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Christophe Dejours - Le corps inachevé entre phénoménologie et psychanalyse: Entretien 1 1 1 Cet entretien avec Christophe Dejours a été réalisé le 7 novembre 2013 au Laboratoire de Psychodynamique du Travail et de l'Action du Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris en vue de trois leçons données par Benoît Kanabus les 25, 26 et 27 novembre 2013 à l'Institut de Psychologie clinique de l'Université de São Paulo, Brésil, à l'invitation du Prof. Andrés Eduardo Aguirre Antúnez et de la Prof. Florinda Martins. Sur cette question, dans l'abondante bibliographie de Christophe Dejours, nous renvoyons en particulier à 2009a , 2009b , 2011 , 2013 .

Résumé:

L'objectif de cet article est, sous le prisme de la genèse, de l'amputation, mais également de la sublimation du corps subjectif, de comprendre comment une pratique peut épouser les champs de la psychanalyse et de la phénoménologie. Les maladies du corps constituent, en effet, une clinique, mais sont aussi un point d'élaboration théorique qui renouvelle la compréhension de la genèse du corps subjectif tant en psychanalyse qu'en phénoménologie.

Mots-clés:
psychanalyse; phénoménologie; genèse du corps subjectif

Resumo:

O objetivo deste artigo é, sob o prisma da gênese, da amputação, mas também da sublimação do corpo subjetivo, compreender como uma prática pode unir os campos da psicanálise aos da fenomenologia. As doenças do corpo constituem, com efeito, uma clínica, mas são também um ponto de elaboração teórica que renova a compreensão da gênese do corpo subjetivo, tanto em psicanálise quanto em fenomenologia.

Palavras-chave:
psicanálise; fenomenologia; gênese do corpo subjetivo

Abstract:

The objective of this paper is to understand, from the perspective of the genesis, of amputation, but also of the sublimation of the subjective body, how a practice can unite the psychoanalytical and phenomenological fields. The diseases of the body are indeed a clinic, but they are also theoretical elaboration point that renews the comprehension of the genesis of subjective body, in both psychoanalysis and phenomenology.

Keywords:
psychoanalysis; phenomenology; genesis of the subjective body

Resumen:

Este trabajo tiene por objetivo comprender, desde la perspectiva de la génesis de amputación y de sublimación del cuerpo subjetivo, cómo una práctica puede unir el campo del Psicoanálisis con el de la Fenomenología. En efecto, las enfermedades del cuerpo son una clínica, además son un punto de elaboración teórica que renueva la comprensión de la génesis del cuerpo subjetivo en ambas ciencias.

Palabras clave:
psicoanálisis; fenomenología; génesis del cuerpo subjetivo

Benoît Kanabus - Les phénoménologues se plaisent à considérer que leur discipline a contribué à renouveler la perspective adoptée en psychopathologie sur les faits psychiques, notamment en dénonçant une certaine unilatéralité dans la conception de l'homme véhiculée par les théories psychiatriques positivistes et naturalistes qui dominaient le paysage à l'époque où Husserl et Heidegger ont défini leurs philosophies. Ce changement de perspective a consisté à privilégier le point de vue de la personne en souffrance et à voir dans la relation thérapeutique un lieu où s'éprouve un rapport à soi de l'homme ainsi que son devenir au sein de la société. Avant d'entrer dans le sujet plus limité de cet entretien, il me semble significatif de souligner que votre pratique analytique a été elle-même immédiatement corrélée à une critique sociale puissante. Le retentissement de Souffrance en France (2000) l'atteste suffisamment.

Christophe Dejours - Du point de vue de mon itinéraire personnel, il convient de rappeler que je n'ai découvert la phénoménologie qu'en cours de route. Je ne suis pas parti de la phénoménologie. C'est plutôt la phénoménologie qui est apparue tout à coup comme une ressource bouleversante. Médecin, psychiatre, j'ai reçu une formation de chercheur sur la question des conditions de travail, de l'amélioration des conditions de travail dans un contexte social et historique particulier: celui de l'après mai 68, période où la question du travail était une question forte dans la société. Je suis donc parti d'une double expérience: une expérience dans le champ du travail et une expérience dans le champ de la psychanalyse, avec une préoccupation pour la psychosomatique.

Le point de départ de ma démarche épouse, par conséquent, les deux extrémités, les deux champs limites de la psychanalyse: d'un côté, les sciences sociales avec entre les deux le travail, et, de l'autre, les sciences biologiques avec entre les deux la psychosomatique. Le travail et la psychosomatique représentent à la fois des thèmes, des concepts, des théories, mais aussi une clinique. C'est un avantage: le travail est une clinique spécifique dont on peut tirer une théorie; de la même façon, les maladies du corps constituent une clinique, mais aussi un point d'élaboration.

C'est donc, en fait, à partir de la psychosomatique que je me suis intéressé à cette question du corps. Or, y compris en psychosomatique chez les théoriciens de la psychanalyse, le corps n'est pas pensé comme corps. Il est considéré et, finalement, réduit de façon triviale au corps biologique. Certes, il y a l'âme, la psyché, la Seelenleben [la vie d'âme], si l'on reprend un terme freudien, mais là aussi le corps est quelque peu remisé. Freud a d'ailleurs lui-même gardé toute sa vie une certaine méfiance à l'égard de ceux qui, autour de lui, ont essayé de faire apparaître la thématique du corps.

Benoît Kanabus - Reste à préciser quelle phénoménologie est apparue comme une ressource face à cette question pratique du corps. La tradition de la psychiatrie phénoménologique avait en effet déjà reçu des lettres de noblesse, mais elle les avait reçues surtout en s'inscrivant dans la veine de la Daseinsanalyse. Qu'il suffise de rappeler les noms de Binswanger ou de Blankenburg. Or, c'est bien entendu tout autre chose de se référer, comme vous le faites actuellement, à la phénoménologie de la vie.

Christophe Dejours - Comme vous vous en doutez, ma première rencontre avec la phénoménologie s'est en effet produite grâce à des psychiatres-psychanalystes eux-mêmes intéressés par la phénoménologie et, effectivement, travaillant plutôt dans la veine heideggérienne de l'être-là. Je me suis intéressé en particulier à un auteur qui s'appelle Medard Boss. Assez proche d'Heidegger, il avait essentiellement travaillé sur la psychosomatique. Il a publié Introduction à la médecine psychosomatique (1959)Boss, M. (1959). Introduction à la médecine psychosomatique. Paris: PUF. , livre assez ancien, mais surtout Il m'est venu en rêve (1989)Boss, M. (1989). Il m'est venu en rêve. Paris: PUF. , qui se préoccupe de la manière dont le corps advient dans le rêve et, par conséquent, accorde au rêve une place tout à fait déterminante dans la perspective d'une phénoménologie du corps. Je me suis également intéressé à une autre voie: celle de la réflexion sur les psychoses, représentée notamment par Gisela Pankow (1981)Pankow, G. (1981). L'être-là du schizophrène: contributions à la méthode de structuration dynamique dans les psychoses. Paris: Aubier Montaigne. et son travail sur L'Être-là du schizophrène.

L'affaire serait trop longue à vous raconter, évidemment, mais je vais au moins m'arrêter sur une anecdote assez significative. Je travaillais avec des patients qui présentaient des maladies somatiques graves, que ce soit à l'hôpital, en privé, ou à l'Institut de psychosomatique où professaient Pierre Marty, Michel Fain et Michel de M'Uzan, autrement dit les fondateurs de l'École française de psychosomatique. À cette époque, j'ai été amené à suivre un patient dont je vais fortement résumer l'histoire. Il souffrait d'une rectocolite hémorragique, c'est-à-dire une maladie du tube digestif caractérisée par des poussées qui provoquent des diarrhées sanglantes. En conséquence, toute la paroi du tube digestif bas devient fragile comme un papier de cigarette. Cette maladie inflammatoire est extrêmement dangereuse; il peut y avoir des hémorragies digestives qui vous emportent. C'est en outre assez compliqué du point de vue étiologique puisque c'est une maladie auto-immune avec un terrain familial dans certains cas. Je prends donc ce patient en analyse et je constate rapidement qu'il a un fonctionnement psychique très riche, pour parler dans les termes freudiens, mais aussi dans ceux de l'École psychosomatique de Paris. C'est un patient qui a beaucoup de fantasmes, qui rêve beaucoup. Je note bien entendu cette activité onirique très importante, contraire à ce que dit la théorie psychosomatique. Puis, un beau jour, ce patient manque une séance, deux séances, etc. J'apprends qu'il est en réanimation: il a fait une poussée de rectocolite hémorragique suraiguë tellement grave qui nécessitait qu'il soit transfusé, et, au même moment, il a déclenché une anurie complète. Il est donc complètement bloqué. Cet épisode suit de deux jours un incident incroyable avec son père (à l'époque âgé de 80 ans), qui a déclenché une hémorragie digestive pour la prémière fois au cours de sa vie. Diagnostic: rectocolite hémorragique. Mon patient est à ce moment-là en analyse avec moi, et il va bien. Quand le père déclenche, dans les 48 heures, c'est le fils qui tombe malade. Le père va guérir, mais mon patient est dans une situation quasi mortelle. Il semble à tout le moins que l'on soit en présence d'une économie familiale très particulière. Si la question du rapport entre le père et le fils était déjà évidemment au centre de l'analyse, elle prend tout à coup une forme beaucoup plus grave.

N'ayant pas trouvé chez Marty les clefs pour aller au bout de l'analyse, je me suis tourné vers Pankow, pensant que cette histoire ressemblait à ce que l'on peut observer dans certaines familles psychotiques: un enfant, un adolescent est délirant; dans le même temps, la famille va bien. Mais si vous progressez dans le soin de ce psychotique et que, petit à petit, il commence à récupérer, souvent un autre membre de la famille tombe malade - un frère, une sœur, la mère, le père, etc. Je connaissais bien ce phénomène puisque, par ailleurs, je suis psychiatre. J'ai donc vu que c'était la même économie qui était en cause dans le cas dont question. Les pankowiens, vers lesquels je me suis tourné, font un travail spécifique sur le corps, mais dans une conception heideggérienne, c'est-à-dire que c'est vraiment le corps comme être-là, devant soi, que l'on va essayer d'attraper avec différentes techniques, en particulier par "la restructuration dynamique de l'image du corps".

J'ai travaillé pendant quinze ans avec cette école pour apprendre le métier. Je n'ai pourtant jamais pu être à l'aise. Je n'ai jamais pu développer une véritable dextérité. Quelque chose ne collait pas. Ce n'est que bien plus tard que j'ai rencontré Michel Henry lors des décades de Cerisy 5 5 Le colloque de Cerisy s'est tenu en 1996 ( David & Greisch, 2000 ). . J'y ai trouvé une position complètement inverse: avec le corps il ne s'agit pas, comme le dit Pankow, d'une forme spatiale projetée, d'une idée statique qu'il faut mettre devant soi, mais d'un éprouvé. Je me suis immédiatement senti concerné. C'était une évidence: "c'est comme ça que je pense". J'ai été stupéfait par ce retournement complet. Ce qui est premier, c'est le souffrir, le pâtir, l'immanence, l'invisibilité.

Cependant, je dois confesser que, une fois imprégné de cette rencontre, de cette lecture de l'écriture de Henry, puis de la rencontre d'un certain nombre des chercheurs qui gravitaient autour de lui ou, en tout cas, qui étaient travaillés par sa pensée, me sont venues des questions auxquelles, à mon avis, ne sont pas facile d'articuler avec la phénoménologie de la vie; des questions qui ont directement trait aux pathologies graves. C'est important, car la question du corps devient une question incontournable pour un praticien quand il entre dans les domaines graves de la pathologie. Tant qu'il est confronté à la névrose - même si les névroses peuvent êtres graves aussi -, le fait d'être dans un corps, d'avoir un corps qui s'éprouve soi-même, d'avoir un corps comme condition de la révélation de la vie elle-même ne se pose pas d'une manière aussi aigue.

Benoît Kanabus - En insistant sur l'épreuve du corps pour comprendre les psychoses, on opère en effet clairement un déplacement par rapport à la tradition de la psychiatrie phénoménologique issue de la Daseinanalyse, qui décrit la psychose en se concentrant sur les troubles de la conscience. Biswanger, par exemple, mettait l'accent sur le déchirement entre la conscience et le monde, déchirement qu'il corrélait à une défaillance de la conscience dans sa relation intime au temps. D'autres ont plutôt trouvé des ressources chez Sartre, comme Henri Ey, ou chez Maldiney, comme Schotte. Si ces théories sont contrastées, elles partagent selon vous le primat de la représentation et du visible; ce qui se traduit par leur insistance sur l'"image du corps".Or, de son côté, Henry récuse justement à l'"image du corps" la possibilité de rendre compte de ce qu'il appelle le corps subjectif, la chair ; ce qui implique, constatez-vous, un retournement de la problématique puisqu'il s'agit dès lors d'approcher le corps non pas à partir de la représentation, du visible, mais de l'affect, de l'invisible.

Christophe Dejours - En effet, beaucoup d'auteurs ont décrit l'angoisse psychotique d'être. C'est selon moi une réalité purement phénoménologique qui vous saute dessus. Quand on est face à quelqu'un qui est psychotique, la question du corps est incontournable parce que le patient en parle. Il ne peut pas faire autrement. Il dit qu'il ne sent pas son corps, qu'il sent le vide. Il vous explique qu'il est face à un abîme insupportable. Le psychotique se pince, s'écrase une cigarette sur la main pour essayer de récupérer quelque chose qui s'éprouve du corps lui-même, se mutile, se coupe, se fait du mal; il prend des drogues pour essayer de sentir des choses, se saoule anormalement; il prend des risques et ne les voit pas. Comme le psychotique ne sent pas son corps, il prend des risques qui en réalité engagent la vie au sens de l'autoconservation. Avec l'angoisse psychotique, on est donc confronté à l'énigme de la condition immanente du corps.

Indiscutablement, Henry, par le dialogue qu'il a instauré avec Maine de Biran, partage l'idée fondamentale que, si le corps est donné d'une certaine manière, on peut donner congé au corps secondairement, on peut s'éloigner de soi. Il y a donc une piste, une voie qui est ouverte par Henry pour penser la psychopathologie du reniement de soi, du reniement de la vie, du refus de la vie, de l'éloignement de soi.

Benoît Kanabus - Vous avez en effet mis en évidence des passages édifiants à cet égard. Sans abuser du jeu des citations, je ne résiste pas à rappeler celui-ci qui est fulgurant: "Il y a un plaisir de l'angoisse, écrit Henry, mais dans ce plaisir même, l'angoisse subit à la fois la loi du pathos et le vertige de la liberté. Elle se charge d'elle-même, plie sous son propre fardeau au point de ne plus pouvoir se supporter. Se fuir elle-même, se débarrasser de soi. Maintenant, c'est là ce que, au cœur de son angoisse qui brûle en elle à la manière d'un feu dévorant, elle projette. Se fuir elle-même, se débarrasser de soi, c'est aussi ce que, au cœur de ce brasier, elle ne peut plus faire. L'impossibilité de se débarrasser de soi s'exaspère au moment où la possibilité de pouvoir vient buter en elle sur le non-pouvoir plus ancien qu'elle qui la donne à elle-même, sur cette impuissance dont on a montré qu'elle est la source de sa puissance. C'est alors que, portée à son paroxysme, l'angoisse s'accroît vertigineusement: qu'en voulant se fuir elle-même et se heurtant en elle à l'impossibilité de le faire, acculée à soi, la possibilité de pouvoir se trouve rejetée vers elle-même, c'est-à-dire du même coup vers le pouvoir qu'elle rend possible. Elle se jette alors en lui comme la seule issue, la seule possibilité qui lui reste, et passe à l'acte" ( Henry, 2000Henry, M. (2000). Incarnation: pour une phénoménologie de la chair. Paris: Seuil. , p. 276). La phénoménologie du passage à l'acte, commentez-vous, comme tentative de liquider l'angoisse, de se décharger de soi, est d'une vérité saisissante au regard de la clinique.

Christophe Dejours - Oui, mais chez Henry, comme vous le comprenez, il y a la présupposition que le "corps est un", que le corps est toujours déjà là, qu'un soi s'est toujours déjà édifié en même temps que la chair de telle sorte que l'on ne s'en écarte qu'ensuite. Notre expérience, du côté de la psychopathologie, n'est pas tout à fait identique: il y a des gens qui n'habitent pas leur corps, n'y entrent jamais, ne l'éprouvent pas ou ne l'éprouvent que mutilé. On pourrait parler d'une incarnation inachevée. Les pathologies de l'expérience du corps nous enseignent en effet que le corps lui-même est susceptible de fractures, voire de dissociations (Spaltung) qui frappent non seulement la conscience, mais la subjectivité tout entière.

Nous sommes donc nécessairement reconduits à la question de la généalogie du corps subjectif, de son ontogenèse et de ses relations avec le corps objectif, question dont on ne peut faire l'impasse en psychopathologie. C'est ici, à vrai dire, que commence la discussion avec Henry et Biran. Et cette discussion, disons-le au passage, avait déjà été engagée avec Biran par un psychiatre, Antoine-Athanase Royer-Collard, le frère d'un célèbre révolutionnaire, au début du XIXe siècle. Ce dernier, lisant Biran, soulève dans son Abrégé ( Royer-Collard, 1990Royer-Collard, A.-A. (1990). Abrégé de la doctrine contenue dans le Mémoire de M. Maine de Biran: Difficulté et obscurités qu'elle me paraît offrir. In M. de Biran, Œuvre. T. X. (appendices XIV). Paris: Vrin. ) la question d'un moi qui ne serait que partiellement présent à lui-même, d'un moi qui serait partiellement suspendu ou encore d'une conscience partielle, amputée.

Benoît Kanabus - Comment entendez-vous alors reconstruire cette genèse du corps subjectif?

Christophe Dejours - À ce niveau, il faut se tourner vers la psychanalyse. Comment le corps se constitue-t-il? L'approche psychanalytique plaide pour une ontogénèse du deuxième corps, le corps subjectif, à partir du premier corps, le corps objectif. La déformation de l'instinct en pulsion passe par une opération que Freud appelle l'"étayage de la pulsion sur la fonction physiologique". C'est un processus subtil: l'enfant s'efforce de montrer à ses parents que sa bouche, par exemple, ne lui sert pas uniquement à manger. Elle lui sert aussi à sucer, à embrasser, à mordre et, plus tard, aux petits jeux de la vie sexuelle. Le sujet affirme dans ce processus une certaine indépendance de l'usage de son organe par rapport à sa destination primitive et donc une certaine indépendance par rapport à ses instincts. Il cherche à devenir sujet de son désir. Et il peut d'ailleurs aller trop loin: affirmer que sa bouche ne lui sert qu'au plaisir, et devient alors anorexique pour caricaturer. Bref, on voit que l'étayage est une "subversion". Une subversion de la fonction par la pulsion qui passe par l'organe. Ces zones, progressivement arrachées à leurs fonctions physiologiques, sont peu à peu subverties au profit de la construction d'un deuxième corps que l'on désigne, en psychanalyse, sous le nom de corps érotique.

Mais d'où vient ce processus d'étayage? Contrairement à ce que laisse entendre Freud, ce processus n'est pas endogène: il ne procède pas du développement biologique puisque la sexualité humaine s'installe chez l'enfant avant la maturité sexuelle anatomique et physiologique. Si la sexualité ne vient pas par la biologie, les glandes endocrines n'étant pas encore en mesure de libérer les hormones sexuelles responsables des comportements impliqués dans la reproduction, alors d'où vient-elle? La seule réponse possible pour la psychanalyse est qu'elle arrive à l'enfant de l'extérieur, arrive par l'autre, plus précisément par l'adulte.

La généalogie du corps qu'elle met en évidence passe par un corps à corps initial entre l'adulte et l'enfant, indissociable des soins prodigués par l'adulte au corps de l'enfant. Dans cette genèse, le rôle dévolu à l'inconscient de l'adulte confère à la sexualité et à la sensualité du corps (le corps érotique) une place centrale: pour le meilleur, dans la mesure où c'est bien de la sexualité et de la subversion libidinale que le deuxième corps tient son autonomie par rapport au corps biologique; pour le pire, dans la mesure où des accidents peuvent aboutir à des amputations importantes des pouvoirs du corps, avec à la clef une vulnérabilité spécifique aux décompensations psychopathologiques.

Benoît Kanabus - Je me permets de continuer sur ces parties du corps qui ne sont pas habitées comme corps érotique parce qu'elles ont échappé à la subversion libidinale. Vous rapportez que les patients y font l'épreuve terrifiante de la mort en eux-mêmes. Dans la perspective de la phénoménologie de la vie, et c'est notamment l'un des points de discussion que vous visiez, cette expérience semble à première vue étonnante. Henry insiste sur l'unicité de la chair. Si le corps, vu de l'extérieur, est une chose morte, éprouvé de l'intérieur, il est toujours une chair vivante. Cette unicité absolue est sans doute problématique, vous le pointez et l'expérience psychotique l'atteste manifestement. Pourrait-on alors plutôt y percevoir des parties du corps où la violence du pâtir de la vie va justement rester la plus profonde parce que la vie n'est pas parvenue à s'y transformer en jouissance d'être soi? Bref, des parties du corps qui n'auront pas été prise dans un processus d'ipséisation de telle sorte qu'elle reste extérieure à la subjectivité, si je le dis dans le langage de la phénoménologie de la vie, tout en reconnaissant que je force déjà ici le texte proprement henryen. Mais cette description-là ne fait pas non plus totalement droit à l'expérience de la décompensation psychotique. Dans Le Moi et la chair , commentant les textes bouleversants d'Antonin Artaud, Jacob Rogozinski (2006)Rogozinski, J. (2006). Le moi et la chair: introduction à l'ego-analyse. Paris: Cerf. a été plus loin en tentant de penser, à partir d'un cadre théorique issu de Henry, des parties du corps qui, en effet, ne sont pas devenues chair. Mais, même ravalée au biologique, elle reste en vie, insiste-t-il, elle souffre parce qu'elles sont en vie...

Christophe Dejours - C'est une question très compliquée que vous posez. Pour y répondre, il faut entrer dans la phénoménologie de la psychose, du patient somatique. La réponse serait que, si il y a souffrance, ce serait une souffrance très particulière. Je m'accorde avec vous sur la façon dont vous distinguez la souffrance en tant qu'elle s'éprouve dans le corps véhicule, biologique, ou dans le corps érotique, subjectif. Cette partie qui a échappé à la subversion libidinale, elle est effectivement au principe d'un souffrir qui est terrible.

Benoît Kanabus - Je voulais en effet dire que, quand bien même il n'y aurait pas d'épreuve de soi, l'auto-affection de la vie absolue continuerait néanmoins de s'éprouver, ne fût-ce que comme corps biologique. Je me permets de vous citer parce que c'est un point de discussion particulièrement important avec la phénoménologie de la vie : "La dissociation du corps comme expérience fondamentale d'une dérobade de la vie, voire d'une distorsion de la vie qui s'éprouve en soi, suggère que le corps objectif étant pourtant présent, il est possible que le corps subjectif soit grevé de troubles graves" ( Dejours, 2011Dejours, C. (2011). Le corps entre psychanalyse et phénoménologie de la vie. Prétentaine, (27-28), 87-107. ). Le corps biologique est lui aussi traversé par une épreuve de la vie absolue toujours subjective en elle-même, qu'on le veuille ou non. C'est en tout cas le sens même de la phénoménologie de la vie de Michel Henry. Le corps biologique est lui aussi donné par la vie et dans la vie, même si la vie revêt à ce niveau son caractère le plus anonyme. "Dans son auto-affection, explique Henry, l'affect est radicalement passif à l'égard de soi et ainsi est chargé de son être propre jusqu'à l'insupportable de cette charge, il aspire à s'en décharger, il est le mouvement-même de la pulsion, laquelle désigne justement chez Freud l'excitation endogène qui ne cesse jamais" ( Henry, 2003Henry, M. (2003). Phénoménologie de la vie: de la subjectivité. Paris: PUF. , p. 183). Alors, effectivement, dans ce cas de figure, même si la vie est déjà subjective en elle-même, l'individu en tant que tel ne peut pas se subjectiviser dans une épreuve de soi, encore moins s'accroître soi-même. L'angoisse, me semble-t-il, se redouble justement à cause de la vie qui continue de vivre envers et contre tout. Pourquoi je ne meurs pas alors que je vis sans corps? Pourquoi alors que je suis mort mon corps vit encore? C'est une épreuve terrifiante.

Christophe Dejours - Oui, tout à fait. Cela supposerait néanmoins, pour répondre précisément ou pousser plus loin la discussion, de s'entendre précisément sur ce que l'on entend par "pulsion", parce que je pense qu'il y a des précisions importantes à donner. La discussion de Freud opérée par Henry porte sur le statut de l'inconscient qui est, pour Henry, "l'autre nom de la vie". L'auteur ne va donc pas discuter la psychanalyse sur le statut qu'elle accorde à la sexualité. Si, pour certains auteurs, la psychanalyse est bien la théorie de l'inconscient, pour d'autres, elle est davantage une théorie de la sexualité humaine. Que l'inconscient et la pulsion soient deux concepts proches pour caractériser la "vie d'âme" (Seelenleben), il reste que les deux termes n'ont pas le même statut théorique: l'inconscient relève de l'analyse topique, tandis que la pulsion relève du niveau économique.

Ceci étant dit, soutenir théoriquement le primat du sexuel, c'est en fait engager une discussion sur le statut du corps dans la psychanalyse, car il n'y a pas de sexualité pensable sans corps. Cette question a été peu développée par Freud, si l'on considère la place fondamentale qui lui est accordée par la phénoménologie de la vie. Il y a un engagement du corps dans des agir qui repose sur les savoirs élémentaires du corps dont parle éloquemment Henry, mais qui repose aussi sur cette idée d'effort sensible de Maine de Biran, c'est-à-dire que c'est dans la mise en mouvement du corps lui-même que s'éprouve la résistance du corps à ce mouvement, son aperception immédiate; ce qui n'a donc rien à voir avec une image ni avec une représentation, ni avec un Dasein placé devant soi.

Benoît Kanabus - Je repose alors la question en retirant ce qu'elle pouvait contenir d'ambigu: comment comprendre qu'une partie du corps puisse échapper à la constitution du corps érotique?

Christophe Dejours - Ces amputations du corps, ce qui va constituer l'inconscient amential, que je distingue de l'inconscient refoulé, ce sont des registres d'engagement du corps de l'enfant qui ont justement été rendus impossibles, qui ont été proscrits. Mais ils ne sont pas proscrits pour rien; ils ont été proscrits dans une relation avec l'adulte qui, par ses réactions, en interdisant certains jeux du corps, a empêché l'enfant de s'approprier son corps. Et quand l'enfant ultérieurement (grand enfant, adolescent, adulte) est ramené à ces jeux, à ces registres d'engagement du corps qui sont proscrits, ce qu'il éprouve est tout à fait particulier: il ne s'agit pas, comme dans les autres registres, d'une souffrance; non, il éprouve l'effondrement, la chute vertigineuse dans un vide qui, très rapidement, prend la forme d'une angoisse.

Du point de vue de la phénoménologie, c'est de nouveau passionnant: les personnes font à ce moment-là des rêves où ils dégringolent sans rien pour s'accrocher; ils chutent le long d'une paroi, par exemple. Et cette espèce de chute, cette sensation de vide ou du sol qui se dérobe ne peut pas être décrite autrement que phénoménologiquement. Elle est insupportable. En fait, c'est un gouffre dans lequel tout va s'engouffrer, y compris la vie qui va elle-même partir par cette espèce de béance qui se constitue.

J'ai passé des années à travailler cette question, et je pense maintenant avoir à peu près compris comment ça marche. Mais ce sont des questions assez subtiles par rapport à la phénoménologie du corps. En fait, quand on touche à ces zones inhabitées du corps, ce qui vient en premier, c'est la violence, et non pas la chute. La chute, c'est l'envers, c'est une des formes phénoménologiques dans lesquelles l'inconscient amential peut se concrétiser. Mais sa première forme, c'est la violence. Parce que l'inconscient amential est hérité de l'histoire de la relation entre l'adulte et l'enfant.

Les jeux du corps, le sien ou celui de l'adulte, l'enfant ne peut les réaliser que si, dans une certaine mesure, l'adulte y consent et s'y prête de manière tempérée. Mais, parfois, l'adulte ne supporte pas certains registres de jeu en raison de son inconscient et des impasses psychonévrotiques qui sont les siennes et réagit de manière non tempérée. Il ne le supporte pas au point de devenir fou, d'être pris lui-même dans une compulsion de telle sorte qu'il abuse, abandonne ou frappe l'enfant comme s'il était submergé par une réaction qui se passe chez l'enfant qu'il ne peut pas supporter. Se produit alors ce que l'on appelle un "accident de la séduction". L'enfant est à son tour débordé par une excitation tellement forte qu'elle peut provoquer la rupture du moi. Il est hors d'état de penser. Sans pensée, il n'y a donc pas de traduction possible. L'absence de traduction implique l'absence de refoulement et, par conséquent, l'échec de la formation de l'inconscient sexuel refoulé. Cette violence laisse néanmoins une trace: celle de la violence et de la haine de l'adulte contre le corps de l'enfant. Et ce que le sujet y éprouve d'abord, c'est la haine de soi.

Alors pourquoi dis-je que cela va donner naissance à une motion violente? Parce que ce qui réactive cette expérience, c'est l'autre, notamment dans la relation amoureuse, qui vient susciter cette zone qui ne fonctionne pas. L'autre est à ce moment-là le "fauteur de troubles". La première réaction c'est donc une violence contre celui qui est là. Maintenant, dans l'analyse, quand tout n'est pas entré en crise (parce que ça se voit, cette violence existe, on l'appelle le "raptus clastique" en psychiatrie; tout à coup, simplement parce que vous êtes là en train d'écouter un patient, la violence part: vous avez touché la zone, vous avez amené le patient à l'éprouver, et c'est extrêmement dangereux), c'est-à-dire lorsque le patient parvient à se contenir, c'est là que se fait l'expérience inverse de l'effondrement. Et cet éprouvé de la chute - c'est extraordinaire - est concomitant d'une inhibition complète de la motricité nécessaire, indispensable à cette autre forme qu'est la violence. Dans certains cas, quand on touche à cette zone-là, instantanément le patient déclenche une maladie. C'est instantané. Il faut comprendre cela. Personnellement, j'ai vu des patients déclencher des hémorragies instantanées. Et, ayant beaucoup travaillé en réanimation, je vois les stratégies d'élaborer le point de vue de la technique de travail avec ces patients pour conjurer ce risque, lorsque je sens que l'on avance vers cette zone-là.

Benoît Kanabus - L'une de vos distinctions les plus fortes consiste à dire, et je vous cite encore parce que je pense que c'est tout à fait fondamental, que "la subjectivité serait dans cette perspective identifiable à ce qui dans le corps est parvenu à se faire chair, cependant que le sujet se définirait non seulement par ce qui se révèle en lui comme subjectivité ou comme vie absolue, mais aussi par l'expérience des dérobades de cette subjectivité qui sont la conséquence des limites auxquelles se heurterait l'incarnation dans ce corps-ci" ( Dejours, 2011Dejours, C. (2011). Le corps entre psychanalyse et phénoménologie de la vie. Prétentaine, (27-28), 87-107. ). La question qui ne peut manquer de se poser est alors la suivante: la subjectivité peut-elle néanmoins reconquérir ces zones?

Christophe Dejours - Parfois, on peut recoloniser ces zones, les regagner. Mais il faut travailler sur le corps. On rentre ici dans les questions spécifiques de la pratique analytique avec des patients qui ont ces désordres.

La topique de l'inconscient refoulé, sexuel - qui est en fait le corps en tant qu'il s'éprouve lui-même au sens biranien ou henryen du terme - nous dirige vers le corps érotique qui a une histoire spécifique. Ce corps ne s'éprouve pas seulement sur le mode du pâtir, il s'éprouve aussi sur le mode du s'aimer soi-même. L'amour de soi n'est pas du tout une pensée hétérodoxe par rapport à Henry. Il y a vraiment une transformation dans l'amour de soi. Quand on a cette théorie du corps, cette métapsychologie du corps - pour parler en termes psychanalytiques -, on comprend que l'amour de soi, qui est d'abord l'amour de son propre corps, est, pourrait-on dire, le fondement de la santé mentale.

Mais il y a également l'inconscient amential. Quand on lit en termes topiques, de système, on a donc l'inconscient sexuel refoulé et l'inconscient amential, que l'on peut redéchiffrer comme une topique du corps: le corps habité, approprié, qui s'éprouve soi-même d'un côté, cette partie du corps qui se dérobe et qui conduit à l'expérience horrible de la chute de l'autre - qui est l'expérience de la mort en soi dont les patients parlent beaucoup et dont ils parlent d'autant plus qu'ils ne cèdent pas à la violence. Face à des patients qui ont une propension à la violence, l'analyste constate en effet qu'ils parlent peu de cette dérobade du corps; ils sont déjà violents avec lui, ils sont déjà en train de casser, de cogner et de se cogner eux-mêmes. Il faut comprendre cette sémiologie. Personnellement, je l'ai vue notamment à l'œuvre dans les prisons où j'ai travaillé avec des gens réellement fous, d'une violence inouïe.

Benoît Kanabus - Dès Dissidences du corps ( Dejours, 1989Dejours, C. (1989). Les dissidences du corps: Répression et subversion en psychosomatique. Paris: Payot. , p. 81), vous attachiez beaucoup d'importance au fait qu'il est malaisé, pour l'analyste, d'apprécier l'importance de la lutte menée par les patients qui tentent d'éviter le passage à l'acte, alors même qu'ils sont incapables de la verbaliser. Dans la perspective de la phénoménologie de la vie, il est difficile aussi de ne pas s'interroger sur le statut de la verbalisation. On connaît les textes virulents de Henry à cet égard: il refuse de confier au langage, entendu comme dispositif représentationnel, quelque rôle originaire que ce soit dans le procès d'adhésion au pâtir de leur vie. Autrement dit, et il faudrait nuancer bien entendu, la parole échouerait à rendre visible ce qui est invisible.

Christophe Dejours - Comment passe-t-on du souffrir premier, du pâtir premier, de l'épreuve invisible de soi à la parole? C'est en effet une question importante. Je pense que cette recherche sur l'invisible, sur la nuit est un apport fondamental de la phénoménologie radicale de la vie. L'amour s'éprouve avec les yeux fermés. C'est l'opposé de l'heideggérianisme. La subjectivité ne se voit pas, elle s'éprouve. Alors, comment avoir accès à cette subjectivité, à cette expérience subjective du corps? Que ce soit dans la névrose, ou que ce soit où l'expérience subjective du corps se dérobe dans la psychose, dans la psychosomatique il n'y a évidemment qu'un seul passage possible et il n'y en a pas d'autres: c'est la parole.

Benoît Kanabus - D'accord mais l'analyste, dans votre perspective, peut-il contourner l'écart irréductible entre la parole comme signifié et le vécu signifiant? Est-ce que l'on peut véritablement dire le corps et a fortiori le corps amputé?

Christophe Dejours - Il y a incontestablement un gap considérable. Mais, en même temps, nous n'avons pas d'autres moyens que de passer par la parole. Dès lors, puisque vous m'y invitez, je vais faire un saut pour vous expliquer comment je travaille le corps en tant qu'il s'éprouve à travers un matériau auquel j'accorde une place fondamentale - place que tous les psychanalystes lui accordent d'ailleurs, mais, moi, d'une façon un peu différente, peut-être -, c'est le rêve. Parce que le rêve a cette propriété incroyable de former l'image onirique du corps. Le corps, d'une certaine façon, apparaît subjectivement à celui qui rêve. C'est un mécanisme extraordinaire qui repose sur la régression formelle - un des quatre éléments que Freud rassemble pour décrire ce qu'il appelle le "travail du rêve"...

Benoît Kanabus - Pardonnez-moi de vous interrompre: y compris dans les parties du corps amputé, dans le corps où "règne" la mort?

Christophe Dejours - Non, justement. Ne pourra apparaître dans le rêve que ce qui est vivant et non pas justement la partie qui nous échappe. Mais je ne vois pas le rêve, je ne le verrai jamais comme psychanalyste. Le seul accès qui m'y est réservé c'est par la parole des patients. Ce sont eux qui racontent leurs rêves. Il y a donc déjà un écart entre le rêve tel qu'il a été rêvé et la façon dont le patient en parle; même pour le patient, le rêve se dérobe, ne tient pas, s'oublie. Bref, c'est vrai que, quand on est en analyse, on retient plus ses rêves que quand on n'y est pas. Le patient a de l'intérêt, de la curiosité à l'égard de son propre fonctionnement qui le rend plus attentif; ce qui a pour conséquence qu'il fixe davantage ses rêves et qu'il en parle plus facilement.

Benoît Kanabus - Husserl avait insisté sur le fait que si le vécu du souvenir est une donnée absolue, le vécu remémoré, qui est contenu au sens intentionnel dans le souvenir, n'est pas une donnée absolue. Lorsque Henry discute la métapsychologie freudienne, il va plus loin en affirmant qu'"il est fallacieux de juxtaposer sur un même plan au fond de la Psychè, sous le même titre de ‹représentant› psychique de la pulsion, représentations inconscientes et affects, parce que affectivité et représentation ne se situent précisément pas sur le même plan, la première étant le naturant et la seconde le naturé" ( Henry, 2003Henry, M. (2003). Phénoménologie de la vie: de la subjectivité. Paris: PUF. , p. 182). D'un point de vue phénoménologique, force est de constater que l'écart pointé au niveau de la parole se redouble au niveau du rêve et de la narration du rêve.

Christophe Dejours - C'est exact. Mais, de mon côté, je suis attentif à ce qui, dans le rêve, apparaît du corps subjectif et - c'est très important - à la manière dont le corps se meut dans le rêve. D'une manière générale, le corps s'éprouve, mais, en même temps, le corps qui s'éprouve est engagé dans ce que j'appelle "l'agir expressif". Dans mon agir, dans tout ce que je fais, y compris dans ce que je dis et dans la manière dont je le dis, mon corps est engagé dans la mimique, la gestique, la psychomotricité, le ton de la voix, le timbre. Le corps subjectif est là dans ma manière d'être avec vous. Vous savez, ce n'est pas si simple de pouvoir montrer sa colère. Par exemple, cette agressivité très saine qui nous permet d'arrêter l'autre quand il nous fait mal psychiquement, moralement ou physiquement, ça n'a l'air de rien, cela suppose une capacité d'engager le corps. Or, on peut justement attraper dans le rêve de façon très précise la manière dont le corps s'engage. Ce qui est néanmoins compliqué du point de vue analytique, c'est qu'il ne faut pas seulement faire attention à ce qui se montre, mais aussi et surtout à ce qui ne se montre pas, n'apparaît pas. Il s'agit d'être capable d'attendre tel mouvement, tel engagement, telle expression du corps qui ne vient pas et qui ne viendra peut-être jamais. À un moment donné de l'analyse, vous vous rendez en effet compte qu'il y a des choses qui n'apparaissent pas ou qui n'apparaissent jamais. Elles ne sont "pas là", et c'est ce "pas là"- qui du coup n'est pas dans le rêve, et non plus dans ce que le patient vous dit - qui est pourtant là, en creux, dans le creux de la vie qui se montre, se dit, là où la vie s'éprouve et se révèle à soi. C'est donc finalement dans le creux que vous découvrez ce qui manque.

Benoît Kanabus - Vos propos me font penser aux derniers travaux de Raphaël Gély (2012Gély, R. (2012). Le langage et l'affectibilité radicale de la vie: Réflexion à partir de la phénoménologie de Michel Henry. In B. Kanabus & J. Maréchal (Dir.), Dire la croyance religieuse: Langage, religion et société (pp. 85-117). Bruxelles: PIE Peter Lang. , p. 94): "Notre hypothèse", écrit-il, "est que l'acte de langage, malgré la nécessaire généralité des mots utilisés et même grâce à cette généralité comprise comme espace de rencontre entre des singularités, ne peut s'éprouver en prise avec l'intériorité même du vécu, capable d'agir sur ce vécu, de l'affecter en profondeur, que parce qu'il est apparenté au débat affectif qui le constitue, que parce qu'il entretient un rapport essentiel à la parole silencieuse de la vie au sein de laquelle le moindre vécu est donné à soi. Si l'acte de raconter peut avoir, pour le meilleur comme pour le pire, des conséquences décisives sur l'adhésion à soi du vécu, s'il est possible de revivre quelque chose d'un vécu pourtant absolument singulier en le racontant, c'est parce que la singularité même de ce vécu ne tient pas seulement au fait qu'il s'éprouve, mais tient plus encore au fait que le pouvoir de s'éprouver de la vie, loin d'aller de soi, s'y met en jeu, y met en jeu la vulnérabilité intrinsèque de son adhésion à soi". Raphaël Gély tente donc de penser cela. Mais je ne suis pas sûr que Henry soit tout à fait là.

Christophe Dejours - Non, il n'est pas là et, en même temps, on ne peut pas dire qu'il n'y est pas. Quand il pense à Jean de la Croix, quand il pense à certains pères de l'Église etc., il avance des thèses essentielles qui touchent, selon l'instrumentation théorique et métapsychologique que j'utilise pour en rendre compte, la "perlaboration". Le langage est à la fois toujours en retard et insuffisant pour rendre compte du corps subjectif et de la souffrance. Néanmoins, le passage de l'expérience vécue à son élaboration, à sa symbolisation passe quand même par la parole. C'est ce que nous enseigne la psychanalyse : quand je parle à quelqu'un, que je m'entends dire moi-même sur mon expérience des choses que je ne savais pas tant que je ne les avais pas dites, je me rends compte que parler à quelqu'un - Jean de la Croix parle à Dieu, il parle donc aussi à quelqu'un - est le plus puissant moyen de penser, de transformer et de faire passer d'une certaine manière ce pâtir fondamental qui s'éprouve.

Benoît Kanabus - Cela tient, me semble-t-il, à la partageabilité originaire du désir de vivre, comme l'explique par ailleurs Raphaël Gély, description qui mériterait un débat en soi.

Christophe Dejours - Là, il y a donc quelque chose qui a à faire avec la pratique même de l'analyse, et ce "parler à quelqu'un" suppose que l'autre écoute.

Benoît Kanabus - "La vie n'a qu'une parole, écrit Henry, cette parole ne revient jamais sur ce qu'elle a dit et nul ne s'y dérobe" ( Henry, 2004Henry, M. (2004). Phénoménologie de la vie: sur l'éthique et la religion. Paris: PUF. , p. 199). Oui, mais on est ici au niveau de l'auto-affection de la vie absolue. Or, si je prolonge le jeu métaphorique: qu'en est-il derechef des parties du corps où l'on sent la mort? Ont-elles jamais été habitées par la partageabilité? Manifestement, seule la violence, au contraire, y a jamais régné. Comment dès lors les partager par la parole pour éventuellement les recoloniser et, dans le meilleur des cas, s'y accroître un peu soi-même? La verbalisation elle-même semble à nouveau problématique.

Christophe Dejours - Elle est très dangereuse. Elle n'est pas neutre, elle est dangereuse. L'analyste risque évidemment d'arriver sur ces zones et de provoquer chez le patient un débordement, soit par la violence soit par l'angoisse. Quand on est analyste, cela arrive par maladresse, par manque d'expérience; et c'est un problème car il y a un risque dans ladite parole.

Benoît Kanabus - Je reviens alors où nous en étions avant que je vous entraîne dans cette parenthèse sur le statut du langage: est-ce l'activité onirique qui permettrait de véritablement recoloniser ces zones inhabitées du corps? Vous disiez cependant que, là aussi, ne peut apparaître que ce qui est vivant.

Christophe Dejours - Je pense que le moteur de l'affaire est la question du transfert. Ce n'est pas une question strictement phénoménologique, mais ce n'en est pas moins une question fondamentale. Grâce à ce que le transfert est capable de mobiliser dans la zone amentiale, si une crise ne s'est pas immédiatement déclenchée, il y a une mise en tension que Freud a théorisée sous le nom de "mise en latence". Quelque chose est là, à l'état latent, qui va être conservé pendant la journée sans déclencher la crise; si tout se passe bien, la nuit, se forme un rêve qui va traiter ces pensées latentes. C'est par ce processus que des éléments qui étaient dans l'inconscient amential finissent quand même par être perlaborés par le rêve. C'est le travail du rêve par la régression formelle qui permet de se ressaisir de ces proto-pensées qui étaient là et qui redeviennent l'image d'un éprouvé dans lequel tout à coup quelque chose est ressaisi, rattrapé, réapproprié. De ce qui était non habité, non vécu, de ce qui échappait à la vie, quelque chose peut déjà être rapatriée.

Mais, du point de vue de la pratique, la perlaboration par le rêve est le deuxième temps; le premier est ce qui se passe dans le transfert. Le rêve est le lieu où se joue le travail pour le patient, mais c'est aussi le lieu où l'analyste, s'il sait écouter, s'il sait utiliser sa curiosité outillée par la phénoménologie de la vie et par la phénoménologie du corps, peut voir ce qui évolue. Si vous n'avez pas cet intérêt pour le corps, vous ne le voyez pas. Pourtant, les patients en parlent, mais vous ne le voyez pas et donc vous n'intervenez pas là-dessus, et peut-être qu'une partie de la réappropriation échappe dès lors. C'est dommage parce que c'était la possibilité de repérer cette conquête qui, finalement, permet un accroissement de la subjectivité au sens noble du terme, au sens henryen du terme.

Benoît Kanabus - Nous évoquions la parole de Jean de la Croix qui parle à Dieu. Ignace de Loyola lui aussi rêve avec Dieu, si vous me passez l'expression. Les exercices spirituels invitent à un "lieu de l'image" qui est justement le corps qui se déploie librement dans les scènes bibliques méditées, et l'exercice même est de comprendre l'épreuve et l'agir du corps dans ces scènes, de travailler l'agir et l'épreuve de son corps en répétant la méditation en vue de s'accroître toujours davantage. Qu'est-ce que j'éprouve? Comment mon corps se meut-il durant la noce de Cana, face à la veuve qui donne l'aumône, devant la flagellation? Que me dit-il de moi-même? Et un directeur aide ce discernement...

Christophe Dejours - En effet, c'est extrêmement impressionnant.

Benoît Kanabus - Si je continue le fil de notre discussion, votre dernière réflexion m'invite à vous interroger sur la nature de la relation qui s'instaure entre le psychiatre, le psychanlyste et le patient. Des praticiens comme Henri Grivois et Jean Naudin - repensons à Naître à la folie ( Grivois, 1999Grivois, H. (1999). Naître à la folie. Paris: Seuil. ) - ont mis au cœur de leur pratique comme de leur théorie une relation forte entre psychiatre et psychotique. Loin de s'en tenir à la position déontologique habituelle d'écoute neutre et distanciée, ils considèrent que l'investissement affectif du psychiatre est le gage d'une possible cure de la psychose du malade. La conscience psychotique semble non plus une conscience solipsiste mais, au contraire, une conscience intersubjective exacerbée que le psychiatre tente de rejoindre en écoutant son histoire. En revanche, si l'on en revient à Binswanger, la compréhension du patient et, en particulier, des vécus du psychotique n'implique pas de les revivre de la part du clinicien, mais plutôt d'en saisir les liaisons intelligibles de sorte que la souffrance est conçue dans la perspective du sens. Binswanger s'est d'ailleurs montré très attentif aux échecs de l'empathie du psychiatre vis-à-vis du patient lorsqu'il est confronté aux vécus irrationnels qu'il rejette du côté de l'étrangeté. Comment vous situez-vous dans ce débat?

Christophe Dejours - Dans ma pratique, je suis aussi assez réservé sur la question de l'empathie. Mais, pour bien comprendre cette réserve, il faut évidemment la restituer dans le contexte actuel et pas uniquement au sens de l'Einfühlung de Husserl. Parce que l'empathie est devenue une espèce de tarte à la crème de tout un pan de la psychiatrie et surtout de tout un pan de la psychanalyse qui sombrent un peu dans l'émotion partagée. Personnellement, j'ai plusieurs réserves sur ce pari et cet investissement de l'empathie comme guide de lecture, pour deux raisons: la première est une raison philosophique; la deuxième est psychanalytique.

La première raison, plus philosophique, c'est que je suis très sensible au fait que l'empathie ou l'intropathie - tout dépend de la traduction du terme - n'est pas seulement un éprouvé au sens de la sympathie, de la sensibilité... Je pense que la sensibilité dont on se sert en psychanalyse est une sensibilité fondamentalement habitée par le concept. Autrement dit, plus j'ai de concepts, plus j'ai raffiné cognitivement, plus j'ai mobilisé de moyens intellectuels, plus je deviens sensible. Plus vous travaillez la musique, par exemple, plus vous devenez sensible à la musique. Pensons à Mozart: il connaît la forme courtisane de l'opéra, mais il a essayé de la faire bouger. Pour cela, il a travaillé la composition - donc pas seulement l'instrument de musique, mais aussi la théorie musicale - et il finit par la subvertir. Si vous n'avez jamais appris la musique, vous avez certes une sensibilité de départ, mais vous n'y entendez rien. Et si, par ailleurs, vous avez appris le baroque, l'art de la cour, vous avez davantage de sensibilité mais, à la fin de la composition de Mozart, vous dites comme l'Empereur, dans le film de Miloš Forman : "Mozart, trop de notes! Il y a trop de notes dans votre musique !". Et Mozart va continuer, impertinent, à provoquer l'Empereur en mettant plus de notes et plus de chants qui se croisent et s'entrecroisent dans l'opéra. C'est une subversion. C'est un travail très compliqué. Si vous savez cela, vous entendez dans la musique de Mozart des éléments dont vous êtes privés si vous ne le savez pas. Et vous pleurez.

La sensibilité ne vient donc pas comme ça. C'est un talent du corps qui se déploie, qui s'accroît de sa mise à l'épreuve. C'est donc une mise à l'épreuve où le corps est en cause, mais la cognition est également elle-même à l'épreuve de ce qui lui résiste. On est déjà dans le registre de l'aperception médiate, et non dans l'aperception immédiate. C'est dans la rencontre avec la résistance du monde que le corps se révèle à soi, une rencontre qui est médiatisée par le contact avec le bois, la terre, la musique, la matière musicale, le son, la corde, le piano... C'est aussi, je le signale au passage, la manière dont le corps s'accroît. À l'âge adulte, en effet, c'est essentiellement par le truchement du rapport subjectif au travail que le processus de subversion se poursuit. À ceci près qu'alors c'est la "subversion poïétique" qui prend le relais de la "subversion libidinale". Il s'agit donc d'une deuxième voie 6 6 Cet entretien ciblé ne pouvait pas aborder cette question importante qui constitue un autre volet de l'œuvre de Christophe Dejours. . En tant qu'analyste, j'utilise la première voie, celle de la psychanalyse, celle du transfert, laquelle va permettre la perlaboration par le rêve. Pour en revenir strictement à l'empathie j'ai lu Paul Audi, en particulier sa lecture de Rousseau. C'est une analyse extrêmement fine, très belle et convaincante. Dans la pitié au sens rousseauiste, il y a bien du talent personnel qui provient de l'abondance, de la surabondance de la vie en soi. Mais il demeure que tout ce que je viens de dire passe aussi par le concept, par un exercice de la pensée, par l'amour aussi de la pensée, du travail conceptuel en tant qu'il se met à l'épreuve du monde et me met à l'épreuve de moi-même.

La deuxième raison, qui me motive à opérer une restriction à l'égard de l'empathie, est psychanalytique. Il y a un temps intersubjectif qui, selon moi, est incontournable. Le début de la vie - et c'est pour cela que je développe une généalogie du corps, et c'est peut-être ce dont ne parle pas suffisamment la phénoménologie -, c'est l'enfant. Avant d'être un adulte, il faut avoir été un enfant. Et qu'est-ce que la phénoménologie de Michel Henry nous dit de cela? Qu'est-ce que Maine de Biran nous dit de cela? Maine de Biran, dans une note de bas de page, parle de l'enfant 7 7 "L'enfant crie d'abord par instinct, et je ne crois pas que l'on puisse dire que, dès sa naissance (la première naissance) il aperçoive et veuille les mouvements vocaux, ses vagissements; mais quelques temps après, nous pouvons reconnaître qu'il transforme ses cris instinctifs en signes volontaires, dont il se sert déjà pour appeler à son secours; dès lors, il a franchi un grand passage; mais comment l'aurait-il pu si les affections de l'instinct avaient toujours, comme dans le principe (c'est-à-dire, à l'origine) prédominé et forcé le mouvement vocal, et s'il n'y avait pas dans la suite des progrès rapides de la vie, quelques conditions ou circonstances particulières de la production même des mouvements auxquelles pût se rattacher le premier sentiment du pouvoir et, par suite, de l'effort, ou le vouloir primitif?" (Maine de Biran,1990, Œuvre. T. IV. Paris: Vrin, p. 179 [1807]). . Or, ce qu'il dit est fondamental, mais il ne le voit pas, ne l'entend pas; il ne se voit pas et ne s'entend pas l'écrire. C'est évidemment plus facile de le voir deux siècles plus tard. Quoi qu'il en soit, si avant d'être un adulte il faut avoir été un enfant, la question de l'avènement du corps est incontournable. Et dans cette histoire il y a des accidents qui vont aboutir à l'inconscient amential, à ces fameuses zones non habitées du corps.

Dans cette histoire d'être un enfant, qu'est-ce que cela veut dire? C'est être en relation avec un adulte ou des adultes. Et c'est une position inégale, incontournable au point de constituer la "situation anthropologique fondamentale" pour Laplanche. Le philosophe doit le penser. Une fois qu'on a compris avec la psychanalyse l'importance de cette histoire d'être un enfant, on est obligé de la penser. Il faut en rendre compte, y compris en phénoménologie.

Arrêtons-nous un instant pour en prendre la mesure. D'abord, l'enfant est dans une relation où il est dominé par l'adulte. Chacun commence par être dominé, ce qui soulève toute une série de questions questions graves et sérieuses dans le champ des sciences sociales: s'il y a une quelconque liberté, elle ne peut être que seconde, il faut la conquérir. On voit d'emblée les implications majeures du point de vue philosophique, politique et social. Ensuite, dans cette inégalité de l'adulte et de l'enfant, l'adulte est déjà dans la sexualité telle que nous la comprenons avec Freud. C'est l'adulte qui emmène l'enfant dans ce monde, qu'il le veuille ou qu'il ne le veuille pas, parce que cela commence avec les soins du corps. Le corps de l'enfant, fondamentalement immature, s'il ne bénéficie pas du "care" sous ses différentes formes - un certain nombre de soins -, il meurt. Mais cette relation de soins de l'adulte à l'enfant n'est pas une relation de purs soins, n'est pas purement hygiéno-diététique, n'est pas purement au service de la maturation et du développement du corps biologique. Elle est habitée par le fait que ce corps d'enfant a des effets sexuels. Il déclenche des motions chez l'adulte de telle sorte que, à un certain moment, parfois, cela va tourner à l'accident: l'adulte ne va pas supporter et va devenir fou de ce que fait naître en lui le rapport avec le corps de l'enfant. C'est, je vous le disais précédemment, ce que l'on appelle les "accidents de la séduction", et l'enfant est alors incapable d'entrer dans le processus de traduction. Dans l'autre cas, l'adulte va quand même accompagner ses soins de tout un tas de motions qui n'ont rien à voir avec le soin, qui ont à faire avec sa sexualité d'adulte, qui proviennent de son inconscient refoulé vient de son enfance qui perdure dans l'adulte qu'il est. Il implante un message compromis par le sexuel. On parle de la séduction par l'adulte, car c'est l'adulte qui séduit.

Il y a donc un primat de l'intersubjectivité à partir duquel va s'initier toute la question de la subversion. Même si, dans un deuxième temps, ce que l'adulte implante au moment où il prend soin de l'enfant s'éprouve dans le corps de l'enfant par l'enfant lui-même. Dès lors, l'intra-subjectivité, le temps solipsiste est incontournable lui aussi: qu'est-ce que l'enfant fait de l'excitation qui naît dans son propre corps du fait de sa relation avec le corps de l'adulte? Ça lui appartient. C'est le temps de la traduction par l'enfant de ce qu'il éprouve affectivement par son corps. De là commence l'histoire de la subversion libidinale, de la réappropriation, de l'appropriation, y compris des jeux avec son propre corps dans lesquels l'enfant - et il y a cette note de Maine de Biran dont il vient d'être question qui est magnifique à ce niveau - s'efforce de reproduire intentionnellement, volontairement dans son corps, ce qu'il a éprouvé d'abord passivement venant de l'adulte. C'est déjà une interprétation, c'est déjà une perlaboration avant le langage. C'est une appropriation du corps par le corps. C'est un corps qui est engagé dans un jeu du corps. Or, cette traduction est inévitablement incomplète, imparfaite. La traduction laisse donc un reste non traduit. Ce qui n'a pas été traduit insiste et tend à revenir, mais cette fois de l'intérieur. C'est cela même qui constitue l'inconscient de l'enfant. Dans cette conception de la genèse de la sexualité infantile, le refoulement originaire est donc un rejeton de la traduction. C'est extrêmement subtil, mais j'insiste: ce que l'enfant va s'approprier lui appartient. L'adulte, nolens volens, a déclenché dans l'enfant des excitations dont ce dernier va faire son propre métabolisme et l'histoire de la formation de son propre inconscient sexuel refoulé, qui est aussi la formation du corps habité, subjectif, le corps qui s'éprouve soi-même.

Alors, qu'est-ce que l'empathie s'il s'agit de parler de cette relation? Ce que l'adulte implante chez l'enfant, je le répète, c'est précisément ce qu'il ne sait pas lui-même puisque ça lui échappe, puisque ça vient de son propre inconscient. L'empathie existe, certes, mais elle est du côté de ce que l'adulte fait consciemment avec l'enfant. Or, ce qui n'est pas conscient joue un rôle déterminant et, à ce niveau, il ne s'agit pas d'empathie. C'est l'adulte qui est en train de séduire l'enfant, et ce n'est pas empathique du tout, ça déborde largement l'empathie, ça ne se maîtrise pas et ça ne met pas au diapason l'enfant. C'est l'enfant qui est au contraire mis au diapason de l'adulte. Voilà le problème de cette inégalité fondamentale.

Et dans l'analyse - maintenant je vais rattraper cette question dans la psychanalyse -, l'essence même du transfert est la reproduction de cette inégalité première entre l'adulte et l'enfant. Sur le divan, le patient est dans la situation de se demander de nouveau: "qu'est-ce qu'il me veut? qu'est-ce qu'il me dit? qu'est-ce qu'il ne me dit pas ? qu'est-ce qu'il me cache et qui a un effet terriblement excitant sur moi?". C'est une situation identique à celle que vit l'enfant quand l'adulte s'en va et le laisse après le soin: "qu'est-ce qu'il fait? où va-t-il?". Le message est d'abord auto-conservatif: c'est l'attachement de l'enfant au corps de l'adulte qui prodigue les soins. Cette communication éthologique de base est celle qui permet à un enfant de solliciter le corps de l'adulte pour que le corps de l'adulte soit ému, et trouve la réponse à donner à un corps qui ne parle pas - ce qui est aussi étudié chez les animaux. Bref, l'enfant cherche le corps de l'adulte. Sauf que les messages qui se jouent dans le registre de l'autoconservation, dans le registre de l'éthologie, se trouvent contaminés de sexuel. C'est une autre histoire qui vient. Qu'est-ce qui arrive à l'enfant dans cette histoire? Quelque chose qui le prend d'abord dans le corps. C'est pour cette raison que Laplanche parle d'implantation dans le corps de l'enfant. L'enfant doit le déchiffrer; se l'approprier par les jeux de son corps notamment. Mais nul ne sait ce que pense l'enfant, c'est une énigme.

C'est cette énigme que reprend justement le dispositif analytique entre le patient qui est sur le divan et l'analyste. Et cela se reproduit avec une facilité incroyable: "qu'est-ce qu'il me veut? qu'est-ce qu'il ne me veut pas? qu'est-ce qu'il pense, l'autre là-bas? pourquoi m'a-t-il dit cela? pourquoi ne me répond-il pas?". L'énigme repart. La différence fondamentale dans le processus analytique - je le tiens de ma fréquentation de Jean Laplanche -, ce qui fait avancer l'analyse, c'est précisément le fait du "refusement" (la "Versagung"). Le patient demande, et c'est le fait que je me refuse à lui - autant que je me refuse à lui dire la parole que je me refuse moi-même à lui - qui rallume l'énigme de l'enfance et qui l'échauffe. Lorsque le transfert est décrit en ces termes, il est décrit comme un transfert en creux. Le transfert, ce n'est donc pas: "je transfère sur l'analyste mon père ou ma mère...". C'est l'énigme que je transfère et qui fait que je fais durant l'analyse, sur le divan, une expérience qui n'a encore jamais eu lieu, mais qui prolonge pourtant des expériences qui ont eu lieu. Celles-ci ne seront pas résolues une fois pour toutes, mais elles vont trouver une réponse, une interprétation. Le patient va traduire mieux que ce qui avait été initialement traduit. Jusqu'à ce que, plus tard dans l'analyse, on retombe sur la même zone et que ça reparte: "ça ne va pas". Alors on détraduit ce qui a été traduit et on le retraduit. Traduction, détraduction, retraduction, etc. Et ce processus est celui par lequel se transforme, se fait la perlaboration, et finalement l'accroissement de soi, l'accroissement de la subjectivité.

Alors, pour revenir une fois encore sur vos questions sur la parole et l'empathie, il se fait que je continue d'être préoccupé par le fait que, à travers tout ce processus, quelque chose se dit du corps. Sur le divan, le patient parle, mais il ne fait pas que parler, il ne fait pas que des mots. En rester là, ce serait en rester à une sorte d'approche lacanienne qui exalte et peut-être idéalise trop la question du signifiant. Pour moi, il n'y a pas que les mots; il y a aussi la manière dont le patient les dit. Il y a le moment quand, tout à coup, le mot s'arrête, se perd dans le gorge, ou quand le patient part brusquement sur autre chose. À ce niveau d'écoute, je n'entends pas seulement avec un lexique; ça m'atteint aussi. Le corps est hautement présent dans la parole du patient en analyse. Il est présent dans le rêve, dans la parole, il est présent partout et tout le temps.

Benoît Kanabus - Pour le psychiatre, comme pour le psychanalyste, c'est donc moins le concept d'empathie qui recèle la clef pour comprendre sa manière d'entrer en contact avec le patient que le concept de "corpspropriation", hérité de Henry, lequel vous développez par ailleurs dans la partie de votre œuvre consacrée à l'analyse du travail en tant que tel.

Christophe Dejours - Exactement.

Benoît Kanabus - Il y a, explique ainsi Henry, une co-appartenance entre mon corps subjectif qui, par le corps organique, se creuse et se ploie sous l'effort, et l'instrument, matériel ou immatériel, qui refuse de plier mais qui est pourtant le prolongement du corps subjectif. Dans cette perspective, on comprend que vous insistiez pour décrire l'habileté du travailleur, la dextérité, la virtuosité ou la sensibilité technique à partir du corps, parce qu'elles se déploient à partir du corps, se mémorisent et s'accroissent dans le corps. L'ouvrier fait corps avec son outil, le menuisier avec la fibre du bois qu'il sent sous son couteau, comme la voiture est le prolongement du corps du pilote de course. Et le psychiatre, dites-vous, a notamment la poignée de main qui lui permet de palper, non seulement le corps du patient, mais la qualité de sa vie psychique au point qu'elle esquisse déjà souvent le diagnostic. Je ne peux m'empêcher de repenser à ce cas auquel, jeune médecin travaillant dans les prisons, vous avez été confronté et que vous rapportez dans Travail vivant ( Dejours, 2009bDejours, C. (2009b). Travail vivant. Paris: Payot. ). Il s'agit d'un détenu italien à la Santé, un géant délirant qui ne parle pas français, qui hurle, qui frappe, et cependent a peur des piqûres. Vous entrez dans sa cellule. On la referme derrière vous. Vous avez peur. Il a peur. C'est presque un corps-à-corps terrifiant, mais il faut bien trouver le "génie", la "métis", dirait un Grec, pour le calmer. Subrepticement, mais subtilement, vous le faites entrer dans un jeu inattendu qui vous permet d'instaurer un contact avec cet homme jusque-là intouchable et de lui administrer un tranquillisant. Ce n'est pas simplement de la cognition (vous avez trop peu de temps pour poser un diagnostic), ce ne sont simplement pas des mots (l'échange verbal est minimal), ce ne sont pas simplement des gestes (la distance reste de mise); c'est de la corpropriation, oserais-je dire, au sens le plus fort du terme, on la voit, c'est-à-dire une intelligence de la sensibilité qui est à l'œuvre.

Christophe Dejours - Voilà, vous l'avez très bien dit. Plutôt que d'empathie, je parlerais de corpspropriation, ce qui est bien autre chose et, plus précisément encore, de corpspropriation analytique, en l'occurrence. Et vous avez raison, il y a une sorte de concurrence entre les deux termes, mais ce sont deux problématiques fondamentalement différentes. En psychiatrie, - vous rappelez l'exemple de ce malade délirant que j'ai soigné à la Santé -, la capacité de palper la subjectivité du patient, je dirais, passe par la mobilisation d'un tissu conceptuel considérable. Et si vous ne connaissez rien en psychanalyse, vous n'entendez pas ce que vous dit l'analysé. "Mais, enfin, qu'est-ce qu'il me raconte? Les mêmes conneries que la veille... Les mêmes conneries concernant sa mère...". Cela n'a aucun intérêt pour le sens commun. On se dit "mais qu'est-ce qu'ils ont à passer leur temps à ça?". Oui, mais si vous êtes psychanalyste, par contre, vous vous mettez à entendre. Et plus vous êtes savant, plus vous avez d'expérience, plus vous avez travaillé, plus vous entendez une souffrance dans la parole du patient.

C'est extraordinaire: l'intelligence de la corpspropriation, elle est valable pour le psychanalyste comme pour le menuisier, le musicien, le pilote de course ou l'agent de conduite de la centrale nucléaire. Dans la centrale nucléaire, l'agent de conduite a tout le temps une sorte de peur que la centrale lui échappe. Son intelligence est tendue, elle cherche à être en avance sur l'incident, sur le moment où ça va lui échapper. Il a une espèce de curiosité, d'attention, d'alerte au moindre signal sonore ou visuel, à la moindre odeur ou vibration. Il tente de sentir d'abord avec son corps, car c'est ce qui va le conduire à chercher, à interroger, à taper sur le clavier, à téléphoner pour savoir ce qu'il se passe là-bas. Il suspecte parce que quelque chose n'est pas comme d'habitude. Il sent que ce n'est pas comme d'habitude, bien avant que l'alarme sonne. Pour l'analyste, il en va de même. D'une certaine manière, il y a une alerte de l'analyste de ne pas passer à côté de ce que le patient va exprimer de sa souffrance singulière. Il y a une anticipation.

C'est curieux parce qu'il ne faut évidemment pas anticiper - en tout cas, pas dans l'intervention - la curiosité, l'attention, la sensibilité (cette fois-ci au sens d'une sensibilité) dans la cherche. Vous attendez, vous êtes en avance presque. Quand on dit "suivre un patient", ce n'est pas vrai. Si vous suivez le patient, vous êtes comme tous les psychanalystes, c'est-à-dire tous les charlatans qui attendent et qui suivent ce que les gens disent. Non, l'analyste, il est en train de chercher. Mais il ne sait pas vraiment ce qu'il cherche - et c'est ce qui est extraordinaire -, mais il cherche. Et plus vous avez de concepts et plus votre sensibilité va chercher. Et quand ce que vous cherchiez arrive, vous l'accueillez. Et là, vous voyez venir les jeux du corps qui n'étaient pas présents. Et évidemment, à ce moment-là, se posent des choix techniques: "Est-ce que je le dis au patient ou est-ce que je ne lui dis pas?". C'est un choix compliqué. C'est une habilité compliquée. Parce que, dans certains cas, c'est extrêmement dangereux.

Revenons, par exemple, au cas avec lequel nous avons ouvert l'entretien. J'entends tout à coup que ce patient qui souffre de rectocolite hémorragique à un problème assez classique avec l'homosexualité, en tout cas avec la sexualité anale. C'est très important que cela vienne. Jusque-là, lorsque l'on s'approchait de cette zone, qui est la zone d'accident de la séduction, il déclenchait une crise de rectocolite hémorragique. Par exemple, il avait traversé de nuit une forêt en voiture et un énorme camion était arrivé derrière lui, s'approchant pleins phares avec tous les warnings. Il s'était approché au point de pratiquement toucher son pare-chocs. Lui, il a été complètement paniqué et, en réalité, il a appris par la suite que c'était une invitation à une relation homosexuelle qui lui était faite par le camionneur. Évidemment, il est pris d'angoisse parce que le camionneur a pratiquement touché son pare-chocs. Mais ce n'est pas si grave. En revanche, symboliquement, la charge est inouïe. En arrivant chez lui, il va aux toilettes et déclenche la rectocolite hémorragique. Il saigne. Donc, quand je vois arriver dans le transfert la possibilité de réfléchir au fait qu'il possiblement aimerait être sodomisé ou sodomiser - je ne sais pas qui: moi, sa femme, n'importe qui -, est-ce qu'il faut le lui dire ou est-ce qu'il ne faut pas le lui dire? Ce n'est pas un choix simple. Si je ne lui dis rien, on a raté un rendez-vous parce qu'il y avait peut-être une chance qu'il s'approprie davantage la possibilité de jouer avec son corps et de l'habiter sans danger. Mais si je lui dis, je peux le conduire à un état de panique - la même que celle qu'il a éprouvée dans cette forêt -, auquel pourrait déclencher la rectocolite.

C'est cette fameuse corpspropriation qui va permettre d'intuitionner l'état subjectif du patient - l'intuition n'est pas du tout magique, mais une intuition du corps qui éprouve l'état du patient depuis le début de la séance et depuis les séances précédentes. Dans ce cas-ci, j'ai pris le risque: "Vous avez fait un lapsus, vous avez dit: ce chef, il cherche à m'enculquer sa manière de penser". Le patient est estomaqué. Mais la séance suivante, il raconte un rêve qui a à voir avec une histoire de sodomie. Attendez, il l'a rêvé. Et on ne peut pas choisir son rêve. Donc, ça y est, ce registre, non seulement ne lui fait plus peur, mais est suffisamment approprié pour qu'il apparaisse en rêve et l'on puisse alors en parler. L'image produite par le rêve précède la pensée grâce à la régression formelle qui est une pensée par image. L'ensemble du cycle, c'est ce que je désigne par l'expression "perlaboration par le rêve" où l'état du corps qui s'éprouve subjectivement sur le mode d'un registre nouveau du pâtir se révèle par une image qui appartient à la nuit et à l'invisible, c'est-à-dire par une image que personne, jamais, ne pourra voir sauf celui qui rêve. Et puis, il va être capable de jouer avec ce nouveau registre. Comment va-t-il jouer? Je n'en sais rien. Va-t-il se faire sodomiser, jouer un peu plus avec son corps ou avec sa femme en prenant du plaisir à des jeux qu'il n'aurait jamais entrepris auparavant? Je n'en sais rien. Sauf que psychiquement, il y a un saut qualitatif tel qu'il ne fait plus de poussées de rectocolite. Et voilà que ce patient, dix ans plus tard, n'a toujours pas refait de poussées. C'est fini. Le gastro-entérologue, qui a suivi les poussées de ce patient - et, en général, ce suivi se termine par une chirurgie consistant à réséquer une partie du tube digestif -, lui dit qu'il n'a jamais vu un colon pareil. Tous les ans, depuis, il refait une colonoscopie et une histologie, et il ne constate pas seulement une rémission, mais un "beau" colon.

Le résumé est évidemment un peu caricatural. Ce qui importe, c'est la manière dont le praticien sent s'il faut le dire, le donner, le signaler au patient. Ce n'est pas une interprétation. Ce n'est pas de l'empathie. C'est une capacité à palper l'état de la subjectivité du patient telle que le praticien sait que, maintenant, il peut oser le lui dire. Ça passe par une corpspropriation. Et ça, c'est un métier.

Referências

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  • Dejours, C. (2011). Le corps entre psychanalyse et phénoménologie de la vie. Prétentaine, (27-28), 87-107.
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  • 1
    1 Cet entretien avec Christophe Dejours a été réalisé le 7 novembre 2013 au Laboratoire de Psychodynamique du Travail et de l'Action du Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris en vue de trois leçons données par Benoît Kanabus les 25, 26 et 27 novembre 2013 à l'Institut de Psychologie clinique de l'Université de São Paulo, Brésil, à l'invitation du Prof. Andrés Eduardo Aguirre Antúnez et de la Prof. Florinda Martins. Sur cette question, dans l'abondante bibliographie de Christophe Dejours, nous renvoyons en particulier à 2009aDejours, C. (2009a). Travail et phénoménologie de la vie. In J.-M. Brohm & J. Leclercq (Dir.), Dossier Michel Henry (pp. 352-358). Lausanne: L'Âge d'homme. , 2009bDejours, C. (2009b). Travail vivant. Paris: Payot. , 2011Dejours, C. (2011). Le corps entre psychanalyse et phénoménologie de la vie. Prétentaine, (27-28), 87-107. , 2013Dejours, C. (2013). Travail et phénoménologie de la vie. In G. Jean, J. Leclercq & N. Monseu (Éd.), La vie et les vivants: (Re-)lire Michel Henry (pp. 553-565). Louvain-la-Neuve: PUL. .
  • 5
    Le colloque de Cerisy s'est tenu en 1996 ( David & Greisch, 2000David, A., & Greisch, J. (2000). Michel Henry, l'épreuve de la vie. Paris: Cerf. ).
  • 6
    Cet entretien ciblé ne pouvait pas aborder cette question importante qui constitue un autre volet de l'œuvre de Christophe Dejours.
  • 7
    "L'enfant crie d'abord par instinct, et je ne crois pas que l'on puisse dire que, dès sa naissance (la première naissance) il aperçoive et veuille les mouvements vocaux, ses vagissements; mais quelques temps après, nous pouvons reconnaître qu'il transforme ses cris instinctifs en signes volontaires, dont il se sert déjà pour appeler à son secours; dès lors, il a franchi un grand passage; mais comment l'aurait-il pu si les affections de l'instinct avaient toujours, comme dans le principe (c'est-à-dire, à l'origine) prédominé et forcé le mouvement vocal, et s'il n'y avait pas dans la suite des progrès rapides de la vie, quelques conditions ou circonstances particulières de la production même des mouvements auxquelles pût se rattacher le premier sentiment du pouvoir et, par suite, de l'effort, ou le vouloir primitif?" (Maine de Biran,1990, Œuvre. T. IV. Paris: Vrin, p. 179 [1807]).

Publication Dates

  • Publication in this collection
    Sep-Dec 2015

History

  • Received
    19 June 2014
  • Accepted
    15 Dec 2014
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