Acessibilidade / Reportar erro

Liens entre Brésil et Haïti: Stratégies de Reproduction des Familles, Réseaux Socio-Économiques et Voye Kòb

Laços Brasil-Haiti: Estratégias de reprodução familiar, redes socioeconômicas e o voye kòb

Brazil-Haiti Ties: Family Reproduction Strategies, Socioeconomic Networks, and the Voye Kòb Phenomenon

Vínculos entre Brasil y Haití: Estrategias de Reproducción Familiar, Redes Socioeconómicas y Voye Kòb

RÉSUMÉ

Cet article présente une recherche sur l’action économique, sociale et culturelle de transférer de l’argent – voye kòb – des migrants haïtiens – dyaspora – résidant au Brésil en faveur des familles résidant en Haïti. À la lumière de la notion de stratégie de reproduction et à travers des entretiens semi-structurés et l’observation d’une communauté transnationale haïtienne de la région métropolitaine de Belo Horizonte – Esmeraldas, MG –, nous essayons de démontrer que l’émigration précède et dispose d’une certaine autonomie des facteurs naturels – tremblement de terre, par exemple. Et aussi de démontrer que l’action économique de voye kòb de la communauté haïtienne est un acte répétitif de rétribution sans calcul économique, réalisé au milieu des stratégies de reproduction sociale du groupe familial pour reconvertir les formes d’insertion sociale et économique en Haïti.

Haïti; Esmeraldas; dyaspora; stratégies de reproduction des familles; transferts de fonds; Voye Kòb

RESUMO

Este artigo apresenta uma pesquisa sobre a ação econômica, social e cultural de transferência de dinheiro ( voye kòb ) de migrantes haitianos (diáspora) residentes no Brasil para famílias residentes no Haiti. À luz da noção de estratégia de reprodução e por meio de entrevistas semiestruturadas e observação de uma comunidade transnacional haitiana na região metropolitana de Belo Horizonte (Esmeraldas, MG), buscamos demonstrar que a emigração precede e possui alguma autonomia em relação a fatores naturais (terremoto, por exemplo). Tratamos também de demonstrar que a ação econômica do voye kòb da comunidade haitiana é um ato recorrente de retribuição sem interesses financeiros pessoais, realizado em meio às estratégias de reprodução social dos grupos familiares para reconverter as formas de integração social e econômica no Haiti.

Haiti; Esmeraldas; Diáspora; Estratégias de Reprodução Familiar; Transferências de Recursos; Voye Kòb

ABSTRACT

This article presents research on the economic, social, and cultural dimensions of the action of money transfer ( voye kòb ) from Haitian migrants (diaspora) residing in Brazil to families residing in Haiti. In light of the notion of reproduction strategy and through semi-structured interviews and the observation of a transnational Haitian community in the metropolitan region of Belo Horizonte (Esmeraldas, a city in the state of Minas Gerais), we seek to demonstrate that emigration precedes natural factors (earthquakes, for example) and retains a certain autonomy in relation to them. We also try to demonstrate that the economic activity of the Haitian community called voye kòb is a recurring act of retribution unrelated to personal financial interests, carried out amidst the strategies of social reproduction of family groups to reconvert the modes of social and economic integration in Haiti.

Haiti; Esmeraldas; Diaspora; Family Reproduction Strategies; Resource Transfers; Voye Kòb

RESUMEN

Este artículo presenta una investigación sobre la acción económica, social y cultural de la transferencia de dinero - voye kòb - de migrantes haitianos - dyaspora - residentes en Brasil para familias que viven en Haití. A la luz de la noción de estrategia de reproducción y a través de entrevistas semiestructuradas y la observación de una comunidad haitiana transnacional en el área metropolitana de Belo Horizonte - Esmeraldas, MG -, intentamos demostrar que la emigración precede y tiene cierta autonomía en relación con factores naturales - terremoto, por ejemplo. Y también demostrar que la acción económica de voye kòb de la comunidad haitiana es un acto repetitivo de retribución sin cálculo económico, llevado a cabo en medio de estrategias de reproducción social del grupo familiar para reconvertir las formas de inserción social y económica en Haití.

Haití; Esmeraldas; dyaspora; estrategias de reproducción familiar; remesas; Voye Kòb

INTRODUCTION

Les flux migratoires haïtiens du début du XXe siècle pour des raisons économiques et politiques ont créé les conditions de l’existence de communautés transnationales haïtiennes dans plusieurs pays. La notion de communauté transnationale est liée au transnationalisme qui fait largement référence aux multiples liens et interactions qui unissent les personnes ou les institutions à travers les frontières des États-Nations ( Schiller, 1997SCHILLER, Nina G. (1997). The Situation of Transnational Studies, Identities. Global Studies in Culture and Power. v. 2, n. 4, pp. 155-166. ; Schiller, Basch et Blanc, 1995; Tsakiri, 2005TSAKIRI, Elisa. (2005), Transnational Communities and Identity. Refugee Survey Quarterly. v. 4, n. 24, pp. 102-104. ). Dans ce sens, ces flux ont conduit à la formation d’un espace social transnational haïtien partagé entre les transmigrants haïtiens tant dans les pays développés que dans les pays en développement ( Audebert, 2012AUDEBERT, Cédric. (2012), La diaspora haïtienne: territoires migratoires et réseaux. Rennes: Presses Universitaires de Rennes. ; Boswell, 1983BOSWELL, Thomas D. (1983), In the eye of the storm: the context of haitian migration to Miami, Florida. Southeastern Geographer, v. 23, n. 2, pp. 57-77. ; Perusek, 1984PERUSEK, Glenn. (1984), Haitian emigration in the early twentieth century. International Migration Review, v. 18, n. 1, pp. 4-18. ). Au cours de la décennie 2010, des communautés transnationales haïtiennes se sont développées peu à peu en Amérique du Sud, particulièrement au Brésil et contribuent grandement au Produit Intérieur Brut (PIB) d’Haïti ( Audebert, 2017AUDEBERT, Cédric. (2017), The recent geodynamics of Haitian migration in the Americas: refugees or economic migrants? Revista Brasileira Estudos de População, v. 34, n. 1, pp. 55-71. ; MEF, 2018MEF (Ministère de l’Économie et des Finances). (2018), Situation économique et financière d’Haïti et perspectives. Port-au-Prince: Direction des Études Économiques et Prévisions. ).

Beaucoup de chercheurs ont retracé l’immigration haïtienne au Brésil en considérant le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti comme la principale cause. Toutefois, elle n’a pas commencé par ce désastre. Au cours des années 1970, de petits groupes de migrants haïtiens ont atteint l’Amérique Latine, en particulier le Venezuela, lorsque l’industrie pétrolière a commencé ( Anglade, 1982ANGLADE, Georges. (1982), Espace eWt liberté en Haïti. Montréal: ERCE. ; Sarmiento, 2000SARMIENTO, Gitanjali S. (2000), Diagnóstico sobre las migraciones caribeñas hacia Venezuela. Buenos Aires: PLACMI-OIM. ). En 1995, des Haïtiens ont de nouveau été identifiés dans les quartiers de Caracas ( Sarmiento, 2000SARMIENTO, Gitanjali S. (2000), Diagnóstico sobre las migraciones caribeñas hacia Venezuela. Buenos Aires: PLACMI-OIM. ). En 2001, il y avait 298 Haïtiens en Équateur. En 2008, il y en avait 270, mais, avec le séisme, le nombre a augmenté: 1.681 étaient enregistrés en 2011 (Mamed et Lima, 2016). Au Brésil, il a été possible d’identifier, dans les bases de données de la Police Fédérale, l’arrivée de 15 Haïtiens entre 2000 et 2002. Depuis lors, le nombre d’Haïtiens a augmenté au cours des années suivantes. Ainsi, de 2000 à 2008, 135 Haïtiens ont été enregistrés au Brésil ( Peres, 2016PERES, Roberta. (2016), Imigração e gênero: as mulheres haitianas no Brasil. In: R. Baeninger, et al. (Org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial. ). Mais au cours de la décennie 2010, des flux migratoires importants arrivent et s’installent peu à peu, surtout dans les régions métropolitaines du Brésil. Selon les données du Sistema de Registro Nacional Migratório de la Polícia Federal , le pays a accueilli 107.079 Haïtiens de 2010 à 2018 ( Oliveira, 2019OLIVEIRA, Antônio Tadeu R. (2019), A imigração regular no Brasil: movimentação e registros. In: L. Cavalcanti; T. Oliveira; M. Macedo. Imigração e Refúgio no Brasil. Relatório Anual 2019. Série Migrações. Observatório das Migrações Internacionais; Ministério da Justiça e Segurança Pública/Conselho Nacional de Imigração e Coordenação Geral de Imigração Laboral. Brasília, DF: OBMigra. ).

Ces Haïtiens ne cessent d’attirer l’attention des chercheurs. Certains s’intéressent aux flux, réseaux et routes migratoires ( Audebert, 2017AUDEBERT, Cédric. (2017), The recent geodynamics of Haitian migration in the Americas: refugees or economic migrants? Revista Brasileira Estudos de População, v. 34, n. 1, pp. 55-71. ; Fernandes et Faria, 2016, 2017; Granger, 2014GRANGER, Stéphane. (2014), L’Amazonie brésilienne, nouvelle interface migratoire entre les Caraïbes et l’Amérique du sud? Mercator, v. 13, n. 1, pp. 7-17. ; Joseph, 2017JOSEPH, Handerson. (2017), A historicidade da (e)migração internacional haitiana. O Brasil como novo espaço migratório. Périplos: Revista De Estudos Sobre Migrações, v. 1, n. 1, pp. 7-26. , 2019aJOSEPH, Handerson. (2019a), Mobilité transfrontalière haïtienne au Brésil: kongo, vyewo et dyaspora. In: D. Béchacq, F. Calixte; M. Meudec (dir.). Les migrations et la Caraïbe: (Dés)Ancrages, mouvements et contraintes. Paris: L’Harmattan. ; Silva, 2012SILVA, Sidney Antônio. (2012), Aqui começa o Brasil. Haitianos na Tríplice Fronteira e Manaus. In: S. A Silva, (Org). Migrações na Pan-Amazônia: fluxos, fronteiras e processos socioculturais. Manaus: Fapeam. , 2015SILVA, Sidney Antônio. (2015), Fronteira amazônica: passagem obrigatória para haitianos? Revista Interdisciplinar Mobilidade Humana, Ano XXIII, n. 44, p. 119-134. , 2017SILVA, Sidney Antônio. (2017), Imigração e redes de acolhimento: o caso dos haitianos no Brasil. In. Revista Brasileira de Estudos de População. v. 34, n.1, pp. 99-117. ; Thomaz, 2013THOMAZ, Diana Z. (2013), Migração haitiana para o Brasil pós-terremoto: indefinição normativa e implicações políticas. Primeiros Estudos, n. 4, p. 131-143. ; Tonhati, Cavalcanti et Oliveira, 2016). D’autres préfèrent explorer l’insertion des travailleurs haïtiens sur le marché de travail dans les régions et différents États du Brésil en associant les bases de données de l’ Observatório das Migrações Internacionais aux études de terrain ( Bortoloto, 2019BORTOLOTO, Claudimara C. (2019), Migração e trabalho na contemporaneidade: os haitianos no Oeste do Paraná. Thèse (Doctorat en Sciences Sociales). Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho, Araraquara. ; Cavalcanti et Tonhati, 2016 et 2017; Cotinguiba, 2014COTINGUIBA, Geraldo C. (2014), Imigração haitiana para o Brasil: a relação entre trabalho e processos migratórios. Maitrise (Maitrise en Histoire et Études Culturelles). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho. et 2019; Magalhães, 2016MAGALHÃES, Luis Felipe A. (2016), Imigração haitiana no estado de Santa Catarina: contradições da inserção laboral. In: R. Baeninger, et al. (org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial. et 2017; Magalhães et Baeninger, 2016; Mamed et Lima, 2016). Ainsi, il y a un grand volume de travail déjà publié sur l’immigration haïtienne au Brésil. Toutefois, il n’existe pas encore beaucoup de recherches qui abordent la pratique courante d’ « envoi d’argent » – voye kòb ou voye lajan , en créole haïtien – dans toutes ses dimensions, tandis que les communautés transnationales haïtiennes en général, y compris le Brésil, envoient de l’argent et apportent leur contribution au PIB du pays.

Il y a une double vérité sur les transferts d’argent de ces communautés transnationales au pays d’origine. La première se pose à l’échelle nationale et analyse la contribution des transferts de fonds en matière de retombées économiques et de développement ( MEF, 2018MEF (Ministère de l’Économie et des Finances). (2018), Situation économique et financière d’Haïti et perspectives. Port-au-Prince: Direction des Études Économiques et Prévisions. ). Ces transferts sont évalués à USD 3,2 milliards pour l’exercice fiscal 2017-2018 et représentent plus d’un tiers du PIB ( BRH, 2019BRH (Banque De la République d’Haïti). (2019), Transferts reçus de l’étranger en USD par pays. www.brh.ht.
www.brh.ht...
; MEF, 2018MEF (Ministère de l’Économie et des Finances). (2018), Situation économique et financière d’Haïti et perspectives. Port-au-Prince: Direction des Études Économiques et Prévisions. ). Selon les données officielles d’Haïti, les migrants haïtiens au Brésil sont classés au sixième rang parmi les plus gros expéditeurs d’argent vers Haïti ( BRH, 2019BRH (Banque De la République d’Haïti). (2019), Transferts reçus de l’étranger en USD par pays. www.brh.ht.
www.brh.ht...
). Selon les données officielles du Brésil, Haïti est l’une des dix destinations les plus importantes pour les transferts personnels en provenance du Brésil et le montant annuel avoisine les USD 90 millions. La valeur individuelle moyenne de ces opérations a atteint USD 108 en 2019 (jusqu’en septembre), USD 116 en 2018 et USD 127 en 2017 ( BCB, 2019BCB (Banco Central do Brasil). (2019), Banco Central Responde - Demanda 2019428753. [message personnel] reçu de faleconosco@bcb.gov.br, le 22 novembre 2019. ).

La deuxième vérité s’est exprimée dans les prises de décisions individuelles ou familiales qui conduisent à la formation des communautés transnationales. L’individu comme potentiel migrant et membre de la nouvelle communauté transnationale examine les coûts et les bénéfices liés à sa migration. De tels coûts et bénéfices ne sont pas uniquement monétaires, mais aussi non monétaires (Piché, 2013). Après sa migration, l’individu continue à faire plusieurs types d’évaluations et de calculs monétaires et non monétaires dans ses relations avec sa famille d’origine. Cette idée s’accorde bien avec la vision fondamentale de la sociologie économique selon laquelle les agents et les institutions sociales poursuivent des objectifs économiques sans être déconnectés d’autres objectifs ou contraintes d’ordre non-économique tel que: la politique, la religion, la reconnaissance, la sociabilité, le prestige, le statut social, etc. ( Bourdieu, 2017BOURDIEU, Pierre. (2017), Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993. Paris: Raisons d’Agir, Seuil. ; Granovetter, 2017GRANOVETTER, Mark. (2017), Society and economy: frameworks and principles. Cambridge: Harvard University Press. ). Ainsi, dans les transferts, il n’y a pas que circulation d’argent, mais aussi le maintien ou le renforcement des relations sociales avec le pays d’origine: la sociabilité, la reconnaissance, le statut social et le pouvoir des individus et du groupe familial. L’aspect non monétaire des transferts est aussi dans le flux continu d’envoi d’argent sans aucun type de contrat ou d’autres liens formels entre les migrants et leurs familles. Toutefois, l’aspect social et culturel de cette action économique n’est pas explicité dans la littérature disponible sur la migration haïtienne au Brésil.

Certains auteurs ne mentionnent que certains aspects de cette action ( Bortoloto, 2019BORTOLOTO, Claudimara C. (2019), Migração e trabalho na contemporaneidade: os haitianos no Oeste do Paraná. Thèse (Doctorat en Sciences Sociales). Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho, Araraquara. ; Cotinguiba, 2019COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho. ; Joseph, 2015a, 2015b, 2019b). Il convient également de noter que Magalhães (2017)MAGALHÃES, Luis Felipe A. (2017), Imigração haitiana no Estado de Santa Catarina: fases do fluxo, contradições laborais e dependência de remessas no Haiti. Thèse (Doctorat en Démographie). Universidade Estadual de Campinas, Campinas. est le premier chercheur qui aborde la question pour montrer une relation de dépendance entre les envois de fonds des migrants et leurs familles en Haïti. Cotinguiba (2019COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho.: 138) soutient que « la migration est un élément structurant de la société haïtienne » et présente les transferts d’argent comme l’expression de relations d’interdépendance des familles à la migration. Les chercheurs explorent les aspects économiques des transferts de fonds sans mettre suffisamment l’accent sur les normes, règles, pratiques culturelles et sociales qui expliquent leur intégration dans le monde social. En ce sens, des réflexions sur l’action économique de transferts d’argent – pratique courante –, doivent également être menées sur les liens sociaux et les dispositions normatives qui contrôlent son organisation sociale. Comment pouvons-nous expliquer cette action économique?

Nous observons et étudions cette action économique à la lumière de la sociologie économique qui étudie « les faits économiques en les considérant comme des faits sociaux » ( Steiner, 2005STEINER, Philippe. (2005), La sociologie économique. Paris: La Découverte.: 3), comme des relations sociales, dispositions, institutions et représentations économiques socialement construites ( Bourdieu, 2000BOURDIEU, Pierre. (2000), Les structures sociales de l’économie. Paris: Seuil. , 2017BOURDIEU, Pierre. (2017), Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993. Paris: Raisons d’Agir, Seuil. ; Granovetter, 2017GRANOVETTER, Mark. (2017), Society and economy: frameworks and principles. Cambridge: Harvard University Press. ). Nous cherchons à mobiliser les connaissances déjà produites et les ressources théoriques et méthodologiques nécessaires pour essayer de montrer que l’action économique de transférer ou d’envoyer de l’argent est, comme dit Bourdieu, un acte répétitif de rétribution sans « calcul économique dit rationnel » (Bourdieu, 2003). Cet acte est constitutif, il est réalisé au milieu des « stratégies de reproduction sociale » ( Bourdieu, 1972BOURDIEU, Pierre. (1972), Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 27ᵉ année, n. 4-5, pp. 1105-1127. , 1993BOURDIEU, Pierre. (1993), À propos de la famille comme catégorie réalisée. ARSS, v. 100, pp. 32-36. ) du groupe familial pour reconvertir les formes d’insertion sociale et économique en Haïti. Nous recherchons ce projet familial auprès des dyaspora au Brésil.

Dans la littérature internationale sur les migrations, on entend par diaspora l’ensemble des migrants originaires d’un même pays qui se sont installés pour une longue période, voire de manière permanente, dans plusieurs territoires de destination, et continuant de garder des liens forts de nature diverse avec le pays d’origine ( Buga, 2011BUGA, Natalia. (2011), Les Diasporas comme système d’intégration dans l’économie mondiale. Thèse (Doctorat en Sciences économiques). Université Grenoble, Grenoble. ). Cependant, le sens du terme diaspora varie selon les contextes intellectuels, culturels et politiques dans lesquels il est utilisé: ce qui implique une dispersion de ses significations ( Brubaker, 2005BRUBAKER, Rogers. (2005), The ‘diaspora’ diaspora. Ethnic and Racial Studies, v. 28, n. 1. pp. 1-19. ).

En créole haïtien, diaspora est traduit par la notion dyaspora , mais change de sens en fonction du contexte socioculturel. Dyaspora en Haïti se réfère largement à la personne physique d’origine haïtienne qui réside ou est née à l’étranger ( Audebert, 2012AUDEBERT, Cédric. (2012), La diaspora haïtienne: territoires migratoires et réseaux. Rennes: Presses Universitaires de Rennes. ). Toutefois, il existe certains Haïtiens résidant en France qui ne se considèrent pas comme dyaspora parce qu’ils constituent surtout une communauté d’étudiants ayant un statut migratoire provisoire ( Béchacq, 2019BÉCHACQ, Dimitri. (2019), Les étudiants haïtiens en France: d’une instruction élitiste aux vécus migratoires contemporains. In: Les migrations et la Caraïbe: (Dés)Ancrages, mouvements et contraintes. D. Béchacq; F. Calixte; M. Meudec (dir.). Paris: L’Harmattan. ). D’autres Haïtiens ne sont pas considérés comme dyaspora parce que cette catégorie est associée à un certain nombre de caractéristiques, en particulier la prospérité, qui permet de distinguer ceux résidant dans des pays développés de ceux des pays en développement ou sous-développés (Joseph, 2015a, 2015b). Pour ces raisons, il n’y a toujours pas de consensus sur la classification de dyaspora pour les Haïtiens vivant au Brésil. Nous adoptons la définition proposée par Audebert (2017)AUDEBERT, Cédric. (2017), The recent geodynamics of Haitian migration in the Americas: refugees or economic migrants? Revista Brasileira Estudos de População, v. 34, n. 1, pp. 55-71. pour pouvoir identifier les migrants haïtiens au Brésil au même titre que ceux résidant au États-Unis, en France et au Canada.

Cet article tente de vérifier le projet familial des dyaspora au Brésil en observant et en décrivant les pratiques d’un groupe présentant une certaine homogénéité, à l’origine – un espace social – et au Brésil – un autre espace social ( Bourdieu, 1984BOURDIEU, Pierre. (1984), Espace social et genèse des ‘classes’. ARSS, v. 52-53, pp. 3-14. ). À l’origine, les membres du groupe sont de Liancourt, commune de l’arrondissement de Saint-Marc dans le Département de l’Artibonite. Liancourt est élevé au rang de commune en juillet 2015 et a une population estimée à 38.328 habitants, dont 18.574 en milieu urbain et 19.754 en milieu rural ( IHSI, 2015IHSI (Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique). (2015), Population totale, de 18 ans et plus. Ménages et densités estimés en 2015. Port-au-Prince: Ministère de l’Economie et des Finances. ). Au pays d’accueil, nous avons observé ce groupe de migrants haïtiens à Emeraldas, une municipalité de l’État du Minas Gerais (MG) située dans la région métropolitaine de Belo Horizonte (MG). Selon le Setor de Análise de Dados de Inteligência Policial , il y a 4.221 « Haïtiens actifs » – haitianos ativos en langue brésilienne – au Minas Gerais, dont 2.640 dans la région métropolitaine de Belo Horizonte, en 20191 1 . Document délivré par la « Polícia Federal » à partir de notre demande (SOLICITAÇÃO 11742924): « Informação nº 12699130/2019-SADIP/CGPI/DIREX/PF » émise le 15 octobre 2019 par le « Setor de Análise de Dados de Inteligência Policial – SADIP/CGPI/DIREX/PF ». . Esmeraldas, municipalité de cette région, a une population estimée à 70.552 habitants ( IBGE, 2019IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística). (2019), Cidades e Estados. https://www.ibge.gov.br/cidades-e-estados/mg/esmeraldas.html.
https://www.ibge.gov.br/cidades-e-estado...
) et accueille 274 migrants « haïtiens actifs ». Ces Haïtiens constituent une petite communauté transnationale qui maintient des liens avec Haïti.

En ce sens, nous avons réalisé des observations et quatorze entretiens semi-structurés ( Thiollent, 1982THIOLLENT, Michel. (1982), Crítica metodológica, investigação social e enquete operária. São Paulo: Polis. ) avec des dyaspora à Esmeraldas. Au cours de nos entretiens, nos participants sont invités à se présenter, retracer leur vie familiale en Haïti et les raisons de leur présence au Brésil. Mais, l’accent a été mis surtout sur la pratique courante d’envoyer de l’argent. Toutes les conversations et les informations du travail de terrain, y compris les entretiens enregistrés, ont été réalisées et collectées en créole haïtien, langue maternelle de l’enquêteur et des dyaspora2 2 . Nous sommes discrets sur le vrai nom des dyaspora , mais ils sont surtout des travailleurs de la construction civile, des magasins et des supermarchés qui reçoivent mensuellement entre R$ 950 et R$ 1.300. En janvier 2018, le Salaire Minimum officiel était de R$ 954. Le chercheur sur le terrain, le premier auteur de l’article, est arrivé à Belo Horizonte le 15 décembre 2017. Il a pris contact avec Sherline, étudiante, dyaspora et secrétaire de l’organisation Kore Ayisyen – Aider Haïtiens. Elle lui a accordé un entretien et lui a guidé sur le terrain. Ils sont allés à Esmeralda plusieurs fois en décembre et janvier pour faire des interviews, jouer au football et regarder de match de football à la télévision avec plusieurs compatriotes. Le chercheur a aussi contacté le Serviço Jesuíta a Migrantes e Refugiados (SJMR) communément appelé Sant Zanmi et a réalisé un entretien avec Adrien Renault, son coordonateur. .

Dans notre recherche, nous décrirons la présence des dyaspora à Esmeraldas comme le résultat d’un investissement économique et social ( Bourdieu, 1994BOURDIEU, Pierre. (1994), Stratégies de reproduction et modes de domination. ARSS, v. 105, pp. 3-12. ) des familles dans l’espace social haïtien qui leur permet de dépasser les limites et les contraintes structurelles liées à leur reproduction. Pour cela, nous présenterons de telles limites et contraintes en analysant certaines caractéristiques de la famille haïtienne. Ensuite, nous reconstruirons des trajectoires typiques à partir de la question suivante: comment la possibilité de migrer et d’envoyer de l’argent a été présentée et/ou connue par les dyaspora d’Esmeraldas? Enfin, nous discuterons des raisons explicites pour maintenir l’envoi systématique d’argent, cherchant à révéler les normes, les classifications, les valeurs et les sens mobilisés par les Haïtiens lorsqu’ils sont invités à justifier et/ou à expliquer la pratique. En conclusion, nous essayerons de démontrer que les communautés transnationales résultent d’un projet stratégique – non pas dans un sens rationnel et utilitaire, mais dans un sens culturel et pratique ( Bourdieu, 1972BOURDIEU, Pierre. (1972), Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 27ᵉ année, n. 4-5, pp. 1105-1127. ) – développé par les familles haïtiennes pour réaliser leur reproduction.

LIMITES ET CONTRAINTES STRUCTURELLES DES FAMILLES EN HAÏTI

Depuis l’indépendance d’Haïti en 1804, il y a eu la dispute constante entre deux systèmes d’exploitation de l’espace agricole: le premier orienté vers la grande exploitation agricole; et le deuxième orienté vers la petite exploitation familiale agricole ( René, 2014RENÉ, Alix. (2014), Le culte de l’égalité: une exploration du processus de formation de l’État et de la politique populaire en Haïti au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle (1804-1846). Thèse (Doctorat en Histoire). Concordia University. School of Graduate Studies, Montréal. ). Quoique le premier renvoie souvent à des politiques de l’État, le second s’est finalement imposé un peu partout sur le territoire et s’est transformé en la véritable ressource qui alimente la reproduction sociale des familles paysannes ( Dorvilier, 2012DORVILIER, Fritz. (2012), La crise haïtienne du développement, essai d’anthropologie dynamique. Port-au-Prince: Éditions de l’Université d’État d’Haïti. ; René, 2014RENÉ, Alix. (2014), Le culte de l’égalité: une exploration du processus de formation de l’État et de la politique populaire en Haïti au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle (1804-1846). Thèse (Doctorat en Histoire). Concordia University. School of Graduate Studies, Montréal. ).

Dans cette société, la famille est l’institution sociale de base qui coordonne le processus de production matérielle. Elle est régulée juridiquement par le mariage civil – droit matrimonial –, et a pratiquement suivi les normes de l’institution traditionnelle d’union libre – plasaj . Elle est structurée et organisée autour d’un patriarche dans un espace bien déterminé, le lakou ( Dorvilier, 2012DORVILIER, Fritz. (2012), La crise haïtienne du développement, essai d’anthropologie dynamique. Port-au-Prince: Éditions de l’Université d’État d’Haïti. ). Dans des contextes sociaux particuliers, la représentation de la famille a un sens plus large et englobe aussi d’autres relations sociales, telles que de voisins, connaissances, amis, membres d’une même communauté, c’est-à-dire kominote en créole haïtien ( Dalmaso, 2019DALMASO, Flávia. (2019), Família. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens. ; Marcelin, 2019MARCELIN, Louis H. (2019), Sangue. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens. ). Le lakou est comme un monde social paysan constitué d’une agglomération de « petites maisons », au milieu de petites exploitations agricoles, régie par des liens de parenté. Les familles, placées autour du lakou, s’étendent dans l’espace de ce monde social pour réaliser leur reproduction dans un univers social lié essentiellement à l’activité agricole ( Bastien, 1985BASTIEN, Rémy. (1985), Le paysan haïtien et sa famille. Paris: Karthala. ; Bulamah, 2013BULAMAH, Rodrigo C. (2013), O lakou haitiano e suas práticas: entre mudanças e permanências. Temáticas, v. 1, n. 42, pp. 205-233. ; Dalmaso, 2019DALMASO, Flávia. (2019), Família. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens. ).

Autour de cette activité, des institutions et des organisations dépassent de plus en plus l’espace du lakou – comme patrimoine et héritage – et lient les familles entre elles autour des activités basées sur des échanges réciproques à l’échelle du village ou de la kominote 3 3 . La notion de kominote renvoie davantage à l’identité du groupe social et exprime un type de solidarité comme la « solidarité mécanique », c’est-à-dire, liens de similitudes de conscience, des représentations partagés ( Durkheim, 1999 ). La kominote va au-delà des frontières du lakou et regroupe les gens du village et les voisins. Quand la notion de communauté est utilisée seule ici, elle a ce sens. . Les familles partagent, en ce sens, des représentations, des valeurs et des relations sociales qui les lient à travers des pratiques culturelles quotidiennes de travail, de partage, etc. En d’autres termes, aux côtés des relations interfamiliales se développent des relations entre lakou ou qui s’étendent sur toute la kominote . C’est dans cette logique qu’il existe dans le monde rural haïtien plusieurs types de travaux communautaires – travay kominotè: le konbit , l’ eskwad et d’autres organisations sociales paysannes de travail basé sur l’entraide ( Bulamah, 2013BULAMAH, Rodrigo C. (2013), O lakou haitiano e suas práticas: entre mudanças e permanências. Temáticas, v. 1, n. 42, pp. 205-233. ; Woodson, 1990WOODSON, Drexel G. (1990), Tout mounn se mounn men tout mounn pa menm: microlevel sociocultural aspects of land tenure in a Northern Haitian locality. Thèse (Doctorat en Anthropologie). University of Chicago, Chicago. ).

Mais à travers le temps, le lakou a changé sous l’effet d’autres changements qui s’opèrent dans la société haïtienne. Cependant, il maintient aussi certaines pratiques, sens et significations qui lient les héritiers, les personnes, la terre, les choses, les agglomérations et les esprits ( Bulamah, 2013BULAMAH, Rodrigo C. (2013), O lakou haitiano e suas práticas: entre mudanças e permanências. Temáticas, v. 1, n. 42, pp. 205-233. ; Dalmaso, 2019DALMASO, Flávia. (2019), Família. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens. ). En analysant nos entretiens, des dyaspora ont cité des activités agricoles basées sur des échanges réciproques qui constituent particulièrement l’une des caractéristiques de la région de Liancourt, d’où viennent les migrants d’Esmeraldas. Xavier nous a implicitement proposé une définition de l’une des activités communautaires.

Quand j’exploitais les parcelles de mon père, je ne travaillais pas tout seul, car ainsi la tâche aurait été plus difficile. J’organisais des konbit , activité dans laquelle des voisins ayant eux aussi des parcelles viennent travailler sans rémunération. Je n’avais qu’à les offrir à manger. Il s’agit, en fait, d’un travail agricole gratuit, mais qui implique, certaines fois, ma participation aussi dans les konbit de ceux qui participaient dans le mien (Xavier, homme, 30 ans, maçon).

Comme l’a relaté Bourdieu (2003)BOURDIEU, Pierre. (2003), La fabrique de l’habitus économique. ARSS, v. 150, pp. 79-90. à propos de la société kabyle, nous avons pu identifier dans la société haïtienne quelques propriétés d’une économie précapitaliste qui montrent aussi qu’au niveau des kominote , les échanges entre parents ou voisins obéissent aussi à la logique du don ou de contre-don, à travers des pratiques socioculturelles particulières. Certains aspects de cette logique dépassent les frontières des relations entre lakou et se reproduisent dans certaines petites villes.

Nous sommes presque une seule famille et nous étions déjà ainsi en Haïti. Quelqu’un qui n’est pas de notre kominote aura beaucoup de difficulté pour savoir à qui appartient un objet – un bien de consommation. Aujourd’hui, tout le monde se réunit chez moi […] et nous mangerons ensemble. Au cours de ce même après-midi, j’irai manger chez un autre kouzen 4 4 . Kouzen en créole haïtien se traduit par cousin. Mais, dans le contexte de l’entretien, il ne réfère pas nécessairement à un lien de parenté. Dans la kominote d´Esmeraldas, les gens ont désigné le chercheur de kouzen aussi. C’est une façon de se fraterniser entre Haïtiens. . Nous étions élevés de cette manière-là et je me rappelle encore ma maman qui partageait de la nourriture avec ses voisins (André, homme, 30 ans, manutentionnaire).

Entre l’Indépendance d’Haïti et 1950, ce monde social du paysan haïtien ayant ses ressources essentiellement liées à l’exploitation agricole familiale a pu assurer sa reproduction et part à la conquête d’autres biens ou de l’achat de services à travers l’excédent de sa production sur le marché ( Dorvilier, 2012DORVILIER, Fritz. (2012), La crise haïtienne du développement, essai d’anthropologie dynamique. Port-au-Prince: Éditions de l’Université d’État d’Haïti. ). Avec le temps, le poids de la croissance démographique ne s’est pas ajusté au rendement du système de production agricole. En plus, dans le milieu paysan, le souci d’égalité se manifeste à partir des modes de production et de reproduction des biens matériels et symboliques ( Dorvilier, 2012DORVILIER, Fritz. (2012), La crise haïtienne du développement, essai d’anthropologie dynamique. Port-au-Prince: Éditions de l’Université d’État d’Haïti. ) qui conduisent, avec le temps, à la saturation de l’émiettement des terres agricoles comme espace de subsistance. En conséquence, se pose sérieusement le problème de la reproduction sociale des familles. À partir des années 1950, le pays a subi une décroissance économique et l’agriculture n’a pas été en mesure d’apporter les suppléances fonctionnelles et d’effets compensatoires suffisants pour maintenir les groupes familiaux ( Dorvilier, 2012DORVILIER, Fritz. (2012), La crise haïtienne du développement, essai d’anthropologie dynamique. Port-au-Prince: Éditions de l’Université d’État d’Haïti. ).

En effet, des changements de grande ampleur s’opèrent dans la structure des familles visant de nouvelles stratégies de reproduction. Les stratégies de reproduction génèrent une séparation de la famille d’un ou de quelques-uns de ses membres. Des gens ont abandonné l’espace de production agricole pour alimenter l’exode rural et l’émigration. C’est semblable au cas du célibataire qui, soumis à des contraintes de déclassification sociale, abandonne son héritage agricole pour migrer vers d’autres espaces ( Bourdieu, 1989BOURDIEU, Pierre. (1989), Reproduction interdite. La dimension symbolique de la domination économique. Études rurales, n. 113-114, pp. 15-36. ).

Les quatorze migrants que nous avons pu rencontrer ont relaté qu’ils sont issus de familles qui ont reçu des parcelles du patrimoine du lakou en héritage et ont participé au cours de leur existence à des activités d’échange réciproque de service dans le village. Certaines familles continuent encore aujourd’hui à utiliser ces parcelles pour compléter le revenu et l’autoconsommation tandis que d’autres les échangent par vente, fermage, métayage pour mobiliser de ressources suffisantes pour des projets à long terme.

L’exode s’est orienté vers la ville la plus proche ou vers Port-au-Prince à la recherche d’autres activités économiques comme nouvelles stratégies de reproduction. Les villes haïtiennes, Port-au-Prince en particulier, ont connu une croissance exponentielle et l’exode rural en est l’une des causes. D’une population de 3.097.920 habitants en 1950, Haïti a eu une population urbaine de 377.355 – 12% – contre une population rurale 2.719865. En 2003, la population passe à 8.373.750, avec une population urbaine de 3.418.508 – 41% ( Pierre, 2014PIERRE, Jean Abel. (2014), Sociologie Économique de la corruption. Vers une étude de l’implémentation des politiques publiques de lutte contre la corruption en Haïti. Thèse (Doctorat en Sociologie). Université Paris Sorbonne, Paris.: 61). En 2015, la population était estimée à 10.911.819, avec une population urbaine de 5.667.686 – 52% ( IHSI, 2015IHSI (Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique). (2015), Population totale, de 18 ans et plus. Ménages et densités estimés en 2015. Port-au-Prince: Ministère de l’Economie et des Finances. )5 5 . Selon les données les plus récentes, l´Haïti a une population estimée à 11.411.527 habitants ( IHSI, 2018 ). .

Parallèlement à l’exode rural, il y a eu, de 1950 à nos jours, une croissance de la population des communautés transnationales haïtiennes. Il n’y a pas de consensus sur la population haïtienne vivant à l’étranger. Le Ministère des Haïtiens vivant à l’Étranger a relaté qu’il y a 4 à 5 millions d’Haïtiens à l’étranger, en 2013 (Joseph, 2015a: 40), tandis que, pour la même année Audebert (2017AUDEBERT, Cédric. (2017), The recent geodynamics of Haitian migration in the Americas: refugees or economic migrants? Revista Brasileira Estudos de População, v. 34, n. 1, pp. 55-71.: 57) a fait mention d’environ 1.377.000 Haïtiens dans les communautés transnationales. Enfin, Cotinguiba (2019COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho.: 137) propose une mise à jour des données officielles et mentionne un total de 1.329.981 Haïtiens vivant à l’étranger, en 2017. Quoi qu’il en soit, il est un fait qu’un peu plus d’un million d’Haïtiens résident à l’étranger et la plupart maintient des liens avec Haïti.

GENÈSE DE LA KOMINOTE D’ESMERALDAS

Aujourd’hui, il y a des Haïtiens partout au Brésil, y compris à Esmeraldas. Qu’est-ce qui explique leur présence à Esmeraldas? Dans cette municipalité, il n’y a pas d’industries et de grandes activités économiques. Nos données nous permettent de présenter quelques constatations.

Au début, cette migration a été le résultat de la mise en place d’un réseau de voyage irrégulier organisé par des raketè , c’est-à-dire, des gens qui reçoivent de l’argent pour fournir divers types de service dans l’informalité ou de manière inappropriée pour en tirer profit – ou ajans dans une nuance un peu plus formelle, légale (Joseph, 2015a). Les raketè ont utilisé Esmeraldas comme destination finale ou zone de transit des migrants vers d’autres États du Brésil. Ce réseau raketè commençait à fonctionner en 2011 et disposait des ressources humaines opérant sur les frontières du Brésil et d’autres pays de l’Amérique Latine. Pour faire le voyage, il faut payer le raketè et prendre un risque tout en s’efforçant d’avoir confiance dans le raketè principal. Cette organisation est un élément de plus qui démontre que le séisme n’a pas provoqué à lui seul l’émigration. Il y avait une activité économique préexistante en Amérique du Sud ( Sarmiento, 2000SARMIENTO, Gitanjali S. (2000), Diagnóstico sobre las migraciones caribeñas hacia Venezuela. Buenos Aires: PLACMI-OIM. ).

D’après les données, à l’origine il y a eu un premier groupe minoritaire de migrants qui est arrivé avec l’idée même de faire fonctionner un réseau pour accueillir des migrants de Liancourt.

Les premiers migrants haïtiens d’Esmeraldas sont originaires de Liancourt et sont arrivés il y a très longtemps. Ce lieu était donc en construction et représentait un potentiel d’emploi considérable dans le domaine de construction civile. La stabilité de ces premiers ouvre la possibilité de créer un réseau organisé qui facilite le voyage des Haïtiens. Il s’agissait d’un réseau de voyage klandesten [clandestin] organisé par des raketè . Les organisateurs des voyages ont loué une maison à Esmeraldas et ont informé les Haïtiens intéressés à l’immigration qu’ils avaient la capacité de les héberger une fois arrivés au Brésil (Adrien Renault, Coordonnateur du Service des Jésuites aux Migrants à Belo Horizonte).

Cette maison servait à héberger une douzaine de migrants irréguliers pour un délai d’un mois. Durant ce mois, ils obligeaient les arrivants à faire tout ce qui était possible pour se rendre à leur destination ou trouver un emploi pour louer leur propre maison afin que le raketè puisse recevoir de nouveaux migrants et ainsi de suite.

Puisqu’il n’y a pas d’industries à Esmeraldas, certains Haïtiens ont dû se rendre au centre de Belo Horizonte pour trouver des emplois manuels dans des centres commerciaux ou industriels tout en continuant à se fixer à Esmeraldas, qui offre des loyers à bon marché. D’autres ont pu trouver des emplois dans le domaine de la construction civile à Esmeraldas. Beaucoup de ceux qui n’ont pas pu trouver d’emploi ont migré vers d’autres États, Paraná en particulier, tandis que la réussite de ceux qui sont restés permet aux organisateurs de convaincre d’autres familles à investir dans l’émigration. Avec l’octroi du visa humanitaire du Consulat du Brésil à Port-au-Prince en 2012, la migration régulière s’intensifie parallèlement à la migration irrégulière. Armand, célibataire, raconte:

Chacun a une histoire différente qui explique sa présence au Brésil. Dans mon cas, je n’avais pas le visa du Brésil. J’ai fait un premier voyage vers la République Dominicaine. De ce pays, j’ai pris un vol vers l’Argentine, qui n’exigeait pas de visa. Je suis arrivé au Brésil à partir des frontières qu’il partage avec l’Argentine. Le raketè m’a mis en contact avec des gens qui parlent l’espagnol et le portugais qui pouvaient m’aider à traverser les frontières (Armand, homme, 29 ans, manutentionnaire).

Malgré l’existence d’un visa humanitaire, on a retrouvé des cas de gens qui continuent à arriver au Brésil de façon irrégulière. Armand en est un exemple. Il a dû prendre le trajet du voyage irrégulier dans le but d’avoir une avance sur le temps de la bureaucratie liée aux démarches d’obtention du visa humanitaire. Il était pratiquement urgent pour lui de laisser le pays d’origine parce qu’il n’avait plus d’activité économique rentable à Liancourt pouvant lui permettre de prendre soin de sa famille. De son côté, Sherline a connu une histoire différente.

Après le tremblement de terre, je travaillais dans le domaine de la culture en Haïti. Je commençais aussi à étudier l’art à l’École Nationale des Arts. Entretemps, il y a eu des opportunités d’émigration dans plusieurs pays, particulièrement le Brésil, qui octroyait le visa humanitaire. J’ai analysé les possibilités et choisi finalement le Brésil à la fin de 2014 parce que mon frère et ma sœur y vivaient déjà et m’ont convaincu en ce sens. Alors, j’ai pu obtenir un visa [humanitaire] et tout abandonné en Haïti pour commencer une nouvelle vie ici au Brésil (Sherline, femme, 28 ans, actuellement étudiante).

Il y avait déjà un réseau transnational assez fort qui a facilité leur traversée au Brésil. Qu’il s’agisse de voyage avec visa ou de voyage irrégulier, il y a la présence d’un réseau bien identifié et qui facilite l’intégration du nouveau dyaspora dans la communauté. En ce sens, Ramel a raconté:

En 2013, j’ai fait des démarches auprès de l’Ambassade [du Consulat] du Brésil en Haïti et j’ai obtenu un visa humanitaire. Je suis débarqué directement ici à Esmeraldas parce que j’avais déjà des compatriotes qui habitaient dans ce quartier. C’était donc plus facile pour moi de les rejoindre. Il s’agit surtout des gens que je connaissais déjà en Haïti. Mon neveu et mon cousin [lien de parenté] étaient déjà à Esmeraldas. Ces deux-là m’ont donc reçu chez eux jusqu’au moment où j’ai pu faire des démarches pour finalement avoir kanè travay [autorisation de travail ou carnet de travail]. On croit encore au lien de sang dans la famille. On est donc solidaire sur ce point. J’ai un autre neveu dans une autre ville du Brésil. Mais j’ai eu une certaine préférence pour Esmeraldas parce que les gens d’ici sont presque tous des amis ou membres d’une famille6 6 . Famille – fanmi en créole haïtien – dans ce discours a le même sens que kominote . (Ramel, homme, 47 ans, ouvrier dans une entreprise de compostage).

À Esmeraldas, il y a une communauté haïtienne constituée principalement de jeunes hommes adultes originaires de Liancourt âgés entre 22 et 35 ans7 7 . Seulement une femme a accepté de répondre aux questions de l’entretien. On a remarqué aussi qu’il y a deux Haïtiens qui sont en couple avec des femmes brésiliennes. . Ces migrants ne résidaient pas à Port-au-Prince au moment du tremblement de terre. La majorité n’a été que de passage à la capitale juste pour prendre le vol, une raison de plus qui permet de voir que le séisme n’est pas l’unique événement qui crée les conditions de l’émigration des Haïtiens.

ÊTRE DYASPORA: UNE RESSOURCE DE LA REPRODUCTION DES FAMILLES DE LIANCOURT

Selon Bourdieu, les stratégies de reproduction ont pour principes les dispositions de l’habitus qui tend spontanément à reproduire les conditions de sa propre production. Engendrées par les dispositions à la reproduction inhérentes à l’habitus, elles peuvent se doubler de stratégies conscientes, individuelles et collectives qui, étant presque toujours inspirées par la crise du mode de reproduction établi, ne contribuent pas nécessairement à la réalisation des fins qu’elles visent (Bourdieu, 1994). Ainsi, Bourdieu définit la notion de « stratégies de reproduction » comme:

Ensemble de pratiques phénoménalement très différentes par lesquelles les individus ou les familles tendent, inconsciemment et consciemment, à conserver ou à augmenter leur patrimoine et, corrélativement, à maintenir ou améliorer leur position dans la structure des rapports de classe, constituent un système qui, étant le produit d’un même principe unificateur et générateur, fonctionne et se transforme en tant que tel. Par l’intermédiaire de la disposition à l’égard de l’avenir, elle-même déterminée par les chances objectives de reproduction du groupe, ces stratégies dépendent premièrement du volume et de la structure du capital à reproduire, c’est-à-dire, du volume actuel et potentiel du capital économique, du capital culturel et du capital social possédés par le groupe et leur poids relatif dans la structure patrimoniale; et deuxièmement de l’état, lui-même fonction de l’état du rapport de force entre les classes, du système des instruments de reproduction, institutionnalisés ou non ( Bourdieu, 1979BOURDIEU, Pierre. (1979), La distinction. Critique sociale du jugement. Paris: Minuit.: 145).

Les stratégies de reproduction constituent un système de suppléances fonctionnelles et d’effets compensatoires liés à la famille, permettant à Bourdieu de dépasser le sens explicitement rationnel, utilitaire et volontariste de l’action économique. Le sens donné par Bourdieu est un autre, basé sur l’habitus, sur le niveau pré-réfléchi de l’action (Bourdieu, 1994).

Les stratégies de reproduction des familles que nous analysons sont intégrées au sein d’une économie de réciprocité prédominante plus profonde. Typiquement, le projet d’émigration commence à être discuté et planifié, inévitablement dans la famille. C’est une sorte de moment rituel dans lequel chacun vient, en personne ou non, et actualise les réciprocités: donner, recevoir et restituer divers types de ressources telles que de l’argent, de logement, des informations, des indications de personnes ressources, des vêtements, etc.

L’émigration comme stratégie des familles sans enfants ou ayant des enfants encore jeunes passe par le départ d’un des membres du foyer vers un autre pays, généralement l’homme. C’est similaire pour Ramel et François qui n’ont pas de fils adultes dans leur famille: ce qui les oblige à investir les ressources de leurs familles dans leur propre projet migratoire comme nouvelle stratégie pour subvenir à leurs besoins. Ramel a dû abandonner son poste dans une petite industrie de décortication de riz et ses activités particulières de production rizicole pour migrer. Il a expliqué que ces activités génèrent des ressources insuffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. De ce fait, il a vendu sa parcelle agricole pour financer son voyage. De son côté, François, père de deux enfants, a relaté:

Migrer au Brésil n’a pas été une décision facile. J’ai dû réfléchir et discuter cette décision en famille [nucléaire]. Où ai-je trouvé les fonds [ lajan ] nécessaires pour le voyage? En fait, j’ai commencé à construire une maison sur une propriété que j’ai achetée. Peu de temps après l’avoir achetée, ma famille a connu une crise économique sans issue. J’ai constaté que je n’avais pas de ressources suffisantes pour finaliser la construction. En plus, je n’arrivais pas à mobiliser de ressources suffisantes pour nourrir convenablement mes enfants et les envoyer à l’école. Face à ces difficultés, ma femme et moi avons décidé de vendre cette propriété pour financer mon voyage. J’ai fait mon passeport et acheté mon visa pour m´installer au Brésil avec cet argent [ kòb ] (François, homme, 50 ans, sans emploi stable).

Chez les familles ayant des fils adultes, la stratégie passe donc par le départ d’un ou plusieurs de ces derniers – généralement hommes et célibataires. La migration de la plupart des jeunes célibataires rencontrés a été financée par des membres de la même famille résidant déjà dans un pays étranger, particulièrement les États-Unis. Pour ces jeunes, le patrimoine familial et la contribution des membres des familles vivant aux États-Unis d’Amérique ont été révélés comme deux des éléments fondateurs de la kominote d’Esmeraldas. C’est le cas de Jérôme et Patrick. Jérôme, célibataire, était encore dépendant des ressources de ses parents avant son départ pour le Brésil parce qu’il n’avait pas d’emploi.

Formellement, je ne travaillais pas. J’aidais ma maman qui s’active dans le petit commerce. Parfois, je vendais à sa place quand elle avait autre chose à faire. Mon papa et mon petit frère résident aux États-Unis. Puisque mon papa n’est plus en Haïti, je travaillais ses parcelles pour subvenir à certains besoins de ma famille: ma maman et ma sœur. Pour arriver au Brésil, j’ai affermé l’une des parcelles de mon papa que je travaillais. Ma maman m’a supporté avec l’argent [ kòb ] du petit commerce. Mon papa et mon frère, de leur côté, m’ont envoyé un transfert d’argent [ voye kòb ] pour renouveler mon passeport, acheter le visa et le billet d’avion (Jérôme, homme, 31 ans, maçon).

Patrick, ancien musicien, rappeur et célibataire au moment son voyage, a expliqué qu’il a pu voyager en mobilisant à la fois ses propres ressources et les ressources de sa famille. Mais il s’est marié au Brésil et son épouse habite actuellement au Canada.

Avant cette expérience migratoire au Brésil, je travaillais dans une ONG en Haïti. En plus, j’ai gagné ma vie aussi avec de la musique. Mais j’ai eu un accident et l’ONG n’a pas voulu couvrir les frais médicaux. En conséquence, j’ai dû dépenser l’argent [ kòb ] que j’avais épargné. L’émigration s’est présentée comme une nouvelle alternative pour refaire ma vie. Pour cela, j’ai discuté ce nouveau projet avec les membres de ma famille. En fait, j’ai utilisé mes propres ressources pour préparer le voyage. J’ai renouvelé mon passeport. J’ai acheté aussi le visa à travers une agence de voyages. Les autres membres de ma famille m’ont aidé à compléter les fonds nécessaires pour le voyage. Mon frère ainé résidant aux États-Unis m’a envoyé de nouveaux vêtements. Mon papa résidant aux États-Unis aussi m’a envoyé de l’argent [ lajan ] pour l’achat du billet d’avion (Patrick, homme, 34 ans, manutentionnaire dans un magasin).

Le cas de Xavier est différent de celui des autres jeunes migrants. Il est encore jeune, certes, mais il avait déjà femme et enfants avant de voyager. Cependant, il a dû compter sur l’aide de ses parents pour faire le voyage.

Avant de migrer au Brésil, je travaillais les parcelles de ma famille. Parallèlement, j’étais aussi maçon. Je n’ai pas pu mobiliser de ressources suffisantes pour prendre soin de ma famille. Mes parents ont décidé d’organiser mon voyage au Brésil en sollicitant l’aide mon grand frère qui réside aux États-Unis d’Amérique. Avec son aide, j’ai pu renouveler mon passeport et acheter mon visa. En ce sens, il m’a envoyé de l’argent [ kòb ] pour finaliser le projet (Xavier, homme, 30 ans, maçon).

À l’origine de l’émigration du dyaspora , il y a eu un investissement économique et social en vue de mobiliser les ressources des familles pour financer le projet migratoire visant la perpétuation ou l’augmentation du capital sous différentes espèces. Cette dimension du projet migratoire oblige une planification basée sur certains calculs économiques: vente d’actifs, prêts, baux ou gages, activation du réseau de proches, etc. Mais le projet repose principalement sur des réciprocités; avec des échanges à long terme, qui caractérisent fondamentalement l’économie du don et du contre-don.

Il se base aussi sur l’ouverture de nouvelles réciprocités: recevoir du soutien, des ressources de ceux qui n’ont jamais voyagé – don; recevoir des ressources de ceux qui ont voyagé et/ou sont à l’étranger – contre-don, rétribution. Des réseaux ont donc été mobilisés par les familles de Liancourt dans les deux sens mentionnés pour faciliter ou même rendre possible les voyages vers Esmeraldas. La littérature spécialisée rapporte également que pour faciliter un tel investissement des familles, des réseaux migratoires sont mobilisés pour organiser des voyages individuels ou collectifs dans lesquels les émigrants font des contre-dons pour relier les migrants potentiels des communautés d’origine aux personnes des sociétés d’accueil et ainsi réduire les coûts des déplacements internationaux par l’intermédiaire des émigrants qui les reçoivent (Massey et España, 1987; Massey, 1990MASSEY, Douglas S. (1990), The Social and Economic Origins of Immigration. The Annals of the American Academy of Political and Social Science, v. 510, pp. 60-72. ).

VOYE KÒB: UNE RÉTRIBUTION SANS CALCUL ÉCONOMIQUE

Selon Joseph, l’argent en circulation dans l’espace transnational haïtien est désigné lajan dyaspora , défini comme étant l’argent transféré par des Haïtiens vivant à l’étranger et reçu en Haïti en devises étrangères: dollar américain et euro (Joseph, 2015a, 2015b, 2019b). En d’autres termes, lajan dyaspora signifie monnaie forte. Cependant, nous constatons que lajan dyaspora est absente des représentations de nos participants, immergés dans la monnaie nationale brésilienne: le réal. La devise brésilienne se différencie dans les représentations lorsque nos participants traitent de l’argent en général et de l’argent qu’ils envoient en particulier. Autrement dit, l’argent a un sens, il est hiérarchisé, « façonné et remodelé par des réseaux particuliers de relations sociales et des systèmes de significations variables » ( Zelizer, 1994ZELIZER, Viviana A. (1994), The Social Meaning of Money. New York: BasicBooks.: 18). De ce fait, l’absence de référence du réal parmi les lajan dyaspora – non lajan dyaspora – permet de comprendre cette monnaie comme inférieure.

La notion de lajan dyaspora elle-même n’a pas été retrouvée. Dans les témoignages, les dyaspora ont utilisé: lajan, kòb, tchotcho pour désigner l’argent en général. Selon nos entretiens, ce que Joseph appelle lajan dyaspora est désigné comme: lajan ameriken, kòb ameriken, dola ameriken, biyè vèt, fèy vèt et dola vèt , traduits littéralement par « argent ou dollar américain ». En ce qui concerne les envois de fonds, il n’y a pas non plus la notion de lajan dyaspora dans leur champ lexical. Dans une première tentative, nous avons voulu utiliser le terme lajan dyaspora pour traduire leur réalité. Par contre, nous nous sommes rendu compte qu’elle n’est pas présente dans leur vocabulaire. Les mots ou les expressions les plus couramment utilisés sont: voye kòb, voye lajan, voye yon ti tchotcho , ou transfè, traduit littéralement par « envoyer de l’argent ». Les verbes « envoyer » ou « transférer » sont traduits par les verbes voye ou transfere en créole haïtien. Ainsi, dans le cadre de cette recherche, nous préférons la notion d’envoyer de l’argent – voye kòb – à la place de lajan dyaspora 8 8 . Dans nos entretiens, nous constatons que kòb est synonyme de lajan . .

Selon nos observations, voye kòb constitue avant tout une forme de rétribution sans calcul économique parmi tant d’autres formes possibles. Cet acte rétributif sans la logique commerciale du profit, de l’avantage économique – calcul utilitaire – est présent dans les relations entre Esmeraldas et Liancourt, comme l’a constaté également Bourdieu auprès des familles paysannes d’Algérie, dans lesquelles il y a l’existence du refus de calculer les échanges entre les membres de la même famille. C’est donc refuser d’obéir au principe économique de propension et aptitude à économiser au lieu de donner sans compter (Bourdieu, 2003).

Ainsi, à la lumière du constat de Bourdieu (2003)BOURDIEU, Pierre. (2003), La fabrique de l’habitus économique. ARSS, v. 150, pp. 79-90. et nos entretiens, nous utilisons la notion de rétribution sans calcul économique comme des échanges qui n’impliquent pas de profit et d’avantages économiques, mais renforcent des liens sociaux dans d’autres sphères de la société. Soulignons qu’un raisonnement semblable a été présenté par Polanyi lorsqu’il expliquait les principes de réciprocité et redistribution à partir de l’analyse des études ethnographiques et de l’histoire économique et politique des grandes civilisations (Polanyi, 2000). Cette rétribution de la communauté transnationale d’Esmeraldas est le résultat d’une stratégie d’investissement économique et social sans calcul économique présenté sous forme de don par les membres de la même famille. Le don est le départ d’une relation de réciprocité ( Mauss, 2005MAUSS, Marcel. (2005), Ensaio sobre a dávida; formas e razão da troca nas sociedades arcaicas. In: M. Mauss. Sociologia e Antropologia. São Paulo, Cosac & Naify. ; Bourdieu, 2017BOURDIEU, Pierre. (2017), Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993. Paris: Raisons d’Agir, Seuil. ) entre la famille et son membre qui émigre.

Nous devons nuancer cette notion de rétribution sans calcul économique parce que le fait qu’il n’y a pas seulement l’aspect économique ne signifie pas que les gens ne font pas de calcul économique pour planifier l’émigration. Pour certaines familles, la migration est une ressource financière qui permet à ceux qui partent d’aider – ou principe d’entraide – ceux qui restent en transférant de l’argent ( Cotinguiba, 2019COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho. ; Joseph, 2015a, 2015b, 2019b). Cependant, la contrepartie qui peut survenir dans un délai plus court et être calculée explicitement n’a pas lieu immédiatement. Et, même dans un laps de temps plus court, elle arrive dans un contexte institutionnel et culturel déjà existant, c’est-à-dire le même contexte institutionnel et culturel qui fonde, qui fait se produire la rétribution la plus typique de l’économie du don et du contre-don. Avec Polanyi, nous tenons compte du fait que le principe de réciprocité, de rétribution à un autre moment du temps, se produit parce qu’il opère dans un contexte institutionnel pertinent (Polanyi, 2000). Autrement dit, il y a un espace de valeurs, normes, dispositions constitutives de la culture haïtienne auxquelles sont attachées cette économie et les relations d’échange à différents intervalles de temps.

Dans cet espace, il y a ce que nous pouvons appeler les « sanctions négatives ». Interprétant le proverbe haïtien « L’âne enfante des ânons, c’est pour se reposer le dos » – Bourik fè pitit se pou do l poze –, Cotinguiba affirme: « l’aide n’est donc pas simplement une attente ou une utopie chez les Haïtiens, mais une certitude, un impératif » (Cotinguiba, 2019: 221). Il interprète le proverbe plus largement: « Voilà, nous te soutenons, te protégeons, te nourrissons et t’emmenons là où tu es, maintenant, tu dois nous aider, c’est ton obligation morale, car tu es ce que tu es et tu es où tu es grâce à l’aide que tu as reçue de la famille. Rendez le don reçu à la famille » ( Cotinguiba, 2019COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho.: 221). Celui qui ne rétribue pas ce qu’il a reçu est un « ingrat », engra en créole haïtien ( Cotinguiba, 2019COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho. ).

Cotinguiba n’analyse pas d’autres dimensions des sanctions dans les relations familiales du dyaspora . Mais il va dans le même sens que nous: l’envoi d’argent ne va pas de lui-même. La rétribution par l’action économique de voye kòb est une valeur parmi tant d’autres valeurs que les familles transnationales partagent. Il est à souligner que les dyaspora ne sont pas, dans tous les cas, obligés de voye kòb . Le dyaspora peut être traité d’ engra s’il laisse penser que son émigration est un succès et choisit délibérément d’abandonner sa famille. Nous observons quelques nuances dans l’utilisation d’ engra , il y a un assouplissement des sanctions négatives.

D’autres liens peuvent compenser l’incapacité de voye kòb et la communication en est un. WhatsApp, Facebook et d’autres réseaux sociaux aident beaucoup à compenser l’impossibilité de voye kòb . En janvier 2018, le Brésil traversait une crise économique9 9 . En 2015 et 2016, l’économie brésilienne a connu une forte récession. En 2017, il y a eu une légère reprise, mais la baisse du chômage et la croissance du PIB ont été faibles. Selon l’IBGE, la variation du « taux d’absentéisme » (taxa de desocupação) était de 6,5% au quatrième trimestre 2014, 9,9% au quatrième trimestre 2015, 12% au quatrième trimestre 2016 et 11,8% au quatrième trimestre 2017. La variation du « PIB aux prix du marché » (PIB a preços de mercado) était: 3,2% au premier trimestre 2014, 0,5% au quatrième trimestre 2014, -2,2% au troisième trimestre 2015, -4,4% au troisième trimestre 2016 et 1,3% au quatrième trimestre 2017 (IBGE - https://www.ibge.gov.br/estatisticas/economicas/contas-nacionais/ ). qui a mis les dyaspora en difficulté pour trouver de bons emplois et les gens qui étaient en Haïti en étaient conscients. En ce sens, ne pas envoyer de l’argent n’est pas une fatalité dans la mesure où l’on garde les liens à travers la communication ou d’autres alternatives. C’est ce qu’explique Sherline, arrivée au Brésil en 2014 avec les objectifs de travailler et de faire des études supérieures. Au début de 2018, elle ne pouvait plus transférer de l’argent pour sa famille, mais argumente:

Je continue à communiquer avec ma famille à travers les réseaux sociaux [Facebook et WhatsApp] et c’est déjà suffisant. Je ne transfère pas de lajan en Haïti parce que je ne travaille pas pour le moment [rire]. Au contraire, ma mère, qui est en Haïti, manifeste l’idée de m’envoyer de kòb . Dernièrement, elle m’a proposé de m’envoyer cinquante dollars (femme, 28 ans, étudiante).

Sherline reçoit encore le soutien de sa famille, particulièrement sa mère, et ceci peut être interprété comme étant le renfort de la stratégie d’investissement économique et social visant la recherche de mobilité économique et sociale à travers son nouveau projet. Étudiante dans une université privée de Belo Horizonte, elle a un projet qui s’inscrit dans le long terme et qui exige le sens de sacrifice de la part de sa famille. C’est ce qui explique le renfort de la stratégie d’investissement économique et social sans calcul économique de la part de cette famille.

À l’époque où je travaillais, j’avais l’habitude d’envoyer en moyenne USD 50 par mois. J’envoie de lajan pour faire plaisir à ma famille. Les gens aiment quand on se soucie d’eux. Mais ce n’est pas une obligation. Je me sens très bien de l’envoyer. C’est différent peut-être pour des Haïtiens qui laissent femme et enfants en Haïti. Les gens ayant des enfants et qui travaillent envoient régulièrement de kòb pour prendre soin de leurs familles. Pour moi, c’est le contraire parce que ma famille veut encore me supporter jusqu’à l’atteinte de mes objectifs. C’est un peu contraignant, mais je veux renoncer à ce support parce que c’est moi qui devrais voye kòb en Haïti (femme, 28 ans, étudiante).

Personne n’est engra si elle explique les problèmes qui contrarient son plan de voye kòb: « Je suis encore au chômage » – M pa ko jwenn bras –, « Je travaille pour payer mes études » – M ap travay pou m ka etidye . Dans ces conditions, les membres de la famille ne considéreront pas leurs dyaspora comme des engra .

Mais il y a aussi des « sanctions positives ». Pour mieux comprendre la rétribution sans calcul économique, revenons sur les autres conditions conduisant à son accomplissement. L’investissement économique et social dans le dyaspora est la première phase du projet stratégique de reproduction sociale dans lequel les membres de la famille mobilisent les ressources nécessaires pour financer son voyage. Nous mobilisons la théorie du don ( Mauss, 2005MAUSS, Marcel. (2005), Ensaio sobre a dávida; formas e razão da troca nas sociedades arcaicas. In: M. Mauss. Sociologia e Antropologia. São Paulo, Cosac & Naify. ; Bourdieu, 2017BOURDIEU, Pierre. (2017), Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993. Paris: Raisons d’Agir, Seuil. ) pour aider à mieux comprendre comment les familles ont mobilisé les ressources et passé aux actes de donner, recevoir et rétribuer.

Selon les données collectées, des calculs économiques ont été faits entre les membres de la famille pour mobiliser les ressources nécessaires au voyage. Typiquement, la famille évalue d’abord les coûts et fait un inventaire des ressources dont elle dispose qui peuvent couvrir les frais du voyage. Certaines familles comptent d’abord sur les ressources de celui qui est selectionné pour le voyage, puis sur l’aide des gens qui sont en Haïti et, enfin, sur ceux qui se dispersent dans les communautés transnationales. Après l’inventaire, les gens qui veulent contribuer répondent positivement à l’acte de donner.

Comme nous l’avons déjà souligné, dans ces moments rituels, les informations sur la perspective de la mobilité sont partagées, fondamentalement entre les membres de la famille les plus proches et les plus éloignés, parfois entre amis, etc. Les réunions, rencontres et conversations sont récurrentes. C’est le moment où les valeurs, croyances et principes de l’économie de la réciprocité opèrent, se renouvellent, se renforcent et se fixent dans le groupe. Selon nos données, les participants choisissent un aspect particulier du voyage du potentiel dyaspora . Comme il est récurrent dans les discours de Jérôme, Patrick et Xavier, certains membres s’occupent des frais de passeport, d’autres payent des vêtements neufs et la valise tandis qu’il existe des participants qui couvrent les frais de visa, de billet et de frais de séjour – kòb pòch ou lajan pòch .

Pour les familles qui ne disposent pas de ressources humaines transnationales et nationales, le futur dyaspora mobilise les biens immobiliers et mobiliers de la famille nucléaire – terres, maison, véhicule, etc. –, comme il est récurrent dans les discours de Ramel (47 ans, travaillant dans une entreprise de compostage) et François (50 ans, sans emploi stable). Pour investir dans les voyages qui conduisent à Esmeraldas, les familles ayant le profil de celles de François et Ramel se sont trouvées dans l’obligation de faire de la terre – espace sacré et symbolique du patrimoine familial – l’objet principal de plusieurs types de transaction économique. Selon nos entretiens, il y a trois types de transactions économiques de la terre qui s’appliquent donc aux familles en vue de collecter des fonds suffisants pour financer des voyages: elles laissent leurs parcelles en métayage, les placent en fermage ou les cèdent temporairement à d’autres exploitants agricoles en échange de l’argent.

Si dans les actes de donner et de recevoir, il existe un certain calcul économique pour mobiliser des ressources équivalant aux dépenses du voyage, ce calcul disparaîtra dans la manière de rétribuer. La rétribution ne s’accomplit pas d’individu à individu – échange commercial – mais entre et pour des individus différents. En plus, il y a un intervalle de temps qui accompagne le processus. La vie des dyaspora ne se résume pas uniquement à l’acte de rétribuer à ceux qui sont en Haïti. Dans certaines situations, il y en a qui font des dons pour faciliter le voyage de futurs dyaspora , de leurs familles et, dans certains cas, même des inconnus. Comme il est récurrent dans les cas de Jérôme, Patrick et Xavier, les dyaspora qui ont participé au projet de voyage d’un autre ne seront pas rétribués économiquement parce qu’ils sont déjà des dyaspora qui jouissent d’un certain prestige social. Cela n’implique pas qu’ils fassent des dons gratuits. Ils sont surtout récompensés socialement parce que le groupe les reconnaît comme des gens généreux sur qui il peut compter.

De là, les dyaspora sont récompensés en prestige social, avec Polanyi (2000)POLANYI, Karl. (2000). A grande transformação. Rio de Janeiro: Campus. , ou en capital symbolique, avec Bourdieu. C’est-à-dire, en termes d’économie de biens et d’échanges symboliques, pour qu’existent le don et le contre-don, il faut qu’il y ait des agents disposés, enclins, aptes à donner, c’est-à-dire qui:

Ont des dispositions durables à la générosité qui sont socialement constituées par l’immersion dans une économie des biens symboliques où la règle du jeu tacite est qu’il est bon de donner et que celui qui donne tire des profits d’un type particulier des profits symboliques. [...] Je propose enfin d’introduire une économie des biens symboliques, c’est-à-dire un ordre économique où existent des formes spécifiques de capital (je parle de « capital symbolique »), des formes spécifiques de profit (je parle de « profits symboliques ») et des formes spécifiques d’ « intentions » symboliques (les dispositions généreuses) ( Bourdieu, 2017BOURDIEU, Pierre. (2017), Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993. Paris: Raisons d’Agir, Seuil.: 44).

Dans ce sens, quand le dyaspora se trouve dans des conditions favorables à envoyer de l’argent et d’autres biens au pays d’origine, il le fait sous forme de contre-don ancré dans ses dispositions généreuses. Le contre-don du dyaspora s’est différé dans le temps et est retourné de façon régulière dans la famille sous forme de transfert de kòb non-calculé, continue et de valeur monétaire non déterminée. Ainsi, pour Jérôme, il n’y a pas uniquement l’aspect économique de voye kòb .

Je développe de très bonnes relations non seulement avec les membres de ma famille, mais aussi avec mes amis qui sont en Haïti. Pour moi, il est important de garder ce contact. Les liens méritent d’être renforcés en dépit de la distance parce que j’ai des amis et membres de ma famille qui me traitent encore avec beaucoup de respect et sont parfois dans le besoin. Il faut avoir des nouvelles de ces honnêtes gens. Je fais donc des transferts sans espérer quelque chose en retour parce que ces gens ont déjà contribué à rendre ma vie meilleure. Je l’ai déjà dit, je n’avais pas d’emploi quand j’étais en Haïti. C’est grâce à ces gens que je suis ici au Brésil. Je ne cesserai jamais de voye kòb pour les soutenir (Jérôme, homme, 32 ans, maçon).

Le cas de Jérôme permet de voir que le maintien des relations ne se limite pas uniquement à l’espace familial parce qu’il y a aussi des relations entre amis. Ramel a abordé la question du transfert dans le même sens que Jérôme. Cependant, il a commenté aussi la situation des gens qui ne font pas de transferts en Haïti. Dans les propos de Ramel, voye kòb est aussi une question d’identité. Celui qui est dans des conditions pour envoyer et choisit délibérément de ne pas envoyer n’est pas Haïtien.

Mon dernier transfert, je l’ai fait au début de décembre 2017 et le fonds s’est élevé à R$ 300 [USD 87]. Mais d’habitude, j’envoie des fonds équivalents à USD 200. Dans la question de transfert, il y a déjà une sorte de routine dans la communauté haïtienne parce que pratiquement tout le monde transfère de lajan . J’ai du mal à imaginer quelqu’un qui ne transfère pas de lajan . Sincèrement, je pense que quelqu’un qui n’envoie pas d’argent n’a pas de famille. Il n’a pas d’amis. Il est tout seul au monde. Moi, par exemple, j’envoie de kòb pour ma famille avec une certaine régularité. En plus, parfois, j’envoie de lajan à mes amis, surtout dans des occasions spéciales: les fêtes de fin d’année, par exemple. J’oserais même dire que quelqu’un qui n’envoie de lajan n’est pas haïtien (Ramel, homme, 47 ans, ouvrier dans une entreprise de compostage).

On a retrouvé ce même refus de faire des calculs économiques dans les transferts comme l’expression des liens forts entre les dyaspora à Esmeraldas et le pays d’origine. Ce refus passe d’abord par le maintien des liens en dépit de la distance entre cette municipalité et le pays d’origine. En ce sens, chacun explique sa propre stratégie pour maintenir ses liens. D’autres formes de rétribution sans calcul économique apparaissent surtout dans le contexte d’une crise économique du Brésil. La monnaie brésilienne est de plus en plus dévalorisée tandis que les familles reçoivent les transferts en kòb ameriken: ce qui met les dyaspora encore plus en difficulté d’envoyer une quantité de kòb suffisante pour prendre soin de leurs familles. Certains choisissent des formes alternatives de rétribution comme, par exemple, recharger le téléphone des proches en Haïti – voye minit en kreyòl ayisyen . Georges décrit ses relations avec le pays d’origine en ces termes:

J’envoie de lajan pour ma famille en Haïti de façon régulière. Toutefois, personne ne m’oblige à voye kòb. Lajan est important, certes, mais il n’est pas suffisant pour maintenir tous les liens entre ma famille et moi. Je suis au Brésil depuis déjà cinq ans. Pourtant, en 2016, je suis allé en Haïti pour les fêtes de fin d’année parce que ma fiancée, ma maman et mes amis voulaient passer du bon temps avec moi. Pourquoi ne m’ont-ils pas demandé de les envoyer de l’argent [ kòb ]? La raison est simple. Le kòb peut aider. Mais, à lui seul, il ne peut pas remplacer la présence de l’un auprès de l’autre. J’ai dû dépenser beaucoup d’argent pour acheter un billet d’avion aller-retour pour rendre visite à ma famille et à mes amis en Haïti. Si voye kòb pouvait me remplacer, il suffirait pour moi de transférer l’argent que j’ai utilisé pour acheter le billet. Je dois aussi dire que ma famille me manquait beaucoup (Georges, homme, 35 ans, manutentionnaire).

Dans cette rétribution, il y a donc le constat d’autres éléments qui sont ancrés dans les sphères de la famille ou qui sont liés à toute une histoire de vie. Ces liens peuvent être ancrés aussi bien dans l’univers de la famille qu’à l’échelle de la communauté par des liens amicaux. Toutefois, les dyaspora n’ont pas nié l’importance des transferts de kòb dans l’économie liancourtoise. Gérard a précisé que le kòb envoyé est devenu pratiquement le principal élément qui soutient le panier alimentaire et l’éducation de la plupart des familles basées à Liancourt. C’est ce qu’explique Ramel, qui a laissé à Liancourt son épouse et ses quatre fils.

Je continue à supporter les membres de ma famille en dépit des limites de mon salaire évalué à R$ 950 par mois, ce qui me donne très peu de satisfaction. Mais, en dépit de ce fait, je préfère le Brésil parce qu’au moins, j’ai une activité économique qui me permet d’aider ma famille. Mes transferts de kòb servent à compléter son revenu. Ils servent surtout à payer les frais scolaires de mes enfants. […]. L’éducation secondaire coûte vraiment cher en Haïti. En ce sens, elle absorbe la majorité de lajan transférés. Le très peu de lajan sert à renforcer le panier alimentaire de la famille. Ma femme s’occupe des autres besoins de la famille grâce à ses petites activités de commerce (homme, 47 ans, ouvrier dans une entreprise de compostage).

Malgré les difficultés pour trouver un emploi rentable, il y a des conditions qui exigent le sens de sacrifice et qui obligent les gens à transférer de l’argent à Liancourt. Beaucoup de gens ont relaté qu’il existe des occasions spéciales, comme l’anniversaire ou le mariage d’un membre de la famille, où ils transfèrent de l’argent. D’autres moments se présentent donc comme urgents, par exemple, le cas d’un décès. C’est le cas d’un groupe de six dyaspora d’une même famille élargie qui ont contribué aux funérailles d’un autre membre décédé d’un accident de voiture à Liancourt. De son côté, Pierrot a donc expliqué ses propres raisons pour transférer kòb.

Effectivement, j’envoie de lajan en Haïti. Mais je ne peux pas dire à quelle fréquence parce qu’il n’y a pas une date spéciale pour voye kòb . Parfois, je laisse écouler trois ou quatre mois avant de faire un transfert tandis que dans d’autres circonstances, j’envoie de lajan une ou deux fois par mois. Le transfert dépend de la nécessité du moment. En plus, il y a d’autres membres de la famille vivant à l’étranger. Le fait qu’il y a d’autres dyaspora diminue le poids de ma responsabilité et renforce le revenu familial parce que tout le monde envoie de lajan . Dans mon cas, c’est encore plus intéressant parce que j’ai des frères qui sont aux États-Unis qui prennent aussi soin de la famille. Je dois aussi ajouter que ce sont eux qui m’ont supporté financièrement pour faire ce voyage jusqu’au Brésil. Si je n’envoie pas, cela n’aura pas d’impacts économiques sur le fonctionnement de la famille. Dans la majorité des cas, je fais le transfert un peu comme par souci de protéger ma famille et non par obligation. Mais de toute façon, c’est un peu comme un devoir de prendre soin de sa famille. Sur ce point, on ne peut pas la négliger. On ne peut fuir son rôle de protecteur (Pierrot, homme, 34 ans, ne précisant pas son emploi).

Ces rituels, ces moments du calendrier de la vie familiale – naissance, anniversaire, mort, etc. – et de la société plus générale – Noël, Nouvel An, etc. – sont des moments où les groupes se lient, renforcent les liens, actualisent les réciprocités, les reconnaissances, la hiérarchie de prestige et de capital symbolique. Tout se passe comme si la société et la famille ne laissaient pas leur reproduction à la volonté des individus. Et cela continue au Brésil. Au-delà de ces moments dans et de la société haïtienne, d’autres nouveaux moments sont créés dans les communautés transnationales.

Nous avons trouvé que, pour les transferts d’argent, les dyasporas ont à leur disposition des maisons de transfert uniquement dans le centre de Belo Horizonte. Les Haïtiens envoient de l’argent en permanence en Haïti. Plus fréquemment, au début des mois. Les migrants ont construit un monde social dans lequel l’activité de transfert d’argent devient une sorte de rendez-vous ou rituel dans la mesure où ils ont transformé les rares maisons de transfert de la capitale en lieu de rencontre pour discuter à la fois les politiques haïtiennes et les problèmes de leur communauté d’origine ou du Brésil. Ils font aussi de cet espace un lieu de plaisir et de connexions avec les communautés transnationales des municipalités de la région métropolitaine de Belo Horizonte.

Enfin, ce qui compte, c’est une rétribution sociale qui vise surtout le maintien des liens entre la famille et son dyaspora . La rétribution maintient également un lien entre les dyaspora et un réseau plus large qui comprend d’autres dyaspora , des Haïtiens en Haïti – amis, parents, etc. –, générations, groupes. Elle crée, maintient et améliore aussi le prestige, la reconnaissance des dyaspora et de leurs familles, ouvre un espace du possible face aux intempéries de la vie économique dans le pays et, surtout, dans le cas des communautés analysées, les limites de la reproduction sociale plus connectée et installée dans le monde agricole.

CONCLUSION

À travers cet article, nous avons concilié les recherches menées sur l’immigration haïtienne au Brésil et les résultats de notre travail de terrain pour analyser l’action économique de voye kòb comme une action insérée dans le social. En prenant en compte la notion dyaspora dans sa définition la plus large, nous avons essayé de montrer que les flux migratoires haïtiens vers le Brésil ne sont pas le fruit du hasard ou uniquement des désastres naturels: ils sont donc bien mis en contexte socialement et situés dans le temps pour répondre à des besoins spécifiques des familles haïtiennes, surtout de celles d’origine paysanne.

Dans le contexte haïtien, nous avons montré que la migration est le résultat d’un ensemble de stratégies de reproduction sociale mises en place par les familles pour constituer la catégorie des dyaspora . Ces derniers deviennent à leur tour les ressources des stratégies de reproduction des familles. En fait, nous avons analysé le contexte et l’investissement des familles dans la migration qui a pour objectif de surpasser leurs limites et contraintes structurelles qui ont été affectées par la croissance démographique et par la saturation de l’émiettement des terres agricoles comme espace de subsistance. Comme résultat, il a eu à la fois un exode rural et l’émigration des Haïtiens. Plus récemment, cet investissement a conduit à la constitution d’une communauté haïtienne assez forte au Brésil qui maintient des liens avec sa famille en Haïti surtout à travers l’action économique de voye kòb .

De ce groupe un peu homogène, nous pourrions saisir que l’action économique de voye kòb des dyaspora ne s’est pas produite de manière totalement consciente et rationnelle. En conséquence, nous pouvons apporter certains éclaircissements sur les aspects sociaux de cette action économique. Les résultats ont montré qu’en investissant dans le projet migratoire des dyaspora , en retour les familles utilisent les ressources transférées par celles-ci pour compléter la rente obtenue par des activités économiques locales.

L’analyse montre aussi que l’action économique de voye kòb est un acte répétitif de rétribution sans calcul économique qui s’accomplit parce qu’il y a un système de valeurs, de normes, de dispositions qui sanctionnent ces actions dans un vaste enchevêtrement de dons et de contre-dons impliquant des personnes, des groupes, des trajectoires, des temps, des espaces, des déplacements, des attentes. Il y a des sanctions allant des contraintes d’être considéré comme ingrat, s’il ne contribue pas jusqu’à être reconnu, obtenir du prestige, maintenir les liens familiaux, les liens d’amitié, d’identité, de compatriote. Et il y a aussi un ensemble de rituels du calendrier de la vie familiale et de la vie sociale plus générale de la société haïtienne (en Haïti), au Brésil et ailleurs où les gens, les familles et les autres groupes se lient et actualisent les réciprocités, les reconnaissances, la hiérarchie prestigieuse de capital symbolique.

À Esmeraldas, devant les rares maisons de transfert et ailleurs les dyaspora ont construit un monde social dans lequel l’activité de voye kòb devient une sorte de rendez-vous ou rituel dans lequel on a retrouvé ce refus de faire des calculs économiques afin de maintenir et renforcer les liens avec le pays d’origine. Enfin, tout se passe comme si la famille, la société et les communautés transnationales haïtiennes ne laissaient pas leur dynamique et leur reproduction à la merci des décisions et volontés d’ordre strictement individuels.

REFERENCES

  • ANGLADE, Georges. (1982), Espace eWt liberté en Haïti. Montréal: ERCE.
  • AUDEBERT, Cédric. (2012), La diaspora haïtienne: territoires migratoires et réseaux. Rennes: Presses Universitaires de Rennes.
  • AUDEBERT, Cédric. (2017), The recent geodynamics of Haitian migration in the Americas: refugees or economic migrants? Revista Brasileira Estudos de População, v. 34, n. 1, pp. 55-71.
  • BASTIEN, Rémy. (1985), Le paysan haïtien et sa famille. Paris: Karthala.
  • BCB (Banco Central do Brasil). (2019), Banco Central Responde - Demanda 2019428753. [message personnel] reçu de faleconosco@bcb.gov.br, le 22 novembre 2019.
  • BÉCHACQ, Dimitri. (2019), Les étudiants haïtiens en France: d’une instruction élitiste aux vécus migratoires contemporains. In: Les migrations et la Caraïbe: (Dés)Ancrages, mouvements et contraintes. D. Béchacq; F. Calixte; M. Meudec (dir.). Paris: L’Harmattan.
  • BORTOLOTO, Claudimara C. (2019), Migração e trabalho na contemporaneidade: os haitianos no Oeste do Paraná. Thèse (Doctorat en Sciences Sociales). Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho, Araraquara.
  • BOSWELL, Thomas D. (1983), In the eye of the storm: the context of haitian migration to Miami, Florida. Southeastern Geographer, v. 23, n. 2, pp. 57-77.
  • BOURDIEU, Pierre. (1972), Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 27ᵉ année, n. 4-5, pp. 1105-1127.
  • BOURDIEU, Pierre. (1979), La distinction. Critique sociale du jugement. Paris: Minuit.
  • BOURDIEU, Pierre. (1984), Espace social et genèse des ‘classes’. ARSS, v. 52-53, pp. 3-14.
  • BOURDIEU, Pierre. (1989), Reproduction interdite. La dimension symbolique de la domination économique. Études rurales, n. 113-114, pp. 15-36.
  • BOURDIEU, Pierre. (1993), À propos de la famille comme catégorie réalisée. ARSS, v. 100, pp. 32-36.
  • BOURDIEU, Pierre. (1994), Stratégies de reproduction et modes de domination. ARSS, v. 105, pp. 3-12.
  • BOURDIEU, Pierre. (2000), Les structures sociales de l’économie. Paris: Seuil.
  • BOURDIEU, Pierre. (2003), La fabrique de l’habitus économique. ARSS, v. 150, pp. 79-90.
  • BOURDIEU, Pierre. (2017), Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993. Paris: Raisons d’Agir, Seuil.
  • BRH (Banque De la République d’Haïti). (2019), Transferts reçus de l’étranger en USD par pays. www.brh.ht
    » www.brh.ht
  • BRUBAKER, Rogers. (2005), The ‘diaspora’ diaspora. Ethnic and Racial Studies, v. 28, n. 1. pp. 1-19.
  • BUGA, Natalia. (2011), Les Diasporas comme système d’intégration dans l’économie mondiale. Thèse (Doctorat en Sciences économiques). Université Grenoble, Grenoble.
  • BULAMAH, Rodrigo C. (2013), O lakou haitiano e suas práticas: entre mudanças e permanências. Temáticas, v. 1, n. 42, pp. 205-233.
  • CAVALCANTI, Leonardo; TONHATI, Tânia. (2016), Considerações finais: características sociodemográficas e laborais da imigração haitiana. In: L. Cavalcanti et al. A imigração haitiana no Brasil: características sociodemográficas e laborais na Região Sul e no Distrito Federal. Brasília: OBMIGRA.
  • CAVALCANTI, Leonardo; TONHATI, Tânia. (2017), Características sociodemográficas e laborais da imigração haitiana no Brasil. Périplos: Revista De Estudos Sobre Migrações, v. 1, n. 1, pp. 68-71.
  • COTINGUIBA, Geraldo C. (2014), Imigração haitiana para o Brasil: a relação entre trabalho e processos migratórios. Maitrise (Maitrise en Histoire et Études Culturelles). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho.
  • COTINGUIBA, Geraldo C. (2019), Aletranje – a pertinência da família na ampliação do espaço social transnacional haitiano: o Brasil como uma nova baz. Thèse (Doctorat en Développement Régional et Environnemental). Universidade Federal de Rondônia, Porto Velho.
  • DALMASO, Flávia. (2019), Família. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens.
  • DORVILIER, Fritz. (2012), La crise haïtienne du développement, essai d’anthropologie dynamique. Port-au-Prince: Éditions de l’Université d’État d’Haïti.
  • DURKHEIM, Émile. (1999), Da divisão do trabalho social. São Paulo: Martins Fontes.
  • FERNANDES, Duval; FARIA, Andressa V. (2016), A diáspora haitiana no Brasil: processo de entrada, características e perfil. In: R. Baeninger, et al. (org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial.
  • FERNANDES, Duval; FARIA, Andressa V. (2017), O Visto humanitário como resposta ao pedido de refúgio dos haitianos. Revista Brasileira de Estudos de População, v. 34, n. 1, pp. 145-161.
  • GRANGER, Stéphane. (2014), L’Amazonie brésilienne, nouvelle interface migratoire entre les Caraïbes et l’Amérique du sud? Mercator, v. 13, n. 1, pp. 7-17.
  • GRANOVETTER, Mark. (2017), Society and economy: frameworks and principles. Cambridge: Harvard University Press.
  • IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística). (2019), Cidades e Estados. https://www.ibge.gov.br/cidades-e-estados/mg/esmeraldas.html
    » https://www.ibge.gov.br/cidades-e-estados/mg/esmeraldas.html
  • IHSI (Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique). (2015), Population totale, de 18 ans et plus. Ménages et densités estimés en 2015. Port-au-Prince: Ministère de l’Economie et des Finances.
  • IHSI (Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique). (2018), Projection de la population de 2018. Port-au-Prince: Direction des Statistiques Démographiques et Sociales (DSDS).
  • JOSEPH, Handerson. (2015a), Diaspora. As dinâmicas da mobilidade haitiana no Brasil, no Suriname e na Guiana Francesa. Thèse (Doctorat en Anthropologie Sociale). Museu Nacional, Universidade Federal do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro.
  • JOSEPH, Handerson. (2015b), Diaspora. Sentidos sociais e mobilidades haitianas. Horizontes Antropológicos, n. 43, p. 51-78.
  • JOSEPH, Handerson. (2017), A historicidade da (e)migração internacional haitiana. O Brasil como novo espaço migratório. Périplos: Revista De Estudos Sobre Migrações, v. 1, n. 1, pp. 7-26.
  • JOSEPH, Handerson. (2019a), Mobilité transfrontalière haïtienne au Brésil: kongo, vyewo et dyaspora. In: D. Béchacq, F. Calixte; M. Meudec (dir.). Les migrations et la Caraïbe: (Dés)Ancrages, mouvements et contraintes. Paris: L’Harmattan.
  • JOSEPH, Handerson. (2019b), Diáspora. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens.
  • MAGALHÃES, Luis Felipe A. (2016), Imigração haitiana no estado de Santa Catarina: contradições da inserção laboral. In: R. Baeninger, et al. (org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial.
  • MAGALHÃES, Luis Felipe A. (2017), Imigração haitiana no Estado de Santa Catarina: fases do fluxo, contradições laborais e dependência de remessas no Haiti. Thèse (Doctorat en Démographie). Universidade Estadual de Campinas, Campinas.
  • MAGALHÃES, Luis Felipe A; BAENINGER, Rosana. (2016), Imigração haitiana no Brasil e remessas para o Haiti. In: R. Baeninger, et al. (org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial.
  • MAMED, Letícia H; LIMA, Eurenice O. (2016), Movimento de trabalhadores haitianos para o Brasil nos últimos cinco anos: a rota de acesso pela Amazônia sul ocidental e o acampamento público de imigrantes do Acre: In: R. Baeninger, et al. (org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial.
  • MARCELIN, Louis H. (2019), Sangue. In: F. Neiburg, (org.). Conversas etnográficas haitianas. Rio de Janeiro: Papeis Selvagens.
  • MASSEY, Douglas S. (1990), The Social and Economic Origins of Immigration. The Annals of the American Academy of Political and Social Science, v. 510, pp. 60-72.
  • MASSEY, Douglas S; ESPAÑA, Felipe G. (1987), The Social Process of International Migration. Science, v. 237, n. 4816.
  • MAUSS, Marcel. (2005), Ensaio sobre a dávida; formas e razão da troca nas sociedades arcaicas. In: M. Mauss. Sociologia e Antropologia. São Paulo, Cosac & Naify.
  • MEF (Ministère de l’Économie et des Finances). (2018), Situation économique et financière d’Haïti et perspectives. Port-au-Prince: Direction des Études Économiques et Prévisions.
  • OLIVEIRA, Antônio Tadeu R. (2019), A imigração regular no Brasil: movimentação e registros. In: L. Cavalcanti; T. Oliveira; M. Macedo. Imigração e Refúgio no Brasil. Relatório Anual 2019. Série Migrações. Observatório das Migrações Internacionais; Ministério da Justiça e Segurança Pública/Conselho Nacional de Imigração e Coordenação Geral de Imigração Laboral. Brasília, DF: OBMigra.
  • PERES, Roberta. (2016), Imigração e gênero: as mulheres haitianas no Brasil. In: R. Baeninger, et al. (Org). Imigração haitiana no Brasil. Jundiaí: Paco Editorial.
  • PERUSEK, Glenn. (1984), Haitian emigration in the early twentieth century. International Migration Review, v. 18, n. 1, pp. 4-18.
  • PICHÉE, Victor. (2013), Les théories de la migration. Paris: Ined.
  • PIERRE, Jean Abel. (2014), Sociologie Économique de la corruption. Vers une étude de l’implémentation des politiques publiques de lutte contre la corruption en Haïti. Thèse (Doctorat en Sociologie). Université Paris Sorbonne, Paris.
  • POLANYI, Karl. (2000). A grande transformação. Rio de Janeiro: Campus.
  • RENÉ, Alix. (2014), Le culte de l’égalité: une exploration du processus de formation de l’État et de la politique populaire en Haïti au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle (1804-1846). Thèse (Doctorat en Histoire). Concordia University. School of Graduate Studies, Montréal.
  • SARMIENTO, Gitanjali S. (2000), Diagnóstico sobre las migraciones caribeñas hacia Venezuela. Buenos Aires: PLACMI-OIM.
  • SCHILLER, Nina G. (1997). The Situation of Transnational Studies, Identities. Global Studies in Culture and Power. v. 2, n. 4, pp. 155-166.
  • SCHILLER, Nina G; BASCH, Linda; BLANC, Cristina S. (1995). From immigrant to transmigrant: theorizing transnational migration. Anthropological Quarterly, v. 68. n. 1. pp. 48-63.
  • SILVA, Sidney Antônio. (2012), Aqui começa o Brasil. Haitianos na Tríplice Fronteira e Manaus. In: S. A Silva, (Org). Migrações na Pan-Amazônia: fluxos, fronteiras e processos socioculturais. Manaus: Fapeam.
  • SILVA, Sidney Antônio. (2015), Fronteira amazônica: passagem obrigatória para haitianos? Revista Interdisciplinar Mobilidade Humana, Ano XXIII, n. 44, p. 119-134.
  • SILVA, Sidney Antônio. (2017), Imigração e redes de acolhimento: o caso dos haitianos no Brasil. In. Revista Brasileira de Estudos de População. v. 34, n.1, pp. 99-117.
  • STEINER, Philippe. (2005), La sociologie économique. Paris: La Découverte.
  • THIOLLENT, Michel. (1982), Crítica metodológica, investigação social e enquete operária. São Paulo: Polis.
  • THOMAZ, Diana Z. (2013), Migração haitiana para o Brasil pós-terremoto: indefinição normativa e implicações políticas. Primeiros Estudos, n. 4, p. 131-143.
  • TONHATI, Tânia; CAVALCANTI, Leonardo; OLIVEIRA, Antônio T. (2016), Os imigrantes haitianos no Brasil: formas de entrada, permanência e registros. In: L. Cavalcanti et al. A imigração haitiana no Brasil: características sociodemográficas e laborais na Região Sul e no Distrito Federal. Brasília: OBMIGRA.
  • TSAKIRI, Elisa. (2005), Transnational Communities and Identity. Refugee Survey Quarterly. v. 4, n. 24, pp. 102-104.
  • WOODSON, Drexel G. (1990), Tout mounn se mounn men tout mounn pa menm: microlevel sociocultural aspects of land tenure in a Northern Haitian locality. Thèse (Doctorat en Anthropologie). University of Chicago, Chicago.
  • ZELIZER, Viviana A. (1994), The Social Meaning of Money. New York: BasicBooks.

NOTES

  • 1
    . Document délivré par la « Polícia Federal » à partir de notre demande (SOLICITAÇÃO 11742924): « Informação nº 12699130/2019-SADIP/CGPI/DIREX/PF » émise le 15 octobre 2019 par le « Setor de Análise de Dados de Inteligência Policial – SADIP/CGPI/DIREX/PF ».
  • 2
    . Nous sommes discrets sur le vrai nom des dyaspora , mais ils sont surtout des travailleurs de la construction civile, des magasins et des supermarchés qui reçoivent mensuellement entre R$ 950 et R$ 1.300. En janvier 2018, le Salaire Minimum officiel était de R$ 954. Le chercheur sur le terrain, le premier auteur de l’article, est arrivé à Belo Horizonte le 15 décembre 2017. Il a pris contact avec Sherline, étudiante, dyaspora et secrétaire de l’organisation Kore Ayisyen – Aider Haïtiens. Elle lui a accordé un entretien et lui a guidé sur le terrain. Ils sont allés à Esmeralda plusieurs fois en décembre et janvier pour faire des interviews, jouer au football et regarder de match de football à la télévision avec plusieurs compatriotes. Le chercheur a aussi contacté le Serviço Jesuíta a Migrantes e Refugiados (SJMR) communément appelé Sant Zanmi et a réalisé un entretien avec Adrien Renault, son coordonateur.
  • 3
    . La notion de kominote renvoie davantage à l’identité du groupe social et exprime un type de solidarité comme la « solidarité mécanique », c’est-à-dire, liens de similitudes de conscience, des représentations partagés ( Durkheim, 1999DURKHEIM, Émile. (1999), Da divisão do trabalho social. São Paulo: Martins Fontes. ). La kominote va au-delà des frontières du lakou et regroupe les gens du village et les voisins. Quand la notion de communauté est utilisée seule ici, elle a ce sens.
  • 4
    . Kouzen en créole haïtien se traduit par cousin. Mais, dans le contexte de l’entretien, il ne réfère pas nécessairement à un lien de parenté. Dans la kominote d´Esmeraldas, les gens ont désigné le chercheur de kouzen aussi. C’est une façon de se fraterniser entre Haïtiens.
  • 5
    . Selon les données les plus récentes, l´Haïti a une population estimée à 11.411.527 habitants ( IHSI, 2018IHSI (Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique). (2018), Projection de la population de 2018. Port-au-Prince: Direction des Statistiques Démographiques et Sociales (DSDS). ).
  • 6
    . Famille – fanmi en créole haïtien – dans ce discours a le même sens que kominote .
  • 7
    . Seulement une femme a accepté de répondre aux questions de l’entretien. On a remarqué aussi qu’il y a deux Haïtiens qui sont en couple avec des femmes brésiliennes.
  • 8
    . Dans nos entretiens, nous constatons que kòb est synonyme de lajan .
  • 9
    . En 2015 et 2016, l’économie brésilienne a connu une forte récession. En 2017, il y a eu une légère reprise, mais la baisse du chômage et la croissance du PIB ont été faibles. Selon l’IBGE, la variation du « taux d’absentéisme » (taxa de desocupação) était de 6,5% au quatrième trimestre 2014, 9,9% au quatrième trimestre 2015, 12% au quatrième trimestre 2016 et 11,8% au quatrième trimestre 2017. La variation du « PIB aux prix du marché » (PIB a preços de mercado) était: 3,2% au premier trimestre 2014, 0,5% au quatrième trimestre 2014, -2,2% au troisième trimestre 2015, -4,4% au troisième trimestre 2016 et 1,3% au quatrième trimestre 2017 (IBGE - https://www.ibge.gov.br/estatisticas/economicas/contas-nacionais/ ).

Publication Dates

  • Publication in this collection
    18 Feb 2022
  • Date of issue
    2022

History

  • Received
    14 Nov 2019
  • Reviewed
    16 Oct 2020
  • Accepted
    14 Jan 2021
Instituto de Estudos Sociais e Políticos (IESP) da Universidade do Estado do Rio de Janeiro (UERJ) R. da Matriz, 82, Botafogo, 22260-100 Rio de Janeiro RJ Brazil, Tel. (55 21) 2266-8300, Fax: (55 21) 2266-8345 - Rio de Janeiro - RJ - Brazil
E-mail: dados@iesp.uerj.br