaux. La libération par la transe déborde le ménadisme pour s’approcher des cultes à mystère dionysiaques, exclusifs de ceux qui ont été initiés.

III. Les mystères dionysiaques et les lamelles funéraires

Jusqu’à la moitié du XXe siècle, les mystères de Dionysos étaient considérés comme une manifestation religieuse « tardive » en Grèce. L’existence d’un culte extatique de Dionysos ouvert à hommes et femmes en dehors du cadre de la religion civique nous était déjà connue par un passage d’Hérodote (4.79) : le roi scythe Scylès « désira se faire initier (τελεσθῆναι) au culte de Dionysos Bakcheios ». Que la pratique rituelle concernée par cette initiation comportait la transe, le vocabulaire du passage ne laisse pas de doute : le dieu « s’empare » (λαμβάνει) du roi qui « fait le Bacchant » (βακχεύει) et « entre en transe sous l’action du dieu » (ὑπὸ τοῦ θεοῦ μαίνεται). Cependant, l’épisode de l’initiation de Scylès ne fait pas allusion à des préoccupations eschatologiques et ne saurait ainsi constituer tout seul un témoignage sur les mystères bachiques (Burkert, 2003BURKERT, W. (2003). Les cultes à mystères dans l’antiquité. Paris, Les Belles Lettres., p. 1-14 ; Jaccottet, 2003JACCOTTET, A.-F. (2003a) Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 1 : Texte. Zürich, Akanthus.a, p. 123-126). Mais, à partir des années 1970, la vision traditionnelle des cultes dionysiaques à mystère a subi une énorme transformation, grâce à la découverte de trois lamelles d’or : l’une a été exhumée à Hipponion (Grande Grèce) en 1969 sur un squelette féminin dont le mobilier funéraire date de la fin du Ve ou du début du IVe siècle avant notre ère ; les deux autres, presque identiques et également placées sur la poitrine de la défunte, ont été trouvées en 1985 dans une même sépulture datée du IVe siècle sur le site de l’antique Pélinna (Thessalie).7 7 Hipponion : OF 474 Bernabé (lamelle I A 1 dans l’édition de Pugliese Carratelli, 2003, p. 33-58 ; lamelle 1 dans l’édition de Graf & Johnston, 2007, p. 4-5 ; et B 10 dans celle de Edmonds, 2011b, p. 30-31 ; Pélinna : OF 485-486 Bernabé (II B 3 et 4 dans Pugliese Carratelli, 2003, p. 117-124 ; 26a et 26b dans Graf & Johnston, 2007, p. 36-37 ; et D 1 et 2 dans Edmonds, 2011b, p. 36-37).

La nouveauté qu’ont apportée ces trois trouvailles au corpus des lamelles inhumées avec les morts réside justement dans l’association directe entre cette pratique funéraire et les mystères bachiques (Graf, 2007GRAF, F. (2007). A History of Scholarship on the Tablets. In: GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge, p. 50-64.a, p. 50-55 ; Edmonds, 2011EDMONDS, R. G. (2011a). Who are you? A brief history of the scholarship. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 3-14.a, p. 3-14). Les textes des lamelles donnent des instructions aux défunts sur leur itinéraire dans l’au-delà. La lamelle d’Hipponion nous offre une version assez développée de ces renseignements, formulés au futur, où l’on s’adresse à la défunte en lui indiquant le parcours à suivre pour arriver au lac de Mnemosyne, duquel il faut boire l’eau. Interrogée par les gardiens du monde infernal, la défunte porte sur sa lamelle la bonne réponse, la déclaration d’identité qui lui donnera accès à la bonne voie ; dans les deux dernières lignes du texte, on lit : « Et toi, quand tu auras bu, tu parcourras la voie sacrée/sur laquelle aussi les autres mystai et bakchoi avancent dans la gloire » (OF 474 Bernabé, 15-16). Cette mention des initiés de Bakchos ne pouvait laisser plus de doute sur l’existence des mystères dionysiaques depuis l’époque classique.8 8 À ce propos, on lira notamment Cole (1980, p. 223-238). L’auteur démontre l’appartenance du corpus des lamelles aux mystères bachiques, contre la proposition de West qui voit l’emploi de bakchoi dans la lamelle d’Hipponion une métaphore, ainsi que contre l’association des lamelles à des groupes « orphiques » (par exemple, Pugliese Carratelli) ou « pythagoriciens » (G. Zuntz). Pour une analyse très détaillée du texte de la lamelle d’Hipponion, avec des revois aux autres lamelles dorées, voir Calame (2006a, p. 234-262) qui défend également un contexte bachique (pas nécessairement orphique) pour l’inscription rituelle de ces lamelles. Dès lors, une nouvelle autorité a pu être attribuée au témoignage du fragment d’Héraclite, où sont associés noctambules, mages, bákchoi, ménades et initiés (DK22 B14), ainsi qu’à celui de l’inscription de Cumes, datant du Ve siècle, qui démarque un terrain funéraire interdit à quiconque « n’a pas été un bakchios ».9 9 LSCG Suppl. 120 Sokolowski, avec Turcan (1986) qui, cependant, voit dans l’emploi du parfait βεβακχεύμενος l’expression non de l’initiation aux mystères bachiques liée à la pratique rituelle de la transe, mais l’accomplissement d’un état d’ascèse orphique. L’ancienneté des mystères de Dionysos Bakchios a été également confirmée par une autre lamelle, publiée en 2001 et trouvée sur la poitrine d’un squelette dans un sarcophage à Amphipolis (Macédoine), datant de la fin du IVe siècle. Néanmoins, son texte s’éloigne des instructions adressées aux morts pour guider leur itinéraire dans l’au-delà : sur la lamelle d’Amphipolis, est inscrite la parole de la défunte à la première personne,10 10 Dans ce sens, cette lamelle se rapproche de celles de Thurii (OF 488-490 Bernabé ; II A 1-2 et II B 1 Pugliese-Carratelli, 2003, p. 98-113 ; 5-7 Graf & Johnston, 2007, p. 12-15 ; A 1-3 Edmonds, 2011b, p. 16-19) et celle de Rome (OF 491 Bernabé; I C 1 Pugliese-Carratelli, 2003, p. 96-97 ; 9 Graf & Johnston, 2007, p. 18-19; A 5 Edmonds, 2011b, p. 21), non seulement par l’énoncé à la première personne, mais aussi par la déclaration de pureté. qui s’identifie : « Pure et consacrée à Dionysos Bakchios, je suis Archéboulè fille d’Antidore » (SEG 51.788 ; OF 496 Bernabé ; 30 Graf & Johnston, 2007GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. (2007). Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge., p. 40; D 4 Edmonds, 2011bEDMONDS, R. G. (2011b). The “Orphic” gold tablets. Texts and translations, with critical apparatus and tables. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 15-50., p. 38).

IV. Un itinéraire outre-tombe : la lamelle de Pélinna

Si la découverte de la lamelle d’Hipponion a été fondamentale en ce qui concerne les mystères de Bakchos, les deux lamelles de Pélinna nous ont apporté des précisions essentielles à propos du rôle assumé par Dionysos dans le monde outre-tombe. Les deux lamelles de Pélinna ont la forme d’une feuille de lierre et, dans la même tombe, une statuette de ménade a été trouvée : les deux insignes renvoient au dieu. Plus courts, leurs textes donnent, eux aussi, des instructions adressées à la défunte à la deuxième personne. Sur la lamelle la plus complète sont inscrits les mots suivants :

νῦν ἔθανες | καὶ νῦν ἐγ|ένου, τρισόλβ | ιε, ἅματι τῶιδε |

εἰπεῖν Φερσεφό | ναι σ’ ὅτι Β<ακ>χιος αὐτὸς | ἔλυσε·

ταῦρος | εἰς γάλ<α> ἔθορες·

αἶψα εἰς γάλα ἔθορες |

<κ>ριὸς εἰς γάλα ἔπεσ<ε>ς

οἶνον ἔχεις εὔδ<α>ιμον τιμὴν |

κἀπ<ι>μέν | νει σ’ ὑπὸ | γῆν τέ | λεα ἅσσα | περ ὄλβιοι ἄλ | λοι.11 11 Au vers 7, Bernabé et Edmonds suivent Luppe qui lit : καὶ σὺ μὲν εἶς ὑπὸ γὴν τελέσας ἅπερ ὄλβιοι ἄλλοι, « Et tu iras sous terre, ayant été initié tout comme les autres bienheureux » ; j’ai retenu ici la lecture de Graf & Johnston et de Pugliese Carratelli (sans la restitution de <τελέοντα> à la fin), qui suivent l’editio princeps de Tsantsanoglou & Parássoglou.

Maintenant, tu es mort, maintenant tu es né, trois fois bienheureux, en ce jour.

Dis à Perséphone que c’est Bakchios lui-même qui t’a délivré.

Taureau, tu as jailli dans le lait ;

immédiatement dans le lait tu as jailli :

bélier, tu es tombé dans le lait,

Tu as le vin comme privilège, ô bienheureux,

et sous terre t’attendent les rites initiatiques des autres bienheureux. (OF 485 Bernabé ; II B 3 Pugliese-Carratelli ; 26a Graf & Johnston ; D 1 Edmonds ; trad. Calame, 2006CALAME, C. (2006a). Pratiques poétiques de la mémoire : Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne. Paris, Editions La découverte.a, p. 268-269)

L’intérêt de ce texte pour la présente étude porte évidemment sur l’action attribuée à Bakchios au vers 2, où le verbe lyo évoque la figure de Dionysos Lysios. Cette lamelle nous offre donc un témoignage, dans un autre contexte cultuel, de l’articulation entre les deux épiclèses, qui est également attestée sur l’Αgora de Corinthe et à côté du théâtre à Sicyone. Et comme c’était le cas à propos des idoles mentionnées par Pausanias, on s’interroge sur le sens précis de la délivrance effectuée par Dionysos. L’interprétation la plus courante s’inscrit dans le consensus établi autour du corpus des lamelles d’or funèbres les qualifiant, toutes, d’orphiques. Le sens de cet adjectif varie, bien entendu, d’une étude à l’autre : il peut s’agir de la proposition d’une véritable doctrine mystériosophique (Bernabé & Jiménez San Crostóban, 2011BERNABÉ, A.; JIMÉNEZ SAN CRISTÓBAL, A. N. (2008). Instructions for the Netherworld. The Orphic Gold Tablets. Leiden, Brill., p. 74 et passim) ou de la mise en rapport étroit des poèmes attribués à Orphée avec les rites initiatiques dionysiaques - d’où l’appellation « orphico-dionysiaque » (Graf, 1991GRAF, F. (1991). Textes orphiques et rituel bacchique. A propos des lamelles de Pélinna. In: BORGEAUG, P. (ed.). Orphisme et Orphée. En l’honneur de Jean Rudhardt. Genève, Droz, p. 87-102. ; Graf, 1993GRAF, F. (1993). Dionysian and Orphic eschatology: New Texts and Old Questions. In: CARPENTER, H. T.; FARAONE C. A. (eds.). Masks of Dionysus. Ithaca, Cornell University Press, p. 239-258. ; Graf, 2007GRAF, F. (2007). A History of Scholarship on the Tablets. In: GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge, p. 50-64. ; Graf, 2011GRAF, F. (2011). Text and Ritual. The Corpus Eschatologicum of the Orphics. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 53-67.). Si je fais le choix de laisser de côté ici la lysis en contexte spécifiquement orphique, c’est en dernier ressort, par une question d’économie. Les études des pratiques religieuses en Grèce ancienne se construisent à l’appui de fragments de textes et vertiges trop lacunaires. S’il il est possible de rendre compte de Dionysos Lysios d’une forme cohérente sans référence à l’orphisme il n’y a pas raison de le faire. Plus spécifiquement, le fait que quelques lamelle soient liées à l’orphisme n’autorise pas l’attribution d’un contexte orphique à toutes les lamelles (sur le débat autour des Orphika, on lira Calame, 2002CALAME, C. (2002). Qu’est-ce qui est orphique dans les Orphica ? Une mise au point introductive. Revue de l’histoire des religions 219, p. 385-400. ; Rudhardt, 2008RUDHARDT, J. (2008). Opera inedita: Essai sur la religion grecque & Recherches sur les Hymnes orphiques. Liége, Presses universitaires de Liège., p. 167-168). Ici, ne seront discutés, sans aucune prétention d’exhaustivité, que les points spécifiques relatifs à la lysis qu’effectue le dieu.

L’itinéraire temporel mis en récit par la lamelle a été relevé par Calame (2008CALAME, C. (2008). Sentiers transversaux : Entre poétiques grecques et politiques contemporaines. Grenoble, Jérôme Millon., p. 180-189 ; 2006aCALAME, C. (2006a). Pratiques poétiques de la mémoire : Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne. Paris, Editions La découverte., p. 268-271) dans son analyse des procédures énonciatives du texte, à partir de la distinction entre « discours » et « récit » proposée par Benveniste (1966BENVENISTE, E. (1966). Problèmes de linguistique générale. Vol. 1. Paris, Gallimard., p. 251-266 ; 1974BENVENISTE, E. (1974). Problèmes de linguistique générale. Vol. 2. Paris, Gallimard., p. 79-88). L’insistance du premier vers sur les déictiques temporels (νῦν, ἅματι τῷδε) ainsi que la présence d’un « tu » allocutaire renvoient au hic et nunc de l’énonciation. Ce hic et nunc fait coïncider le moment de la mort (ἔθανες) avec celui de l’acquisition d’un nouveau statut (ἐγένου) et semble correspondre à l’occasion de l’inhumation de la défunte. L’on se situe donc au niveau du discours. Cependant, l’ancrage énonciatif n’empêche pas que cet acte de parole assume également la forme d’un récit, puisque l’allocutaire du discours et l’acteur du récit se recoupent. Cette convergence des deux instances distinguées par Benveniste est repérable dès le premier vers. En effet, la concomitance de la mort avec le présent de l’énonciation a pour résultat « l’oxymore temporel », pour reprendre la formulation de Calame, qu’est la modification d’un verbe à l’aoriste de l’indicatif par des expressions adverbiales attachées à la deixis ad oculus : « maintenant tu mourus, maintenant tu naquis… en ce jour-ci ». La mort et le changement de statut qu’elle apporte sont à la fois l’occasion du discours et les événements du récit.

De cette façon, après l’injonction de s’adresser à Perséphone au présent de l’énonciation, le texte raconte le parcours de la défunte. Tout en gardant la marque du discours par l’emploi de la deuxième personne, ce récit s’articule en trois phases successivement évoquées : au passé, l’immersion dans le lait (aoristes sans d’autres déictiques temporels) renvoie à l’initiation dans un culte à mystère ; au présent, la possession du vin comme time marque le statut d’initiée au moment d’interpeller Perséphone ; enfin, au futur, l’acquisition définitive du statut de bienheureuse en compagnie des autres initiés. Toujours d’après Calame, ces trois étapes aboutissant dans un changement définitif de statut font, d’ailleurs, penser aux trois phases des rites de passage, selon l’étude classique de Van Gennep (1981). L’initiation est un rite de séparation qui instaure une période de marge où l’initié commence à jouir, déjà de son vivant, du nouveau statut de bienheureux ; mais ce statut ne s’accomplit définitivement qu’après la mort, par le rite d’agrégation qu’est l’accueil de l’initié dans la communauté des bienheureux dans l’Hadès. Aussi, l’articulation ternaire du rite de passage peut-elle rendre compte du préfixe tris- accompagnant olbios, « trois fois bienheureux », tout en étant mise en relief par la structure annulaire résultant de l’évocation de ce statut de bienheureux au premier et au dernier vers de la lamelle. Enfin, c’est par cette mise en récit discursive que le texte de la lamelle revêt tout son pouvoir performatif : en racontant le parcours initiatique de la défunte au moment de son inhumation, le discours gravé sur la lamelle participe de l’accomplissement de ce parcours même.

Si au cours de cet itinéraire initiatique l’acte de parole qui constitue l’adresse à Perséphone a lieu dans le présent de l’énonciation (εἰπεῖν, infinitif à valeur impérative), le contenu de cette adresse se situe au passé (ἔλυσε, aoriste de l’indicatif sans d’autres déictiques temporels). C’est-à-dire que la libération effectuée par Dionysos est un pré-réquisit de l'agrégation dans la communauté des bienheureux aux enfers. La lysis renvoie donc à des pratiques rituelles antérieures à la mort. Et l’encadrement cultuel où ces rites préalables sont placés par les études modernes sur la religion grecque est décisif pour le sens attribué à la lysis, notamment à son objet : de quoi Dionysos délivre-t-il ?

V. L’hypothèse de l’anthropogonie titanique

Ceux qui associent les lamelles funéraires à un contexte orphique n’ont aucune réticence à attacher la lysis dionysiaque à la légende de l’anthropogonie à partir du crime des Titans. Selon la version proposée par une de ses reconstitutions modernes, cette légende raconte que :

Zeus et sa fille Perséphone ont un enfant, Dionysos, appelé aussi Zagreus par quelques sources. Les Titans, jaloux et incités par Héra, trompent Dionysos avec des objets divers, le tuent, le démembrent et mangent ses chairs. Zeus foudroie alors les Titans. Et c’est de la cendre des Titans et des dépouilles du même Dionysos qui naissent les hommes. Aussi leur nature sera-t-elle double. Tandis que Dionysos est réintégré dans sa condition première, les hommes héritent le péché de leurs ancêtres les Titans et doivent l’expier. Une telle expiation s’effectue au long de plusieurs vies et exige l’accomplissement de toute une série de conditions, rituelles, morales et en rapport avec certains tabous, qui mèneront à la délivrance de cette tache originelle. Ces conditions accomplies, l’âme, divine, s’intègre dans la communauté des dieux. Sinon, elle devra poursuivre son pénible cycle de maux et de réincarnations. (Bernabé, 2002BERNABÉ, A. (2002). La toile de Pénélope : a-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? Revue de l’histoire des religions 219, n. 4, p. 401-433., p. 403)

De la sorte, pour Bernabé, une lysis effectuée par Dionysos et évoquée dans une adresse à Perséphone ne peut renvoyer qu’à la libération du cycle des âmes après l’expiation du crime originel commis par les Titans (2002BERNABÉ, A. (2002). La toile de Pénélope : a-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? Revue de l’histoire des religions 219, n. 4, p. 401-433., p. 416-418). Mais l’emploi de l’aoriste ἔλυσε dans la lamelle en situant la libération dans le passé, fait obstacle à cette interprétation, puisque la libération du cycle des réincarnations ne peut avoir lieu qu’après la mort. Nonobstant, comme toute légende, reconstituée ou non, le récit de l’anthropogonie à partir de la faute titanique a ses variantes dans les études modernes sur l’orphisme, avec des conséquences sur l'interprétation de la lysis. Ainsi, Graf (1993GRAF, F. (1993). Dionysian and Orphic eschatology: New Texts and Old Questions. In: CARPENTER, H. T.; FARAONE C. A. (eds.). Masks of Dionysus. Ithaca, Cornell University Press, p. 239-258., p. 242 ; 2011, p. 56-59), qui ne voit pas le cycle des réincarnations comme un élément distinctif de l’orphisme, identifie l’objet de la libération dionysiaque avec la faute des Titans, i.e. la lysis en serait l’expiation (Graf, 1991GRAF, F. (1991). Textes orphiques et rituel bacchique. A propos des lamelles de Pélinna. In: BORGEAUG, P. (ed.). Orphisme et Orphée. En l’honneur de Jean Rudhardt. Genève, Droz, p. 87-102., p. 90 ; 1993GRAF, F. (1993). Dionysian and Orphic eschatology: New Texts and Old Questions. In: CARPENTER, H. T.; FARAONE C. A. (eds.). Masks of Dionysus. Ithaca, Cornell University Press, p. 239-258., p. 243-244).

Or l’identification de l’objet de la lysis dionysiaque avec la faute des Titans mangeurs de Dionysos peut être réfutée dans deux niveaux. En premier lieu, et plus généralement, l’existence même d’un récit de l’anthropogonie titanique dans l’antiquité a été mise en question par Edmonds (1999EDMONDS, R. G. (1999). Tearing apart the Zagreus Myth: A Few Disparaging Remarks on Orphism and Original Sin. Classical Antiquity 18, p. 35-73.), dans un article où l’auteur montre comment les érudits ont construit cette légende tout en projetant sur des fragments narratifs anciens l’idée chrétienne d’un péché originel. La critique pénétrante d’Edmonds a suscité la réplique de Bernabé (2002BERNABÉ, A. (2002). La toile de Pénélope : a-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? Revue de l’histoire des religions 219, n. 4, p. 401-433.), qui nous a offert un outil de travail très commode en réunissant dans un article les principaux textes anciens, du Ve siècle avant notre ère au VIe siècle après notre ère, à l’appui desquels on parle d’une « anthropogonie orphique ». Cependant, comme le souligne Edmonds (2008)EDMONDS, R. G. (2008). Recycling Laertes’ Shroud: More on Orphism and Original Sin. Center for Hellenic Studies, Harvard University. Disponível em: http://chs.harvard.edu/wa/pageR?tn=ArticleWrapper&bdc=12&mn=1297.
http://chs.harvard.edu/wa/pageR?tn=Artic...
dans sa réponse à la réplique de Bernabé, ce qui fait problème dans l’approche du savant Espagnol n’est pas exactement l’interprétation donnée à ces textes, mais l’attribution d’une nature fixe à une légende - ce qui est en contradiction avec le caractère dynamique des traditions légendaires grecques. Ceux qui soutiennent une croyance dans un péché originel à être expié chez les adeptes de la « vie orphique » transforment en doctrine une légende dont la reconstitution est déjà assez problématique. En effet, une bonne partie de l’argumentation développée par Bernabé (2002BERNABÉ, A. (2002). La toile de Pénélope : a-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? Revue de l’histoire des religions 219, n. 4, p. 401-433., p. 404) repose sur une conception structuraliste de la notion de mythe dont les périls ont été bien mis en évidence par Calame (2011CALAME, C. (2011). Mythe et histoire dans l’Antiquité grecque : La création symbolique d’une colonie. 2ed. Paris, Les Belles Lettres., p. 19-89). Rassembler plusieurs textes anciens pour chercher le « paradigme du mythe », en l’occurrence celui de l’anthropogonie titanique, équivaut à les réduire à un schéma narratif autonome, aux dépens des formes discursives et des situations de communication singulières indispensables à leurs significations. À ce propos, le reproche qu’adresse Bernabé à Edmonds d’avoir « toujours envisagé le mythe sous son aspect exclusivement littéraire, sans s’être occupé de son emploi rituel ou religieux » (Bernabé, 2002BERNABÉ, A. (2002). La toile de Pénélope : a-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? Revue de l’histoire des religions 219, n. 4, p. 401-433., p. 413) ne peut que surprendre. Mais, loin de renvoyer à des situations rituelles de mise en discours, ce que Bernabé veut dire par « l’emploi rituel » du mythe semble désigner le contenu des récits en tant que croyance des adeptes de la pratique. De même, si Bernabé accorde une place d’importance à l’analyse des textes citant les témoins rassemblés dans son dossier, cette analyse reste attachée à la quête du « schéma du mythe » assimilé à une croyance. Cependant, comment saurait-on tenter de saisir non seulement les significations d’un « mythe », mais aussi le rôle joué par ses actualisations rituelles, sans s’être occupé de ses situations de communication ni de ses formes discursives ?

VI. L’arbitrage de Perséphone

Même si l’on accepte qu’un récit de la création de l’humanité à la suite de la faute des Titans circulât parmi les adeptes de la vie orphique, rien dans le texte seul de la lamelle ne permet d’identifier la lysis dionysiaque avec la faute de Titans. Cette association prend appui sur la mise en parallèle avec d’autres textes, qui peut également être contestée. La mention de Perséphone et de Dionysos dans le deuxième vers de la lamelle est le point de départ de la lecture orphique du texte. Mais cette présence se justifie tout simplement du fait que la déesse est la reine du monde souterrain et que la défunte est une initiée dans les mystères de Bakchos. Même si aucun lien de parenté entre les divinités n’est évoqué par la lamelle, on a voulu faire de la Perséphone interpellée par la défunte la mère de Dionysos. Cela a été proposé notamment à partir d’une articulation entre cette adresse de Pélinna et les adresses à la même déesse dans les lamelles de Thurii (OF 489 e 490 Bernabé ; II A 1 et 2 Pugliese-Carratelli ; 6-7 Graf & Johnston ; A 2-3 Edmonds), par l’intermédiaire d’un fragment de thrène de Pindare. Le fragment de Pindare est cité dans un passage du Ménon de Platon (Me. 81b-c) où le personnage de Socrate discute l’immortalité de l’âme et le cycle de réincarnations. Dans ce contexte, il mentionne « ceux dont Perséphone a accepté compensation d’un ancien chagrin » (ποινὰν παλαιοῦ πένθεος, Pind. fr. 133 Maehler, 1-2), et qui quittent ainsi les vies mortelles. Cependant, Socrate évoque les mots divins du poète pour justifier l’adoption d’une vie pieuse, sans la moindre mention des Titans ou de Dionysos. Certes, on parle d’un ancien chagrin de la déesse, mais rien dans le texte n’associe ce chagrin à la mort de Dionysos. Qui plus est, dans le contexte athénien de l’écriture et du public platoniciens, ce penthos situé dans le temps légendaire peut bien renvoyer au chagrin de son rapt par Hadès, comme le suggère Edmonds (2008EDMONDS, R. G. (2008). Recycling Laertes’ Shroud: More on Orphism and Original Sin. Center for Hellenic Studies, Harvard University. Disponível em: http://chs.harvard.edu/wa/pageR?tn=ArticleWrapper&bdc=12&mn=1297.
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, paragraphes 14-57). Chagrin pour lequel Perséphone reçoit en compensation sa position même de reine du monde souterrain, ainsi que les honneurs cultuels attachés à cette position, offerts par les mortels. Même si le mot poine n’est pas employé dans le passage, ces paroles d’Hadès dans l’Hymne homérique à Déméter définissent avec précision la récompense de Perséphone, dans le cadre des Mystères d’Éleusis :

ἔρχεο Περσεφόνη παρὰ μητέρα κυανόπεπλον ἤπιον ἐν στήθεσσι μένος καί θυμὸν ἔχουσα, μηδὲ τι δυσθύμαινε λίην περιώσιον ἄλλων. οὔ τοι ἐν ἀθανάτοισιν ἀεικὴς ἔσσομ’ ἀκοίτης αύτοκασίγνητος πατρὸς Διός· ἔνθα δ’ἐοῦσα δεσπόσσεις πάντων ὁπόσα ζώει τε καὶ ἕρπει τιμὰς δὲ ἀδικησάντων τίσις ἔσσεται ἤματα πάντα ὅι κεν μὴ θυσίαισι τεὸν μένος ἱλάσκωνται εὐαγέως ἔρδοντες ἐναίσμα δῶρα τελοῦντες.

Va Perséphone, auprès de ta mère voilée de noir ; mais garde en ta poitrine une humeur et un cœur sereins. Ne te désespères pas trop, bien au-delà de la mesure. L’époux que tu auras en moi n’est point indigne de toi parmi les immortels : je suis le propre frère de Zeus le père. Quand tu seras ici, tu régneras sur tous les êtres qui vivent et qui se meuvent ; tu auras les plus grands honneurs parmi les immortels. Et ceux qui commettent des injustices seront châtiés pour toujours, [ainsi que ?] quiconque n’apaise pas ton cœur par de pieux sacrifices et les offrandes qui te reviennent. (h. Hom. 2.360-369 ; trad. Humbert, 1941HUMBERT, J. (1941). Homère. Hymnes. Paris, Les Belles Lettres., p. 53, modifiée)

Richardson (1974RICHARDSON, N. (1974). The Homeric Hymn to Demeter. Oxford, Clarendon Press., p. 271-274) note la ressemblance entre ces vers et ceux qui font référence à l’institution des Mystères d’Éleusis (h. Hom. 2.273-274 ; voir aussi Calame, 2008CALAME, C. (2008). Sentiers transversaux : Entre poétiques grecques et politiques contemporaines. Grenoble, Jérôme Millon., p. 270-271), aussi bien que l’ambiguïté de τῶν ἀδικησάντων au vers 367 : les actes injustes peuvent renvoyer à ne pas rendre honneur à Perséphone ou, plus généralement, à commettre des injustices parmi les humains, selon que l’on considère qu’οἵ κεν définit τῶν ἀδικησάντων ou qu’on lui attribue une valeur conditionnelle (il y aura punition des injustes et également si les mortels ne rendent pas honneur à la déesse). La première lecture s’accorde mieux avec la syntaxe des vers de l’hymne ; dans ce cas sont châtiés dans l’au-delà tous les non-initiés. La deuxième lecture accroît la portée du pouvoir d’arbitrage de Perséphone et s’accorde mieux avec le rôle que le Socrate du Ménon attribue à la déesse en l’évoquant dans sa défense d’une vie pure ; alors, il y aurait dans le monde souterrain trois catégories : les initiés bienheureux, les non-initiés damnés et les injustes éternellement châtiés. Or l’association entre le récit du rapt de Perséphone et l’établissement de ses honneurs cultuels n’est pas exclusive d’Éleusis : en témoignent les pinakes figurant la scène du rapt, trouvés aux alentours du sanctuaire de Perséphone à Locres Épizéphirienne en Grande Grèce.12 12 Pays où Perséphone recevait des honneurs non seulement en tant que reine des enfers, mais aussi en tant que divinité présidant le mariage et l’enfantement ; sur les pinakes et les rôles de Perséphone à Locres, voir Sourvinou-Inwood (1978, p. 101-118). Ainsi, dans les lamelles provenant du Timpone Piccolo à Thurii, la déclaration que l’initié adresse à Perséphone - ποινὰν δ’ἀνταπέτεισ’ ἔργων ἕνεκα οὔτι δικαίων, « j’ai payé la compensation pour les actes injustes » (OF 489 e 490 Bernabé, 4 ; II A 1 et 2 Pugliese-Carratelli; 6-7 Graf & Johnston ; A 2-3 Edmonds) - peut renvoyer aux honneurs rendus à la déesse où, plus probablement, à l’acquit des injustices commises par lui-même. Quelle que soit l’extension de l’arbitrage de Perséphone, la compensation qui lui est due n’a donc aucun rapport nécessaire avec le démembrement de Dionysos et la légende des Titans.

VII. Dionysos Lyseus dans OF350 Bernabé

La conjonction de Dionysos et Perséphone n’est que le point de départ de l’identification de la faute des Titans avec l’objet de la lysis dionysiaque dans la lamelle de Pélinna. Cette identification se fonde notamment sur un passage du commentaire de Damascius au Phédon de Platon, où sont cités des vers attribués à Orphée. Dans le texte platonicien, Socrate, au seuil de la mort, discute avec Cébès à propos du suicide et cite une formule qu’il dit être prononcée dans les Mystères : « Nous, les humains, sommes comme dans une prison et il est interdit de s’en libérer (λύειν) soi-même et de s’en fuir » (Phaed. 62b). Cet à quoi, Damascius ajoute :

Ὅτι ὁ Διόνυσος λύσεώς ἐστιν αἴτιος· διὸ καὶ Λυσεὺς ὁ θεός, καὶ ὁ Ὀρφεύς φησιν·

ἄνθρωποι δὲ τεληέσσας ἑκατόμβας

πέμψουσιν πάσῃσιν ἐν ὥραις ἀμφιέτῃσιν

ὄργιά τ’ ἐκτελέσουσι λύσιν προγόνων ἀθεμίστων

μαιόμενοι· σὺ δὲ τοῖσιν ἔχων κράτος, οὕς κε θέλῃσθα

λύσεις ἔκ τε πόνων χαλεπῶν καὶ ἀπείρονος οἴστρου.

Parce que c’est Dionysos qui est chargé de la libération. C’est pourquoi le dieu est Lyseus et Orphée dit :

Et les humains, des hécatombes parfaites,

ils t’enverront, en toute saison chaque année

et ils accompliront les rites en quête de libération des ancêtres

sans lois ; car c’est toi qui as le pouvoir sur eux : selon ton gré,

tu les libères des pénibles fatigues et des tourments sans fin.

(Dam. In Phaed. 1.11 Westerink = OF 350 Bernabé)

Dans le texte de Platon, le verbe lyein prononcé par Socrate fait référence à la séparation du corps et de l’âme au moment de la mort. Damascius, dans son commentaire, attribue cette action universellement à Dionysos à partir d’épiclèse Lyseus. La citation des vers d’Orphée semble intervenir pour donner confirmation à l’explication avancée. Cependant, on remarque un décalage entre les significations de lyein dans le texte de Platon et dans le commentaire de Damascius d’une part, et dans les vers attribués à Orphée, d’autre part. Car les hexamètres n’identifient pas directement la libération avec la mort. La référence à une lysis des fautes des ancêtres se situe, bien entendu, au centre de l’argumentation de ceux qui assimilent la lysis effectuée par Dionysos dans la lamelle de Pélinna à la faute des Titans. D’après Graf (1991GRAF, F. (1991). Textes orphiques et rituel bacchique. A propos des lamelles de Pélinna. In: BORGEAUG, P. (ed.). Orphisme et Orphée. En l’honneur de Jean Rudhardt. Genève, Droz, p. 87-102., p. 90 ; Graf, 1993GRAF, F. (1993). Dionysian and Orphic eschatology: New Texts and Old Questions. In: CARPENTER, H. T.; FARAONE C. A. (eds.). Masks of Dionysus. Ithaca, Cornell University Press, p. 239-258., p. 244), ces ancêtres sans lois sont forcément les Titans, puisque Dionysos a le pouvoir sur eux, qui seraient les seuls ancêtres humains ayant un rapport avec le dieu. Néanmoins, cette interprétation prend προγόνων ἀθεμίστων pour l’antécédent de τοῖσι, ceux sur qui Dionysos a le pouvoir : la lecture n’est pas la seule possible, ni la plus évidente. En effet, il semble plus naturel de voir dans l’article un renvoi au sujet des verbes du poème, c’est-à-dire aux humains accomplissant les rites pour le dieu. Se pose, dès lors, la question de l’identité cultuelle de ces humains.

Indépendamment de l’inclusion de ces hexamètres dans les Discours sacrés en 24 rhapsodies attribués à Orphée, la mention des hécatombes parfaites exclue d’emblée les adeptes de la « vie orphique » en tant qu’exécutants de ces actes, puisqu’ils refusent justement le sacrifice sanglant (Detienne, 1998DETIENNE, M. (1998b). Dionysos mis à mort. Paris, Gallimard.b, p. 169-170). Graf voit dans ce fragment une opposition entre « le culte non mystérique avec son sacrifice sanglant » et les mystères de Dionysos célébrés exclusivement par les adeptes d’Orphée qu’il identifie avec les lysioi teletai (Graf, 1991GRAF, F. (1991). Textes orphiques et rituel bacchique. A propos des lamelles de Pélinna. In: BORGEAUG, P. (ed.). Orphisme et Orphée. En l’honneur de Jean Rudhardt. Genève, Droz, p. 87-102., p. 90). Mais il n’indique pas quelle serait la marque discursive d’une telle opposition : le premier δέ, s’il a une valeur oppositive, serait en contraste avec les vers précédents ; le deuxième δέ, au vers 4, semble assumer plutôt une valeur intensive. Je présume que Graf attribue une valeur d’opposition au δέ du vers 4, dans la supposition que les sacrifices et les rites mentionnés dans les vers 1 à 4 seraient tous inefficaces.

Or l’hexamètre ouvrant ce fragment attribué à Orphée reprend une formule du premier Hymne homérique à Dionysos :

[…] καί οἱ ἀναστήσουσιν ἀγάλματα πόλλ’ ἐνὶ νηοῖς.

ὡς δὲ τὰ μὲν τρία, σοὶ πάντως τριετηρίσιν αἰεὶ

ἄνθρωποι ῥέξουσι τεληέσσας ἑκατόμβας.

ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ’ ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων·

ἀμβρόσιαι δ’ ἄρα χαῖται ἐπερρώσαντο ἄνακτος

κρατὸς ἀπ’ ἀθανάτοιο, μέγαν δ’ ἐλέλιξεν Ὄλυμπον.

« […] et dans les temples ils élèveront nombreuses statues votives.

Comme ces choses sont triples, chaque troisième année, toujours et immanquablement,

les humains t’offriront des hécatombes parfaites. »

Ainsi dit le Cronide, et il acquiesça de ses sombres sourcils :

alors la chevelure nectarée flotta sur la tête immortelle

du seigneur et fit trembler le vaste Olympe.

(h. Hom. 1.10-15 Càssola)

Cet hymne nous est parvenu dans un état très fragmentaire. Nous n’en avons qu’une vingtaine de vers en deux fragments (Càssola, 1975CÀSSOLA, F. (ed.). (1975). Inni Omerici. Milano, Fondazione Lorenzo Valla., p.18 et 20) : le premier, contenant les vers 1 à 9, nous a été transmis par la tradition indirecte, étant cité par Diodore de Sicile et par une scolie à Apollonios de Rhodes13 13 Diod. Sic. 3.6.3 ; Σ Apoll. Rhod. 2.1209-1215c. Plus récemment, ce fragment a été également identifié par Hurst (1994), avec des vers supplémentaires, dans un papyrus à Genève (432). ; le deuxième fragment (10-21) nous est parvenu par la tradition manuscrite, mais ne figure que dans un seul codex.14 14 M = Leidensis 33 H, qui contient l’Iliade 8.435 à 13.134 et les Hymnes homériques 1, 10 à 18, 4. Il s’agit également du seul manuscrit nous transmettant l’Hymne à Déméter (2) ; sur la tradition manuscrite des Hymnes homériques, voir Càssola, 1975, p. 593-619 ; West, 2003, p. 20-23. Cependant, la position qu’il occupe dans ce manuscrit, précédant l’Hymne à Déméter (2), indique qu’il comptait entre les prooimia, c’est-à-dire les poèmes les plus longs de la collection des hymnes homériques que récitaient les rhapsodes en prélude aux poèmes épiques. Le passage cité clôt la partie narrative de l’hymne, étant suivie par les prières adressées à Dionysos et à Sémélé. Le thème de l’autre fragment, le lieu de naissance du dieu à Nysa, éloignée des hommes et d’Héra, situe ses vers au début de la partie narrative. Le récit de la naissance d’une divinité et de son intégration au panthéon, avec la délimitation des timai qui lui sont propres, n’est pas rare dans la collection : on le retrouve dans l’hymne à Apollon (3), à Hermès (4), à Héraclès (15), à Athéna (28) et aux Dioscures (33). Il est donc légitime de penser que la partie perdue du premier hymne à Dionysos, remplissant l’énorme lacune entre les deux fragments, racontait un épisode légendaire aboutissant dans l’accueil de Dionysos dans le panthéon. Les paroles que Zeus lui adresse dans le passage cité consolident ainsi le statut d’Olympien auquel accède Dionysos. Ce statut implique également le rôle de destinataire des offrandes humaines, qui confirment ses qualités divines : pour un dieu les timai sont à la fois ses attributs et les honneurs qu’il reçoit en fonction de ces attributs (Rudhardt, 1981RUDHARDT, J. (1981). Du mythe, de la religion grecque et de la compréhension d’autrui. Genève, Droz., p. 227-233 ; Clay, 1999CLAY, J. S. (1999). The Homeric Hymns. In: MORRIS, I.; POWELL, B. B. (eds.). A New Companion to Homer. Leiden, Brill, p. 489-507., p. 489-507 ; Richardson, 2010RICHARDSON, N. (2010). Three Homeric Hymns: To Apollo, Hermes, and Aphrodite. Cambridge, Cambridge University Press., p. 1-9). Dans la tentative d’identifier la légende rapportée par le premier Hymne à Dionysos, on a proposé d’intégrer les morceaux d’hexamètres sur un papyrus d’Oxyrhynque où il est possible d’identifier un récit du retour d’Héphaïstos à l’Olympe.15 15 West (2001; West, 2003, p. 26-30), en suivant R. Merkelbach, intègre le Pap. Oxy. 670 Grenfell-Hunt au premier Hymne homérique à Dionysos. Contra: Càssola (1975, p. 15), qui réfute l’inclusion des hexamètres de ce papyrus à l’hymne homérique en argumentant que l’expression ὠς δὲ τὰ μὲν τρία explique l’origine des fêtes triétérides. Pour le savant Italien, la seule possibilité serait d’y voir une allusion aux trois naissances de Dionysos selon la légende de son démembrement par les Titans, quoique dans une version « non orphique » (cf. p. 13-14 pour l’hypothèse des différentes versions). D’après la légende, en faisant usage du vin, Dionysos est la seule divinité capable de convaincre Héphaïstos, ivre, à délivrer Héra du trône magique où elle était attrapée. En effet, le récit s’accorderait bien avec la thématique de l’intégration du dieu au panthéon, puisqu’en reconnaissance de cet acte, Héra doit accepter Dionysos dans l’Olympe (voir Hedreen, 2004HEDREEN, G. (2004). The Return of Hephaistos, Dionysiac Procession Ritual and the Creation of a Visual Narrative. Journal of Hellenic Studies 124, p. 38-64., p. 38-45, qui compare les différents traitements de la légende selon le support, textuel ou figuratif, de son actualisation).

Quoi qu’il en soit de la partie perdue de l’Hymne à Dionysos, la reprise du vers 12 de cet hymne par l’OF 350 Bernabé permet de nous imaginer des contextes à la fois narratifs et énoncifs pour les hexamètres attribués à Orphée. À ce propos, il est encore remarquable que l’annonce d’hécatombes futures apparaisse également dans l’Hymne homérique à Apollon (3, 57). Au niveau narratif, les vers du fragment orphique devraient appartenir à un récit dont la conclusion rendait compte des actes rituels décrits au futur dans OF 350 Bernabé. Dans le cadre d’un passage théogonique des Discours sacrés en 24 rhapsodies, on pourrait penser à la transmission du sceptre à Dionysos par Zeus (à propos de la cosmogonie « rapsodique », voir Brisson, 1985BRISSON, L. (1985). Les théogonies orphiques et le papyrus de Derveni (Notes critiques). Revue de l’histoire des religions 202, p. 389-420., p. 392-394 ; Brisson, 2004, p. 95-100) - ce qui d’ailleurs s’accorde avec la formulation du vers 4 : Dionysos a le pouvoir (kratos) sur les humains. Néanmoins, l’hypothèse des Rhapsodies comme un poème théogonique cohérent est peu probable (Edmonds, 2011EDMONDS, R. G. (2011c). Orphic Mythology. In: DOWDEN, K.; LIVINSTONE, N. (eds.). A Companion to Greek Mythology. Blackwell, Malden, p. 73-106.c, p. 77). D’ailleurs, d’un point de vue stylistique, ce fragment en discours direct s’écarte des procédures de réorientation de la diction homérique mise au service de la théologie orphique qu’on trouve, par exemple, dans le fragment cosmogonique centré sur la figure de Zeus (OF 243 Bernabé), où l’usage de l’asyndète permet de faire accumuler plusieurs attributs dans la figure divine de Zeus tout en insistant sur l’unité de cette même figure, ainsi que sur l’unité du cosmos à partir du multiple (Calame, 2010CALAME, C. (2010). The Authority of Orpheus Poet and Bard: Between Tradition and Written Practice. In: MITSIS, P.; TSAGALIS C. (ed.). Allusion, Authority and Truth: Critical Perspectives on Greek Poetics and Rhetorical Praxis. Berlin, De Gruyter, p. 13-35., 19-23). On ne peut donc pas exclure que le fragment cité par Damascius intégrât un hymne à Dionysos, semblable aux hymnes homériques, à l’instar de l’hymne à Déméter attribué à Orphée transmis par le Papyrus de Berlin 13044, qui reprend des passages de l’Hymne homérique 2 (sur ce papyrus, cf. Edmonds, 2011cEDMONDS, R. G. (2011c). Orphic Mythology. In: DOWDEN, K.; LIVINSTONE, N. (eds.). A Companion to Greek Mythology. Blackwell, Malden, p. 73-106., p. 83 ; Richardson, 1974RICHARDSON, N. (1974). The Homeric Hymn to Demeter. Oxford, Clarendon Press., p. 66-67, 77-86 ; à propos de la tradition qui fait du poète chanteur Orphée un compositeur notamment d’hymnes, voir Rudhardt, 2008RUDHARDT, J. (2008). Opera inedita: Essai sur la religion grecque & Recherches sur les Hymnes orphiques. Liége, Presses universitaires de Liège., p. 165-166).

Au niveau énoncif, l’interlocuteur de Dionysos semble être une figure d’autorité, probablement Nuit comme dans d’autres fragments orphiques - OF 5 Bernabé= Derv. Pap. col.8, 4-5 ; OF 113 Bernabé ; OF 238 Bernabé = Orph. Arg. 28 - ou Zeus tout comme dans l’Hymne homérique 1. Or l’attribution d’une valeur d’opposition au δὲ du vers 4 (σὺ δὲ τοῖσιν ἔχων κράτος) que semble proposer Graf, indiquerait un scénario insistant sur le pouvoir du dieu de répondre ou non aux prières humaines. Cependant, rien n’est dit sur qui seraient les élus de la faveur divine. Il est vrai que l’auteur du papyrus de Derveni oppose les initiés connaisseurs et les non-initiés ignorants, et semble dénoncer l’inefficacité des rites mystiques quand ils sont accomplis dans l’ignorance, c’est-à-dire sans l’interprétation cosmothéogonique caractéristique des adeptes de la « vie orphique » (Calame, 2005CALAME, C. (2005). Masques d’autorité : Fiction et pragmatique dans la poésie grecque antique. Paris, Les Belles Lettres., p. 292-298).16 16 La sphragis d’Orphée (OF 1 Bernabé) résume bien cette attitude « Je vais chanter pour ceux qui comprennent ; fermez les portes de vos oreilles, profanes ». Mais, dans le fragment cité par Damascius, l’absence de mention à des groupes distincts d’initiés ou de connaisseurs fait obstacle à l’application d’une telle opposition. On y parle des humains en général. D’autre part, si le fragment appartenait à un hymne proche des hymnes homériques, il semble difficile que la conclusion de son récit mette en question d’une manière si absolue le contrat de réciprocité entre l’offrande humaine et la faveur divine, contrat qui régit cette forme poétique lorsqu’elle est liée à une pratique cultuelle (Calame, 2005CALAME, C. (2005). Masques d’autorité : Fiction et pragmatique dans la poésie grecque antique. Paris, Les Belles Lettres., p. 43-71 ; Furley & Bremer, 2001FURLEY, W.; BREMER, J. M. (2001). Greek Hymns: Selected Cult Songs from the Archaic to the Hellenistic period. Vol. 1: The Texts in Translation. Tübingen, Mohr Siebeck., p. 55-63). Il est donc plus simple d’envisager la description des actes rituels que recevra Dionysos dans le cadre traditionnel des pratiques religieuses grecques, en tant que façon de rendre honneur au dieu. En revanche, ce qui semble constituer un trait distinctif des rites dans ce fragment cité par Damascius, aussi bien par rapport à l’Hymne homérique à Dionysos qu’aux fêtes en honneur du dieu en général, c’est leur périodicité assez libre : en toute saison (OF 350 Bernabé, 2). Contrairement aux fêtes civiques de Dionysos avec leur calendrier fixé par la cité, maintes fois triétériques, les cultes à mystère du dieu se sont en général développés dans le cadre associatif, où chaque groupe établit son propre calendrier rituel à son gré (Cole, 1980COLE, S. G. (1980). New evidence for the Mysteries of Dionysos. Greek, Roman, and Byzantine Studies 21, p. 223-238., p. 236 ; Jaccottet, 2003JACCOTTET, A.-F. (2003a) Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 1 : Texte. Zürich, Akanthus.a, p. 58, 123-146). Les humains des vers cités par Damascius seraient donc des initiés aux mystères dionysiaques tout court - ce qui s’accorde également avec la formulation du vers 4 : étant des initiés à Dionysos, le dieu a le pouvoir sur eux.

Outre la question de l’identité cultuelle des humains mentionnés par OF 350 Bernabé, il semble légitime de s’interroger si se recoupent la lysis des fautes des ancêtres et celle des fatigues et tourments. Cependant, dans la mesure où elle fait appel aux chemins de la justice en Grèce ancienne, cette question requiert encore une digression.

VIII. Les « fautes ancestrales » et les lots humains

La délivrance des injustices à travers des pratiques rituelles initiatiques est mentionnée par Platon dans un célèbre passage de la République où l’on fait la critique du principe de réciprocité entre dieux et humains dans les actes cultuels votifs (Pl. R. 2.364a-366a). Plus précisément, Adimante, locuteur du passage, dénonce les représentations des dieux chez les poètes dans la mesure où elles lui semblent contraires à l’idéal éthique d’une vie gouvernée par la justice comme fin en elle-même. Tantôt les poètes incitent à la justice parce que les dieux sont tenus de la récompenser (R. 2.363a-e, où sont cités Hom. Od. 19.109-113 ; Hes. Op. 232-234; et, dans un résumé descriptif du contenu de leurs vers, Musée e Eumolpe = OF 431 et 434 Bernabé), tantôt ils affirment que les dieux se laissent fléchir par les offrandes humaines (Pl. R. 2.364d-e où est cité Hom. Il. 9.497-501). Ces représentations poétiques des divinités se révèlent opportunes aux :

ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις ἐπὶ πλουσίων θύρας ἰόντες πείθουσιν ὡς ἔστι παρὰ σφίσι δύναμις ἐκ θεῶν ποριζομένη θυσίαις τε καὶ ἐπῳδαῖς, εἴτε τι ἀδίκημά του γέγονεν αὐτοῦ ἢ προγόνων, ἀκεῖσθαι μεθ’ ἡδονῶν τε καὶ ἑορτῶν […]

charlatans et devins qui vont aux portes des riches et les persuadent d’être possesseurs d’un pouvoir, accordé par les dieux au moyen de sacrifices et incantations, et que s’il y a des injustices commises par soi-même ou par les ancêtres, ils peuvent y porter remède avec des réjouissances et festivités. (Pl. R. 2.364b-c)

Après citer Homère et Hésiode, Adimante poursuit :

βίβλων δὲ ὅμαδον παρέχονται Μουσαίου καὶ Ὀρφέως, Σελήνης τε καὶ Μουσῶν ἐκγόνων, ὥς φασι, καθ’ ἃς θυηπολοῦσιν, πείθοντες οὐ μόνον ἰδιώτας ἀλλὰ καὶ πόλεις, ὡς ἄρα λύσεις τε καὶ καθαρμοὶ ἀδικημάτων διὰ θυσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν εἰσι μὲν ἔτι ζῶσιν, εἰσὶ δὲ καὶ τελευτήσασιν, ἃς δὴ τελετὰς καλοῦσιν, αἳ τῶν ἐκεῖ κακῶν ἀπολύουσιν ἡμᾶς, μὴ θύσαντας δὲ δεινὰ περιμένει.

Ils se munissent d’une multitude de livres de Musée et d’Orphée, nés de la Lune et les Muses, disent-ils, et ils accomplissent les sacrifices d’après ces livres, tout en persuadant non seulement des individus, mais aussi des cités, qu’il est possible de délivrer et de purifier les injustices par le biais de sacrifices et de réjouissances ludiques, aussi bien de leur vivant qu’après leur mort. Ces choses-là, ils les appellent initiations, lesquelles nous délivrent des maux de l’au-delà, alors que des choses terribles attendent ceux qui ne sacrifient pas. (R. 2.364e-365a)

Enfin, Adimante revient à la lysis des injustices à la fin de son développement sur les représentations des dieux chez les poètes :

εἰ δ’ οὖν πειστέον, ἀδικητέον καὶ θυτέον ἀπὸ τῶν ἀδικημάτων. δίκαιοι μὲν γὰρ ὄντες ἀζήμιοι μόνον ὑπὸ θεῶν ἐσόμεθα, τὰ δ' ἐξ ἀδικίας κέρδη ἀπωσόμεθα· ἄδικοι δὲ κερδανοῦμέν τε καὶ λισσόμενοι ὑπερβαίνοντες καὶ ἁμαρτάνοντες, πείθοντες αὐτοὺς ἀζήμιοι ἀπαλλάξομεν. “ Ἀλλὰ γὰρ ἐν Ἅιδου δίκην δώσομεν ὧν ἂν ἐνθάδε ἀδικήσωμεν, ἢ αὐτοὶ ἢ παῖδες παίδων.” Ἀλλ', ὦ φίλε, φήσει λογιζόμενος, αἱ τελεταὶ αὖ μέγα δύνανται καὶ οἱ λύσιοι θεοί, ὡς αἱ μέγισται πόλεις λέγουσι καὶ οἱ θεῶν παῖδες ποιηταὶ καὶ προφῆται τῶν θεῶν γενόμενοι, οἳ ταῦτα οὕτως ἔχειν μηνύουσιν.

S’il faut les croire, il faut commettre des injustices et offrir des sacrifices grâce à nos injustices. Car en étant justes nous serons au moins exemptes des punitions des dieux, mais nous nous priverons aussi des profits de l’injustice. Alors qu’en étant injustes, nous aurons le profit et, tout en commettant des transgressions et des fautes, par nos prières nous les persuadons de nous épargner de la punition. « Mais, dira-t-on, chez Hadès nous subirons la peine des injustices commises en ce monde, nous-mêmes ou les enfants de nos enfants ». Mais, mon cher, dira quelqu’un qui raisonne, les initiations de leur côté, ainsi que les dieux libérateurs, sont très puissantes, comme l’affirment les plus grandes cités et les fils des dieux qui sont devenus poètes et prophètes des dieux, et qui nous révèlent que les choses sont ainsi. (R. 2.366a-b)

Premièrement, comme il a été observé par Calame (2010CALAME, C. (2010). The Authority of Orpheus Poet and Bard: Between Tradition and Written Practice. In: MITSIS, P.; TSAGALIS C. (ed.). Allusion, Authority and Truth: Critical Perspectives on Greek Poetics and Rhetorical Praxis. Berlin, De Gruyter, p. 13-35., p. 18), il convient de remarquer que ceux qui font usage des écrits d’Orphée et de Musée ne constituent pas des sectes - et moins encore des adeptes d’une « religion mystériosophique » - dans la mesure où ils persuadent non seulement des individus, mais aussi des cités. Ainsi, la critique platonicienne s’adresse à des initiations en général, et le contexte athénien fait penser en particulier aux Mystères d’Éleusis. Cette mention de l’écriture orphique s’insère, en effet, dans la tradition qui associe la figure légendaire d’Orphée avec l’institution des rites initiatiques (teletai) de toute sorte - ce qui, bien entendu, n’autorise pas à qualifier d’orphique n’importe quel culte requérant des teletai (Calame, 2010CALAME, C. (2010). The Authority of Orpheus Poet and Bard: Between Tradition and Written Practice. In: MITSIS, P.; TSAGALIS C. (ed.). Allusion, Authority and Truth: Critical Perspectives on Greek Poetics and Rhetorical Praxis. Berlin, De Gruyter, p. 13-35., p. 14-17 ; Edmonds, 2011cEDMONDS, R. G. (2011c). Orphic Mythology. In: DOWDEN, K.; LIVINSTONE, N. (eds.). A Companion to Greek Mythology. Blackwell, Malden, p. 73-106., p. 83-90).

Puis, la délivrance des injustices par des rites célébrés en vie est présentée comme condition pour la délivrance des maux dans l’au-delà. À deux reprises, Adimante parle des injustices commises par soi-même et par les ancêtres (ἀδίκημά του γέγονεν αὐτοῦ ἢ προγόνων, 364c, et δίκην δώσομεν ὧν ἂν ἐνθάδε ἀδικήσωμεν, ἢ αὐτοὶ ἢ παῖδες παίδων, 366a). S’inscrivant dans une perspective de ceux qui reçoivent la punition dans l’Hadès, la deuxième formulation renverse les rapports de parenté et fait référence aux descendants. Cette inversion nous donne une piste importante sur l’identité des ancêtres auteurs d’injustices : il s’agit des ancêtres « biologiques » de l’individu, sans aucune référence au passé légendaire - même si l’on admet l’hypothèse d’une anthropogonie titanique en circulation à la période classique, l’humanité serait dans ce récit née des Titans, mais n’y serait pas pour autant désignée comme leurs enfants (paides), mot employé par Adimante dans l’inversion de la perspective de parenté. Et une telle identification des ancêtres injustes du texte de Platon peut être applicable également aux ancêtres « sans lois » du fragment orphique cité par Damascius.

Tout en obéissant au réquisit de pureté pour échapper aux malheurs de l’au-delà, ce besoin de se délivrer de fautes ancestrales s’inscrit dans la conception d’une justice divine qui dépasse les limites temporelles d’une vie humaine, de sorte que les descendants peuvent hériter la responsabilité des fautes des leurs ancêtres et en subir une punition différée (Parker, 1983PARKER, R. (1983). Miasma: Pollution and Purification in Early Greek Religion. Oxford, Clarendon Press., p. 198-206). Un des passages les plus célèbres sur cette conception d’une transmission héréditaire de la culpabilité se trouve dans « l’Élégie aux muses » de Solon, où en décrivant l’infaillibilité de la justice divine, plus précisément de Zeus, il dit à propos de ceux qui commentent des actes transgresseurs (ὕβριος ἔργα) :

ἀλλ’ ὁ μὲν αὐτίκ’ ἔτεισεν, ὁ δὲ ὕστερον· οἵ δὲ φύγωσιν

αὐτοί, μηδὲ θεῶν μοῖρ’ ἐπιοῦσα κίχῃ,

ἤλυθε πάντως αὖτις· ἀναίτιοι ἔργα τίνουσιν

ἢ παῖδες τούτων ἢ γένος ἐξοπίσω.

Mais l’un paie immédiatement, l’autre après ; d’autres encore en échappent

eux-mêmes, et si la moîra survenant des dieux ne les atteint pas,

elle vient assurément plus tard : des innocents payent ces actes

soit leurs enfants, soit leur famille postérieurement.

(Sol. fr. 1 Gentili-Prato avec Noussia, 2001NOUSSIA, M. (2001). Solone. Frammenti dell’opera poetica. Premessa di H. Maehler, introduzione e commento di M. Noussia, traduzione di M. Fantuzzi. Milano, Biblioteca Universale Rizzoli., p. 197-189, 202-204)

En témoigne la destinée de Crésus chez Hérodote : la prise de Sardes et chute du roi des Lydiens sont expliquées, d’après les mots de la Pythie, par la faute (ἁμαρτή) de son cinquième ancêtre, Gygès, qui avait tué Candaule et ainsi s’était emparé du trône (Hdt. 1.8-13, 91, avec les commentaires d’Asheri, 2007ASHERI, D.; LLOYD, A; CORCELLA, A. (2007). A Commentary on Herotodus Books I-IV. Edited by Oswyn Murray and Alfonso Moreno. Oxford, Oxford University Press., p. 66-65, 143-144 ; sur la rencontre de Solon et Crésus, voir Ribeiro, 2005RIBEIRO, T. O. (2005). Ὄλβος: uma discussão axiológica nas Histórias de Heródoto. Dissertação (Mestrado em Letras Clássicas). Rio de Janeiro, Faculdade de Letras da Universidade Federal do Rio de Janeiro.). Or dans les Histoires d’Hérodote, le récit de Crésus est la première illustration du principe posé de manière programmatique au début de l’ouvrage :

τὸν δὲ οἶδα αὐτὸς πρῶτον ὑπάρξαντα ἀδίκων ἔργων ἐς τοὺς Ἕλληνας, τοῦτον σημήνας προβήσομαι ἐς τὸ πρόσω τοῦ λόγου, ὁμοίως μικρὰ καὶ μεγάλα ἄστεα ἀνθρώπων ἐπεξιών. Τὰ γὰρ τὸ πάλαι μεγάλα ἦν, τὰ πολλὰ αὐτῶν σμικρὰ γέγονε· τὰ δὲ ἐπ' ἐμέο ἦν μεγάλα, πρότερον ἦν σμικρά. Τὴν ἀνθρωπηίην ὦν ἐπιστάμενος εὐδαιμονίην οὐδαμὰ ἐν τὠυτῷ μένουσαν, ἐπιμνήσομαι ἀμφοτέρων ὁμοίως.

Après avoir signalé celui que je sais avoir été le premier à prendre l’initiative de commettre des actes injustes envers les Hellènes, je m’acheminerai vers l’avancement de mon récit, tout en traversant également les petites et les grandes cités des humains. Car parmi celles qui autrefois étaient grandes, il y en a plusieurs qui sont devenues petites ; et celles qui de mon temps sont grandes auparavant étaient petites. Sachant donc que nulle prospérité humaine ne persiste, je ferai également mention de toutes. (Hdt. 1.5.11-17, avec Asheri, 2007ASHERI, D.; LLOYD, A; CORCELLA, A. (2007). A Commentary on Herotodus Books I-IV. Edited by Oswyn Murray and Alfonso Moreno. Oxford, Oxford University Press., p. 78)

Bien entendu, Crésus paye l’injustice de Gygès tout en ayant également commis d’autres lui-même : c’est lui le premier à être injuste envers les Grecs. Et ce n’est pas un hasard si Hérodote fabrique une rencontre entre le roi lydien et le poète athénien dont le thème central est justement l’instabilité de la fortune humaine : « l’humain n’est que vicissitude » (συμφορή, Hdt. 1.34.4). Dans la suite de l’« Élégie aux muses », Solon met en emphase la vanité des efforts humains à partir du contraste entre le savoir divin et l’ignorance des mortels sur le telos, le résultat des actions humaines. L’inconscience de la portée et des conséquences de leurs propres actions donne aux humains l’impression que l’arbitraire régit la justice divine :

Μοῖρα δέ τοι θνητοῖσι κακὸν φέρει ἠδὲ καὶ ἐσθλόν,

δῶρα δ’ ἄφυκτα θεῶν γίγνεται ἀθανάτων.

πᾶσι δέ τοι κίνδυνος ἐπ’ ἔργμασιν, οὐδέ τις οἶδεν

πῆι μέλλει σχήσειν χρήματος ἀρχομένου·

ἀλλ’ ὁ μὲν εὖ ἔρδειν πειρώμενος οὐ προνοήσας

ἐς μεγάλην ἄτην καὶ χαλεπὴν ἔπεσεν,

τῶι δὲ κακῶς ἔρδοντι θεὸς περὶ πάντα δίδωσι

συντυχίην ἀγαθήν, ἔκλυσιν ἀφροσύνης.

La Moîra apporte aux mortels et des maux et des biens

Inévitables sont les dons des dieux immortels.

Le risque penche sur toutes les œuvres ; personne ne sait

comment les choses vont finir une fois l’affaire commencée ;

L’un s’efforce de bien agir, mais sans le prévoir,

tombe dans la plus grande et pénible ruine,

à l’autre qui agit mal, la divinité donne en tout

une bonne chance, délivrance de la déraison.

(Sol. fr. 1 Gentili-Prato, 63-70 ; avec Noussia, 2001NOUSSIA, M. (2001). Solone. Frammenti dell’opera poetica. Premessa di H. Maehler, introduzione e commento di M. Noussia, traduzione di M. Fantuzzi. Milano, Biblioteca Universale Rizzoli., p. 215-219 ; Sicking, 1998SICKING, C. M. J. (1998). Distant Companions: Selected Papers. Leiden, Brill., p. 7-18)

En dépit des divergences ponctuelles dans la conception de la justice divine chez Hérodote et dans l’élégie de Solon (Chiasson, 1986CHIASSON, C. (1986). The Herodotean Solon. Greek, Roman, and Byzantine Studies 27, p. 249-262.), les deux textes associent la punition différée de fautes ancestrales avec la représentation de la vie humaine comme une succession de malheurs et bonheurs régie par le monde divin (Darbo-Peschanski, 2007DARBO-PESCHANSKI, C. (2007). L’Historia: Commencements grecs. Paris, Gallimard., p. 231-246 ; Asheri, 2007ASHERI, D.; LLOYD, A; CORCELLA, A. (2007). A Commentary on Herotodus Books I-IV. Edited by Oswyn Murray and Alfonso Moreno. Oxford, Oxford University Press., p. 36-39 ; Calame, 2006CALAME, C. (2006a). Pratiques poétiques de la mémoire : Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne. Paris, Editions La découverte.a, p. 138-139, 265-266). Cette représentation trouve ses contours aussi bien dans les vers iambiques, élégiaques et méliques d’autres poètes que dans les hexamètres d’Hésiode et d’Homère (Lloyd-Jones, 1983LLOYD-JONES, H. (1983). The Justice of Zeus. 2ed. Berkeley, University of California Press., p. 28-54 ; Griffith, 2009GRIFFITH, M. (2009). Greek lyric and the place of humans in the world. In: BUDELMANN, F. (ed.). The Cambridge Companion to Greek Lyric. Cambridge, Cambridge University Press, p. 72-94., p. 78-83). Aussi, dans le discours que prononce Adimante dans la République, cette même représentation est-elle critiquée comme l’un des principaux scandales à propos des dieux diffusés par les poètes : l’interlocuteur de Socrate y fait allusion exactement avant de mentionner les charlatans et devins qui persuadent les riches d’être capables de porter remède aux injustices, individuelles ou ancestrales, au moyen de plaisir et de fêtes :

τούτων δὲ πάντων οἱ περὶ θεῶν τε λόγοι καὶ ἀρετῆς θαυμασιώτατοι λέγονται, ὡς ἄρα καὶ θεοὶ πολλοῖς μὲν ἀγαθοῖς δυστυχίας τε καὶ βίον κακὸν ἔνειμαν, τοῖς δ’ἐναντίοις ἐναντίαν μοῖραν. ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις ἐπὶ πλουσίων θύρας ἰόντες πείθουσιν […]

Mais parmi tous ces récits, ce qu’ils disent de plus étonnant concerne les dieux et la vertu : ainsi, ils disent que maintes fois les dieux dispensent à des hommes de bien l’infortune et une mauvaise vie, et à ceux qui en sont l’inverse, un lot inversé. Des charlatans et des devins vont aux portes des riches et les persuadent que […] (Pl. R. 2.364b)

En effet, le rapprochement de la punition des fautes ancestrales avec le mélange de bonheur et malheur constitutif de la condition humaine semble tributaire de la même logique que l’on trouve dans les paroles de Zeus dans l’Odyssée (1.33-39) : à tous les humains sont réserves des maux kata moron, en conformité avec leurs lots de mortels. Cette présence des malheurs entre les humains est régie par la justice, comprise en termes distributifs, qui définit le statut humain par rapport au statut divin, par définition exempt des malheurs. Quelques humains, en commettant des injustices, rajoutent à leur lot de mortels des maux supplémentaires, des maux huper moron. Ces maux supplémentaires sont, eux aussi, gouvernés par la justice, mais dans une dynamique plutôt rétributive qui est le gage de la distribution initiale délimitant les lots mortel et immortel. Ces malheurs, conformes ou supplémentaires au lot humain, se concrétisent en maladie, fatigue, peine, mauvaise chance, inquiétudes, vieillesse, mortalité. Puisque pour les humains les manifestations individuelles des malheurs conformes au lot sont imprévisibles, la logique de la justice distributive appartient par principe à l’ordre du nécessaire, mais ses mises en œuvre particulières relèvent de l’arbitraire. D’autre part, les malheurs supplémentaires au lot, ceux qui punissent les fautes commises, révèlent un rapport de cause à conséquence en toute transparence quand ils tombent sur les auteurs des fautes.

Les cas des punitions différées viennent, cependant, rendre les voies de la justice divine encore plus complexes aux yeux des humains. Car si dans la perspective divine, une punition différée suit toujours la dynamique rétributive, dans la perspective de l’individu qui paye l’injustice de son ancêtre, la transmission héréditaire de la culpabilité fait enchevêtrer les dynamiques rétributive et distributive de la justice. La punition qui était un malheur supplémentaire au lot (huper moron) de l’ancêtre injuste devient un malheur conforme au lot (kata moron) du descendant.

IX. La double portée de la lysis dionysiaque

Cette digression sur les voies de la justice divine en Grèce antique nous permet maintenant de proposer une hypothèse sur des rapports entre les deux lyseis, les deux délivrances mentionnées dans OF 350 Bernabé, pour, ensuite, tenter d’identifier l’objet de la lysis dionysiaque dans les lamelles de Pélinna.

D’emblée, l’attribution d’une libération d’injustices à Dionysos se révèle fort problématique, dans la mesure où elle greffe le dieu sur une sphère d’action divine qui lui est étrangère (Parker, 1983PARKER, R. (1983). Miasma: Pollution and Purification in Early Greek Religion. Oxford, Clarendon Press., p. 286-290). L’observance de la justice en elle-même peut appartenir, par exemple, à Zeus parmi les vivants (comme dans les Erga hésiodiques, avec Lloyd-Jones, 1983LLOYD-JONES, H. (1983). The Justice of Zeus. 2ed. Berkeley, University of California Press.), à Perséphone dans l’Hadès (comme dans l’Hymne homérique à Déméter), aux Érinyes quand on fait communiquer les mondes des vivants et des morts (comme dans les Eumenides d’Eschyle). Dionysos, quant à lui, ne punit que les injustices commises envers lui-même. Et force est de constater que ni le discours d’Adimante dans la République ni le fragment orphique cité par Damascius n’accomplissent un tel greffage. Le passage de la République a beau mentionner des initiations, des devins, des livres d’Orphée et Musée, des dieux libérateurs : il reste qu’on n’y trouve aucune allusion explicite à Dionysos - la référence à des cités persuadées par les « charlatans » fait penser plutôt, on l’a déjà vu, aux Mystères d’Éleusis, desquels Dionysos participe, mais où justement Perséphone occupe une place de plus grande importance.

D’autre part, dans les hexamètres de l’OF 350 Bernabé, la libération des ancêtres sans lois est l’objet de la quête des humains accomplissant les orgia en l’honneur de Dionysos (λύσιν προγόνων ἀθεμίστων / μαιόμενοι). La lysis effectivement accomplie par le dieu est celle des « pénibles fatigues et des tourments sans fin » (οὕς κε θέλῃσθα/ λύσεις ἔκ τε πόνων χαλεπῶν καὶ ἀπείρονος οἴστρου). C’est-à-dire que la libération des fautes ancestrales est placée dans la perspective humaine. Si notre analyse des mécanismes de la punition différée avec les écarts entre les perspectives divine et humaine est correcte, le fait que la libération des fautes ancestrales soit envisagée du point de vue des humains devient significatif : pour l’individu qui paye une faute ancestrale, les malheurs qui en constituent la punition font partie de sa moira, ils sont conformes à son lot, kata moron.

Or comme le montre Calame (2006CALAME, C. (2006a). Pratiques poétiques de la mémoire : Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne. Paris, Editions La découverte.a, p. 265-266), les « pénibles fatigues et tourments sans fin » semblent renvoyer tout simplement aux maux intégrant la moira humaine caractérisée par le cycle de malheurs et bonheurs, sans impliquer une conception des réincarnations de l’âme. Dans une des lamelles de Thurii trouvées dans le Timpone piccolo, l’initié parle également d’une moira accablante et d’un « cycle pénible et lourd de chagrins » (κύκλου … βαρυπενθέος ἀργαλέοιο), duquel il dit s’être envolé (OF 488 Bernabé, 4-5 ; II A 1 Pugliese-Carratelli ; 5 Graf & Johnston ; A I Edmonds 2011GRAF, F. (2011). Text and Ritual. The Corpus Eschatologicum of the Orphics. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 53-67.). Ainsi, en admettant que les humains de l’OF 350 Bernabé soient des initiés dans les mystères de Bakchos, la lysis dont Dionysos les bénéficie a pour objet les fardeaux de la condition mortelle, puisque aux initiés est réservé le statut de bienheureux après la mort. Parfois ces fardeaux comprennent aussi des infortunes résultantes de fautes ancestrales. Alors, les humains qui n’en sont pas les responsables (ἀναίτιοι comme le dirait Solon) et qui ne savent jamais si leurs lots de malheurs incluent une punition différée, s’adressent à Dionysos pour un jour mettre fin à ces souffrances de mortels dans l’au-delà. À ce propos, il est remarquable que le fragment orphique mentionne uniquement les ancêtres sans lois, contrairement au discours d’Adimante dans la République où il est question d’injustices commises par soi-même ou par un aïeul. Dionysos n’est pas un juge : il ne libère que des malheurs kata moron, desquels chaque humain en particulier ne porte pas la responsabilité.

Dionysos n’est pas un juge : cela ne signifie pas que le dieu soit dépourvu d’une fonction dans le rite de passage qui s’accomplit par l’intégration de l’initié dans la communauté des bienheureux dans l’Hadès. Dionysos joue, en effet, le rôle d’intermédiaire entre l’initié et l’arbitre qu’est Perséphone (Cole, 2003COLE, S. G. (2003). Landscapes of Dionysos and Elysian Fields. In: COSMOPULOS, M. B. (ed.). Greek Mysteries: The Archaeology and Ritual of Ancient Greek Secret Cults. London, Routledge., p. 209-211) : il est l’opérateur de la première transformation de l’individu, accomplie par l’initiation, qui inaugure une période de marge s’étendant jusqu’à l’agrégation définitive après la mort. « Dis à Perséphone que Bakchios lui-même t’a délivré ». Dans les lamelles de Pélinna, tout comme dans l’OF 350 Bernabé, la lysis qu’effectue Dionysos a pour objet les malheurs constitutifs de la vie humaine : même si ces fardeaux ne sont pas explicitement mentionnés, l’acquisition définitive du statut de bienheureux dans le futur proche se définit justement par leur absence. Telle serait également la signification précise du vers d’une des lamelles de Thurii : « fortuné et bienheureux, tu seras dieu au lieu de mortel » (ὄλβιε καὶ μακαριστέ, θεὸς ἀντὶ βροτοῖο, OF 488 Bernabé, 10 ; II A 1 Pugliese-Carratelli ; 5 Graf & Johnston ; A I Edmonds, 2011bEDMONDS, R. G. (2011b). The “Orphic” gold tablets. Texts and translations, with critical apparatus and tables. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 15-50.). Comme le souligne Calame (2008CALAME, C. (2008). Sentiers transversaux : Entre poétiques grecques et politiques contemporaines. Grenoble, Jérôme Millon., p. 189 ; Calame, 2006aCALAME, C. (2006a). Pratiques poétiques de la mémoire : Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne. Paris, Editions La découverte., p. 266-268), dans les lamelles de Pélinna l’équivalence entre le statut de bienheureux et le statut divin se laisse saisir au niveau discursif par la position de destinataire de la parole qu’occupe l’initié, position en général réservée aux divinités dans les hymnes et les prières des pratiques religieuses officielles. Et tout comme le « cycle pénible et lourd en chagrins » de cette lamelle de Thurii ne renvoie pas forcément à une doctrine de la réincarnation, de même cette « transformation de l’homme en dieu » peut se passer d’une conception transcendantale de l’âme comme essence divine de l’humain. Étant donné que la mort et les malheurs sont les traits distinctifs des humains, la destinée souterraine des initiés de Bakchios, décédés et bienheureux, n’implique pas l’effacement de la distinction entre hommes et dieux.

« Dis à Perséphone que Bakchios lui-même t’a délivré ». Les significations de l’emploi de l’aoriste éluse ne sont pas encore épuisées. À l’instar du rôle d’intermédiaire de Dionysos dans le rite de passage qui s’accomplit avec la mort, c’est justement ce verbe qui fait la transition de l’instance plutôt discursive du premier vers marqué par les déictiques temporels à la mise en récit performative qui récapitule et actualise les trois phases du rite de passage. La référence temporelle d’éluse se révèle en effet aussi liminaire que la phase du parcours initiatique à laquelle renvoie son contenu. D’une part, la période de marge qui s’ouvre avec l’initiation est scandée par la célébration des rites dionysiaques. D’autre part, l’état de béatitude post-mortem des initiés, bachiques ou éleusiens, est parfois représenté comme une célébration éternelle des rites initiatiques (Ar. Ra. 354-371; Pl. R. 363c-d; avec Cole, 2003COLE, S. G. (2003). Landscapes of Dionysos and Elysian Fields. In: COSMOPULOS, M. B. (ed.). Greek Mysteries: The Archaeology and Ritual of Ancient Greek Secret Cults. London, Routledge., p. 199; Bernabé & Jiménez San Cristóbal, 2008BERNABÉ, A.; JIMÉNEZ SAN CRISTÓBAL, A. N. (2008). Instructions for the Netherworld. The Orphic Gold Tablets. Leiden, Brill., p. 84). Cette représentation se retrouve dans la lamelle de Pélinna elle-même : au moment de la mort, la défunte est sur le point de rejoindre les telea des autres bienheureux - peut-être exerçant, en tant que nouvelle-arrivée, l’office l’échanson dans les festins des bienheureux, comme le suggère Graf à propos de l’énoncé « Tu as le vin comme privilège » (Graf, 1991GRAF, F. (1991). Textes orphiques et rituel bacchique. A propos des lamelles de Pélinna. In: BORGEAUG, P. (ed.). Orphisme et Orphée. En l’honneur de Jean Rudhardt. Genève, Droz, p. 87-102., p. 91-92).

Les rites mystériques dionysiaques comprenaient non seulement des festins, mais aussi la transe d’après le témoin d’Hérodote sur l’initiation de Scylès (Hdt. 4.79). Or des banquets et des danses extatiques apportent, encore en vie, des moments où sont suspendus les malheurs et fatigues mortels. L’initiation dans les mystères de Bakchios offre ainsi, encore du vivant des initiés, une jouissance provisoire et fugace du statut de bienheureux que sera obtenu dans l’au-delà. La lysis des fardeaux humains que procurent les mystères de Dionysos traverse ainsi la vie et la mort en se révélant double : temporaire dans ce monde-ci et définitive dans l’au-delà.17 17 Cette duplicité des bénéfices, en vie et après la mort, dont jouissent les initiés caractérise aussi les Mystères d’Éleusis, cf. h. Hom. Dem. (2) 480-489, avec Calame, 2008, p. 70. Burkert (2003, p. 15-33) et Bremmer (2014, p. 18) insistent sur « l’orientation pratique » liée à l’espoir de biens en vie dans les cultes à mystères antiques en général. À ce propos, il convient de remarquer encore que, comme le note Graf (2010, p. 178), dans les Hymnes orphiques (42.4 à Mise ; 50.2 et 8 à Lysios Lenaios ; et 52.2 à Triétérique) les épithètes Λύσειος, Λύσιος et Λυσεύς renvoient toujours à l’affranchissement des peines quotidiennes. Dans ce sens, la lysis des initiés s’approche de celle effectuée également par Dionysos dans un autre contexte rituel: la délivrance promue par l’ébriété au symposium, où le dieu est qualifié de ὁ λυσίφρων ὁ Λυαῖος, « celui qui délivre l’esprit, Libérateur » (Anacreont. 49.2 West ; cf. aussi 4.20 ; 8.13 ; 12.9 ; 37.3 ; 40.9 ; 43.3 ; 45.8 ; 49.2 ; 52.6 ; et 55.43).

X. Transe et délivrance : entre culte à mystère et ménadisme

À ce propos, il convient de revenir au passage du Phèdre de Platon cité au début de notre étude sur Dionysos Lysios. La transe rituelle, la mania téléstique, est étroitement associée à cette lysis ayant lieu pendant la vie : la mania « découvrit, pour qui délire et éprouve la possession de la forme correcte, le moyen de libérer des maux présents (λύσιν … παρόντον κακῶν) ». L’analyse proposée au début de cette étude a suggéré qu’en faisant mention de colères envers des familles aux temps légendaires (παλαιά μηνίματα) le passage offrait une explication de la transformation de la maladie punitive des récits « de résistance » à Dionysos en transe rituelle, surtout celle pratiquée dans le cadre du ménadisme, auquel en général s’associent ces récits. Cependant, si les légendes liées au ménadisme peuvent fournir le cadre pour une étiologie de la transe rituelle, il n’en reste pas moins que la mania téléstique dépasse ce cadre pour s’attacher à d’autres contextes cultuels.

C’est pourquoi Jaccottet (1998JACCOTTET, A.-F. (1998). L’impossible bacchant. Pallas 48, p. 9-18., p. 9-18 ; Jaccottet, 2003aJACCOTTET, A.-F. (2003a) Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 1 : Texte. Zürich, Akanthus., p. 94-97) s’est prononcé contre l’emploi exclusif du terme de ménadisme pour faire référence aux pratiques extatiques dionysiaques en général, tout en proposant de le remplacer par celui de bachisme. La rareté des témoignages sur l’homme bacchant serait plutôt liée aux représentations d’un idéal de la figure du citoyen, qui doit garder le contrôle de soi-même. Aux témoins des initiés masculins, l’auteure ajoute ceux, nombreux, des associations dionysiaques des périodes hellénistique et impériale. En effet, la plupart de ces thiases et groupes de mystes sont soit exclusivement masculins, soit mixtes. Le monde associatif, de par ses structures ancrées dans le cadre institutionnel de la cité, est un monde par principe masculin : dans le cas des associations mixtes, les femmes peuvent assumer les plus hautes fonctions religieuses, mais ne se chargent jamais des fonctions administratives (Jaccottet, 2003aJACCOTTET, A.-F. (2003a) Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 1 : Texte. Zürich, Akanthus., p. 80-88). Aussi, n’est-il pas rare que les activités des associations masculines se modèlent sur les célébrations ménadiques féminines officielles : par exemple, à Callatis et à Pergame les activités des associations suivent la périodicité triétérique (Jaccottet, 2003aJACCOTTET, A.-F. (2003a) Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 1 : Texte. Zürich, Akanthus., p. 136-138). Enfin, la coexistence des thiases demosioi et idioi, que laisse entrevoir l’inscription du contrat de vente du sacerdoce de Dionysos à Milet (LSAM 48 Sololowski = Jaccottet, 2003bJACCOTTET, A.-F. (2003b). Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 2 : Documents. Zürich, Akanthus., p. 251-253) ne semble pas impliquer qu’il y ait des différences dans les rites auxquels s’adonnent le thiase « officiel » mené au nom de la cité et les thiases « libres » menées par les associations (Jaccottet, 2003aJACCOTTET, A.-F. (2003a) Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme. Vol. 1 : Texte. Zürich, Akanthus., p. 193-194).

Certes, « ménadisme » et « cultes à mystère » sont des catégories opératoires qui intègrent la traduction des pratiques rituelles grecques anciennes dans nos études d’histoire religieuse. Il faut les prendre pour ce qu’ils sont : des outils construits pour permettre une description possible, toujours provisoire et incomplète, de telles pratiques. Bien entendu, ce caractère opératoire s’étend également aux oppositions qui sont à la base de la construction (dans l’occurrence, masculin et féminin ; commun et individuel) et la mise en question de l’applicabilité de ces oppositions constitue sans doute une partie fondamentale des interrogations qu’exige tout travail de recherche sur une autre culture, si éloignée dans le temps. Néanmoins, dans le cas des pratiques rituelles extatiques célébrées en l’honneur de Dionysos à l’époque classique, il semble que la distinction entre « ménadisme » et « mystère » reste pertinente.

Tout d’abord, même si l’opposition entre commun et individuel est sans doute fort trompeuse par rapport aux formes de la vie sociale en Grèce antique, les associations constituant l’une des échelles des pratiques rituelles communautaires qui s’articulent dans la cité (Ismard, 2010ISMARD, P. (2010). La cité des réseaux: Athènes et ses associations. Vie-Ier siècle av. J. C. Paris, Publications de la Sorbonne., p. 205-275), il reste que les rites initiatiques ouverts aux deux sexes en l’honneur de Dionysos ne semblent pas avoir acquis l’officialité d’une célébration civique, comme les Mystères d’Éleusis à Athènes (Cole, 1980COLE, S. G. (1980). New evidence for the Mysteries of Dionysos. Greek, Roman, and Byzantine Studies 21, p. 223-238., p. 234 ; 2007, p. 206). Que la raison de cette absence d’officialisation puisse être liée aux contraintes d’une idéalisation morale du citoyen mâle ne change rien à ce propos : l’impossibilité du bacchant au sein de la cité est une question d’ordre de la représentation qui n’est pas sans effet sur ce qu’on peut s’imaginer avoir été une réalité cultuelle.

Puis, et plus significativement, on peut envisager un élément supplémentaire qui souligne la pertinence de la distinction opératoire entre les pratiques rituelles « ménadiques » et « mystériques », distinction fondée notamment sur le genre. L’un des arguments à l’appui desquels Jaccottet (1998JACCOTTET, A.-F. (1998). L’impossible bacchant. Pallas 48, p. 9-18., p. 12-14) propose l’existence non officielle d’un « ménadisme masculin » est le fait que Cadmos et Tirésias rejoignent les ménades sur le Cithéron dans les Bacchantes d’Euripide. En général, la critique considère cette participation masculine au thiase comme une « licence poétique », parfois comprise en termes d’une superposition d’éléments des cultes à mystère dans la mise en scène du ménadisme effectué par la tragédie (Henrichs, 1978HENRICHS, A. (1978). Greek Maenadism from Olympia to Messalina. Harvard Studies in Classical Philology 82, p. 121-160., p. 133, n. 40 ; 1982, p. 147, n. 101). La question tombe sans doute dans une argumentation circulaire si le seul critère employé est celui du genre. Comme le note Jaccottet (1998JACCOTTET, A.-F. (1998). L’impossible bacchant. Pallas 48, p. 9-18., p. 14) elle-même, dans la tragédie d’Euripide les thiases sur le Cithéron auxquels Cadmos et Tirésias participent sont ceux des femmes lydiennes, non ceux des Thébaines. C’est-à-dire que la mania qu’ils expérimentent n’est pas une maladie punitive.18 18 Pour le deux types de mania dans les Bacchantes d’Euripide, voir Vernant (2007, p. 1257-1263), qui met en contraste la « possession-bonheur des fidèles » et la « possession-folie-châtiment » des impies ; Frontisi-Ducroux, 1991, p. 158 ; Villanueva-Puig, 2009, p. 51-51 ; Cole, 2007, p. 329-330.

Si la transe rituelle éprouvée par hommes et femmes ne se distingue pas par nature, elle semble se distinguer par sa fonction au sein des pratiques cultuelles. La transe officiellement expérimentée par les femmes s’inscrit dans le mécanisme étiologique articulant récit légendaire et culte : elle est une façon de rendre honneur à Dionysos dans le présent tout en constituant un re-enactment la punition envoyée par le dieu dans le passé légendaire: la mania ménadique, de par sa fonction commémorative, maintient un rapport avec la colère de Dionysos : elle assume un rôle de propitiation dans le passé et apotropaïque dans le présent. La transe pratiquée par les initiés dans les mystères dionysiaques n’a rien de punitive ; elle libère des fardeaux de la vie des mortels.

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  • WEST, M. (ed.) (2012). Carmina Anacreontea Berlin/Boston, De Gruyter.
  • 1
    Sur la signification de palaios, voir notamment Calame, 2006CALAME, C. (2006b). La fabrication historiographique d’un passé héroïque en Grèce classique : Ἀρχαῖα et παλαῖα chez Hérodote. Ktèma 31, p. 39-49.b, qui montre justement que surtout les formes τὸ παλαιόν ou τὸ πάλλαι renvoient à un « autrefois » révolu, à un passé héroïque, étant ainsi à peu près l’équivalent grec ancien du concept moderne de « mythe ».
  • 2
    Dans la mise en revue des références de Platon aux pratiques initiatiques qui intègre un article sur la mania divine du Phèdre et sa place dans l'œuvre du philosophe, Brisson (1974BRISSON, L. (1974). Du bon usage du dérèglement. In: VERNANT, J.-P.; et al. (orgs.). Divination et Rationalité. Paris, Editions du Seuil, p. 220-248., p. 247) remarque que le seul passage des Lois où l’on fait vraiment de place aux initiations dionysiaques est 666b3-5 ; ce n’est peut-être pas un hasard si cette autre, et rare, attitude positive de Platon devant les rituels dionysiaques renvoie à une pratique qui n’a rien de marginal comme le banquet. À propos de la mania dans l’œuvre de Platon, voir Vogt (2014)VOGT, K. M. (2014). Plato on Madness and the Good Life. In: HARRIS, W. V. (ed.). Mental Disorders in the Classical World. Leiden, Brill, p. 177-192..
  • 3
    L’inscription (SEG 15.195) est, cependant, liée à la version de la légende des Proïtides qui attribue la mania que voulait guérir Mélampous à Héra.
  • 4
    Casadio (1999CASADIO, G. (1999). Il vino dell’anima: Storia del culto di Dioniso a Corinto, Sicione, Trezene. Roma, Il Calamo., p. 125), en reprenant une interrogation formulée par Nilsson, propose que l’idole de Sémélé fût en vérité une image très efféminée de Bakcheios que, par pudeur, avait été identifié à la mère mortelle du dieu ; cependant, outre l’anachronisme de cette pudeur, l’épiclèse Bakcheios n’est pas attestée à Thèbes, où le Dionysos qui inspire la transe est le Kadmeios (Schachter, 1981SCHACHTER, A. (1981). Cults of Boiotia 1: Acheloos to Hera. London, Institute of Classical Studies., p. 185).
  • 5
    Casadio (1999CASADIO, G. (1999). Il vino dell’anima: Storia del culto di Dioniso a Corinto, Sicione, Trezene. Roma, Il Calamo., p. 124, n. 76) énumère les avis négatifs sur l’étiologie rapportée par Pausanias.
  • 6
    IG 12.9.192.4. Jaccottet (1990JACCOTTET, A.-F. (1990). Le lierre de la liberté. Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 80, p. 150-156., p. 153), à la suite d’Holleaux, identifie ces troupes avec celles de Polémaios et date l’inscription de la fin du IVe siècle avant notre ère.
  • 7
    Hipponion : OF 474 Bernabé (lamelle I A 1 dans l’édition de Pugliese Carratelli, 2003PUGLIESE CARRATELI, G. (2003). Les lamelles d’or orphiques. Instructions pour le voyage d’outre-tombe des initiés grecs. Paris, Les Belles Lettres., p. 33-58 ; lamelle 1 dans l’édition de Graf & Johnston, 2007GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. (2007). Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge., p. 4-5 ; et B 10 dans celle de Edmonds, 2011EDMONDS, R. G. (2011b). The “Orphic” gold tablets. Texts and translations, with critical apparatus and tables. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 15-50.b, p. 30-31 ; Pélinna : OF 485-486 Bernabé (II B 3 et 4 dans Pugliese Carratelli, 2003PUGLIESE CARRATELI, G. (2003). Les lamelles d’or orphiques. Instructions pour le voyage d’outre-tombe des initiés grecs. Paris, Les Belles Lettres., p. 117-124 ; 26a et 26b dans Graf & Johnston, 2007GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. (2007). Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge., p. 36-37 ; et D 1 et 2 dans Edmonds, 2011bEDMONDS, R. G. (2011b). The “Orphic” gold tablets. Texts and translations, with critical apparatus and tables. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 15-50., p. 36-37).
  • 8
    À ce propos, on lira notamment Cole (1980COLE, S. G. (1980). New evidence for the Mysteries of Dionysos. Greek, Roman, and Byzantine Studies 21, p. 223-238., p. 223-238). L’auteur démontre l’appartenance du corpus des lamelles aux mystères bachiques, contre la proposition de West qui voit l’emploi de bakchoi dans la lamelle d’Hipponion une métaphore, ainsi que contre l’association des lamelles à des groupes « orphiques » (par exemple, Pugliese Carratelli) ou « pythagoriciens » (G. Zuntz). Pour une analyse très détaillée du texte de la lamelle d’Hipponion, avec des revois aux autres lamelles dorées, voir Calame (2006CALAME, C. (2006a). Pratiques poétiques de la mémoire : Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne. Paris, Editions La découverte.a, p. 234-262) qui défend également un contexte bachique (pas nécessairement orphique) pour l’inscription rituelle de ces lamelles.
  • 9
    LSCG Suppl. 120 Sokolowski, avec Turcan (1986TURCAN, R. (1986). Bacchoi ou Bacchants ? De la dissidence des vivants à la ségrégation des morts. In: L’Association dionysiaque dans les sociétés anciennes. Actes de la table ronde organisée par l’École française de Rome, 1984. Rome, Ecole française de Rome, p. 227-246.) qui, cependant, voit dans l’emploi du parfait βεβακχεύμενος l’expression non de l’initiation aux mystères bachiques liée à la pratique rituelle de la transe, mais l’accomplissement d’un état d’ascèse orphique.
  • 10
    Dans ce sens, cette lamelle se rapproche de celles de Thurii (OF 488-490 Bernabé ; II A 1-2 et II B 1 Pugliese-Carratelli, 2003PUGLIESE CARRATELI, G. (2003). Les lamelles d’or orphiques. Instructions pour le voyage d’outre-tombe des initiés grecs. Paris, Les Belles Lettres., p. 98-113 ; 5-7 Graf & Johnston, 2007GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. (2007). Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge., p. 12-15 ; A 1-3 Edmonds, 2011EDMONDS, R. G. (2011b). The “Orphic” gold tablets. Texts and translations, with critical apparatus and tables. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 15-50.b, p. 16-19) et celle de Rome (OF 491 Bernabé; I C 1 Pugliese-Carratelli, 2003PUGLIESE CARRATELI, G. (2003). Les lamelles d’or orphiques. Instructions pour le voyage d’outre-tombe des initiés grecs. Paris, Les Belles Lettres., p. 96-97 ; 9 Graf & Johnston, 2007GRAF, F.; JOHNSTON, S. I. (2007). Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets. London, Routledge., p. 18-19; A 5 Edmonds, 2011bEDMONDS, R. G. (2011b). The “Orphic” gold tablets. Texts and translations, with critical apparatus and tables. In: EDMONDS, R. G. (ed.). The ‘Orphic’ Gold Tablets and Greek Religion: Further Along the Path. Cambridge, Cambridge University Press, p. 15-50., p. 21), non seulement par l’énoncé à la première personne, mais aussi par la déclaration de pureté.
  • 11
    Au vers 7, Bernabé et Edmonds suivent Luppe qui lit : καὶ σὺ μὲν εἶς ὑπὸ γὴν τελέσας ἅπερ ὄλβιοι ἄλλοι, « Et tu iras sous terre, ayant été initié tout comme les autres bienheureux » ; j’ai retenu ici la lecture de Graf & Johnston et de Pugliese Carratelli (sans la restitution de <τελέοντα> à la fin), qui suivent l’editio princeps de Tsantsanoglou & Parássoglou.
  • 12
    Pays où Perséphone recevait des honneurs non seulement en tant que reine des enfers, mais aussi en tant que divinité présidant le mariage et l’enfantement ; sur les pinakes et les rôles de Perséphone à Locres, voir Sourvinou-Inwood (1978SOURVINOU-INWOOD, C. (1978). Persephone and Aphrodite at Locri: a Model for Personality Definitions in Greek Religion. Journal of Hellenic Studies 98, p. 101-121., p. 101-118).
  • 13
    Diod. Sic. 3.6.3 ; Σ Apoll. Rhod. 2.1209-1215c. Plus récemment, ce fragment a été également identifié par Hurst (1994)HUSRT, A. (1994). Un nouveau papyrus du premier Hymne homérique à Dionysos: le papyrus de Genève 423. In: BÜLOW-JACOBSEN, A. (ed). Proceedings of the 20 th International Congress of Papyrologists, Copenhagen, 23-29 August, 1992. Copenhagen, Museum Tusculanum Press, p. 317-321., avec des vers supplémentaires, dans un papyrus à Genève (432).
  • 14
    M = Leidensis 33 H, qui contient l’Iliade 8.435 à 13.134 et les Hymnes homériques 1, 10 à 18, 4. Il s’agit également du seul manuscrit nous transmettant l’Hymne à Déméter (2) ; sur la tradition manuscrite des Hymnes homériques, voir Càssola, 1975CÀSSOLA, F. (ed.). (1975). Inni Omerici. Milano, Fondazione Lorenzo Valla., p. 593-619 ; West, 2003WEST, M. (ed.) (2003). Homeric Hymns. Homeric Apocrypha. Lives of Homer. Cambridge, Harvard University Press., p. 20-23.
  • 15
    West (2001; West, 2003, p. 26-30), en suivant R. Merkelbach, intègre le Pap. Oxy. 670 Grenfell-Hunt au premier Hymne homérique à Dionysos. Contra: Càssola (1975CÀSSOLA, F. (ed.). (1975). Inni Omerici. Milano, Fondazione Lorenzo Valla., p. 15), qui réfute l’inclusion des hexamètres de ce papyrus à l’hymne homérique en argumentant que l’expression ὠς δὲ τὰ μὲν τρία explique l’origine des fêtes triétérides. Pour le savant Italien, la seule possibilité serait d’y voir une allusion aux trois naissances de Dionysos selon la légende de son démembrement par les Titans, quoique dans une version « non orphique » (cf. p. 13-14 pour l’hypothèse des différentes versions).
  • 16
    La sphragis d’Orphée (OF 1 Bernabé) résume bien cette attitude « Je vais chanter pour ceux qui comprennent ; fermez les portes de vos oreilles, profanes ».
  • 17
    Cette duplicité des bénéfices, en vie et après la mort, dont jouissent les initiés caractérise aussi les Mystères d’Éleusis, cf. h. Hom. Dem. (2) 480-489, avec Calame, 2008CALAME, C. (2008). Sentiers transversaux : Entre poétiques grecques et politiques contemporaines. Grenoble, Jérôme Millon., p. 70. Burkert (2003BURKERT, W. (2003). Les cultes à mystères dans l’antiquité. Paris, Les Belles Lettres., p. 15-33) et Bremmer (2014BREMMER, J. N. (2014). Initiation into the Mysteries of the Ancient World. Berlin/Boston, de Gruyter., p. 18) insistent sur « l’orientation pratique » liée à l’espoir de biens en vie dans les cultes à mystères antiques en général. À ce propos, il convient de remarquer encore que, comme le note Graf (2010GRAF, F. (2010). The Blessings of Madness. Dionysos, Madness, and Scholarship. Archiv für Religionsgeschichte 12, p. 167-180., p. 178), dans les Hymnes orphiques (42.4 à Mise ; 50.2 et 8 à Lysios Lenaios ; et 52.2 à Triétérique) les épithètes Λύσειος, Λύσιος et Λυσεύς renvoient toujours à l’affranchissement des peines quotidiennes.
  • 18
    Pour le deux types de mania dans les Bacchantes d’Euripide, voir Vernant (2007VERNANT, J.-P. (2007). Oeuvres: religions, rationalités, politique. 2 vols. Paris, Éditions du Seuil., p. 1257-1263), qui met en contraste la « possession-bonheur des fidèles » et la « possession-folie-châtiment » des impies ; Frontisi-Ducroux, 1991, p. 158 ; Villanueva-Puig, 2009VILLANUEVA-PUIG, M. C. (2009). Ménades : Recherches sur la genèse iconographique du thiase féminin de Dionysos des origines à la fin de la période archaïque. Paris, Les Belles Lettres., p. 51-51 ; Cole, 2007COLE, S. G. (2007). Finding Dionysus. In: ODGEN, D. (ed.). A Companion to Greek Religion. Malden, Blackwell, p. 237-241., p. 329-330.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    20 May 2020
  • Date of issue
    2020

History

  • Received
    23 Oct 2019
  • Accepted
    26 Oct 2019
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