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La sémiotique de la marque1 1 Conferência apresentada no I Simpósio Internacional Anatomia da Moda, parceria interinstitucional entre a FGV- SENAC- BELAS ARTES-PUC-SP:PPGCOS|CPS, que ocorreu de 29 a 31 de março de 2022. Com curadoria de Ana Claudia Oliveira (PUC-SP), Jô Souza (BELAS ARTES E SENAC-SP) e Roseli Morena Porto (FGV-SP). Realização da Liga de Negócios de Moda da FGV e participação dos alunos de Publicidade e Propaganda da Belas Artes.

A semiótica da marca

The semiotics of the brand

Résumé

Cet article à visée pédagogique, initialement destiné à un lectorat de non spécialistes, est une tentative d’initiation à trois modèles couramment utilisés en sémiotique marchande, en particulier en ce qui concerne les problématiques de branding: i) les plans et niveaux de tout langage, ii) le schéma narratif et iii) le carré sémiotique. Le premier s’avère pertinent pour aider à définir l’identité d’une marque à partir du moment où l’on considère que celle-ci est constituée de constantes d’expression et de constantes de contenu. Le second permet de rendre compte du rôle dont la marque se dote auprès de son public cible. Le troisième a la propriété de pouvoir rendre compte des logiques d’un marché et des relations que les marques qui le composent entretiennent entre elles (leurs positionnements).

Mots-clés
branding; fonctions narratives; modèle constitutionnel; plans du langage

Resumo

Este artigo de abordagem pedagógica, inicialmente destinado a leitores não especializados, é uma tentativa de apresentação dos três modelos usualmente utilizados na semiótica da marca, em particular no que diz respeito às problemáticas de gestão da marca: i) os planos e níveis de toda linguagem, ii) o esquema narrativo e iii) o quadrado semiótico. O primeiro se mostra pertinente para ajudar a definir a identidade de uma marca a partir do momento que consideramos que ela é feita de constantes da expressão e de constantes do conteúdo. A segunda permite dar conta do papel que a marca se dota para atingir seu público alvo. A terceira tem a propriedade de dar conta das lógicas de mercado e das relações que as marcas que o compõem mantém entre elas (seus posicionamentos).

Palavras-chave
branding; funções narrativas; modelo constitucional; planos da linguagem

Abstract

This pedagogical article, initially intended for a non-specialist readership, is an attempt to introduce three models commonly used in commercial semiotics, particularly with regard to branding issues: i) the planes and levels of any language, ii) the narrative schema and iii) the semiotic square. The first is relevant to help define a brand's identity, as long as it is understood as made up of constants of expression and constants of content. The second allows to account for the role that the brand takes on vis-à-vis its target audience. The third has the property of being able to account for the logic of a given market and the relationships that the brands that occupy it have with each other (their positionings).

Keywords
branding; constitutional model; narrative functions; planes of language

Introduction

La bonne gestion d’une marque nécessite rigueur, réflexion et méthode. La sémiotique présente l’avantage d’avoir mis au point des modèles particulièrement adéquats pour y parvenir. Considérant que la principale fonction d’une marque est de donner sens et valeur à son offre (de “sémantiser” ses produits), il est clair que cette discipline, parce qu’elle s’est donné la signification comme objet d’étude, est certainement l’une des plus pertinentes en matière de “branding”. Aussi permet-elle de comprendre ce qui fait l’identité d’une marque, d’en analyser les composants, pour mieux la piloter dans le temps, au gré des innovations et des développements qu’elle propose. D’autre part, grâce aux avancées qu’elle a depuis longtemps effectuées en matière de narrativité, la sémiotique fournit au “brand manager” un modèle efficace d’interprétation et d’évaluation comparative des messages publicitaires, dont elle permet de mettre au jour la structure interne tout en permettant d’attribuer à la marque un rôle, c’est à dire une fonction narrative. Enfin, la sémiotique permet aussi de définir et de clarifier le positionnement d’une marque, c’est-à-dire de qualifier sa différence et le type de relation qu’elle entretient avec ses concurrents dans son univers d’intervention.

L’identité de la marque

Une marque est l’instance médiatrice entre fabricants et consommateurs, mise au point sous la forme moderne qu’on lui connaît aujourd’hui vers la fin du XIXème et au début du XXème siècles pour court-circuiter le discours des commerçants de détail et s’adresser directement à leurs clients (PETITIMBERT, 2022PETITIMBERT, J.-P. (Re)penser la marque à l’ère du “post-consumérisme”? Acta Semiotica, 2, São Paulo: Centro de Pesquisas Sociossemióticas, Pontifícia Universidade Católica de São Paulo, 2022, pp. 224-235. Disponível em: <https://actasemiotica.com/index.php/as/article/view/66>. Acesso em: 29 Dez. 2022.
https://actasemiotica.com/index.php/as/a...
, p. 224). La marque est donc avant tout une parole: elle prend la parole pour se manifester, elle donne sa parole en faisant des promesses, elle tient sa parole en respectant les engagements qu’elle a pris. Quels que soient les langages et les types de signe auxquels elle fait appel pour parler, que cette parole soit verbale (accroche, slogan, signature de campagne…), non-verbale (images, logo, direction artistique…), ou comme souvent les deux à la fois (publicité, packaging…), c’est elle qui permet de reconnaître la marque. On identifie donc une marque à sa façon d’articuler et de penser ce qu’elle dit. En d’autres termes, une marque bien gérée (ce n’est malheureusement pas toujours le cas) possède des constantes d’expression et des constantes de contenu qui, à travers le temps et à travers la variété des médias qu’elle utilise, restent stables et assurent son identité pour permettre au consommateur de la reconnaître et de lui rester fidèle (idem, p. 226-228).

C’est pourquoi, pour mieux gérer l’identité d’une marque, on peut utilement emprunter aux sémioticiens la distinction et la hiérarchisation qu’ils font des différents plans et niveaux qui constituent l’armature de tout langage, «sous» les signes qui en assurent la manifestation. Autrement dit, la sémiotique permet de mettre au jour les composants élémentaires de l’identité d’une marque (Fig. 1).

Figura 1
Schématisation des plans et niveaux identitaires de la marque.

Les sémioticiens distinguent tout d’abord deux plans: Le plan de l’expression (qui correspond à la face sensible d’un langage et organise son signifiant, ses qualités visuelles, sonores ou autres qui lui sont spécifiques), et le plan du contenu (qui correspond à la face intelligible du langage et organise son signifié, c’est-à-dire ce qu’il «dit» du monde). C’est la «réunion» de ces deux plans qui donne aux signes appartenant à tel ou tel langage leur signification.

Ensuite dans chacun des plans, selon qu’on s’intéresse à ce qui s’y trouve organisé et articulé ou bien au mode d’articulation lui-même, on distingue respectivement deux niveaux, l’un variable qu’on désigne sous le terme de substance, l’autre invariant qu’on appelle la forme.

La substance du contenu d’une marque regroupe les univers conceptuels dans lesquels la marque est présente: les secteurs d'activité, les catégories de produits, les marchés ou segments de marché dans lesquels la marque joue un rôle. Cette substance est variable dans le temps comme dans l’espace selon les stratégies d’extension ou de diversification de la marque. Quant à la substance de l'expression d’une marque, elle recouvre les techniques, les supports, les matériaux, etc. que la marque exploite pour s'exprimer: matières premières (pour les produits), texte, photographie, peinture, dessin, film, voix, musique, sons (pour la publicité), mais aussi espace (architecture intérieure des points de vente), vêtements (uniformes du personnel), etc. Elle est variable en fonction des stratégies (par exemple de communication), mais aussi en fonction des évolutions en matière de technique et des avancées, innovations ou révolutions technologiques.

La forme du contenu recouvre l'esprit de la marque, c'est-à-dire le principe «philosophique» ou «éthique» qui, au-delà et au travers des secteurs et des catégories de produits dans lesquels elle opère, reflète la différence fondamentale de la marque par rapport à tous ses concurrents. Elle est invariable car quelles que soient ses différentes activités et leurs variations dans le temps, la marque agira selon le même idéal, la même vision du monde et d'elle-même. La forme de l'expression correspond au style propre de la marque, c'est-à-dire au principe «sensible» et «esthétique» qui, au-delà et au travers des divers matériaux, techniques et moyens qu’elle exploite, y laisse une empreinte unique et invariable qui est la transposition dans le monde matériel, perceptible par nos sens, du principe immatériel précédent qui, lui, se situe dans le monde des idées et des concepts.

En résumé, la forme de l’expression d’une marque peut prendre en charge de multiples techniques et matériaux, tandis que la forme de son contenu peut concerner de multiples industries ou secteurs d’activité. Dès lors, ces deux principes étant solidaires entre eux, invariants et indépendants des variables auxquels ils sont appliqués (les substances), ils permettent de définir l’identité d’une marque — invariante par définition — comme le couplage entre «l’éthique de la marque» (sa philosophie ou vision du monde) et son «esthétique» (son style propre ou empreinte).

C’est ainsi que Jean-Marie Floch, célèbre sémioticien visualiste, a pu définir l’identité de la marque Chanel comme la manifestation d’une éthique du maintien et de la liberté de la femme, exprimée au travers d’une esthétique classique rehaussée d’une pointe de baroque (FLOCH, 1995FLOCH, J.-M. Identités visuelles. Paris: Presses Univesitaires de France, 1995, pp. 107-144., p. 107).

Le rôle de la marque

Contrairement aux systèmes symboliques — par exemple les langages formels du type panneaux de signalisation routière, où à chaque élement de l’expression correspond un et un seul élément de contenu, rendant ainsi les deux plans du langage tellement conformes l’un à l’autre qu'il est inutile de les distinguer encore puisqu'ils ont la même forme —, les systèmes sémiotiques, ceux que les marques utilisent, sont des langages où il n'y a pas conformité entre les deux plans, et où il convient donc de les distinguer, et d’étudier séparément expression et contenu.

Aussi, l’étude approfondie du plan du contenu a-t-elle conduit la sémiotique à conceptualiser et à mettre au point des modèles qui permettent de rendre compte avec une grande précision des structures qui l’articulent. Parmi eux, le schéma narratif est un des grands acquis de la recherche qui trouve de nombreuses applications en marketing et en gestion de marque. En effet, toute communication de marque (logo, slogan, publicité, packaging, etc.) raconte, ne serait-ce que partiellement, une histoire dont soit la marque elle-même, soit le consommateur, soit le produit ou sa formule, etc. peuvent être le protagoniste principal. Or, grâce aux travaux en anthropologie, en mythologie et en ethno-littérature de Claude Lévi-Strauss, Vladimir Propp et Algirdas Julien GreimasGREIMAS, A.J.; COURTES, J. Sémiotique: dictionnaire raisonné de la théorie du language. Paris: Hachette, 1986., la sémiotique dispose d’un cadre de référence pour rendre compte des différentes formes que peut prendre un récit: un conte populaire, un film ou encore une annonce publicitaire.

Figura 2
Les séquences du schéma narratif et les rôles de marque dans chacune

Le schéma narratif peut se définir comme une trame de nature algorithmique, composée de quatre grandes séquences, qui rend compte de l’organisation sous-jacente d’un récit et structure sa mise en intrigue, autrement dit son scénario. Toutes ces séquences ne sont pas nécessairement exploitées ou développées, mais leurs manifestations respectives induisent la présence logique, même implicite, des autres. Le schéma s’articule autour de l’action du personnage principal, entendue comme la performance qu’il réalise assortie de la compétence qu’elle présuppose de sa part. Mais un tel personnage ne s’engage dans l’action ou dans l’acquisition des compétences dont il a besoin qu’en fonction d’un contrat préalable à remplir ou à rompre. Symétriquement, une fois sa performance réalisée, il peut faire l’objet d’une sanction, positive ou négative, en fonction de la conformité de la performance qu’il a réalisée par rapport au contrat initial. L’analyste doit donc prévoir que toute action soit potentiellement encadrée en amont par l’établissement d’un contrat, et en aval par le rappel de ce contrat et un jugement aboutissant à une sanction. Ces séquences s’organisent donc selon une logique de présupposition qu’une lecture «à rebours» permet de saisir: toute sanction présuppose une action; toute performance présuppose une compétence; toute action présuppose un contrat qui la motive. La représentation visuelle du schéma narratif prend toutefois l’aspect, parfois trompeur dans la pratique, d’une succession chronologique d’épisodes temporels. Seul l’ajout de flèches permet de corriger la lecture linéaire qu’elle induit, et de formaliser le sens logique des présuppositions (Fig. 2).

En communication, une marque peut choisir d’investir en priorité telle ou telle séquence du schéma, sachant que chacune d’elle lui affectera un rôle particulier, une fonction. A l’épisode de contrat correspond le rôle de mobilisateur: la marque s’engage et «passe contrat» avec ses consommateurs, elle tâche de les mobiliser, de les séduire ou de les attirer à elle en leur promettant un avantage, en leur proposant un bénéfice. Sur le marché des produits capillaires professionnels, c’est par exemple le cas de la marque Moroccanoil qui, avec son slogan «Rediscover the natural beauty of your hair», invite sa cible à s’engager dans une quête d’expérience esthétique.

Le choix de la séquence de compétence attribue à la marque un rôle d’expert: elle se dote ou se targue d’un savoir ou d’un savoir-faire spécifique, elle se donne de la valeur en mettant en avant sa recherche, ses connaissances de pointe, son talent ou son tour de main. Le slogan de la marque de soin du cheveu Aveda illustre tout à fait cette position: Aveda prétend incarner «The art and science of pure flower and plant essences».

La séquence de performance correspond au passage à l’acte, à la réalisation de l’action. Mettre en avant sa performance amène la marque à valoriser ses réussites, à souligner ce qu’elle apporte au monde ou au marché, en quoi elle le transforme. Dans ce cas, elle se dote d’un rôle d’opérateur, ou encore d’agent du progrès. Sur ce même marché des produits pour salons de coiffure, c’est le cas du slogan «We have been setting the tone since 1909» de la marque L’Oréal Professionnel. A travers lui, la marque affirme l’audace exemplaire dont elle fait preuve et, dans le même temps, sous-entend le suivisme de ses concurrents, qui se contentent de la copier.

Enfin, investir la séquence de sanction consiste pour une marque à mettre en scène la reconnaissance qu’elle a obtenue auprès d’un tiers investi d’une autorité, après s’être livrée à son jugement. Ainsi, la marque se dote d’un rôle de référent reconnu et apprécié, autrement dit d’un statut de standard ou d’étalon or. C’est la stratégie de toujours de la marque L’Oréal Paris qui, en publicité, met dans la bouche de ses consommatrices, promues au rang de juges suprêmes (aussi bien d’elles-mêmes que de la marque), le désormais célèbre «Because we’re worth it».

Le positionnement de la marque

Notion centrale de la pensée du marketing, inventée à la fin des années soixante, le positionnement consiste pour une marque à occuper une partie de l’espace mental du consommateur laissée libre par la concurrence2 2 Le terme «positionnement» a été inventé par deux marketeurs états-uniens, Al Ries et Jack Trout, et diffusé pour la première fois dans leur article (1969, pp.51-55). . Le positionnement est donc un mécanisme différenciateur par lequel une marque investit une portion de contenu, une idée ou une valeur, distincte de celles de ses concurrents et se l’approprie pour en faire son «territoire». L’objectif assigné à la marque étant alors de marquer les esprits plus que de marquer ses produits, il est possible de comparer le positionnement d’une marque au «territoire mental» qu’elle occupe (ou cherche à occuper).

La métaphore spatiale du territoire invite l’homme de marketing comme le sémioticien à raisonner à partir d’une topographie du marché, c’est-à-dire d’une carte permettant de visualiser les positions tenues par chacune des marques en présence. Or la sémiotique a de longue date mis au point un modèle — le «modèle constitutionnel», aussi appelé «carré sémiotique» — qui explicite visuellement les quatre positions élementaires de sens qui structurent les fondations d’un même univers sémantique et, en l’occurrence, d’un même marché dès lors qu’on le considère comme tel.

Le carré sémiotique est donc une représentation schématique des forces en présence, mais il offre l’avantage d’être à la fois statique et dynamique. Parce qu’il puise ses origines dans l'affirmation fondamentale de Ferdinand de Saussure qu'il n'y a de sens que dans la différence et que la langue est un système de relations (et non un système de signes), il permet de rendre compte des différences entre les positions tenues ou tenables par des marques sur un marché donné, mais aussi des relations qu’elles entretiennent entre elles, de même que des opérations à effectuer ou des itinéraires à emprunter pour passer de l’une à l’autre.

Figura 3
Le carré sémiotique : positions et relations entre termes.

Un carré sémiotique se fonde sur deux positions dites primitives qui sont définies à partir d’une catégorie sémantique, c’est-à-dire d’une opposition de concepts élémentaires contraires comme le sont, par exemple, nature vs culture, masculin vs féminin, continuité vs discontinuité... Les termes d’une telle catégorie (appelons-les S1 et S2) entretiennent par définition une relation de contrariété qui est visuellement représentée par une horizontale. De chacun de ces deux termes primitifs, on peut faire surgir, par une opération de négation, un terme qui lui est contradictoire: non-S1 est le terme contradictoire de S1, symétriquement non-S2 est le contradictoire de S2. Chacun des deux «nouveaux» termes ainsi construits est le (sub)contraire de son vis-à-vis, et ils sont donc eux aussi représentés sur une horizontale. Quant aux relations de contradiction, elles sont symbolisées par des diagonales en forme de flèches pour visualiser le parcours déterminé par l'opération de négation qui crée les contradictoires. Enfin, la relation entre non-S1 et S2 d'une part et la relation entre non-S2 et S1 d'autre part sont dites relations de complémentarité ou d’implication. L'opération qui correspond au parcours de l’un à l'autre des termes complémentaires est une opération d'assertion. C’est le second type d'opération. Des flèches verticales représentent ces implications et les assertions qui determinent le possible passage d’un terme complémentaire à l’autre (Fig. 3).

Le marché du soin de la peau en Europe dans les années quatre-vingt-dix permettra d’illustrer concrètement l’utilisation du carré. Cet univers était alors structuré par la catégorie sémantique nature vs culture, selon que les marques s’appuyaient en communication sur les ingrédients de leurs produits ou sur les codes sociaux de la beauté féminine. Une fois «projetée» sur le carré sémiotique, cette catégorie a permis de reconnaître quatre grandes idéologies, c’est-à-dire quatre conceptions de la beauté, de la santé et du soin ; quatre façons de valoriser l’origine naturelle ou technologique des principes actifs contenus dans les formules; et enfin, comme il s’agissait essentiellement de produits anti-âge, quatre représentations du temps et du devenir (Fig. 4).

Figura 4
La topographie du soin de la peau en Europe dans les années 1990.

Des grandes marques internationales alors en présence, GARNIER était celle qui, avec sa ligne de produits appelée Synergie, valorisait tout ce qui vient de la nature en général, et du végétal en particulier, en considérant que le rôle de la science est de s’allier aux forces naturelles, y compris au temps qui passe, aux cycles et aux saisons. L’action des produits GARNIER, composés pour la plupart d’un «complexe bio-végétal», était présentée comme la stimulation dynamique d’échanges biologiques. L’univers figuratif exploité par la marque était celui des grands espaces naturels, des forêts, des plantes. Le discours de GARNIER était fondamentalement naturaliste.

A l’inverse, la marque L’OREAL PARIS, avec sa ligne de produits dénommée Plénitude, tenait un discours qui représentait la négation de cette idéologie «néo-rousseauiste». L’OREAL PARIS affichait sa croyance au progrès et aux découvertes fondées sur la transformation et le dépassement des limites de la nature. Les effets du vieillissement naturel de la peau devaient être combattus et et pouvaient être retardés grâce à des produits techniques de prévention. Le discours de la marque était soutenu par des preuves de sérieux aux allures scientifiques, et l’univers figuratif de L’OREAL PARIS se nourrissait de courbes, d’histogrammes, de poucentages, de représentations en coupe ou de démonstrations schématisées. La marque tenait le discours d’une idéologie essentiellement technologique.

De son côté, la marque OIL of OLAY (qui ne s’appelait pas encore simplement OLAY) exaltait la conformité aux codes de beauté, aux règles et aux usages que la société, l’histoire et la culture ont établis de longue date. Les thématiques privilégiées par la marque étaient: la recherche de perfection par rapport à des canons esthétiques, la référence à des stéréotypes ou à des époques et des styles artistiques, ou encore l’importance du rapport entre l’apparence et la réalité. Dans ce discours normatif d’OIL of OLAY, le passage du temps était présenté comme inquiétant et refusé au profit d’une utopie de la permanence, voire du rajeunissement. L’univers figuratif de la marque puisait dans un large stock de situations socialement typées (bar, restaurant, soirées), de lieux «mythiques» (Venise, Paris), de styles de vie normés. L’idéologie de la marque était avant tout de nature sociologique.

Enfin, la marque NIVEA et sa ligne de produits baptisée Visage, tenait le discours totalement inverse, c’est-à-dire en contradiction du tout au tout avec le discours «culturaliste» d’OIL of OLAY. NIVEA prônait le refus du stéréotype, de l’artifice ou de l’excès. Elle exaltait la simplicité, la franchise et l’honnêteté. Pour la marque l’avenir pouvait être envisagé avec insouciance: le passage du temps était accepté et ne devait plus être une source d’inquiétude. Les thématiques privilégiées par la marque étaient la fraîcheur, l’optimisme, la spontanéité, la purification des impuretés. L’eau vive, la transparence cristalline, de même que la netteté et la vivacité des couleurs froides constituaient l’univers figuratif de ce discours, celui d’une idéologie avant tout éthique.

L’étude avait aussi montré qu’autour de ces quatre grandes marques internationales gravitaient des marques régionales ou locales et que, sans doute gérées avec moins de rigueur, leurs discours foisonnaient en incohérences et en solutions de continuité. Ainsi, la marque DIADERMINE était-elle dispersée sur trois des postes du carré, car la marque tenait simultanément des discours à la fois contraires et contradictoires. Il en allait de même, dans une moindre mesure, pour la marque BARBARA GOULD, dont le positionnement n’était guère plus clair et dont l’image était tout aussi diluée.

Conclusion

Cette rapide visite de trois des «instruments» développés par la sémiotique montre assez clairement non seulement la puissance heuristique de cette discipline, mais surtout la parenté sous-jacente qu’on peut lui accorder avec la pensée marketing en général, et le branding en particulier. Les deux champs de recherche se retrouvent autour de la notion fondamentale de différence, productrice de sens et de valeur pour le sémioticien, productrice de singularité et d’attractivité pour le marketeur. Leurs travaux peuvent donc se compléter harmonieusement sur un certain nombre de problématiques de fond.

C’est pourquoi, nous restons pour notre part fermement persuadé de l’utilité de l’approche sémiotique et de la valeur ajoutée qu’elle apporte aux réflexions du marketeur sur la stratégie de sa marque, sur son identité et les conditions de sa fidélité à elle-même, sur sa raison d’être et le rôle qu’elle joue par rapport à sa concurrence, ou encore sur la place qu’elle occupe au sein de son ou de ses univers d’intervention. Algirdas Julien Greimas lui-même, fondateur de la discipline, n’hésitait pas à affirmer que la «fonction ancillaire» qu’il lui allouait, et qu’il appelait de ses vœux, était de toutes celles que la sémiotique pouvait endosser «la plus noble».

  • 1
    Conferência apresentada no I Simpósio Internacional Anatomia da Moda, parceria interinstitucional entre a FGV- SENAC- BELAS ARTES-PUC-SP:PPGCOS|CPS, que ocorreu de 29 a 31 de março de 2022. Com curadoria de Ana Claudia Oliveira (PUC-SP), Jô Souza (BELAS ARTES E SENAC-SP) e Roseli Morena Porto (FGV-SP). Realização da Liga de Negócios de Moda da FGV e participação dos alunos de Publicidade e Propaganda da Belas Artes.
  • 2
    Le terme «positionnement» a été inventé par deux marketeurs états-uniens, Al Ries et Jack TroutRIES, A.; TROUT, J. Positioning is a game people play in today’s me-too market place. Industrial Marketing, Vol. 54, n° 6, Juin 1969, pp. 51-55., et diffusé pour la première fois dans leur article (1969, pp.51-55).

Referências

  • FLOCH, J.-M. Identités visuelles. Paris: Presses Univesitaires de France, 1995, pp. 107-144.
  • GREIMAS, A.J.; COURTES, J. Sémiotique: dictionnaire raisonné de la théorie du language. Paris: Hachette, 1986.
  • PETITIMBERT, J.-P. (Re)penser la marque à l’ère du “post-consumérisme”? Acta Semiotica, 2, São Paulo: Centro de Pesquisas Sociossemióticas, Pontifícia Universidade Católica de São Paulo, 2022, pp. 224-235. Disponível em: <https://actasemiotica.com/index.php/as/article/view/66>. Acesso em: 29 Dez. 2022.
    » https://actasemiotica.com/index.php/as/article/view/66
  • RIES, A.; TROUT, J. Positioning is a game people play in today’s me-too market place. Industrial Marketing, Vol. 54, n° 6, Juin 1969, pp. 51-55.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    29 May 2023
  • Date of issue
    2023

History

  • Received
    05 Jan 2023
  • Accepted
    15 Feb 2023
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