Le devenir d’Eva: les transformations entre puberté et adolescence¹

The becoming of Eva: Transformations between puberty and adolescence

O tornar-se de Eva: as transformações entre a puberdade e a adolescência

El convertirse de Eva: las transformationes entre la pubertad y la adolescencia

Abstracts

L'adolescence est une période de développement qui se caractérise par la présence de forts contrastes, étant donné la nécessité de concilier le nouveau et l'inconnu, favorisant une avance dans la croissance. Le contexte scolaire est par excellence l'espace où se tissent et s’entretissent un ensemble de dynamiques basées sur la construction de processus identitaires et d’identification, favorisant la connaissance. Les autrices proposent de réfléchir aux transformations psychiques d'Eva, une adolescente de 15 ans, en suivi psychothérapeutique dans le cadre scolaire. Le Rorschach a été l'instrument d'évaluation à deux moments différents, à 12 et à 14 ans, permettant d'accéder et de décrire, les transformations psychiques de son adolescence. Cette nouvelle lecture est très bénéfique pour une meilleure planification et exécution du travail psychothérapeutique.

Mots-clés
Adolescence; transformation; Rorschach; école

A adolescência é um período do desenvolvimento caracterizado pela presença de fortes contrastes, dada a necessidade de conciliar o novo e o desconhecido, favorecendo um avanço no crescimento. O contexto escolar é por excelência o espaço onde se vão tecendo um conjunto de dinâmicas e tramas baseadas na construção de processos identitários e de identificação, promovendo o autoconhecimento. As autoras propõem se pensar as transformações psíquicas de Eva, uma adolescente de 15 anos, em acompanhamento psicoterapêutico no contexto escolar. O Rorschach foi o instrumento de avaliação em dois momentos distintos, aos 12 e aos 14 anos, permitindo aceder e descrever as transformações psíquicas durante o processo de adolescer. Essa nova leitura é altamente benéfica para um melhor planeamento e execução do processo psicoterapêutico.

Palavras-chave
Adolescência; transformação; Rorschach; escola

Adolescence is a period of development characterized by the presence of strong contrasts, given the need to reconcile the new and the unknown, favoring an advance in growth. The school context is par excellence the space where a set of dynamics are woven and woven based on the construction of identity and identification processes, promoting self-knowledge. The authors propose to think about the psychic transformations of Eva, a 15-year-old adolescent, undergoing psychotherapeutic follow-up in the school context. The Rorschach was the assessment instrument at two different times, at 12 and 14 years old, allowing access and describing the psychic transformations during the process of becoming an adolescent. This new reading is highly beneficial for better planning and execution of the psychotherapeutic process.

Key words
Adolescence; transformation; Rorschach; school

La adolescencia es un período de desarrollo caracterizado por la presencia de fuertes contrastes, dada la necesidad de conciliar lo nuevo y lo desconocido, favoreciendo un avance en el crecimiento. El contexto escolar és por excelencia el espacio donde se tejen y tejen un conjunto de dinámicas a partir de procesos de construcción de identidad e identificación, fomentando el autoconocimiento. Los autores proponen pensar las transformaciones psíquicas de Eva, una adolescente de 15 años, en seguimiento psicoterapéutico en el contexto escolar. El Rorschach fue el instrumento de evaluación en dos momentos diferentes, a los 12 y 14 años, permitiendo acceder y describir las transformaciones psíquicas durante el proceso de convertirse en una adolescente. Esta nueva lectura es altamente beneficiosa para una mejor planificación y pratica del proceso psicoterapéutico.

Palabras clave
Adolescencia; transformación; Rorschach; escuela

Introduction

L’adolescence est une période de développement qui a mérité l’attention de nombreux théoriciens, en ce sens c’est le moment où s’opère le passage de l’enfance à l’âge adulte, impliquant ainsi la construction de processus identitaires et identificatoires.

L’école est le lieu où les adolescents passent une bonne partie de leur adolescence, constituant un espace fondamental pour partager et enrichir la relation établie avec le(s) autre(s) adolescent(s), les enseignants et tout le personnel qui font partie de la communauté scolaire avec laquelle un ensemble de processus qui se tissent et s’entretissent et qui sont à la base de la construction de l’avenir professionnel.

Attendre à l’importance de l’école dans le processus de développement de l’adolescent, il nous paraît important de décrire les transformations psychiques qui s’opèrent entre le début et la fin de cette période de développement, afin qu’il soit possible de réfléchir à la manière dont elles peuvent influencer la construction de processus d’identité et d’identification, qui sont à la base de la construction de la vie adulte.

Le devenir adolescent

L’adolescence est une période d’évolution caractérisée par la présence de forts contrastes, avec des périodes de troubles et de discorde, avec des mouvements de dispersion et d’intégration, aboutissant à des processus psychiques déjà formés tandis que d’autres sont encore en construction. C’est un processus de transformation dans lequel est présente une relation dynamique de co-construction génératrice de croissance mentale.

C’est dans la théorie psychanalytique qu’on retrouve un ensemble de théories qui permettent de décrire et de comprendre les processus psychiques qui se construisent au cours de l’adolescence, notamment les travaux de Bion (1982) sur les transformations, qui permettent de penser le développement comme un processus dynamique, dans lequel le nouveau et l’inconnu doivent être pensés et intégrés dans le déjà connu. C’est la théorie de l’intersubjectivité qui permet de réfléchir à la possibilité que deux esprits qui communiquent dans un processus de co-construction réciproque (Brown, 2019).

La théorie de la pensée développée par Bion (1962) est basée sur le modèle injecté par le bébé, à travers lequel il développe un appareil pour penser des pensées. C’est plus tard que Bion (1991) lui donne une circularité entre dedans et dehors, qui donne à la pensée une dimension de circularité, permettant ainsi d’expliquer les processus de transformation qui sont présents au cours du développement adolescent, car il y a des processus qui se sont déjà formés, alors qu’il y en a d’autres qui sont encore en développement. C’est en ce sens que Braconnier (1985) propose de penser l’adolescence comme un “processus de transformation”, dans lequel on retrouve des mouvements présents allant de la désidéalisation à l’idéalisation et du clivage à l’intégration; et ces processus sont particulièrement liés à la construction de l’idéal du Soi, avec l’acquisition de nouvelles frontières entre masculin et féminin.

Au cours du processus de devenir adolescent, un espace interne se construit, dans lequel il devient possible de penser les affects inconscients. Selon Bollas (2011), c’est dans cet espace interne que se construisent l’imaginaire et la créativité qui servent de source aux relations interpersonnelles. Mais les phénomènes psychologiques qui se déroulent au cours du processus de développement de l’adolescent ne doivent pas être compris en dehors du contexte intersubjectif dans lequel ils se déroulent (Stolorow & Atwood, 1992).

L’intersubjectivité est basée sur les processus interactifs qui se produisent dans l’interaction entre deux sujets. Le concept du troisième analytique décrit par Ogden (1994) constitue un concept fondamental pour la description de la façon dont une personne participe à la pensée d’une autre personne, étant capable de penser avec elle-même.

Les travaux développés par Brown (2011) sur l’intersubjectivité sont d’une importance particulière, car il propose une théorie intégrative de l’intersubjectivité, à travers laquelle il cherche à comprendre comment un esprit communique avec un autre, sur la base d’une relation qui s’établit dans un champ émotionnellement partagé dans lequel est présent un processus affectif mutuel et régulé, qui génère des pensées sous la forme d’un récit.

La communication qui se produit inconsciemment, impliquée dans l’intersubjectivité, dans une co-construction créative entre les membres de la dyade dans laquelle les états d’esprit proches du rêve, rendent possible la connexion entre deux esprits dans un travail intersubjectif, spontané et inconscient, en un processus de croissance mutuelle qui, selon Brown (2011), permet la réorganisation des aspects psychiques, ce qui rejoint ce que Ferro (2009) décrit comme une activité basée sur l’identification projective.

Le concept d’identification projective est celui qui nous permet d’expliquer comment un esprit évoque un autre esprit, dans une expérience partagée inconsciemment (Klein, 1946/1985). Mais, pour le développement de ce concept, les contributions de Bion (1991) ont été fondamentales, car il a utilisé l’identification projective comme façon de communication, ce qui représente une amplification du concept original avec une grande importance pour la pratique clinique.

Le devenir adolescent dans le context scolaire

L’école est un lieu privilégié, de rencontres, de connexions entre pairs et aussi de relations avec les enseignants adultes et les aides-soignants. C’est le contexte où s’acquièrent aussi les connaissances et où les adolescents peuvent voir leurs compétences reconnues, questionner leurs intérêts, développer leur autonomie et leur affirmation, c’est-à-dire construire leur unicité dans un espace de groupe. Dans ce contexte de transfert, les émotions provoquent des sentiments intenses que les adolescents doivent apprendre à gérer.

Dans ce domaine, Freud n’a pas approfondi les thèmes autour de l’éducation ou de l’école, cependant, il a prévenu que l’école doit apporter un soutien aux élèves, sans oublier qu’ils doivent faire face à leur immaturité et aux aspects les plus désagréables de cette étape du développement (Freud, 1910/1987).

Dans cette même perspective, Winnicott (1975) renforce et valide que l’environnement scolaire, bien que “suffisamment bon”, devrait accueillir et transformer les comportements des adolescents afin de favoriser leur maturité affective et leur croissance. À la suite de cette relation, la singularité et l’altérité surgissent (le vrai soi émerge). Selon Oliveira et Fulgêncio (2010), les principaux besoins des adolescents évoqués par Winnicott sont: éviter la fausse solution; celui de se sentir réel; celui d’être rebelle dans un contexte qui embrasse aussi avec confiance la dépendance.

L’école, considérée comme un espace potentiel (Winnicott, 1975), plus qu’un enseignement des savoirs, doit aider les adolescents à réfléchir sur leurs propres pensées et émotions, ainsi qu’à accepter la coexistence avec la différence.

Le Rorschach

Le Rorschach est largement connu en psychologie clinique, car c’est un instrument privilégié pour accéder aux connaissances du sujet. L’inscription du Rorschach dans un cadre conceptuel théorique psychanalytique lui confère le statut de méthode, à travers laquelle il devient possible de comprendre la dynamique interne du sujet.

Le travail du psychologue dans le contexte scolaire soulève la nécessité de créer de nouvelles méthodes qui permettent une lecture plus ajustée à la nouvelle réalité dans laquelle nous vivons, où la pandémie pour Covid-19 nous a amené à la nécessité d’apporter des réponses encore plus créatives et ajustées aux nouveaux temps.

En ce sens, nous partons des travaux menés par Duarte (2017a) qui, à partir de l’analyse des protocoles de Rorschach pour adolescents, a décrit un ensemble de transformations psychiques présentes dans le processus de devenir adolescent. A partir des résultats retrouvés dans cette étude et de la systématisation réalisée dans l’article de Duarte (2017b), nous expliquerons les transformations psychiques présentes dans le Rorschach d’une adolescente.

L’utilisation du Rorschach en context scolaire

Le Rorschach est un instrument très riche pour l’évaluation et la compréhension d’éléments spécifiques du développement psychique. A l’école projectiviste de Paris, Emmanuelli et Azoulay (2001) décrivent un ensemble de trois aspects qui permettent de comprendre le fonctionnement psychique des enfants et adolescents:

1) Le contexte clinique de réussite au test, dans lequel il faut prendre attention au climat présent dans la rencontre entre le clinicien et le sujet, permettant ainsi d’accéder à un ensemble d’investissements réalisés par le sujet;

2) Les processus de pensée, au sens où l’importance doit être donnée non seulement au contenu du discours (champ vocabulaire et champ sémantique), mais aussi à la forme du discours (structuration, syntaxe, organisation de la structure du discours). Ainsi, l’analyse des processus de pensée devrait inclure l’articulation qui s’opère dans le langage entre réalité extérieure et réalité intérieure.

3) Le traitement des conflits, c’est pourquoi il est essentiel de prendre en compte les organisateurs psychiques de l’adolescence: le type d’angoisse, les mobilisations défensives, les relations d’objet, la construction identitaire et les mouvements d’identification.

Pour Roman (2015), le temps adolescent mobilise le besoin d’une double perspective: la confrontation avec les choix de l’objet d’amour, c’est-à-dire les choix identificatoires; et l’investissement dans la vie sociale, comme moyen de libérer l’espace familial, garantissant l’autonomie de la pensée.

Ainsi, le Rorschach en contexte scolaire a deux axes d’organisation: 1) son utilisation comme instrument d’évaluation, au sens classique, pour mesurer le fonctionnement psychique et les caractéristiques psychiques des enfants et des adolescents; 2) son utilisation comme méthode d’appréhension et de compréhension des processus psychiques déjà formés et pour ceux qui sont encore en cours. Sur la base de cette façon de procéder, le Rorschach permet d’accéder à un “guide” du monde interne de l’adolescent, guidant le clinicien vers le travail de suivi psychologique possible en contexte scolaire, compte tenu de la demande et de l’intervention à réaliser, laquelle a toujours une articulation sous-jacente, directe et constante avec les enseignants et la famille/les parents.

Les transformations psychiques dans le devenir adolescent

Les transformations psychiques sont elles-mêmes révélatrices des mouvements progressifs et régressifs qui accompagnent le processus de développement de l’adolescent.

Dans les transformations du Moi, nous trouvons deux types de transformation:

1) La transformation opératoire reflète la capacité à donner sens et un signifié à l’agitation présente au début de cette période de développement, avec une plus grande capacité d’organisation psychique à la fin de l’adolescence. Au début de l’adolescence, il y a une prédominance de mouvements disruptifs et discontinus qui, au second moment, sont déjà révélateurs d’une plus grande stabilité psychique.

2) La transformation inopérante révèle l’incapacité à transformer, c›est-à-dire la difficulté à donner sens et signifié au nouveau et à l’inconnu.

Les transformations psychiques de la relation Moi-Autre ont été décrites sur la base de trois niveaux d’analyse: 1) la transformation Inconclusive, 2) la Pré-transformation et 3) la transformation Progressive, en regardant à travers cette séquence de transformations pour rendre compte des mouvements inhérents à la relation intersubjective et co-constructive.

1) La Transformation Inconclusive révèle l’existence d’une impossibilité de transformation, c’est-à-dire une incapacité d’accéder à la relation Moi- -Autre dans le passage qui se produit du début à la fin de l’adolescence.

2) La Pré-transformation cherche à rendre compte d’un processus qui n’est pas encore pleinement réalisé, qui est en cours, survenant lorsqu’il y a esquisse de la relation Moi-Autre, qui fait progressivement place à une structuration de processus intersubjectifs. Sa réalisation implique d’établir une bonne circularité psychique, révélant des mouvements intrapsychiques et intersubjectifs, permettant le passage au niveau supérieur, pour une transformation progressive.

3) La Transformation Progressive révèle la capacité de différenciation Moi-Autre, étant donné le bon fonctionnement de la relation contenant-contenu, dans son sens plein contenant et transformant, où est présente une logique de complémentarité, un processus intersubjectif et co-constructif. Ce mouvement traduit la capacité d’accéder à la réalité ultime “O” (Bion, 1982), dans un mouvement qu’implique la révélation de l’adolescent lui-même, à partir duquel on peut accéder à son monde intérieur, le connaître et le faire connaître aux autres. Cette transformation n’est possible que compte tenu de l’existence d’un espace intersubjectif, ce qu’implique l’existence d’une tension continue entre ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur du sujet, dans l’interaction avec l’Autre(s) (Ogden, 1994).

La possibilité de réaliser une lecture et une analyse du Rorschach d’une adolescente en contexte scolaire, à partir d’un ensemble d’éléments ancrés dans l’école classique, mais aussi dans de nouvelles références pour lire et comprendre les transformations présentes au cours de cette période de développement, elle permettra une intervention clinique plus précise et rigoureuse, ce qui aura des répercussions en termes de consolidation et de meilleure stabilisation des processus d’identité et d’identification.

Cas clinique

Eva² et sa réalité

La demande d’intervention psychologique en contexte scolaire a été soulevée par le tribunal de la jeunesse comme mesure pour soutenir le développement socio-émotionnel d’Eva (dix ans). Elle et sa sœur cadette attendaient la décision de tutelle parentale après avoir été enlevées à leur mère par négligence. Cette situation survient après la demande de séparation du père.

Son enfance a été vécue à proximité de ses grands-parents maternels, vivant même avec eux après la naissance de sa sœur. À l’âge de neuf ans, le père lui a dit au revoir, a quitté la maison et la mère a commencé à se comporter d’une manière qui plaçait sa vie et celle de ses filles en danger. Cette situation prend fin après le dépôt d’une plainte anonyme auprès de la commission de protection de l’enfance et de la jeunesse en danger. La mère a été diagnostiquée avec une rupture psychotique. Depuis lors, la vie de famille d’Eva a connu de nombreux changements: elle a vécu avec ses oncles maternels jusqu’à ce que la tutelle parentale soit confiée à la grand-mère maternelle, après quelques années la grande-mère est tombée malade, a été hospitalisée et Eva et sa sœur sont retournées chez leurs oncles maternels. Le père a coupé le contact avec elle et l’année suivante, après la décision de justice, lorsqu’il réapparaît, il ne veut pas parler des raisons de son éloignement. Il y a une nouvelle famille et une petite fille d’un an. La mère a reconstruit sa vie amoureuse et est allée vivre à une distance de deux cents kilomètres, elle est souvent impliquée dans des conflits familiaux et à ce moment Eva soupçonne que la mère cache une grossesse.

Ces sujets sont évoqués par Eva pour être pensés dans l’espace thérapeutique. L’angoisse s’exprimait principalement dans le corps à travers des maux de tête intenses, une faiblesse musculaire et une anxiété face aux moments d’évaluation. La culpabilité, la faible estime de soi, la valeur personnelle ont commencé à être remises en question et le sentiment d’impuissance a été identifié comme provoquant une profonde tristesse de ne pas pouvoir changer le cours de sa vie.

Analyse des protocoles d’Eva

Le passage du Rorschach a lieu dans un contexte scolaire, d’abord quand Eva fréquente la 5ème et plus tard en 8ème. La réunion clinique au cours de laquelle les examens ont eu lieu a été marquée par un bon contact, avec l’engagement d’Eva dans l’exploration active des tâches, faisant un lien entre son monde interne et externe, qui émergeait (re)connecté dans les différentes réponses.

A travers une analyse plus fine des éléments quantitatifs des psychogrammes, il a été possible de mettre en évidence certains éléments, à savoir la diminution de la valeur des grands détails du premier au deuxième instant, qui rend compte de l’augmentation des doubles déterminants. Il n’y a plus d’approche globale avec l’intégration du blanc, ce qui veut dire que le blanc ne fonctionne plus comme support de l’échec.

Dans un premier temps, Eva présente un type de résonance intime (TRI) introversif, changeant le moment suivant en correctif, ce qui se justifie par la diminution du mouvement projectif et l’augmentation de la sensibilité aux couleurs, qui est également visible à travers l’augmentation du pourcentage de réponse couleur (RC=48%), ce qui reflète sa plus grande capacité à gérer l’affection.

Initialement, Eva transfère le mouvement d’identification au règne animal, c’est pourquoi la valeur des réponses animales apparaît élevée (A=35%), ce qui se maintient encore au second moment (A=46%). Cependant il y a une augmentation de réponses humaines (H=23 %), ce qui révèle une plus grande capacité à donner une représentation plus inscrite dans les représentations humaines du monde adulte.

Les réflexions présentes dans les deux moments évaluatifs nous font prendre conscience de l’existence d’un ensemble de transformations psychiques en cours, dans lequel est son processus de devenir adolescente en voie de devenir jeune femme, avec un mouvement accentué au niveau de processus d’identité et d’identification. Ensuite, nous expliquons les transformations psychiques présentes dans sa croissance.

Les transformations psychiques dans le Rorschach d’Eva

L’entrée d’Eva à l’adolescence nous offre une grande richesse en termes de transformations psychiques qu’on retrouve dans les protocoles de Rorschach, réalisés d’abord dans le processus d’évaluation à douze ans puis à quatorze ans, au cours de son processus psychothérapeutique.

La question identitaire est fortement mise à l’épreuve dans le(s) protocole(s) de Rorschach d’Eva, montrant les transformations du Moi, d’un type opérant, particulièrement évidente dans les planches compactes, plus précisément dans les I et V, lesquelles par ses caractéristiques mobilisent directement l’expression d’un corps (Marques, 1993). La planche I est celle qui marque l’entrée dans la course, mettant Eva au contact de l’inconnu, appelant à une mobilisation défensive, ce qui l’amène à évoquer, dans les deux moments de son développement, différents espaces et lieux de la nature, qu’elle recherche, conciliant, non seulement par une transformation opératoire, mais aussi par une transformation du masque, révélant la nécessité de désigner l’indicible et l’impensable (Vernant, 1988), ici en rapport avec la réalité extérieure, avec l’évocation d’un décor de nature “… des arbres, ici comme ça et ils peuvent être au pied d›une rivière, se reflétant ici” (14 ans - G C’F Nat) , dans une évocation de la Terre Mère.

La planche V est celle qui fait appel à l’unité corporelle et au sentiment d’intégrité psychique (Chabert, 1998). Dans les deux moments de développement, Eva évoque “… un papillon”, la banalité, une image unitaire et intégrale qui nous fait prendre conscience de la bonne représentation de soi. Mais, il y a des particularités dans les deux moments de son évolution qui nous font prendre conscience de l’attachement à la perception, lorsqu’à douze ans elle met en évidence “...c’est le genre d’une peinture abstraite, on met de la peinture au milieu, on la plie et ce tableau est comme ça” (G CF Art). Et, à quatorze ans, la massivité du mouvement projectif, dans l’explication du type de papillon: “...ces papillons qui déploient leurs ailes pour faire apparaître aux prédateurs que ce sont des animaux dangereux, donc les animaux n’attaquent pas” (G kan A Ban), une réponse qui met en évidence la projection d’un besoin de se protéger face à un certain danger, ce qui nous amène à ce qui est dérangeant et qui peut être présent dans l’adolescence.

C’est dans les pastels qu’Eva a le plus de difficulté à pouvoir élaborer les transformations du Moi, transformations majoritairement du type inopérant, non pas à cause de l’incapacité à désigner, mais plutôt à cause de l’évocation d’images éparses et de mauvaise qualité formelle, qui ne traduisent pas en eux-mêmes le processus de symbolisation inhérent au processus de devenir adolescent en cours, dans lequel la dimension affective est encore compromise.

Précédemment, nous avons décrit les transformations dans la relation Moi-Autre comme étant dotées d’un mouvement d’intégration qui révèle les processus psychiques présents dans le devenir et dans sa capacité progressive de croissance mentale. Dans le(s) protocole(s) de Rorschach d’Eva, on assiste à ce mouvement dans le passage de douze à quatorze ans, à la manière que dans les planches qui font appel à l’imago parentale, on retrouve une pré-transformation présente, c’est-à-dire, une esquisse de quelque chose, qui doit être développée et intégrée. Cependant, il existe des domaines relationnels et affectifs où il est déjà possible de trouver des transformations progressives, révélant son épanouissement adolescent.

Dans les planches IV et V, au premier instant, à douze ans, il y a une pré-transformation, bien que dans une première réponse il y a une approximation du contenu latent de la planche, son support au niveau des processus psychiques a pas encore été vérifiée, à défaut d’Eva de maintenir la même stabilité, perdant la capacité de confinement, ce qui indique une défaillance dans sa capacité à symboliser, révélant ses difficultés à projeter et intégrer le paternel (Planche IV) et à accéder à une image de soi qui est suffisamment stable et cohésif (Planche V).

La pré-transformation renvoie à ce que Bion (1991) a appelé “l›apprentissage pour l’expérience”, en ce sens que les mouvements psychiques qui fondent et structurent le devenir adolescent se consolident, par une intégration progressive, que seulement l’expérience peut aider à consolider. Ce mouvement s’explique à travers les réponses données à la planche VII, au début de l’adolescence, Eva donne la réponse: “Je pense qu›il y a deux personnes qui essaient, la tête dit oui, le cœur par contre dit non, c›est-à-dire, d›un côté ils veulent être ensemble, mais de l’autre non” (G K H). Au deuxième moment, elle répond: “Ici, il semble peut-être que la fumée s›échappe d›une maison qui a une cheminée allumée et ils préparent peut-être la pâte et laissent la pâte à côté de la cheminée, pour la faire cuire et pousser plus vite” (D E Nat).

Alors qu’au premier moment, à douze ans, il y a une esquisse de la relation, une tentative de trouver un champ relationnel dans lequel il est possible d’établir une interaction, dans le second moment, ce mouvement traduit une interaction dynamique entre un continent-cheminée et un contenu-fumée, une relation entre le lieu qu’elle contient et ce qu’elle consomme, qui dans l’histoire d’Eva nous rappelle les difficultés présentes dans la relation avec la mère. En termes projectifs, c’est l’évocation d’estompage de diffusion qui révèle une émergence du fantôme, se rendant compte d’une certaine fragilité au niveau de l’identité, dans une remise en cause de l’enveloppe psychique, un mouvement d’interpénétration entre dedans et dehors, une nette porosité des limites psychiques.

La planche IX invite à la régression en la renvoyant à une symbolique maternelle prégénitale associée aux fantômes de la naissance (Chabert, 1983). A douze ans, Eva donne la réponse: “Ici je pense que c›est un lac près de la forêt, où l’on peut voir une sorte de cerf marcher et les feuilles des arbres se refléter dans l’eau” (Gbl kan C Nat/A/Cena) témoignant d’une pré-transformation du prégénital archaïque à l’aide d’une logique spéculaire de type narcissique. Évoluant dans le deuxième moment de son développement pour une transformation progressive, révélant son dynamisme mental, à travers la réponse: “des amis, qui peuvent jouer à cache-cache” (G kan A/Cena), une évocation plus évoluée de la perte, liée à une capacité à représenter le jeu entre présence et absence, jouer à cache-cache, une référence claire au maternel.

Les mouvements de dispersion présents dans le Rorschach d’Eva laissent progressivement place à l’apparition de transformations progressives révélant sa capacité à trouver un continent suffisamment transformateur. Ce processus est particulièrement évident dans les planches bilatérales II et III qui invitent à la représentation de la relation. Sur la planche II, à douze ans, elle dit: “Deux personnes tenant une main comme ça, je ne sais pas ce que c’est, symbolisant la paix et le rouge je pense que ça peut signifier l’amour” (D K H) ajoutant dans l’enquête “Je imagine deux soldats qui veulent avoir la paix”. A quatorze ans, elle donne la réponse: “Ici, ils ressemblent à deux soldats, ici les mains jointes, pour combattre dans une guerre qui se dessine ou un symbole de guerre et d’union” (D K H). Ces réponses reflètent une transformation progressive qui génère une capacité à lier des mouvements opposés de force et d’agressivité.

Sur la planche III à douze ans, elle donne la réponse: “Ici, je pense que nous pouvons voir deux personnes jouer du tambour et je pense que les gens s’offrent de l’amour et cette partie ici pourrait être les notes de musique qui jouent” (G K H Ban). À l’âge de quatorze ans, sa réponse est: “Ici, il semble qu›il joue du tambour, une dame, qui joue du tambour, doit s’entraîner pour une fête qu’elle va faire ou une répétition” (G K H Ban). Ces réponses sont similaires aux deux stades de développement, traduisant une dynamique relationnelle créative.

Enfin, il est important de mentionner le mouvement présent dans la planche X, qui révèle le processus subjectif inhérent à la relation Moi-Autre et la (re)signification de l’angoisse d’arriver à la fin de l’épreuve (Duarte, 2017a). Après à douze ans Eva a donné une succession de réponses révélant une forte dispersion, à quatorze ans elle donne une réponse intégrative et fédératrice à la dispersion: “Ici, on dirait que c’est un peu comme une fête qui a généralement lieu en août/septembre à Lisbonne où des DJ’s et des musiciens s’y rendent et comptent à rebours au bout d’une heure et quand le décompte se termine, tous les gens là-bas jettent de la poudre, jaune, rose, bleu, vert, ils sont pleins de couleurs” (G KC H/Cena). La capacité à lier les différents éléments de la tâche en évoquant l’image d’une “fête”, révèle la couleur de son monde intérieur, mais aussi un mélange de couleurs/sentiments qui l’inquiètent et que l’accompagnement psychothérapeutique peut (re)signifier.

Dans le(s) protocole(s) du Rorschach d’Eva se trouve présent un mouvement de construction identitaire, visible à travers les diverses transformations psychiques que nous venons d’évoquer, dans lequel il est possible d’assister à une réconciliation de différents espaces, dans une recherche de cartographie au niveau de sa construction identitaire.

Considérations finales

L’école est un lieu privilégié pour le développement des adolescents, non seulement en termes d’acquisition de contenus scolaires, mais aussi en termes de socialisation entre pairs. Elle constitue ainsi un “lieu transactionnel” essentiel à l’épanouissement affectif des jeunes.

Le Rorschach est un instrument très riche qui permet la lecture et la compréhension des processus psychiques qui se construisent au cours de l’adolescence, fonctionnant sur le plan scolaire comme un espace de lecture qui permet au psychologue d’orienter son travail clinique, d’une part, sous un aspect psychothérapeutique et, d’autre part, sous un aspect psycho pédagogique, avec la réalité scolaire environnante, notamment avec les professionnels de l’éducation impliqués, afin d’accompagner la croissance et le changement.

Comprendre les transformations psychiques d’Eva nous a permis d’analyser une particularité présente dans le(s) protocole(s) de Rorschach entre perception et projection qui serait autrement inscrite dans des contextes psychopathologiques sans permettre une compréhension de son développement psychique. Eva utilise la perception pour s’ancrer dans la réalité, tout en utilisant massivement l’identification projective pour se libérer de ce qui dérangeait et angoissait son processus de devenir adolescente en voie de devenir une jeune Femme.

• 2
  Eva est un nom fictif choisi malgré le fait qu'on lui ait demandé un consentement éclairé pour cette étude de cas, ils sont occulté les principaux éléments de la réalité, n'en ayant gardé que quelques-uns qui permettent de rendre compte des transformations présentes dans le processus de devenir, de afin de conserver le complet anonymat.

Références

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Publication Dates

• Publication in this collection
  09 Oct 2023
• Date of issue
  2023

History

• Received
  21 Mar 2023
• Reviewed
  01 May 2023
• Accepted
  03 June 2023