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Théories de la justice sociale et spatiale: dialogues avec la géographie à partir des années 1970

Résumé

Le débat autour de la justice a progressivement gagné du terrain dans la Géographie, principalement à partir des années 1970, avec la publication de deux œuvres fondamentales: A theory of justice (Rawls, 1971) et Social justice and the city (Harvey, 1973). Dans ce cadre temporel, des années 1970 jusqu’à aujourd’hui, et sans prétendre à l’exhaustivité, cet article présente un itinéraire au travers des débats entre plusieurs théories et/ou principes de justice. Dans la mesure où de nombreux processus analysés en Géographie - comme la ségrégation, la marginalisation, l’exclusion et la différentiation - révèlent des injustices de forte expression spatiale, cette réflexion sur la justice offre des outils théoriques et analytiques pertinents pour les analyses géographiques. En d’autres termes, il s’agit d’établir les contours de ce débat afin de contribuer à la compréhension de l’ouverture de la Géographie à des préoccupations éthiques et philosophiques. En ce sens, nous présentons une vision ample de la justice, autour de la triade redistribution/ reconnaissance/ espace, pour ensuite formuler des considérations autour du concept de justice spatiale.

Mots clés:
Théories de la justice; Justice spatiale; Géographie; Études urbaines

Abstract

The debate around justice has been gaining ground in geography, especially beginning in the 1970s, with two seminal works, A theory of justice (Rawls, 1971) and Social justice and the city (Harvey, 1973). Beginning then, and without pretension of exhaustivity, we propose a journey through the discussions between several theories and principles of justice. As many processes analyzed in geography - such as segregation, marginalization, exclusion, and differentiation - expose injustices with a strong spatial expression, this reflection on justice offers theoretical and analytical tools for geographical analyses. In other words, we intend to establish the outlines of this discussion, to contribute to the understanding of the opening of geography to philosophical and ethics concerns. In that respect, we aim to present a wide vision of justice, around the tripod redistribution, recognition, and space, to finish with considerations about the concept of spatial justice.

Keywords:
Theory of justice; Spatial justice; Geography; Urban Studies

Resumen

El debate alrededor de la justicia ha ganado espacio en la geografía, especialmente a partir de los 1970s, con atención a A theory of justice (Rawls, 1971) y social justice and the city (Harvey, 1973). A partir de ahí, y sin pretensión a la exhaustividad, ese artículo pretende presentar un recorrido a través de los debates entre diversas teorías e/o principios de justicia. En la medida en que muchos procesos analizados en geografía - como la segregación, la marginalización, la diferenciación - revelan injusticias de expresión espacial, esta reflexión sobre la justicia ofrece herramientas teóricas pertinentes para los análisis geográficos. En otros términos, se establecen los contornos del debate, para contribuir a la comprensión de las implicaciones de la abertura de la geografía a preocupaciones filosófico-éticas. Así, se presenta una visión amplia de la justicia, articulada alrededor del trípode redistribución, reconocimiento y espacio, para finalmente hacer algunas consideraciones sobre el concepto de justicia espacial.

Palabras clave:
Teorías de la justicia; Justicia espacial; Geografía; Estudios urbanos

Resumo

O debate em torno da justiça vem ganhando lugar na Geografia, principalmente a partir dos anos 1970, com a publicação de duas obras fundamentais: A theory of justice (Rawls, 1971), e Social justice and the city (Harvey, 1973). No marco temporal da década de 1970 até o momento atual e sem pretender ser exaustivo, este artigo apresenta um percurso através dos debates entre diversas teorias e/ou princípios de justiça. Na medida em que muitos processos analisados em Geografia - como a segregação, a marginalização, a exclusão e a diferenciação - revelam injustiças de forte expressão espacial, esta reflexão sobre a justiça oferece ferramentas teóricas e analíticas relevantes para as análises geográficas. Em outros termos, trata-se de estabelecer os contornos desse debate para contribuir com o entendimento da abertura da Geografia a preocupações ético-filosóficas. Nesse sentido, apresenta-se uma visão ampla da justiça, em torno do tripé redistribuição/reconhecimento/espaço, para terminar com considerações sobre o conceito de justiça espacial.

Palavras-chave:
Teorias da justiça; Justiça espacial; Geografia; Estudos urbanos

Introduction

De nombreux processus et concepts mobilisés dans les recherches portant sur les relations entre l’espace et la société visent à expliquer des situations inégales et différenciatrices, en mettant l’accent sur les dimensions sociales et spatiales: ségrégation, différenciation et fragmentation socio-spatiales, discrimination, exclusion, marginalisation, gentrification, etc.

Cet article présente quelques considérations à propos du débat théorique et éthique autour de la question de la justice - avec l’hypothèse selon laquelle comprendre les grandes lignes de ce débat ne peut qu’enrichir les analyses géographiques qui traitent de situations et de processus injustes ou sur lesquelles il n’y a pas de consensus. Bien que le débat ne soit pas nouveau - en particulier au niveau international -, nous pensons que la présentation de plusieurs théories de la justice n’est encore pas très fréquente en langue portugaise.

En d’autres termes, prendre en compte ce débat implique de confronter et d’importer diverses théories de la justice et/ou principes éthiques et moraux (qui orientent les définitions de la justice) dans la Géographie afin d’approfondir l’analyse de certains processus et concepts, en formulant d’autres questionnements: qu’est-ce-qui est injuste? Pourquoi est-ce injuste? Pour qui est-ce injuste? À quelles échelles cela est-il injuste? Où est-ce injuste?

La réponse à ces questions révèle presque toujours la teneur polysémique et conflictuelle de la question de la justice, parce qu’argumenter ou justifier le caractère injuste d’un processus géographique donné exige un positionnement du point de vue éthique et philosophique. Aussi convient-il de dire que la multiplicité des conceptions autour de l’idée de justice n’enlève aucune légitimité à ce thème en tant qu’outil théorique et analytique pour la Géographie. Au contraire, cette diversité permet de fonder et d’expliquer les implications idéologiques des hypothèses et concepts adoptés par les chercheurs.

Ici, cet article adopte un cadre temporel qui s’étend des années 1970 jusqu’à nos jours, période durant laquelle la notion de justice a été progressivement abordée par la Géographie. Au moins deux œuvres justifient que nous partions de la littérature des années 1970. En fonction des critères d’«objectivité» et de «scientificité», une partie de la Géographie a longtemps évité le thème de la justice, débattant rarement de la contradiction entre croissance économique et équité (Brennetot, 2011BRENNETOT, A. Les géographes et la justice spatiale: généalogie d’une relation compliquée. Annales de Géographie, n. 678, p. 115-134, 2011. Disponível em: https://www.cairn.info/journal-annales-de-geographie-2011-2-page-115.htm?contenu=article.
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). Ce positionnement commença à changer avec la publication de Social justice and the city, livre dans lequel David Harvey (1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973.), essaie de dévoiler les «mécanismes cachés» des inégalités et se positionne contre le positivisme de la discipline géographique. L’œuvre Theory of Justice, de John Rawls (1971RAWLS, J. A theory of justice. Cambridge: Harvard University Press, 1971. ), représente également un point de départ pour la discussion géographique autour de la justice: dans cette théorie, le principe du maximin (donner plus à ceux qui ont le moins) oriente jusqu’à aujourd’hui de nombreux principes et programmes qui visent l’équité par le biais de la redistribution et de la réparation, comme le programme Bolsa Família, au Brésil. Cet exercice d’appréhension des contours du débat autour de la justice est pertinent dans la mesure où les différentes conceptions de la justice se trouvent également imprégnées dans les espaces, objets, actions et acteurs que les géographes étudient.

Le texte s’organise de la façon suivante: dans la section qui suit, nous proposons un point de départ en distinguant, d’une part, les notions d’inégalité et de différence, et, d’autre part, celles d’égalité et d’équité. Ensuite, nous présentons la conception de la justice en tant qu’équité (la conception rawlsienne) contre la vision utilitariste; nous abordons ensuite des théories de la pensée marxiste en montrant les limites du paradigme de la (re)distribution, en incorporant le paradigme de la reconnaissance et de la tolérance. Enfin, la notion de «justice spatiale» est parcourue et présentée comme étant essentielle au débat.

Inégalité ou différence? Égalité ou équité? Un point de départ pour le débat autour de la justice spatiale

Um premier pas dans le thème de la justice consiste à distinguer les différences - a priori «neutres» et «essentielles» - et les inégalités, qui seraient circonstancielles, construites en fonction des jeux de pouvoir présent dans une société donnée. Une différence peut constituer une inégalité si elle devient le critère justifiant un traitement distinct (l’esclavage, par exemple), et vice-et-versa, une inégalité peut être «naturalisée» à tel point qu’elle devient une différence (la noblesse, par exemple) (Barros, 2006BARROS, J. D’A. Igualdade, desigualdade e diferença: contribuições para uma abordagem semiótica das três noções. Revista de Ciências Humanas, Ed. UFSC, n. 39, p. 199-218, 2006. doi: https://doi.org/10.5007/%25x.
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). Encore faut-il aborder la dimension éthique, indispensable à ce débat.

L’inégalité est une forme particulière de différence entre les personnes qui n’est pas «naturelle» a priori, et sur laquelle se pose une préoccupation éthique (Smith, 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. ), c’est-à-dire lorsqu’il existe un traitement différent entre des individus ou des groupes, alors que l’on note l’absence de différences morales identifiables entre ceux-ci. Dit autrement, il s’agit de faire la distinction entre l’idée de justice comme égalité et l’idée de justice comme équité. Le concept d’équité admet l’existence d’inégalités justes (qui peuvent et doivent demeurer) et d’inégalités injustes (qui doivent être corrigées). La difficulté d’atteindre une situation d’égalité «parfaite» ou complète1 1 Engels, par exemple, dans une carte à Marx, en 1875, ne niait pas le caractère irréductible de certaines différences inégales: «entre un pays et un autre, une province et une autre et même entre une localité et une autre, il existera toujours une certaine inégalité des conditions de vie, qu’il sera possible de réduire à un niveau minimum, mais jamais effacée» (apud Smith, D., 1994, p. 49, traduction propre). (“Between one country and another, one province and another and even one locality and another there will always exist a certain inequality in the conditions of life, which it will be possible to reduce to a minimum but never entirely remove”.) offre également un intérêt plus important pour la notion d’équité, qui permet un traitement différencié entre les individus, afin de combattre les différences injustes. Mais sur quels critères éthiques doit-on se baser? La question est conflictuelle: qui décide des critères pour évaluer l’existence d’inégalités? Qu’est-ce qui doit être égal? Comment ces critères sont-ils choisis? Par exemple, l’inégalité créée pour les personnes âgées et les femmes enceintes - qui ont des sièges préférentiels dans les transports publics, car ils sont considérés par la société et les lois comme des personnes qui méritent cette priorité - est-elle une inégalité juste?

Les notions d’égalité et d’équité renvoient à deux visions politiques distinctes: pour les uns, le concept d’équité est une approche efficace et concrète de réduction des inégalités; pour d’autres, elle est en frein à la recherche de l’égalité, parce qu’elle légitime ce qui peut rester inégal, en définissant ce qui doit être corrigé (Young, 1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990..). En fait, les politiques de redistribution et de compensation sont comprises par certains auteurs comme des mécanismes qui ne remettent pas en question le système capitaliste, structurellement inégal, puisqu’il fonctionne sur la base de la concentration des richesses et d’une division socio-spatiale du travail injuste (Smith, N.,1984SMITH, N. Uneven development: nature, capital and the production of space. Oxford: Basil Blackwell, 1984.; Harvey, 2008HARVEY, D. Géographie de la domination. Paris: Les Prairies Ordinaires, 2008. ).

Cependant, certains auteurs plaident en faveur du dépassement de ce conflit en abordant les notions d’équité et d’égalité en termes de complémentarité: «L’équité ne s’oppose pas à l’égalité. Elle présuppose au contraire la recherche de critères d’égalité plus exigeants» (Fitoussi; Rosanvallon, 19962 2 FITOUSSI, J.-P.; ROSANVALLON, P. Le nouvel âge des inégalités. Paris: Seuil, 1996. apud Paulo, 2006PAULO, C. Inégalités de mobilités: disparité des revenus, hétérogénéité des effets. Thèse (Doctorat de Sciences Economiques) - Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2006., p. 25). Définition qui révèle toutefois son caractère pluriel et conflictuel. Qui décide ce qui doit-être corrigé? Comment garantir que les critères choisis ne soient pas déterminés par l’ordre dominant? Comment garantir que certains groupes, de par le fait qu’ils possèdent plus de visibilité et de pouvoir de revendication, n’obtiennent pas plus de réparations que les autres?

Qu’elle soit définie comme équité, comme égalité, ou encore, par exemple, comme bien-être ou droit à la ville, la question de la justice, de par la diversité des conceptions en jeu, entretient de vifs débats théoriques (Smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. ; Gervais-Lambony; Dufaux, 2009; Soja, 2010SOJA, E. Seeking spatial justice. Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2010. ; Brennetot, 2011BRENNETOT, A. Les géographes et la justice spatiale: généalogie d’une relation compliquée. Annales de Géographie, n. 678, p. 115-134, 2011. Disponível em: https://www.cairn.info/journal-annales-de-geographie-2011-2-page-115.htm?contenu=article.
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; Carlos; Alves; Padua, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62.; Van Den Brule, 2020VAN DEN BRULE, D. M. As diversas abordagens de justiça espacial na geografia. Geousp, São Paulo, v. 24, n. 2, p. 297-316, 2020. doi: https://doi.org/10.11606/issn.2179-0892.geousp.2020.168714
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).

Pour esquisser une proposition de généalogie des différents courants qui structurent le débat actuel, nous partons de deux œuvres: A theory of justice, de Rawls (1971RAWLS, J. A theory of justice. Cambridge: Harvard University Press, 1971. ), qui propose la priorité du «juste» sur le «bien», mettant en échec les modèles de philosophie politique qui se basent sur la maximisation du bien-être social, et Social Justice and the City, œuvre dans laquelle Harvey (1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973.) aurait été pionnier dans l’usage du concept de justice appliqué à l’analyse du problème géographique de la cohabitation sociale dans les villes.

La rupture avec l’utilitarisme: John Rawls et la justice comme équité

Le principe d’équité rawlsien face à l’utilitarisme

Les premières théories utilitaristes (Bentham, 1789BENTHAM, J. Introduction to the principles of moral and legislation. London: T. Payne and son, 1789. ; Sidwick, 1907) qui défendent le plus grand bien-être possible pour la majorité ont influencé les sciences sociales et les idéaux politiques et économiques de croissance et de développement. L’utilitarisme promeut le bien-être humain et se base sur la bienveillance généralisée des individus: «quelqu’un avec une disposition utilitariste agira pour promouvoir le bien-être immédiat en aidant une personne âgée à traverser la rue, par exemple, ou peut agir en fonction de règles comme la réciprocité ou le marché d’échanges pour produire le meilleur résultat en termes de bien-être» (Smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. , p. 59, traduction propre). Dans cette approche, la justice est obtenue par la maximisation du bien-être collectif, considéré comme la somme des utilités individuelles, c’est-à-dire que la justice est ce qui bénéficie à la majorité. Par exemple, l’Optimum de Pareto suit le principe du «moindre sacrifice pour le plus petit nombre possible de personnes». Nonobstant, rien n’est dit sur la façon dont les ressources doivent être réparties à partir du moment où cet optimum est atteint, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un principe de distribution qui tend à reproduire le statuquo (Smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. ). Ce principe continue d’être la toile de fond des régimes urbains contemporains, qui affirment que les politiques de croissance aboutissent au plus grand bien pour la majeure partie des personnes (Fainstein, 2010FAINSTEIN, S. The just city. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2010. ).

La force de la théorie rawlsienne, cependant, consisterait exactement dans le fait de ne pas se baser sur la théologie, sur l’altruisme, sur la pensée marxiste ou sur un diagnostic de la nature humaine (Fainstein, 2010FAINSTEIN, S. The just city. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2010. ). Au contraire des formulations utilitaristes, le bien-être ne pourrait pas se baser sur la somme des situations individuelles, ce qui amène Rawls à rechercher une justice «juste en-soi» pour la société considérée comme un tout. Contractualiste et transcendantale, plus déontologique que théologique, sa théorie est appelée «libéralisme égalitaire» ou «institutionalisme transcendentale» (Smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. ). Elle consiste à imaginer, sur le mode de Rousseau, un contrat social idéal pour une société. Ainsi, la théorie part d’un contrat entre les individus, qui devrait être pacté dans une «position originale», dans laquelle personne n’aurait la connaissance de sa position sociale, ni de ses avantages et habiletés personnelles (Rawls, 1971). Ce contrat donnerait naissance à cinq catégories de «biens sociaux primaires», que des individus rationnels détermineraient dans cette situation hypothétique: (a) les libertés fondamentales, (b) les opportunités offertes aux individus, (c) pouvoirs et privilèges, (d) revenu et richesse et (e) les bases sociales du respect de soi. À partir de ces catégories, pour Rawls, une société est juste si elle respecte trois principes fondamentaux: (i) le principe d’égale liberté (la garantie des libertés de bases pour tous), (ii) le principe d’égalité d’opportunités (égalité équitable des opportunités) et iii) le principe de différence, appelé maximin (uniquement les inégalités qui favorisent les plus défavorisés doivent être maintenues, ou, ceux qui ont le moins doivent obtenir plus de bénéfices).

Ce dernier principe, en affirmant la priorité de l’équité sur l’efficience, est celui qui a eu le plus de répercussions dans les champs scientifique et politique. En promouvant la redistribution, c’est-à-dire la maximisation de ce qui peut être obtenue par une personne en position inférieure, le maximin parviendrait à résoudre une impasse de la théorie utilitariste: le sacrifice de certains pour le bien-être de la majorité.

En tant qu’exemple d’application de la théorie rawlsienne à un problème géographique, Bret (2006BRET, B. Inégalité sociale et cohésion territoriale, pour une lecture rawlsienne du territoire brésilien. Géocarrefour, v. 81, n. 3, p. 182-192, 2006. doi: https://doi.org/10.4000/geocarrefour.1931.
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, 2009BRET, B. Interpréter les inégalités socio-spatiales à la lumière de la Théorie de la Justice de John Rawls. Annales de Géographie, n. 665-666, p. 16-34, 2009. Disponível em: https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-1-page-16.htm.
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) analyse la différenciation socio-spatiale du modèle centre-périphérie et ses implications en termes d’inégalité et d’injustice. L’auteur se penche sur la façon dont la croissance peut amener au développement dans l’équité. Selon lui, la théorie de Rawls aiderait à résoudre de manière cohérente la contradiction suivante: le développement, c’est la croissance avec de la justice, mais celle-ci est nécessairement inégale (Bret, 2009BRET, B. Interpréter les inégalités socio-spatiales à la lumière de la Théorie de la Justice de John Rawls. Annales de Géographie, n. 665-666, p. 16-34, 2009. Disponível em: https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-1-page-16.htm.
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). Cette contradiction se résoudrait avec l’application du principe du maximin: si le centre (moteur de croissance) est capable de transformer et de distribuer sa richesse, il devient pôle de développement, en respectant ainsi le principe de réparation. En d’autres termes, pour l’auteur, la justice comme équité permet de réparer des inégalités produites par la croissance, pourtant nécessaire au développement. En résumé, pour Rawls, le raisonnable l’emporte sur le rationnel, le juste sur «le bien», et l’équité sur l’efficacité (Maric, 1996MARIC, M. Égalité et équité: l’enjeu de la liberté Amartya Sen face à John Rawls et à l’économie normative. Revue Française d’Économie, v. 11, n. 3, p. 95-125, 1996. Disponível em: Disponível em: https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1996_num_11_3_1099 . Acesso em: 28 jan. 2022.
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, p. 108). Nonobstant, un dilemme persiste dans la justice (re)distributive rawlsienne: comment définir les individus ou groupes en situation désavantagée, c’est-à-dire ceux qui feront l’objet d’un traitement différentiel?

Les limites de la théorie rawlsienne et de l’équité comme redistribution

La première critique à la théorie rawlsienne consiste à dire que le concept d’équité, en pratique, peut atténuer les injustices sans remise en question du système qui les produit. En ce sens, quand l’idée d’équité est capturée par les sphères politiques et médiatiques, les politiques de réparation et de redistribution aboutissent souvent à des situations contradictoires, qui se reflètent, par exemple, dans des oxymores telles que «Capitalisme humain» ou «green capitalism». Quant à la position originale de Rawls, pour certains, elle permet autant «d’en arriver à Marx qu’à Milton Friedman», mais en aucun cas à des solutions libérales ou socialistes (Harvey, 1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973.). Dans cette lignée marxiste, la question est: pour quoi re(distribuer) au sein d’un système où prédomine la valeur d’échange et dans lequel la privation, l’exploration, l’aliénation et la rareté des biens et des services sont inhérentes? Dans les termes de Harvey, p. 114, traduction propre): «[…] nous disons que les emplois sont rares quand il y a beaucoup de travail à faire, que l’espace est restreint alors que les terres demeurent vides, qu’il y a peu de nourriture tandis que les agriculteurs sont payés pour ne pas produire».

Une deuxième critique pointe le caractère transcendantal, c’est-à-dire l’abstraction théorique et universelle de Rawls, qui ne prendrait pas en compte les contextes historiques et sociaux réels. En ce sens, il convient de mettre en exergue l’œuvre L’idée de Justice (Sen, 2011SEN, A. A ideia de justiça. São Paulo: Companhia das Letras, 2011. ), qui constitue l’une des critiques principales à la dimension abstraite3 3 En dépit de ces critiques, Rawls a imaginé des mécanismes plus concrets pour réduire les inégalités de richesse par le biais de l’imposition, avec la création d’institutions fiscales et de redistribution. de la théorie rawlsienne: rien ne garantit que, sous la condition hypothétique du «voile d’ignorance», les individus ne choisiraient pas d’autres biens primaires que ceux de Rawls. Autrement dit, Sen (2011SEN, A. A ideia de justiça. São Paulo: Companhia das Letras, 2011. , p. 87) invite à appréhender les «intérêts vraiment pluriels, et parfois conflictuels, qui affectent notre compréhension de la justice». Ainsi, c’est précisément sur le point où les analyses de Rawls semblent vulnérables que commence la théorie des capacités (Maric, 1996MARIC, M. Égalité et équité: l’enjeu de la liberté Amartya Sen face à John Rawls et à l’économie normative. Revue Française d’Économie, v. 11, n. 3, p. 95-125, 1996. Disponível em: Disponível em: https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1996_num_11_3_1099 . Acesso em: 28 jan. 2022.
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).

Concernant les biens primaires de Rawls, Sen pointe le manque de réparation des désavantages (comme les handicaps) et/ou des avantages naturels (le talent, par exemple). Tandis que Rawls se préoccupe d’une juste répartition des moyens (biens primaires), Sen se penche sur les capacités individuelles de les utiliser pour les réalisations des fins: il ne suffit pas d’avoir des droits, il faut aussi avoir les moyens et la capacité de les utiliser; il convient d’analyser les «résultats» et les «réalisations» au-delà des contrats et passer des biens primaires à l’évaluation réelle des libertés et des capacités. Aussi, le concept de capabilities implique-t-il la capacité des personnes à convertir les biens primaires en bien-être. De fait, les individus ont besoin de quantités différentes de biens sociaux pour atteindre le même bien-être. Cela provient du concept de liberté de Sen, situé à l’intersection entre la «liberté à», c’est-à-dire la liberté positive (que les individus sont capables d’atteindre concrètement) et la «liberté de» (l’absence de coercition). Dans cette vision, la justice d’une société dépend d’une combinaison d’aspects institutionnels et comportementaux réels. Sen (2011, p. 99) se demande: «comment est-il donc possible d’identifier des institutions ‘justes’ pour une société sans les rendre dépendantes du comportement réel des personnes»? Pour trouver ce «moyen-terme», il aborde la justice avec l’artifice du «spectateur impartial» d’Adam Smith, qui permettrait de se concentrer sur les réalisations sociales, sur les «opportunités réelles» et non seulement sur les demandes des institutions et des règles. Toutefois, selon Connolly et Steil (2009CONNOLLY, J.; STEIL, J. Introduction. In: MARCUSE, P.; CONNOLLY, J.; NOVY, J. (Ed.). Searching for the just city: debates in urban theory and practice. London/New York: Routledge, 2009. p. 1-16.), cette théorie possèderait le même défaut que le Western Liberalism (auquel Rawls est rattaché), c’est-à-dire de considérer l’individu comme une entité abstraite, universelle et atomisée, sans prise en compte de ses relations sociales ni de ses spécificités historiques, culturelles ou spatiales.

Nous poursuivons le débat en abordant des approches marxistes de la justice, connectées avec les analyses dans le domaine du capitalisme dans sa phase actuelle et avec la société urbaine - dans le sens Lefebvrien, dans lequel l’urbain prévaut dans la relation entre espace et société (Lefebvre, 1970LEFEBVRE, H. La révolution urbaine. Paris: Anthropos , 1970.).

Une interprétation géographique de la justice dans la pensée marxiste: en direction d’une vision ample des injustices du capitalisme

Outre l’œuvre de Rawls - considéré comme étant une rupture épistémologique dans la Philosophie Politique (Smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. ) - celle de Harvey (1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973.) accuse les analyses de cette époque de légitimer l’éthique libérale. Selon lui, l’éthique «utilitariste» se manifeste dans le capitalisme contemporain, où la liberté individuelle est érigée en priorité, c’est-à-dire où prime le droit d’une personne de réaliser ses objectifs avec le moins de barrières possible. Pour comprendre cette idéologie, un passage de Hayek (1944HAYEK, F. The road to serfdom. London: Routledge & Kegan Paul, 1944. , p. 78, traduction propre) est particulièrement éclairant:

Le système de propriété privée est la garantie la plus importante de la liberté, non seulement pour ceux qui ont une propriété, mais aussi pour ceux qui n’en ont pas. C’est uniquement parce que le contrôle des moyens de production est divisé entre plusieurs personnes qui agissent de façon indépendante que personne ne possède un pouvoir complet sur nous, que nous, en tant qu’individus, pouvons décider ce que nous faisons de nous-mêmes.4 4 “The system of private property is the most important guarantee of freedom, not only for those who own property, but scarcely less for those who do not. It is only because the control of the means of production is divided among many people acting independently that nobody has compete power over us, that we as individuals can decide what to do with ourselves” (Hayek, 1944, p. 78).

Nous abordons ici la contribution de Harvey au débat et des développements postérieurs qui s’inscrivent dans cette continuité.

L’auteur propose une analyse de la distribution spatiale sur la base de principes de la justice sociale, à partir de deux questions: «qu’est-ce que nous sommes en train de distribuer?», et «entre qui ou quoi est-ce que nous sommes en train de distribuer?». Il convient de souligner que pour Harvey (1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973., p. 101, traduction propre): la justice distributive territoriale implique automatiquement la justice individuelle»5 5 “[…] territorial distributive justice automatically implies individual justice” (Harvey, 1973, p. 101). . L’auteur compile plusieurs principes6 6 (1) L’égalité inhérente: tous les individus ont des droits égaux indépendamment de leur contribution, (2) L’estimation des services en termes d’apports et de demandes: les individus qui ont besoin de ressources rares et essentielles sont prioritaires par rapport aux autres, (3) le besoin (la nécessité), (4) les droits hérités: les individus ont des droits de propriété ou d’autres droits qui leur ont été transmis par des générations antérieures, (5) le mérite, (6) la contribution au bien commun, (7) la contribution productive réelle: les individus qui produisent plus de bénéfices pour la société, possèdent davantage de possibilités de demande que ceux qui en apportent moins, et (8) les efforts et les sacrifices: les individus qui font un effort plus important ou souffrent de plus grands sacrifices par rapport à leurs capacités innées doivent recevoir plus que ceux qui font moins. (Harvey, 1973, p. 100), dont trois contiendrait l’essence de la justice sociale territoriale. Ce sont les suivants, par ordre d’importance: (i) La nécessité/ le besoin: les individus peuvent exiger des niveaux différents de bénéfices, c’est-à-dire qu’il peut exister une répartition inégale en fonction de la nécessité, (ii) La contribution au bien commun: ceux qui ont des activités qui bénéficient à plus de personnes ont plus de «demandes» disponibles que ceux qui pratiquent des activités qui bénéficient à moins de gens, et iii) le mérite, non pas dans le sens de la «méritocratie», mais dans le sens qu’il existe plus de droits pour qui est confronté à de plus grandes difficultés ou défis, dans leur contribution à la production (les travaux les plus lourds et dangereux, comme les travailleurs des mines, par exemple). Quant au premier critère, Harvey dresse une liste des besoins principaux, qui peuvent varier selon la localisation spatiale: l’alimentation, le logement, la santé, les services sociaux d’éducation et environnementaux, les biens de consommation, les opportunités de loisir et les infrastructures locales et de transport. Le second critère représente, à son tour, du point de vue spatial, l’impact que l’allocation des ressources dans un territoire peut avoir sur un autre territoire.

À partir de ces trois critères, l’auteur définit la «justice sociale territoriale» avec deux principes: (i) «la distribution des revenus doit avoir lieu de telle façon que: (a) les besoins de la population dans chaque territoire soient assouvis, (b) les ressources soient distribuées de telle sorte à maximiser l’effet multiplicateur interterritorial, et (c) les ressources supplémentaires soient allouées pour aider à surmonter des difficultés spécifiques dues au contexte physique et social»; et, (ii) «les mécanismes (institutionnels, organisationnels, politiques et économiques) doivent être organisés pour que les bénéfices du territoire le moins avantagé soient les meilleurs possibles»7 7 “I. The distribution of income should be such that (a) the needs of the population within each territory are met, (b) resources are so allocated to maximize interterritorial multiplier effects, and (c) extra resources are allocated to help overcome special difficulties stemming from the physical and social environment. II. The mechanisms (institutional, organizational, political and economic) should be such that the prospects of the least advantaged territory are as great as they possibly can be” (Harvey, 1973, p. 116-117). (Harvey, 1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973., p. 116-117, traduction propre). C’est explicitement dans ces pages que Harvey incorpore le principe du maximin de Rawls «[…] afin de l’étendre, dans un second temps, au concept de ‘besoins’, lui-même compatible avec la théorie marxiste» (Brennetot, 2011BRENNETOT, A. Les géographes et la justice spatiale: généalogie d’une relation compliquée. Annales de Géographie, n. 678, p. 115-134, 2011. Disponível em: https://www.cairn.info/journal-annales-de-geographie-2011-2-page-115.htm?contenu=article.
https://www.cairn.info/journal-annales-d...
, p. 120).

Les questions soulevées par Harvey sont, d’une certaine manière, plus convaincante que sa propre formulation normative de la justice sociale en soi. À défaut de proposer une théorie de la justice, l’auteur formule des principes et des questions liées aux formes spatiales qui permettraient de maximiser la justice sociale et les mécanismes qui pourraient garantir que les régions les plus pauvres puissent recevoir plus de bénéfices et rendent plus aisée l’évaluation, entre autres, des territoires qui sont les plus désavantagés.

Ainsi, d’une part, à partir de la philosophie marxiste, Harvey rejette l’impératif catégorique kantien8 8 Basé sur une pensée rationnelle, l’impératif kantien se fonde sur la raison «pure» des êtres-humains, c’est-à-dire sur une pensée autonome, qui amène à une morale indépendante de justifications religieuses ou politiques, par exemple. pour appréhender la réalité comme une construction sociale et historique: la notion de justice incarnée dans les États capitalistes reflète l’intérêt des classes dominantes. Cependant, il n’abandonne pas l’idée de justice en tant qu’instrument, que mécanisme utile à un processus de conscientisation des exploités, au sein de conflits et luttes: «la justice doit essentiellement être pensée comme un principe (ou un ensemble de principes) pour résoudre des revendications en conflit» (Harvey, 1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973., traduction propre). D’autre part, postérieurement, l’auteur plaide en faveur d’une justice sociale par-delà du «relativisme étroit», selon lequel la moralité s’inscrirait entièrement dans l’espace et dans le temps, ou serait appréhendée simplement comme une question culturelle (Harvey, 1992). En ce sens, bien que non-explicitement, il est possible de trouver des principes moraux dans la théorie marxiste. C’est le cas du concept d’exploitation, qui implique l’appropriation, par une partie des propriétaires, des moyens de production, de la plus-value produite par les travailleurs, en forme de rente, de profit ou d’intérêts. Chez Marx, l’appropriation de cet excédent n’est pas décrite comme injuste en soi, mais l’utilisation de termes tels que «vol», «détournement» ou «braquage», peuvent être considérés comme étant une «invocation de normes transhistoriques et non-relatives» (Smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. , p. 90, traduction propre). Ainsi, l’exploitation, corollaire du droit bourgeois, est vue comme un avantage injuste dans un système de (re)distribution en ce qui concerne l’accès aux ressources et aux moyens de production. D’où le critère de «nécessité» (besoin) pour remplacer le «droit bourgeois». Le «matérialisme historico-géographique» de Harvey (2008HARVEY, D. Géographie de la domination. Paris: Les Prairies Ordinaires, 2008. ) - qui vise à montrer la spatialité de cette dimension et à comprendre géographiquement les mécanismes de reproduction des inégalités, d’exploitation et de domination - a influencé la Géographie et les études urbaines. Selon Brennetot (2011BRENNETOT, A. Les géographes et la justice spatiale: généalogie d’une relation compliquée. Annales de Géographie, n. 678, p. 115-134, 2011. Disponível em: https://www.cairn.info/journal-annales-de-geographie-2011-2-page-115.htm?contenu=article.
https://www.cairn.info/journal-annales-d...
, p. 130, traduction propre), depuis les années 1990:

[...] un courant plus critique de géographie sociale, inspiré par les idées de David Harvey et d’Henri Lefebvre, réinvestit la notion de justice spatiale pour dénoncer les excès géographiques du libéralisme et les discriminations dont souffrent certaines minorités, […] mais aussi pour proposer des visions alternatives de l’urbanité cherchant à concilier multiculturalisme et équité […] (Brennetot, 2011BRENNETOT, A. Les géographes et la justice spatiale: généalogie d’une relation compliquée. Annales de Géographie, n. 678, p. 115-134, 2011. Disponível em: https://www.cairn.info/journal-annales-de-geographie-2011-2-page-115.htm?contenu=article.
https://www.cairn.info/journal-annales-d...
, p. 130).

La publication de Geography and social justice (smith, D., 1994SMITH, D. Geography and social justice. Oxford, UK/Cambridge, MA: Blackwell, 1994. ) plaide pour que la justice ait une place centrale dans la Géographie. La même année, eut lieu la conférence de célébration des vingt ans de Social Justice and the city, qui donna naissance à la publication du livre The urbanization of injustice (Merrifield; Swyngedouw, 1997MERRIFIELD, A.; SWYNGEDOUW, E. (Ed.). The urbanization of injustice. New York: New York University Press, 1997. ). À son tour, Fainstein affirme qu’elle a justement eu l’idée du livre The just city (2010FAINSTEIN, S. The just city. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2010. ) pendant la conférence de 1994. Dans ce dernier, l’auteur soutient que la justice devrait être le critère principal d’évaluation des politiques urbaines, une réaction contre l’importance donnée à la compétitivité et la domination des politiques néolibérales (Fainstein, 2010, 2013). Les dénonciations de la croissance de l’aliénation et des injustices du capitalisme contemporain, avec une forte expression urbaine, ont donné à Young (1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990..) les bases pour la formulation d’une proposition robuste d’une définition de la justice. C’est ce que nous allons aborder maintenant.

Iris Marion Young et la justice comme absence d’oppression et de domination: l’intégration des injustices structurelles et de la variable culturelle

Pour la philosophe et scientiste politique Iris Marion Young (1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990..), l’individualisme assumé par le paradigme de la redistribution obscurcit les phénomènes d’oppression et de domination, qui demandent une approche relationnelle. Ce paradigme favoriserait le statut quo du capitalisme et justifierait les valeurs et la morale bourgeoises. Cette morale et les relations de production et de domination des sociétés capitalistes produisent des injustices, dont Young (1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990.., p.3, traduction propre), se propose d’étudier les symptômes:

J’argumente qu’au lieu de se focaliser sur la distribution, une conception de la justice devrait commencer avec les concepts de domination et d’oppression. Un tel changement révèle les thèmes de prise de décision, de division du travail et de culture qui pèsent sur la justice sociale, mais qui sont fréquemment ignorés dans les discussions philosophiques.9 9 “I argue that instead of focusing on distribution, a conception of justice should begin with the concepts of domination and oppression. Such a shift brings out issues of decisionmaking, division of labor, and culture that bear on social justice but are often ignored in philosophical discussions” (Young, 1990, p. 3).

L’auteure définit la justice de façon négative: une situation ou une politique est considérée juste s’il n’y a pas d’oppression et de domination. Référence dans les études attentives aux communautés et aux minorités, Young renonce à une théorie générale ou universaliste de la justice et privilégie une approche centrée sur les groupes (et/ou communautés) comme les noirs et les populations LGBT, plutôt que sur les individus et elle dénonce les approches qui ne se penchent que sur les inégalités socio-économiques. C’est-à-dire que la décision «juste» est obtenue de manière relationnelle, à partir de la négociation entre groupes qui, d’ailleurs, sont définis plus par affinités que par des critères formels. La différence qui fonde l’identité du groupe n’est pas fixe mais elle est le produit des interactions. Les identités et les différences sont contextuelles dans la pensée de Young (Gervais-Lambony; Dufaux, 2009).

La théorie de Young (1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990..) distingue deux familles d’injustices: la domination (qui empêche certains groupes de faire des choix) et l’oppression (qui les empêche d’acquérir les moyens de faire ces choix). Ces deux concepts s’appuient sur des valeurs fondamentales de la «perspective morale» de Marx, comme la liberté (dans le sens de l’auto-détermination), la communauté humaine (supérieure à l’individualisme) et l’autoréalisation. La politique de la différence, que l’auteure défend, se base sur l’absence d’oppression des minorités, ce qui implique leur reconnaissance. La recherche de la justice consiste ainsi à lutter contre cinq formes d’oppression (Tableau 1): l’exploitation, la marginalisation, l’impuissance, l’impérialisme culturel et la violence.

Tableau 1-
Les formes d’oppression selon Iris Marion Young (1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990..).

Young s’insère ainsi dans une approche - comme Nancy Fraser (1996FRASER, N. Social justice in the age of identity politics: redistribution, recognition and participation. The Tanner Lectures on Human Values, Stanford University, p. 1-68, 1996. Disponível em: Disponível em: https://tannerlectures.utah.edu/_resources/documents/a-to-z/f/Fraser98.pdf . Acesso em: 28 jan. 2022.
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, 2004), que nous abordons plus loin - qui concourt à l’insertion de considérations culturalistes dans l’analyse marxiste. De fait, alors que les trois premières formes d’oppression sont liées à des relations de pouvoir provenant de la division sociale du travail, certaines luttes, comme les combats féministes et antiracistes, permettent la mise en exergue d’autres formes d’oppression (l’impérialisme culturel et la violence). À la rigueur, nous pouvons imaginer comment ces préoccupations peuvent s’emboîter avec d’autres interprétations. En sociologie, les mécanismes de reproduction des inégalités, analysés par le biais de l’habitus10 10 Du point de vue sociologique, l’habitus fut popularisé par le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002). Il s’agit, en résumé, du comportement et des coutumes acquises par un individu ou un groupe social et qui se trouvent profondément ancrés dans son esprit et dans son corps. bourdieusien par exemple, trouvent un point de dialogue avec le concept d’impérialisme culturel - dans le sens où certains groupes ont un accès privilégié aux codes et ressources de la culture dominante - ou encore avec la domination culturelle des classes moyennes, qui furent chargées de véhiculer les valeurs du monde moderne. Dans la vision de Lefebvre, (1971LEFEBVRE, H. Everyday life in the modern world. New York: Harper & Row, 1971 [1968].[1968]), p.48):

Une nouvelle mystification surgit: les classes moyennes n’auront pas plus qu’une ombre de pouvoir, qu’une miette de richesse, mais c’est autour d’elles que le scénario s’organise. Ses «valeurs», sa «culture» ont (ou semblent) avoir l’avantage car ils sont «supérieurs» à ceux de la classe ouvrière.

Redistribution et reconnaissance: la synthèse de Nancy Fraser

Les auteurs, théories et principes de la justice présentés peuvent être contradictoires ou complémentaires. Parmi les éléments abordés, nous identifions des tendances et des dichotomies: universalisme/ normativisme versus relativisme/ culturalisme; dimensions structurelle ou transcendantale versus dimensions processuelle (ou relationnelle); ou encore, «universalisme éthique versus relativisme culturel» (Van Den Brule, 2020, p. 301). Le contenu de ce spectre partage une préoccupation fréquente de la Géographie, qui, elle aussi, cherche à comprendre le couple inégalités-différences (et leurs solutions les plus fréquentes, respectivement: la redistribution et la reconnaissance/ tolérance). En ce sens, Fraser (1996FRASER, N. Social justice in the age of identity politics: redistribution, recognition and participation. The Tanner Lectures on Human Values, Stanford University, p. 1-68, 1996. Disponível em: Disponível em: https://tannerlectures.utah.edu/_resources/documents/a-to-z/f/Fraser98.pdf . Acesso em: 28 jan. 2022.
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, 2004) - connue pour son concept de reconnaissance (sociale et culturelle) et de respect des différences - plaide pour une justice qui doit s’atteindre à partir de la redistribution et de la reconnaissance, mais simultanément: «en somme, il n’y a pas de redistribution sans reconnaissance» 11 11 “In short, no redistribution without recognition” (Fraser, 1996, p. 49). (Fraser, 1996, p. 49, traduction propre).

Cette vision de la justice se construit sur la notion de «parité de participation»: d’une part, le paradigme de la redistribution est centré sur les injustices socioéconomiques, ce qui implique une focale sur les mécanismes d’exploitation et de reproduction des inégalités; et, d’autre part, le paradigme de la reconnaissance, centré sur les injustices culturelles, produit des modèles sociaux de représentation, d’interprétation et de communication, qui ont à voir avec la domination culturelle, la négation de la reconnaissance et le mépris.

Fraser (1996FRASER, N. Social justice in the age of identity politics: redistribution, recognition and participation. The Tanner Lectures on Human Values, Stanford University, p. 1-68, 1996. Disponível em: Disponível em: https://tannerlectures.utah.edu/_resources/documents/a-to-z/f/Fraser98.pdf . Acesso em: 28 jan. 2022.
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) distingue deux positionnements stratégiques (et politiques) de la lutte contre les injustices dans le paradigme de la redistribution: la «redistribution affirmative», dont l’objectif est de corriger une mauvaise distribution, sans perturber les mécanismes économiques et politiques structurels qui créent ces inégalités et différenciations injustes; et la «redistribution transformative», dont l’objectif est de changer la structure sociale, le système économique ou la division sociale du travail12 12 Entre ces deux groupes, l’auteure en identifie en troisième appelé non-reformists reform, qui cherche à transformer les structures du système sur le long-terme en améliorant progressivement la justice dans les villes et sur les territoires. Fainstein (2010, 2013), qui se situe dans ce courant, propose une vision «opérationnelle», dans laquelle il faudrait travailler avec les institutions existantes dans le contexte actuel de l’urbanisation capitaliste, dans les pays démocratiques de l’occident. Se défendant de la critique marxiste selon laquelle les politiques d’urbanisme continueront de se situer au sein du «régime capitaliste de droits et de libertés», l’auteure argumente que le système peut changer progressivement, à partir de pressions continues pour la justice. . Après ces considérations, il convient maintenant de présenter brièvement les implications de l’adjectif «spatial» et l’importance de la spatialité dans le débat sur la justice.

La justice spatiale: l’importance de la dimension spatiale dans le débat de la justice.

La spatialité et l’espace sont directement liés à l’idée de justice et vice-versa. En d’autres termes, la question de la justice intéresse directement la Géographie. Pour Lévy et Lussault (2003LÉVY, J.; LUSSAULT, M. Verbete justice spatiale. In: LÉVY, J.; LUSSAULT, M. (Dir.). Dictionnaire de la Géographie et de l’Espace des Sociétés. Paris: Belin, 2003. p. 531-534., p. 531), l’association entre justice et espace suppose, d’un côté, que «l’espace offre matière à définir ce qui est juste», permettant ainsi de définir ce qui est injuste. D’un autre côté, elle suggère que les «capacités d’action sur l’espace permettent de s’approcher d’un agencement juste». Dans les termes d’Ivaldo Lima (2020LIMA, I. Em favor da justiça territorial: o encontro entre geografia e ética. Revista Política e Planejamento Regional, Rio de Janeiro, v. 7, n. 2, p. 125-148, 2020. Disponível em: Disponível em: https://www.revistappr.com.br/artigos/publicados/artigo-em-favor-da-justica-territorial-o-encontro-entre-geografia-e-etica-.pdf . Acesso em: 28 jan. 2022.
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, p. 130, traduction propre), il s’agit d’une «préoccupation scientifique avec le juste accès à l’espace, c’est-à-dire avec l’usage démocratique de l’espace, ce qui équivaut à parler de droit à l’espace». D’une certaine façon, la défense et les théorisations du «droit à la ville» (Lefebvre, 1968LEFEBVRE, H. Le droit à la ville. Paris: Anthropos , 1968.), de la «justice territoriale» et du «droit à l’espace» (Lima, 2020HARVEY, D. From managerialism to entrepreneurialism: the transformation in urban governance in late capitalism. Geografiska Annaler, v. 71, n. 1, p. 3-17, 1989. doi: https://doi.org/10.1080/04353684.1989.11879583.
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), du «droit à la terre» dans les luttes à caractère rural et paysan, ou du «droit au logement», partout, sont des revendications d’une justice qui doit être conquise pour et par l’espace.

C’est pour cette raison que l’adjectif «spatial» de la justice devient fondamental. Dans son «Manifeste Différentialiste», Lefebvre (2020LEFEBVRE, H. Le manifeste différentialiste. Caen, FR: Grevis, 2020[1970].[1970]) suggère que le «droit à la différence» - qui dialogue grandement avec les paradigmes de la reconnaissance et de la tolérance - est un élément fondamental du droit à la ville ou du droit à l’espace. Et cela parce que l’espace conçu, en tant que produit de l’ordre dominant, opprime et homogénéise la vie quotidienne et les pratiques spatiales et a tendance à effacer les différences qui se trouvent dans l’espace vécu (Lefebvre, 1970; 1974).

Toujours en ce qui concerne la question urbaine, ses formes et ses échelles: qu’est-ce-qui est préférable? Quelles formes et quels modèles urbains sont moins injustes ou inégaux? Quoi et pour qui est-ce injuste? À quelles échelles cela est-il injuste? Où-est-ce injuste? Toutes ces préoccupations confèrent au terme justice spatiale une certaine profondeur, à partir de la nécessité de chercher la spatialité des injustices pour mieux les comprendre et les combattre.

L’expression justice spatiale serait apparue dans les années 1970 (Soja, 2010SOJA, E. Seeking spatial justice. Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2010. ; Van Den Brule, 2020), mais, jusqu’au années 2000, l’expression et le concept spécifique de «justice spatiale» étaient encore rarement utilisés (Dikeç, 2001DIKEÇ, M. Justice and the spatial imagination. Environment and Planning, v. 33, n. 10, p. 1785-1805, 2001. doi: https://doi.org/10.1068%2Fa3467.
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). Cela est probablement dû au fait que le terme spatial, dans le thème de la justice, est apparu de manière moins évidente, bien qu’avec une prolifération d’expressions qui tournent autour du même thème:

L’idée de justice spatiale apparaît parfois comme ville juste, justice territoriale, justice sociale et la ville, justice environnementale, droit à la ville, équité territoriale, territoires injustes, urbanisation injuste, etc. (Van Den Brule, 2020, p.300).

Nonobstant, à partir de la fin des années 2000, une série de travaux aborde plus spécifiquement la question de la justice spatiale. La revue Justice Spatiale/Spatial Justice13 13 La revue revista Justice Spatiale/Spatial Justice a vu le jour avec l’objectif de poursuivre les débats initiés dans le Colloque Justice et Injustices Spatiales (Université de Paris-Ouest Nanterre, en 2008). (JSSJ, Qui sommes-nous?, 2009), par exemple, promeut des discussions transdisciplinaires et internationales sur les relations entre justice et espace. La réflexion a également avancé avec des publications focalisées sur l’urbain et sur la recherche de justice dans les villes - à l’instar de The just city (Fainstein, 2010FAINSTEIN, S. The just city. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2010. ), de Searching for a just city (Marcuse; Connolly; Novy, 2009MARCUSE, P.; CONNOLLY, J.; NOVY, J. (Ed.). Searching for the just city: debates in urban theory and practice. London/New York: Routledge, 2009. ) et de Seeking spatial justice (Soja, 2010SOJA, E. Seeking spatial justice. Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2010. ), ou encore, la contribution fondamentale au Brésil, de l’œuvre Justiça espacial e o direito à cidade («Justice spatiale et le droit à la ville») (Carlos; Alves; Padua, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62.).

Dans ces approches, l’urbain est mis en avant dans la recherche d’une définition de la justice, à partir des injustices et aliénations toujours plus visibles du point de vue spatiale, dans la mesure où l’espace est devenu un objet essentiel de l’accumulation capitaliste contemporaine, dans le processus actuel d’urbanisation néolibérale et de marchandisation des villes (Harvey, 1989, 2008; Jonas; Wilson, 1999JONAS, A.; WILSON, D. The city as a growth machine: critical reflections two decades later. New York: State University of New York Press, 1999. ). Dans ces processus qui créent des injustices, la dimension spatiale est intrinsèquement imbriquée: la ségrégation, la fragmentation, la différentiation, la marginalisation, la «périphérisation» des classes populaires, etc. En ce sens, Connolly et Steil (2009CONNOLLY, J.; STEIL, J. Introduction. In: MARCUSE, P.; CONNOLLY, J.; NOVY, J. (Ed.). Searching for the just city: debates in urban theory and practice. London/New York: Routledge, 2009. p. 1-16.) affirment que la recherche d’une ville juste commence à partir de l’analyse des injustices de l’urbanisation accélérée. De ces injustices découlent des conséquences en termes de violence, d’insécurité, de pauvreté et d’exploitation. Elles impliquent des divisions multiples entre les catégories de classe, de genre et de race et dont la dimension spatiale est fondamentale.

Ainsi, la justice sociale devient spatiale pour mettre en dialogue spatialités et injustices. L’œuvre La production de l’espace (Lefebvre, 1974LEFEBVRE, H. La production de l’espace. Paris: Anthropos, 1974.) constitue une base pour divers auteurs qui insistent sur la dimension spatiale de la justice, avec des interprétations et des actualisations prometteuses (Dikeç, 2001DIKEÇ, M. Justice and the spatial imagination. Environment and Planning, v. 33, n. 10, p. 1785-1805, 2001. doi: https://doi.org/10.1068%2Fa3467.
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; Carlos; Alves; Padua, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62.; Gervais-Lambony, 2017, Soja, 2010SOJA, E. Seeking spatial justice. Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2010. ; Marcuse; Connolly; Novy, 2009MARCUSE, P.; CONNOLLY, J.; NOVY, J. (Ed.). Searching for the just city: debates in urban theory and practice. London/New York: Routledge, 2009. ).

La triple conception de l’espace (Lefebvre, 1974LEFEBVRE, H. La production de l’espace. Paris: Anthropos, 1974.) ainsi que la notion de droit à la ville (Lefebvre, 1968) n’ont donc pas perdu de leur pertinence dans la réflexion sur la justice spatiale. Par rapport à la première - avec l’espace conçu (du pouvoir, des «représentations de l’espace»), l’espace perçu (des pratiques spatiales) et l’espace vécu (des «espaces de représentation» et du quotidien) - il convient de remarquer qu’elle continue d’inspirer des visions contemporaines de la justice spatiale.

Pour Gervais-Lambony (2017), par exemple, il ne s’agit pas tant de mettre en évidence la spatialité des injustices liées à la redistribution et à la reconnaissance, mais de prendre en compte l’espace en tant que troisième polarité, dans la mesure où sa production est politique et sociale. Dans la même lignée, dans une dialectique spatiale de la justice, il s’agit d’étudier la spatialité de l’injustice et l’injustice de la spatialité (Dikeç, 2001DIKEÇ, M. Justice and the spatial imagination. Environment and Planning, v. 33, n. 10, p. 1785-1805, 2001. doi: https://doi.org/10.1068%2Fa3467.
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). La première renvoie à la dimension spatiale de la justice, c’est-à-dire qu’elle implique une perspective spatiale pour discerner l’injustice «dans» l’espace. Dit autrement, l’organisation spatiale et la production de l’espace ont un impact sur le comportement des individus, sur l’action politique et sur le développement de la société (Soja, 2010SOJA, E. Seeking spatial justice. Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2010. ). La deuxième implique la reproduction des structures en vigueur, dans le système dominant, c’est-à-dire «au-travers de l’espace».

Le terme justice spatiale correspondrait ainsi, dans le thème de la justice, au spatial turn revendiqué par les sciences sociales, mettant en avant le pouvoir explicatif de la spatialité dans la production et dans la permanence des injustices. Dans les espaces urbains, des éléments liés à l’espace et aux territoires configurent des injustices spatiales: différents mouvements, (im)mobilités, rythmes, temps, localisations et barrières physiques et symboliques. Ces mêmes éléments peuvent toutefois servir à lutter contre les injustices. Dans la mesure où, dans la production contemporaine de l’espace, l’espace même est l’élément principal d’accumulation, c’est en lui que les revendications et luttes pour la justice se concrétisent et s’expriment, de façon complexe, conflictuelle et processuelle. Nous pourrions dire que c’est dans l’espace vécu que se pensent les solutions, et qu’en ce sens, le «[…] quotidien, comme lieu des oppressions-réductions de l’espace quotidien à l’homogène […] -, [et qui] est, de manière contradictoire, le lieu du désir qui entre en collision avec le monde manipulé des nécessités» (Carlos, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62., p.55).

La triplicité de l’espace pourrait, par exemple, apporter une profondeur analytique - et spatiale - en s’intégrant à des cadres interprétatifs comme ceux de Young (1990). Avec Lefebvre (1968LEFEBVRE, H. Le droit à la ville. Paris: Anthropos , 1968., 1974), nous pourrions dire que la justice est atteinte quand il n’existe pas d’oppression, d’aliénation et de fragmentation des espaces, individus et groupes sociaux. En ce sens, le concept de droit à la ville - en dépit de son accaparement relatif par les mécanismes et institutions d’État - représente toujours un potentiel de transformation, dans la dimension processuelle et spatiale de la justice (Carlos; Alves; Padua, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62.), quand elle est examinée à «la lumière d’un projet utopique de construction d’une nouvelle société (urbaine) […] comme le négatif du monde moderne» (Benach, 2017BENACH, N. Da desigualdade social à justiça espacial. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto, 2017. p. 15-32., p.11).

La «réunion des forces différenciatrices» dans la recherche de la justice doit prendre place dans le vécu (Carlos, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62.), ce qui exige la production - de l’ordre de l’espace différentiel (Lefebvre, 1974LEFEBVRE, H. La production de l’espace. Paris: Anthropos, 1974.) -, l’appropriation et la transformation de l’espace-temps et de l’espace conçu. En d’autres termes, c’est dans l’espace vécu ou dans la récupération de cet espace, que la justice spatiale exprime son potentiel: le réel au-dessus du virtuel, la valeur d’usage au-dessus de la valeur d’échange, le désir au-dessus de la nécessité et les différences vraies au-dessus des différences imposées ou induites. Le droit à la ville, le droit à la différence et le droit à la résistance (ou à la lutte) (Dikeç, 2001DIKEÇ, M. Justice and the spatial imagination. Environment and Planning, v. 33, n. 10, p. 1785-1805, 2001. doi: https://doi.org/10.1068%2Fa3467.
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) sont en ce sens des pistes intéressantes pour affirmer l’importance de la spatialité dans le débat sur la justice en Géographie.

Conclusion

La pluri-dimensionalité de la justice (Gervais-Lambony, 2017), c’est-à-dire la compréhension et la distinction entre différentes visions et approches de la justice, permet de riches dialogues avec la Géographie. Il ne s’agit pas seulement de chercher l’efficacité empirique des modèles théoriques, mais de les adapter à une certaine «opérationnalité éthique» (Brennetot, 2010BRENNETOT, A. Pour une géoéthique: éléments d’analyse des conceptions de la justice spatiale. L’Espace Géographique, v. 39, n. 1, p. 75-88, 2010. Disponível em: https://www.cairn-int.info/revue-espace-geographique-2010-1-page-75.htm.
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), ou, dit autrement, de produire des «géographies morales» (Lima, 2020LIMA, I. Em favor da justiça territorial: o encontro entre geografia e ética. Revista Política e Planejamento Regional, Rio de Janeiro, v. 7, n. 2, p. 125-148, 2020. Disponível em: Disponível em: https://www.revistappr.com.br/artigos/publicados/artigo-em-favor-da-justica-territorial-o-encontro-entre-geografia-e-etica-.pdf . Acesso em: 28 jan. 2022.
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). La confrontation entre diverses conceptions de la justice - qui sont également présentes dans la société et dans l’espace - a généré des tentatives théoriques de classification. C’est le cas de la «géoéthique» proposée par Brennetot (2010), qui regroupe divers systèmes de pensée autour de la justice, permettant ainsi un bilan avec quatre grandes «catégories éthiques» ou «familles éthiques»: (i) la propriété, (ii) l’équité, (iii) la tolérance et (iv) l’harmonie.

Ces visions, comme nous l’avons vu, peuvent être complémentaires et/ou contradictoires. Le principe de redistribution peut se combiner avec le principe de la tolérance et de la reconnaissance des différences et des minorités. L’éthique de la «propriété», c’est-à-dire l’éthique néolibérale et marchande, qui plaide pour le droit individuel au-dessus du collectif, est cependant difficilement compatible avec les principes d’équité et de reconnaissance sociale. Bien plus que de choisir un modèle ou un autre - nous avons vu qu’il existe des interprétations de la justice marxistes et libérales, théoriques et processuelles, culturalistes et universalistes, etc. - il s’agit surtout de défendre l’idée selon laquelle une approche géographique devrait expliciter les principes de justices à partir desquels elle apprécie la réalité et devrait énoncer «rationnellement le concept de justice pour ensuite qualifier rationnellement les situations justes ou injustes» (Bret, 2009BRET, B. Interpréter les inégalités socio-spatiales à la lumière de la Théorie de la Justice de John Rawls. Annales de Géographie, n. 665-666, p. 16-34, 2009. Disponível em: https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-1-page-16.htm.
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, p.17).

Ainsi, certaines catégories éthiques qui soutiennent des visions déterminées de la justice peuvent ne pas servir de cadre théorique dans l’analyse, mais ne peuvent pas non plus être ignorées car elles impriment leur marque sur et dans l’espace. Par exemple, en dépit de se présenter comme neutre et «homogénéisante», la logique de l’espace conçu (Lefebvre, 1974LEFEBVRE, H. La production de l’espace. Paris: Anthropos, 1974.) produit une aliénation et une domination croissantes de la vie et des espaces. Aussi, les principes moraux de l’éthique de la propriété - principes de liberté individuelle, de méritocratie, de la croissance qui prime sur l’équité, de la majorité au-dessus des minorités, et de la valeur d’échange qui prime sur la valeur d’usage - doivent être pris en compte, non pas pour leur pertinence en termes théoriques, mais parce qu’ils existent bel et bien dans les espaces, territoires, luttes et discours, que les géographes étudient en partie.

Enfin, la quatrième catégorie éthique de la justice, non-explorée ici, l’harmonie, correspondrait à une vision qui cherche la réalisation et la pleine puissance de la vie humaine, l’harmonie avec la nature, le bien-être et la joie, et qui se traduit en plusieurs concepts tels que la justice environnementale ou le buen-vivir.

Pour la Géographie, il convient de placer au centre du débat la dimension spatiale et les spatialités, parce que c’est dans l’espace que se confrontent ces différentes visions, qui, transposées à l’analyse d’actions, d’objets, d’opérateurs spatiaux ou d’individus, révèlent les interactions et les luttes à plusieurs échelles (Legroux, 2016). Selon nous, outre le nécessaire rétablissement du concept de droit à la ville, étant donné les usages multiples et parfois manipulateurs de l’idée originale (Carlos; Alves; Padua, 2017CARLOS, A. F. A. A privação do urbano e o direto á cidade em Henri Lefebvre. In: CARLOS, A. F. A.; ALVES, G.; PADUA, R. F. (Org.). Justiça espacial e o direito à cidade. São Paulo: Contexto , 2017. p. 33-62.), les idées d’unité et de différence produites (en opposition aux différences induites, manipulées) (Lefebvre, 1974LEFEBVRE, H. La production de l’espace. Paris: Anthropos, 1974.) semblent offrir des pistes fertiles pour la recherche de la justice, dans la théorie, dans la praxis et dans l’espace, simultanément.

Enfin, il convient de dire que cette révision du débat a encore besoin d’applications empiriques afin de s’enrichir, que ce soit avec l’adoption de l’une des visions de la justice pour l’étude d’un objet géographique donné, ou que ce soit avec l’analyse d’un cas spécifique, à partir de la confrontation de ces différentes visions

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  • YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990..
  • 1
    Engels, par exemple, dans une carte à Marx, en 1875, ne niait pas le caractère irréductible de certaines différences inégales: «entre un pays et un autre, une province et une autre et même entre une localité et une autre, il existera toujours une certaine inégalité des conditions de vie, qu’il sera possible de réduire à un niveau minimum, mais jamais effacée» (apud Smith, D., 1994, p. 49, traduction propre). (“Between one country and another, one province and another and even one locality and another there will always exist a certain inequality in the conditions of life, which it will be possible to reduce to a minimum but never entirely remove”.)
  • 2
    FITOUSSI, J.-P.; ROSANVALLON, P. Le nouvel âge des inégalités. Paris: Seuil, 1996.
  • 3
    En dépit de ces critiques, Rawls a imaginé des mécanismes plus concrets pour réduire les inégalités de richesse par le biais de l’imposition, avec la création d’institutions fiscales et de redistribution.
  • 4
    “The system of private property is the most important guarantee of freedom, not only for those who own property, but scarcely less for those who do not. It is only because the control of the means of production is divided among many people acting independently that nobody has compete power over us, that we as individuals can decide what to do with ourselves” (Hayek, 1944, p. 78).
  • 5
    “[…] territorial distributive justice automatically implies individual justice” (Harvey, 1973, p. 101).
  • 6
    (1) L’égalité inhérente: tous les individus ont des droits égaux indépendamment de leur contribution, (2) L’estimation des services en termes d’apports et de demandes: les individus qui ont besoin de ressources rares et essentielles sont prioritaires par rapport aux autres, (3) le besoin (la nécessité), (4) les droits hérités: les individus ont des droits de propriété ou d’autres droits qui leur ont été transmis par des générations antérieures, (5) le mérite, (6) la contribution au bien commun, (7) la contribution productive réelle: les individus qui produisent plus de bénéfices pour la société, possèdent davantage de possibilités de demande que ceux qui en apportent moins, et (8) les efforts et les sacrifices: les individus qui font un effort plus important ou souffrent de plus grands sacrifices par rapport à leurs capacités innées doivent recevoir plus que ceux qui font moins.
  • 7
    “I. The distribution of income should be such that (a) the needs of the population within each territory are met, (b) resources are so allocated to maximize interterritorial multiplier effects, and (c) extra resources are allocated to help overcome special difficulties stemming from the physical and social environment. II. The mechanisms (institutional, organizational, political and economic) should be such that the prospects of the least advantaged territory are as great as they possibly can be” (Harvey, 1973HARVEY, D. Social justice and the city. Baltimore, MD: Blackwell, 1973., p. 116-117).
  • 8
    Basé sur une pensée rationnelle, l’impératif kantien se fonde sur la raison «pure» des êtres-humains, c’est-à-dire sur une pensée autonome, qui amène à une morale indépendante de justifications religieuses ou politiques, par exemple.
  • 9
    “I argue that instead of focusing on distribution, a conception of justice should begin with the concepts of domination and oppression. Such a shift brings out issues of decisionmaking, division of labor, and culture that bear on social justice but are often ignored in philosophical discussions” (Young, 1990YOUNG, I. M. Justice and the politics of difference. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1990.., p. 3).
  • 10
    Du point de vue sociologique, l’habitus fut popularisé par le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002). Il s’agit, en résumé, du comportement et des coutumes acquises par un individu ou un groupe social et qui se trouvent profondément ancrés dans son esprit et dans son corps.
  • 11
    “In short, no redistribution without recognition” (Fraser, 1996, p. 49).
  • 12
    Entre ces deux groupes, l’auteure en identifie en troisième appelé non-reformists reform, qui cherche à transformer les structures du système sur le long-terme en améliorant progressivement la justice dans les villes et sur les territoires. Fainstein (2010, 2013), qui se situe dans ce courant, propose une vision «opérationnelle», dans laquelle il faudrait travailler avec les institutions existantes dans le contexte actuel de l’urbanisation capitaliste, dans les pays démocratiques de l’occident. Se défendant de la critique marxiste selon laquelle les politiques d’urbanisme continueront de se situer au sein du «régime capitaliste de droits et de libertés», l’auteure argumente que le système peut changer progressivement, à partir de pressions continues pour la justice.
  • 13
    La revue revista Justice Spatiale/Spatial Justice a vu le jour avec l’objectif de poursuivre les débats initiés dans le Colloque Justice et Injustices Spatiales (Université de Paris-Ouest Nanterre, en 2008).

Publication Dates

  • Publication in this collection
    06 May 2022
  • Date of issue
    2022

History

  • Received
    30 June 2021
  • Accepted
    20 Dec 2021
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