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Altérations histologiques cérébrales séniles

Médecin-Directeur de la Clinique Psiquiatrique Bel-Air, Genève, Suisse

Dans une première partie je résumerai quelques-uns des résultats que nous ont donnés, au Dr. E. Wildi et à moi-même, les mesures cérébrales et crâniennes dans la démence sénile et dans la maladie d'Alzheimer. La seconde partie donnera un aperçu des recherches qu'avec le Dr. Wildi, nous avons exposées au 1er Congrès International de Neuropathologie (Rome, septembre 1952).

C'est à Reichardt, de Würzburg, que revient le mérite d'avoir compris l'importance qu'il y a à connaître le rapport exact entre le volume du cerveau et la capacité du crâne, et d'avoir, dès les premières années de ce siècle, commencé à mesurer, précisément, la capacité crânienne. La grande valeur de ces recherches a été reconnue par chacun en théorie, mais leur application pratique n'est nullement entrée dans les usages. Toutefois, depuis une vingtaine d'années, nous mesurons systématiquement la capacité des crânes et prenons, à l'état frais, le poids des cerveaux qui'ls renferment.

La différence entre ces deux valeurs correspond à l'espace péricérébral. Nous avons obtenue une courbe de distribution avec una série continue de 500 cas (fig. 1). Ces cas classés par ordre de grandeur de l'espace péricérébral, que nous exprimons en pour cent de la capacité crânienne. Les cas les plus nombreux ont une valeur de 9, 10 et 11%. Ces trois valeurs se rencontrent exactement avec la même fréquence, ce qui confirme absolument les résultats de Reichardt qui indiquait 10% comme la valeur la plus fréquente trouvée. Notre courbe est donc disposée de part et d'autre de l'indice 10% qui est à considérer comme "normal". Cette courbe est asymétrique. À droite viennent se situer les cas où il y a perte de substance cérébrale: ce sont les atrophies de tous types; ces indices élevés sont assez longtemps compatibles avec la vie s'ils ne le sont plus avec un rendement ou une puissance cérébrale intacte. À gauche, la courbe s'abaisse rapidement vers zéro, où Ia vie n'est plus possible. À partir d'un point critique - vers 4% - la courbe se relève légèment. C'est dans cette zone que se trouvent les cas qui ne sont plus reversibles, qui entrainent la mort. Ils ont ceci de commun entre eux, qu'il y a apport de substance et augmentation du volume cérébral: c'est ici, en effet, que se trouvent les tumeurs cérébrales, les abscès cérébraux, les hémorragies fraîches, avec ou sans inondation ventriculaire, les morts par strangulation et enfin les cas dits de tuméfaction cérébrale (Hirnschwellung) d'une part et d'œdème cérébrale d'autre part.


C'est donc dans la partie droite de notre courbe de distribution que se situent les cerveaux atrophiques. C'est ici que se rencontrent les démences séniles c'est-à-dire les porteurs de plaques séniles seulement, et les démences d'Alzheimer, c'est-à-dire les porteurs de lésions d'Alzheimer.

Entre ces deux groupes, qui forment ensemble un total de 423 cas, nous trouvons des différences caractéristiques qui ressortent nettement du diagramme de la figure 2: les traits pleins représentent les démences séniles simples (porteurs de plaques séniles uniquement) disposées par âge au moment de la mort, et les traits interrompus les porteurs de lésions d'Alzheimer.


Les courbes inférieures gauches représentent la capacité ventriculaire moyenne. Elles indiquent: que chez les porteurs de plaques séniles uniquement, la capacité ventriculaire (332 mensurations) subit, dans les limites d'âge considérées, une augmentation assez forte en partant d'une movenne relativement nórmale; chez les porteurs d'altérations d'Alzheimer (139 mensurations), la capacité ventriculaire est déjà très élevée pour les cas les plus jeunes. La phase ascendante de cette courbe, traduisant la période la plus active du processus dégénératif, est déjà terminée et antérieure aux âges les plus bas examinés. Selon toute vraisemblance, elle s'est produit au debut de la phase clinique ou même antérieurement. Comme les recherches génétiques tendent de plus en plus à faire de la maladie d'Alzheimer une affection familiale, il y a lieu de se demander si, constitutionnellement déjà, les futurs porteurs de lésions d'Alzheimer ont des ventricules plus larges que normalement. Mais c'est là un problème encore impossible à résoudre, les mesures ventriculaires à cette période pré-clinique faisant entièrement défaut actuellement.

Les courbes supérieures gauches représentent l'espace péricérébral, qui correspond, en gros, aux espaces sous-arachnoïdiens et aux grandes cisternes, espace connu grâce au procédé de Reichardt comme nous l'avons vu. Chez les porteurs de plaques séniles seulement, l'espace péricérébral augmente avec I'âge, assez parallélement à la courbe ventriculaire (124 mensurations). Chez les porteurs d'altérations d'Alzheimer, cet espace, extraordinairement grand chez les malades les plus jeunes, diminue avec l'âge, lui aussi assez parallélement à la courbe ventriculaire (59 mensurations).

Les courbes à droite, en bas, qui donnent le poids des hémisphères, expriment le degré d'atrophie cérébrale. Il est différent pour les deux groupes. Chez les porteurs de plaques séniles simples, l'atrophie débute plus tardivement (317 mensurations) que chez les porteurs d'altérations d'Alzheimer, chez qui elle est beaucoup plus avancée à âge égal (139 mensurations) .

La capacité crânienne, en haut à droite, diminue dans les deux groupes, indépendamment des variations du contenu de la boîte crânienne (124 mensurations pour les porteurs de plaques séniles seules, 59 pour les porteurs d'altérations d'Alzheimer).

Les faits que nous venons d'exposer indiquent clairement que parmi les différents vieillissements pathologiques, celui qui se caractérise par la présence d'altérations d'Alzheimer manifeste une évolution qui lui est particulière. Il a une expression clinique qui, également, lui est très particulière. Ceci n'est pas pour nous surprendre étant donné que, dans ce vieillissement-ci, les cellules nerveuses elles-mêmes sont altérées dans leur structure. Cette altération est parfaitement visible et reconnaissable sans équivoque. Et cette altération de structure de la cellule nerveuse s'accompagne d'une altération de sa fonction propre, aussi la corrélation ertre l'anatomie pathologique et la clinique est-elle étroite et rigoureuse.

Pour mieux comprendre l'évolution du processus cellulaire et pour observer certaines modifications histochimiques au cours de la lésion d'Alzheimer nous avons étudié particulièrement la corne d'Ammon sur un très grand nombre de malades. Dans la corne d'Ammon les lésions d'Alzheimer sont précoces et, numériquement, massives. En outre les differents segments de sa bande cellulaire (H 1, H 2, H 3) présentent une électivité très nette et ramassée sur de très petits territoires, ce qui permet de comparer sur une même coupe des segments fortement dégénérées et des segments non dégénérées.

Dans la corne d'Ammon, en outre, il y a une particularité très curieuse, c'est qu'on y observe la dégénérescence granulovacuolaire que nous avons rencontrée chez tous nos porteurs d'altérations d'Alzheimer, mais que nous n'avons rencontrée que dans cette région du cerveau. Dans cette région cette dégénérescence granulovacuolaire paraît représenter le premier stáde de la dégénérescence d'Alzheimer.

Ces différents stades se voient de la façon la plus nette aux méthodes. d'imprégnation argentique. D'autres méthodes donnent des images tout à fait comparables (figs. 3, 4 et 5).




L'imprégnation argentique permet, elle aussi, de reconnaître ces différents stades. Elle permet de dire si telle cellule est malade ou si telle autre ne l'est pas encore. Nous l'avons donc combinée à certains colorants - le bleu d'aniline, par exemple - et nous avons observé que les cellules intactes, à noyau visible, ont un protoplasme qui prend encore le colorant bleu, alors que celui des cellules dégénérées n'a plus aucune réaction visible à ce colorant.

Nous avons également combiné l'imprégnation argentique avec un colorant des lipides, le rouge écarlate, pour connaitre les modifications des lipides cellulaires au cours de la dégénérescence d'Alzheimer. Cette double coloration nous apprend que les cellules intactes sont riches en lipides, alors que dans la quasi-totalité des cellules alzheimérisées, il n'y a plus trace de lipides. Lorsque cette double coloration s'applique à une région à cheval sur deux aires, Hlc et H2a, on voit que la première est pauvre en graisse et riche en altérations d'Alzheimer, et la seconde riche en graisse et pauvre en altérations d'Alzheimer, à laquelle elle résiste. On est en droit de conclure, semblet-il, que dans le protoplasme des cellules atteintes de lésions d'Alzheimer, les molécules renfermant des lipoïdes disparaissent.

Nous avons ensuite voulu voir comment se comportait l'acide desoxyribonucléique périnucléaire. Nous avons constaté que chez les sujets que nous avons examinés, atteints de dégénérescence d'Alzheimer ou non, cet acide desoxyribonucléique paraît moins abondant dans l'aire H3 que dans l'aire Hlc de la corne d'Ammon. L'acide desoxyribonucléique, à la méthode de Feulgen, est peu abondant dans les cellules lipophiles, à activité phosphatasique forte, et résistant bien à la dégénérescence d'Alzheimer (H3, H2b, H2a) et il est notablement plus abondant dans les cellules lipophobes, à activité phosphatasique peu intense et à prédisposition manifeste à la dégénérescence d'Alzheimer (Hla, Hlb, Hlc). Cette différence en tenuer est vraisemblablement liée à des conditions métaboliques propres à chacune de ees aires, puisque les cas témoins, non alzheimérisées, la présentent également. En plus, dans la cellule qui est en voie de dégénérescence d'Alzheimer. le métabolisme de l'acide desoxyribonucléique ne paraît pas arrêté.

La figure 6 montre, à gauche, une cellule de la corne d'Ammon à la méthode de Feulgen: amas d'acide thymonucléique (substance Feulgen positive), autour du nucléole d'une cellule nerveuse. À droite une cellule de la même aire à la méthode à la toluidine après digestion à la ribonucléase que la Compagnie Armour a bien voulu mettre à notre disposition: autour du nucléole d'une cellule de la même aire et du même cas, on voit des amas d'acide thymonuciéique comparables en tous points à l'image au Feulgen.


En ce qui concerne l'acide ribonucléique, les aires où les altérations d'Alzheimer sont abondantes montrent un nombre correspondant de cellules à protoplasme pâle. Après digestion par la ribonucléase tous les protoplasmas tendent à s'estomper presque totalement. On peut conclure de là que les cellules en dégénérescence d'Alzheimer contiennent moins d'acide ribonucléique que les cellules non dégénérées.

Si nos constatations indiquent véritablement une déplétion, un appauvrissement et un défaut de régénérescence des acides nucléiques dans le cytoplasme, elles confírmeraient, à leur façon, les observations de Hyden selon lesquelles une rapide régénérescence des acides nucléiques paraît nécessaire à la fonction du neurone. Les neurones alzheimérisées sont, en effet, privés de leur fonction. Mais ils ne sont pas encore morts pour autant. Un des meilleurs indices de cette longue survie est la persistance d'une faible activité enzymatique, soit de la phosphatase acide.

Nos recherches histologiques sur la corne d'Ammon peuvent done se résumer de la facón suivant: le champ HI se comporte différemment des champs voisins H2 et H3 en ceci qu'il est moins lipophile, qu'il a une activité de la phosphatase acide comparativement faible, que Vacide ribonu-cléique protoplasmique est peu abondant, alors que l'acide thymonucléique périnucléaire est plus abondant que dans H2 et que la mineralisation des cellules nerveuses est faible. Ces différents caractères se vérifient sur nos malades d'Alzheimer, mais aussi sur les cas témoins non malades. Or il se trouve que précisément ce champ HI est le plus fortement prédispose à la dégénérescence granulovacuolaire et à la dégénérescence d'Alzheimer, où elle prend d'ailleurs un aspect morphologique spécial. Et d'autre part, chaque cellule en voie de dégénérescence d'Alzheimer y montre, à l'état fort, les modifications que nous venons d'énumérer.

Mais ce n'est pas que dans la corne d'Ammon avec ses particularités régionales évidentes que nous observons des vulnérabilités électives. Dans le reste de l'écorce cérébrale, dans l'isocortex, la distribution et la progression de la dégénérescence d'Alzheimer ne se font pas au hasard, mais selon un système manifeste.

Chez un grand nombre de malades c'est surtout le segment antérieur du cerveau qui est atteint et Ton trouve une atrophie considérable des pôles frontaux et des pôles temporaux, où les lésions d'Alzheimer soní extrêmement nombreuses. Dans tous ees cas l'évolution clinique se fait selon un ordre rigoureux. La desorganisation du langage, par exemple, se manifeste d'abord par la paralogie, la paraphasie, puis la jargonaphasie et se termine par dçs logoclonies. Dans les cas oü le processus dégénératif atteignait des regions plus postérieures du cerveau nous avons exploré sys-tématiquement les régions qui avoisinent les aires de projection, visuelle et auditive, et nous avons constaté le fait suivant: ce sont les aires périsensorielles les plus éloignées qui sont les premières atteintes et la progression de la maladie se fait en direction de l'aire de projection sensorielle elle-même, laquelle se montre être la plus résístante et la dernière atteinte. Au pôle occipital, par exemple, c'est l'aire 19, puis l'aire 18 et enfin l'aire 17 ou aire calcarine qui sont atteintes dans l'ordre. Et l'évolution clinique, qui commence à ce que l'on appelle la cécité psychique pour s'acheminer vers la cécité corticale, permet de suivre cette progression du pro- cessus. Des numérations des cellules malades par champ ont permis de connaître exactement le degré de dégénérescence des aires les unes par rapport aux autres.

Nous avons établi une série de 12 malades qui présentaient tous une trés richesse d'altérations d'Alzheimer dans leur écorce frontale et orbitaire et nous sommes allé voir dans quel état se trouvait leur hypothalamus. Nos coupes sériées ont été traitées à la méthode argentique (de Globus modifiée) pour la mise en evidence des lesions d'Alzheimer. Nos résultais ont été extraordinairement significatifs et concordants pour tous nos cas.

Nos recherches nous ont appris qu'un groupe de noyaux hypothalami-ques est très vulnerable à la dégénérescence d'Alzheimer et qu'un autre groupe y est totalement réfractaire. Les régions les plus vulnérables sont Taire hypothalamique postérieure, l'aire prémammillaire; les régions de résistance moyenne sont la substance grise fundaméntale de l'aire hypothalamique antérieure, l'aire préoptique, le corps mammillaire; les regions de résístanse totale, les noyaux magnocellulaires de l'hypothalamus antérieur (paraventriculaire, supraoptique et supraoptique accessoire).

Dans ees mêmes noyaux les plaques séniles sont inexistantes. En outre il y a une intimité exceptionnelle des capillaires et des cellules de ces noyaux. Ces caractères morphologiques et pathologiques rendent plausible l'hypothèse que ces trois noyaux ont une constitution chimique particulière et peut-être des functions d'une nature absolument différente des autres noyaux hypothalamiques, et d'envisager s'il n'y a pas lieu de leur prêter une activité glandulaire plutôt que nerveuse.

En opposition à ce comportement des noyaux magnocellulaires, l'aire hypothalamique postérieure et l'aire prémammillaire frappent par la massivité de leur dégénérescence. Un tel état pathologique donne-t-il des signes cliniques? Chez nos 12 malades dont l'hypothalamus a été étudié nous constatons: atrophie cérébrale importante, baisse progressive et souvent très importante du poids du corps; inactivité sexuelle; raréfaction et disparition des réactions émotives usuelles; fréquence extraordinaire des crises épileptiques tardives (dûment constatées chez 6 de nos 12 malades examinés) ; fréquence de l'agitation nocturne, de l'inversion du rythme du sommeil. En revanche, la tension artérielle, le taux de l'urée sanguine, du cholestérol, de la glycémie donnent des valeurs oscillant autour de la normale. Affirmer une corrélation entre tel de ces symptômes et les constatations histopathologiques hypothalamiques nous paraît prématuré.

L'ensemble de nos recherches nous montre nettement des vulnérabilités régionales différentes en face de l'altération cellulaire d'Alzheimer. Les grandes lois de cette vulnérabilité élective se retrouvent avec constance; elles s'appliquent à tous les cas. Les variations individuelles ne se produisent que dans d'assez étroites limites, pour des raisons que nous ignorons complètement. En ce qui concerne l'isocortex, notamment, nous ne savons pas pourquoi les uns ont une atteinte presque exclusivement frontale et temporale. et d'autres ont une atteinte occipitale très massive.

D'ailleurs, dans un cas comme dans l'autre, nous ne savons rien encore du trouble métabolique général probable qui préside à l'altération du type d'Alzheimer des cellules nerveuses.

Clinique Psychiatrique Bell-Air, Genève, Suisse.

Conferência pronunciada na Associação Paulista de Medicina em 13 de agôsto de 1953.

  • Altérations histologiques cérébrales séniles

    Ferdinand Morel
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      15 Apr 2014
    • Date of issue
      Mar 1954
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